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Durant l’année qui a suivi la disparition de sa mère, il a vu Jean régulièrement. Un week-end sur deux et une partie des vacances scolaires. Il attendait ces moments avec impatience. Revenir dans l’appartement où il s’était ancré depuis la petite enfance lui donnait le sentiment réconfortant d’être véritablement à sa place, même s’il s’est toujours senti à l’aise chez son oncle et sa tante.
Mais un week-end, il a trouvé une « amie » chez son parrain. Puis un autre et un autre. De week-end en week-end, « l’amie » s’est installée et, parallèlement, la durée des moments qu’il passait avec Jean a commencé à diminuer. Quand, à peine plus d’une année après la disparition de sa mère, Jean s’est remarié, c’est lui qui a espacé davantage encore les visites. Il y avait tant de colère en lui ! Comment Jean avait-il pu remplacer si vite Raphaëlle ?
Afficher en entierLe contenu de la seconde cantine est plus éclectique. Plus intime aussi. Des albums photo en rapport avec des voyages que sa mère et Jean ont faits tous les deux, pendant que lui-même était en vacances chez ses cousins et cousines. Des lettres. Sans doute celles qu’ils ont échangées avant leur mariage. Un coffret contenant les bijoux de sa mère et quelques robes qu’il reconnaît aussi immédiatement. Des cadeaux de Raphaëlle à Jean. Une très belle montre. Une coupe en bois rapportée d’un voyage qu’ils ont fait à Madagascar, et qui servait à son parrain de vide-poches. Une statuette en verre soufflé de Murano que Jean conservait sur l’étagère juste derrière son bureau. Une statuette que Ludo n’a eu le droit de prendre dans ses mains qu’à douze ans. Et encore, avec quelles précautions ! Des objets auxquels il ne pensait plus forcément, et qui raccrochent, tandis qu’il les sort un à un, les examine, puis les pose sur le plancher, les wagons de sa mémoire.
Afficher en entierIl est tôt, ce samedi, et elles ne sont que toutes les deux dans la petite boutique au design moderne et aseptisé. Du noir, du lisse, de l’anguleux, du prétentieux. Exactement le genre d’ambiance et de décor que Léane déteste. La manucure qui s’occupe d’elle a fini de limer en arrondi les faux ongles qu’elle vient de se faire poser pour les besoins de son déguisement de la soirée. Elle a invité une dizaine d’amis dans son studio de la rue Rochechouart pour fêter avec eux ses vingt-trois ans, une soirée à thème : « voyage en Asie ». Elle compte porter son hanbok, le costume traditionnel dans lequel sa grand-mère paternelle s’est mariée et qui lui a été transmis solennellement le jour de ses dix-huit ans, sa grand-mère n’ayant pas eu de fille à qui le donner. Que des garçons. C’est la première fois de sa vie qu’elle a les ongles aussi longs, et elle se demande si elle va être capable de rouler ses gimbaps, ou de couper ses légumes en fines lamelles pour son plateau des huit délices. Encore faudrait-il qu’elle parvienne à glisser la clé dans la serrure, quand elle rentrera chez elle tout à l’heure !
Afficher en entierLa première cantine contient des livres essentiellement, des livres que Ludo reconnaît aussitôt. Ils ont appartenu à sa mère, et sur leur page de garde, il y a son nom, tracé en violet de sa petite écriture serrée. Il y a aussi quelques dossiers qui ne semblent contenir que des relevés de banque, des factures, des courriers divers, administratifs, fonctionnels. Rien de très personnel. Les livres, il les a toujours vus sur les étagères du salon, quand sa mère était en vie. Des recueils de poésie, des romans, quelques beaux livres de voyage qu’il se revoit feuilleter pendant des heures, rêvant à l’explorateur qu’il deviendrait quand il serait grand. Grand il l’est maintenant, mais explorateur, non. Doctorant en mécanique des matériaux, après un cursus à l’ENSAM Paris. Une autre forme d’exploration…
Afficher en entierTandis qu’il disparaît dans le ticket de métro qui lui sert de cuisine, un nouveau branle-bas de combat se fait entendre dans la cage d’escalier. Quand Ludo revient au salon avec les canettes, les deux hommes passent la porte avec la seconde cantine. Ils la posent à côté de la première. Alors qu’ils boivent et se lancent dans des considérations sur la chaleur et la difficulté à circuler en ville avec un gros camion de livraison, Ludo observe les malles. Elles ont, à vue de nez, un peu moins d’un demi-mètre cube de contenance au total. Les douze, treize ans que sa mère et son parrain ont partagés tiennent là, dans ce demi-mètre cube, et il en est à présent le dépositaire…
Afficher en entier— … Et là, tu sais ce qu’il me sort ? Ce qu’il ose me sortir ?
Marine se penche soudain vers Léane et la fixe par en dessous, les yeux furibonds, les narines frémissantes. La manucure, qui n’a pas anticipé son mouvement, dérape avec le pinceau du vernis et lui laisse une longue traînée rouge sang sur les doigts. Elle s’excuse aussitôt d’un ton chargé de reproche.
Afficher en entierSes vingt-quatre ans sportifs n’ont rien à envier à l’entraînement quotidien du livreur. Tous deux soulèvent la malle comme si elle pesait à peine, alors qu’elle semble remplie de livres ou de documents, et la transportent jusqu’au milieu du tout petit salon. Ludo pousse la table basse et le fauteuil, en prévision de la suivante. En ce mois de juin, il fait chaud à Paris comme en août au bord de la Méditerranée, et le livreur ruisselle de transpiration.
Afficher en entierIl entrouvre la porte de son appartement et tend l’oreille. La machinerie de l’ascenseur se met en route, puis Ludo entend des coups portés sur les parois métalliques de la cabine. Ils doivent s’en voir, les types, en bas, pour faire rentrer les malles dedans ! Solange l’a averti qu’elles sont de belle taille.
Afficher en entierJuin 2000
— Monsieur Farinelli ?
— Oui ?
— Transports Domarin. On a deux malles pour vous. L’Interphone grésille horriblement, comme d’habitude — une vraie merguez sur une grille de barbecue chauffée à blanc —, et il faut à Ludo quelques secondes pour démêler les paroles des bruits parasites.
— Oh ! d’accord… Je vous ouvre. Troisième étage. L’entrée de l’ascenseur est dans la cour, sur votre gauche.
— Merci.
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