Ragnar crinière noire, Tome 3 : Chasseur gris

— Quand allons-nous nous tirer de ce foutu trou ? » demanda Sven.

Une grimace de pure frustration déformait les horribles traits de son visage. Du givre s’était déposé sur ses sourcils et pendait en stalactites le long de ses rouflaquettes.

« Ça fait presque six mois depuis Xecutor, » grogna-t-il. « Je suis fatigué de devoir contempler les putains de paysages de Fenris et de devoir contempler ta sale tronche, Ragnar. »

L’intéressé ne prit pas la remarque personnellement. C’était juste la façon de s’exprimer de Sven. Et il comprenait la frustration de son frère. Tout cet entraînement servait bien entendu à améliorer leurs compétences, mais il ne pouvait en aucun cas se substituer à la véritable action.

Il se demanda un instant si le procédé qui les avait transformés en space marines n’avait pas aussi modifié leur esprit et même leur âme. Il se sentait insatiable comme jamais avant. Il avait un besoin quasi physique de l’excitation de la bataille et du frisson de l’affrontement ; à un tel point qu’il soupçonnait que ce n’était pas entièrement naturel, même pour quelqu’un issu d’un peuple de combattants. Ou peut-être que, malgré leur peau tannée par le temps et les quelques cheveux gris qui commençaient à apparaître, ils n’étaient encore que des Blood Claws de cœur, submergés par la soif de gloire et de sang des jeunes guerriers.

Il sourit et secoua la tête en regardant les étendues glacées d’Asaheim qui les entouraient : des kilomètres et des kilomètres de désolations recouvertes par la neige, uniquement percées par les montagnes du Croc du Dragon. C’était un milieu dans lequel il n’aurait pas pu survivre dix ans plus tôt, lorsqu’il était à peine plus qu’un enfant de la tribu des Thunderfist. Il faisait si froid que même enveloppé dans les fourrures les plus épaisses, il n’aurait pas tenu une heure. Et si la température ne l’avait pas tué, la faim s’en serait chargée. De toute façon, les démons des glaces l’auraient alors emporté avant que cela n’arrive. À présent, il trouvait l’endroit simplement amusant, idéal pour affiner les techniques apprises au sein de son chapitre.

Mais dix années plus tôt, son corps n’avait pas été encastré dans cette miraculeuse armure des anciens, capable de le protéger d’environnements bien plus hostiles que celui-là. Et dix années plus tôt, son anatomie n’avait pas non plus été transformée en cette infatigable machine à tuer, capable d’ingérer des lichens, la viande inhumaine des démons des glaces ou d’espèces apparentées. Dix années plus tôt, ses yeux non modifiés auraient été aveuglés plutôt que de filtrer la lumière éblouissante comme c’était le cas présentement. Dix années plus tôt, il n’aurait pas été d’accord avec Sven pour trouver cette petite balade si ennuyeuse. Être de retour sur Fenris après la campagne de Xecutor avait été une sévère descente. Il ne ressentait même plus le frisson de fierté quand il contemplait les runes sur son armure, indiquant son appartenance à la compagnie de Berek. Pas autant, pour être plus juste. Plus autant que la première fois qu’il avait été assigné à une véritable unité.

Bien entendu, dix années plus tôt, il n’avait alors jamais quitté la surface de sa planète. Il n’avait jamais embarqué sur d’immenses navires voguant d’une étoile à l’autre. Il n’avait jamais combattu contre des hommes, des monstres ou même des démons. À cette époque, il aurait cru que seuls des dieux seraient capables de faire ce qui ne lui semblait, à présent, qu’une activité sans intérêt. Comme les temps avaient changé ! Depuis, il y avait eu Galt, Aerius, le monde de Logan, Purity, Xecutor et un paquet d’autres campagnes mineures qu’il ne prenait même plus la peine de mentionner.