Psy malgré moi, Tome 2 : De celle qui se fait allègrement manipuler par son chum

9 septembre

Les larmes jaillissent des yeux de Natacha, comme si de minuscules geysers étaient cachés sous ses paupières. Elle pleure comme une Madeleine pendant que moi, au lieu de compatir, je crève de chaleur. Me voilà à huit heures du matin dans les toilettes des filles, prise en sandwich entre Natacha en larmes, assise sur la cuvette, et sa sœur Roxanne qui remplit le cadre de porte du cabinet. On dirait qu’elle fait exprès d’être aussi imposante. Comme si elle voulait me bloquer le passage au cas où j’aurais envie de me sauver à toutes jambes vers la constellation du Grand Chien. Roxanne veut que j’affronte mes « nouvelles responsabilités » de psy ! Parce qu’elle m’a vue parler à la secrétaire avec compassion, elle me prend pour une espèce de mère Teresa de l’âme ! Moi pis ma grande gueule ! OK. C’est vrai, je me suis sentie importante en aidant cette femme. Mais de là à en faire une carrière…

— Allez, Natacha, raconte ton problème à Ariane. Elle va t’aider, insiste Roxanne auprès de sa jeune sœur qui, en passant, lui ressemble autant que Bernard Derome à Nemo le poisson.

Entre deux hoquets, Natacha essaie de dire un mot, mais elle s’étrangle et repart de plus belle.

— Arrête de pleurer. ARRÊTE ! Tu m’énerves ! s’emporte Roxanne.

Natacha, qui semble craindre sa sœur comme la majorité des élèves de la poly, se ressaisit et s’exécute.

— Je suis enceinte ! pleurniche-t-elle, avant de relancer ses geysers.

Estomaquée, je regarde Natacha.

— Quel âge as-tu ?

— Douze ans.

Mon visage est en forme de point d’interrogation.

— Ariane, il faut que tu nous aides. Dis-nous ce qu’il faut faire, m’implore Roxanne.

Aucune idée géniale ne fait irruption dans mon cerveau, pendant que j’observe Natacha qui épuise un rouleau de papier de toilette pour essuyer ses larmes.

Heureusement, je suis sauvée par la première cloche du matin, celle qui nous prévient qu’on a quinze minutes pour nous rendre à nos cours.

— Ne dis rien à personne ! me lance Roxanne, avec un regard de caïd.

— Oui, juré, bredouillé-je.

— Qu’est-ce que je fais, maintenant ? demande Natacha, les yeux remplis de larmes.

Roxanne et sa sœur me regardent comme si j’étais leur Eldorado, leur seul espoir. Étrangement, j’aime ça. J’aime qu’on ait besoin de moi. Ça me fait me sentir exceptionnelle. Mais surtout, ça m’empêche de penser à mon drame à moi, de m’apitoyer sur mon sort, de m’isoler dans mon coin et de lécher mes plaies comme un animal blessé, comme j’ai eu tendance à le faire quand ma sœur a sombré dans son coma et qu’elle nous a quittés. Ma sœur avec qui j’avais tellement de fun. Ma sœur qui était ma grande amie… Arrête ! Tu ne dois pas te laisser happer par la tristesse, ce n’est pas toi ! Et puis, hey, il y a du monde qui a besoin de toi. Il faut vite trouver une solution pour aider Natacha. Mais si je n’y arrive pas ? Non, Ariane, ne pense pas à ça, ce n’est pas le moment.

— Les filles, je dois en savoir plus pour vous aider. Si on se donnait rendez-vous devant la piste de course, en fin de journée ? On devrait avoir la paix, là…

— C’est bon pour moi, répond Natacha.

— Pour moi aussi. Tu ne nous laisses pas tomber, hein ? insiste Roxanne.

— Juré.

Enfin, Roxanne s’écarte du cadre de la porte. Je peux sortir des toilettes et respirer l’air frais. Je suis en sueur. Comme si j’avais passé deux jours dans un hammam. J’ai dû perdre cinq livres d’eau, de toxines et de courage.