Regan Reilley, Tome 14 : Affaires de star

1

Jack Reilly se pencha pour embrasser sa femme avant d’ouvrir la porte d’entrée de leur loft, à TriBeCa.

« Passe ce coup de fil, ce sera fait.

— Oui, oui, répondit Regan en faisant la moue. Pauvre Hayley. Je me doutais bien que ce type ne serait pas l’homme de sa vie. Mais de là à imaginer la scène d’hier soir.

— Elle échappe à une ordure de première. C’est mieux comme ça.

— Tu as raison. Mais mon petit doigt me dit qu’elle ne verra pas les choses de cette manière quand je vais lui raconter ce qui s’est passé. Il lui faudra sûrement un peu de temps avant d’en arriver à cette conclusion. Dans les dix ans, je pense ! »

Jack, qui s’apprêtait à sortir, esquissa un sourire.

« Si elle doit apprendre la mauvaise nouvelle par un tiers, autant que ce soit par toi. Tu sauras trouver les mots. »

Il serra Regan dans ses bras.

« Je suis bien content d’avoir quitté le monde des célibataires. Voilà une autre raison de trinquer à la santé de ton père.

— Tu l’as dit ! D’ailleurs, papa ne se lasse pas de nous entendre le remercier. Ce soir, ça ne fera jamais qu’un million de fois qu’on lève nos verres en son honneur. »

Jack et Regan s’étaient rencontrés le jour où Luke Reilly, propriétaire de trois entreprises de pompes funèbres dans le New Jersey, s’était fait enlever avec son chauffeur à New York alors qu’il sortait de l’hôpital où sa femme Nora se remettait doucement d’une fracture de la jambe. Jack, en sa qualité de chef de la brigade spéciale de la police, avait dirigé l’enquête. Pas besoin d’un dessin pour comprendre la suite.

« On prend la route vers dix- neuf heures, d’accord ? proposa Jack une fois dans le couloir. Avec un peu de chance, la circulation sera moins dense. »

Ils devaient passer le week- end – qui s’annonçait chaud et ensoleillé – avec les parents de Regan à Spring Lake. Ces derniers y avaient acheté une maison près de la plage après avoir passé des années dans les Hamptons. Ils fêteraient l’anniversaire de Nora samedi.

Regan se prit à sourire en regardant Jack appeler l’ascenseur. Cet homme dans sa vie, c’était la meilleure chose qui lui soit arrivée. Et il était tellement beau avec son mètre quatre- vingt- sept, ses yeux verts et ses cheveux châtain clair légèrement bouclés. Regan, elle, mesurait un mètre soixante- dix, avait les cheveux bruns, les yeux bleus et le teint pâle – une « Irlandaise noire ». Les gens disaient souvent qu’ils semblaient faits l’un pour l’autre.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit. « À plus tard, Regan Reilly Reilly », dit Jack en lui faisant signe de la main.

Autre détail : tous deux étaient nés avec le même nom de famille, ce qui avait épargné à Regan tout un tas de démarches compliquées après leur mariage.

« Je t’aime », lança Regan avant de refermer la porte.

Puis elle se dirigea tranquillement vers son bureau. À l’époque où elle avait rencontré Jack, Regan vivait à Los Angeles. Détective privé, elle travaillait dans un bureau exigu et miteux de Hollywood. En emménageant à New York, elle avait installé son cabinet dans leur appartement, un loft spacieux qu’ils avaient rénové, non sans peine. Comme elle disait toujours, ce n’était pas de la tarte de rénover cet appart’, mais ça valait le coup.

D’ordinaire, son espace de travail, avec son bureau en acajou brillant et ses étagères assorties pleines de livres et de photos, lui paraissait accueillant. Mais aujourd’hui, c’était différent. Elle aurait préféré se débarrasser de ce coup de fil la veille mais Hayley avait dû travailler bien après minuit. Regan s’assit et jeta un œil à la pendule – une vieillerie qu’elle tenait de sa grand- mère – sur le manteau de la cheminée.

Huit heures dix. Elle trouva le numéro de portable de sa copine de lycée sur un bout de papier près du téléphone.

Hayley Patton avait contacté Regan lundi matin après un nouveau week-end de déprime sans son petit ami. Scott Thompson, qu’elle fréquentait depuis quatre mois, sortait d’un divorce pour le moins houleux et avait manifesté le besoin de passer ses week-ends avec son fils de seize ans dont la mère avait la garde.

« Je dois me consacrer à Trevor, avait- il dit. Le temps que les choses se tassent. »

Scott vivait et travaillait dans le nord du New Jersey. Hayley, qui commençait à se faire un nom dans le milieu de l’événementiel, résidait quant à elle dans un grand appartement à New York.

« Elle est bien bonne, celle- là ! avait dit Hayley à Regan. Tu en connais beaucoup toi, des gamins de seize ans qui veulent passer tous leurs samedis soir – ou presque – avec leur papa chéri ?

— Non, pas vraiment », avait concédé Regan.

