Extraits

La journée s'éternise et quand 19 h arrive, je suis dans l'entrée, guettant le moment où Timaël franchira cette porte, avec cet air lassé, les yeux épuisés par trop d'heures de travail acharné.

Je ne sais pas pourquoi je suis là... Bloquée dans cette vieille maison construite par mes parents.

Je sais que je suis morte...

Je me rappelle... Ce soir de tempête où j'avais ouvert ma porte à un inconnu pour lui donner un abri alors que mon mari était absent pour vendre nos récoltes en ville.

Je me rappelle lui avoir offert un bon repas et une place au chaud près de la cheminée pour qu'il puisse se reposer pendant que mes enfants dormaient dans la pièce à côté.

Je me souviens de ses mains sur mon corps pendant que je hurlais de terreur et de ses doigts autour de ma gorge qui serraient de plus en plus fort, pendant qu'il remontait mes jupons. Ses yeux exorbités par l’excitation. Ce rire sadique quand j'ai poussé mon dernier souffle en fixant la porte de la chambre de mes enfants en priant Dieu de les épargner.

Le cœur serré, je l'observe pendant qu'il enfile son costume foncé, sa chemise blanche et sa cravate, puis je l'accompagne jusqu'à la cuisine pour le contempler pendant qu'il boit son café noir sans sucre.

Quand vient le moment où il part, je le regarde par la fenêtre, les larmes franchissent à nouveau mes cils...

Qu'ai-je fait pour mériter ça ?

Pourquoi moi ?

Je déambule le reste de la journée, passant d'une pièce à l'autre, le cœur lourd, je n'en peux plus, je ne supporte plus ce que je suis...

Il pleut, les gouttes de pluie martèlent les vitres pour venir mourir sur le rebord de la fenêtre, un peu comme mes larmes coulent le long de mes joues pour venir mourir aux coins de mes lèvres.

J'essuie mes yeux du revers de la main avant de reporter toute mon attention sur l'homme allongé à quelques pas de moi.

Je regarde ce sublime visage avec ses pommettes hautes, ce nez droit et cette bouche... Cette bouche charnue qui m'obsède jour après jour. Ses épaules larges et musclées qui donnent envie de s'y blottir au chaud. Ses cheveux noirs un peu trop longs et décoiffés la plupart du temps.

Entre deux sanglots je recule dans l'angle de la pièce et me laisse glisser au sol comme une poupée désarticulée.

Mes yeux braqués sur le réveil, sachant qu'il va sonner d'une seconde à l'autre et que Timaël va se lever et s’étirer comme tous les matins.

« Je secoue la tête pour sortir de mes songes et reporte toute mon attention sur lui. Ce soir il est différent, quelque chose a changé en lui, ses yeux sont éteints et tristes. Il semble plus seul que jamais... Je ne comprends pas pourquoi cet homme si extraordinaire vit dans la plus complète solitude... Il semble coupé du monde, sans famille, sans amis... Sans amour... Il se pose sur le canapé en prenant son visage dans ses mains. Que se passe-t-il dans sa tête pour qu'il semble si abattu ? Je voudrais tellement le prendre dans mes bras, le serrer fort contre ma poitrine, lui chuchoter des mots doux pour l'apaiser. Il reste ainsi, immobile dans la pénombre, ses yeux rivés sur le parquet usé par les années. Avec comme seul bruit : la pluie frappant les vitres et sa respiration saccadée. Mes yeux se fixent sur son visage et mon cœur se fendille comme de la porcelaine en voyant cette perle d'eau salée dégringoler le long de sa joue. Pourquoi pleure-t-il ?

Je tends la main pour essuyer ses larmes mais mes doigts passent à travers son visage, alors je recule en hurlant de rage, maudissant mon sort. Je voudrais tellement le toucher, lui dire que je suis là... A côté de lui. Que c'est pas grave, que tout va s'arranger. Que la vie peut être belle quelques fois... Je donnerais n'importe quoi pour être vivante rien qu'un instant... Pour lui dire qu'il n'est pas seul et que je l'aime de toutes mes forces. »

Je glisse mes doigts sous sa chemise pour toucher sa peau, j'en rêve depuis si longtemps. Ma langue force le passage de ses lèvres pour venir chercher la sienne, je lâche un gémissement de plaisir quand elles se frôlent.

Ses bras me serrent plus fort et me soulèvent pour me plaquer contre le mur. Mes jambes s'enroulent autour de ses hanches. Je bouillonne, mon cœur est au bord de l'implosion. Je m’accroche à ses épaules pendant que sa langue trace un sillon humide le long de ma clavicule. Puis tout s’accélère et je ne maîtrise plus rien, mes jambes flageolent quand elle glissent au sol et qu'il détache ma robe et mes jupons pour les jeter à l'autre bout de la pièce. Quand je suis nue devant lui, mes joues rosissent, il m'observe une seconde de ses yeux incandescents qui me brûlent la peau. Ses mains se referment sur ma poitrine et ses pouces dessinent des cercles autour de mes mamelons durcis par l’excitation. Ses prunelles plongent dans les miennes, son souffle chaud caresse mon visage, sa respiration s’accélère quand mes doigts descendent vers sa ceinture pour la défaire. Sa bouche descend vers ma poitrine pour en mordiller les pointes. Je respire difficilement traversée par des vagues de plaisir.

Mon cœur est en mille morceaux, éparpillé aux quatre coins de cette maison.

Je ne respire plus, je suis brisée...

Je prie... Je prie Dieu de bien vouloir de moi.

N'ai-je pas assez souffert tous ces siècles pour avoir gagné ma place au paradis ?

Je déambule de pièce en pièce, je ne suis plus que l'ombre de mon âme.

Mes yeux n'ont plus de larmes d'avoir trop pleuré.

Je reste des heures prostrée dans un coin, sentant se fissurer chaque particule de mon corps. La nuit, j'erre dans chaque centimètre de cette maudite maison qui m'emprisonne. Je marche dans la pénombre et le silence pesant. La journée, je reste immobile devant la fenêtre de la chambre, je regarde passer les oiseaux, le vent secouer les branches des arbres.