Hayley avait alors vidé son sac. « Personne ne l’empêche de passer la journée avec son fils ! Mais il pourrait au moins venir dîner avec moi. Il lui suffit de traverser le pont George Washington. Il l’a déjà fait d’ailleurs. Mais là, ça fait plus d’un mois qu’on ne s’est pas vus le week-end. On est en plein été. Tu crois qu’on irait à la plage comme le font les couples normaux ? Je deviens dingue. On passe de si bons moments ensemble. J’ai l’impression que je lui plais vraiment. Moi, il me plaît. Il a peut- être simplement besoin de temps avant de s’investir dans une autre relation, mais s’il me baratine, je préfère le savoir maintenant, pas dans dix ans. En tout cas, il adore m’accompagner à toutes ces réceptions – peut- être un peu trop d’ailleurs. Regan, avait- elle poursuivi après un temps d’arrêt, tu ne voudrais pas bosser pour moi ?

Voir un peu ce qu’il fabrique ?

— Bien sûr, Hayley. Quand es- tu censée le revoir ?

— Jeudi.

— Qu’a- t-il prévu pour les soirées à venir ?

— Aucune idée !

— Je commence aujourd’hui si tu veux. Je peux le suivre quand il quitte son bureau.

— Super ! »

Pendant deux jours, Regan avait filé Scott à sa sortie du travail. Il était allé à la salle de gym avant de rentrer directement chez lui. La veille, Jack, qui avait terminé tard les deux soirs précédents, s’était libéré de bonne heure pour l’accompagner.

Regan prit le combiné. Bon, quand faut y aller, faut y aller, songea- t-elle en composant le numéro de Hayley.

Celle- ci répondit à la première sonnerie. Le bruit des klaxons et d’une sirène qui hurlait au loin semblait indiquer qu’elle se trouvait dans la rue. « Scott vient juste de me laisser un SMS pour annuler notre rendez- vous de ce soir, Regan. Il dit qu’il m’appellera plus tard. Tu as du nouveau ?

— Oui.

— Je devine au son de ta voix que ça ne va pas me plaire.

— En effet.

— Il avait vraiment envie de m’accompagner à la première hier soir mais je n’ai pu amener personne, expliqua Hayley sur un ton plaintif. Avec toutes les stars présentes, le service de sécurité était très strict. Il a tâté le terrain pour savoir s’il y avait moyen de venir avec moi quand il m’a téléphoné hier. Qu’est- ce qu’il a fait de sa soirée finalement ? »

Bon, pensa Regan. Nous y voilà. « Hayley, il est sorti avec…

— Je savais bien qu’il voyait quelqu’un d’autre, interrompit Hayley. Ils avaient l’air de passer un bon moment ?

— Eh bien… commença Regan. Hayley, autant te le dire. Hier soir, Scott s’est fiancé.

— Fiancé ?

— Oui. Jack était avec moi. On l’a suivi de son bureau jusqu’à un restaurant, à une heure de voiture, au sud. On a attendu une quinzaine de minutes avant d’entrer nous aussi. On a pris une table près de la sienne.

Il était avec une femme…

— Tu l’as entendu lui faire sa demande ? demanda Hayley en hurlant presque.

— Pas exactement. C’était un restaurant chinois. Quand elle a ouvert son beignet chinois, la bague a glissé.

— Qu’est- ce qui s’est passé ensuite ?

— Je crois que le message disait : “Veux- tu m’épouser ?” Elle a crié de joie, dit oui et les serveurs se sont mis à applaudir.

— Oh, la honte !

— Je ne te le fais pas dire. Ce type n’était vraiment pas fait pour toi.

— Elle était jolie ?

— Disons que…

— Non, ne me dis rien, interrompit Hayley d’une voix étranglée. Il avait sûrement tout prévu depuis un moment. Pourquoi me faire marcher alors ? Juste pour fréquenter des soirées people et des boîtes de nuit branchées ? Il attendait de voir s’il pourrait venir à la première hier soir pour me larguer ?

— Je ne sais pas, Hayley. Ce qui est sûr, c’est que tu es bien mieux sans lui. Il a dû mentir à cette autre femme aussi.

— Oh, Regan ! Il va me le payer. Je ne sais pas comment, mais je trouverai un moyen. Il va le regretter, crois- moi.

— Hayley, ne fais rien d’irréfléchi. Oublie- le. Tu rencontreras quelqu’un d’autre. Tu sors tout le temps…

— C’est ce que tout le monde dit, mais ce n’est pas si facile. Je n’y vais pas pour le plaisir, à ces soirées. C’est mon boulot. L’année dernière, j’ai tenté ma chance sur un site de rencontres et qu’est- ce qui s’est passé ? Ils m’ont arrangé un rendez- vous avec mon frère !

— Je sais, répondit Regan avec sollicitude.

— Bon, je dois attraper mon métro. Je te rappelle plus tard, d’accord ? dit- elle sans s’arrêter, des sanglots dans la voix.

— Quand tu veux, Hayley. Tu as mon numéro.

— Merci. Au revoir. »

C’est vraiment un sale type, ce Scott, pensa Regan en allant à la cuisine. S’il avait pu accompagner Hayley hier, quand aurait- il demandé cette fille en mariage ?

Ce soir ?

Elle se servait une tasse de café lorsque le téléphone se mit à sonner. Elle décrocha le combiné mural.

« Allô ?

— Il va me le payer ! » déclara Hayley avec véhémence par- dessus le vrombissement du métro. « Je ne sais pas encore comment mais je trouverai. À plus tard. »

Regan entendit un clic. L’instant d’après le téléphone sonna de nouveau. Elle est bouleversée, pensat-elle en décrochant, persuadée que Hayley s’apprêtait à lui livrer dans le détail ses intentions vengeresses.

Mais il s’agissait de sa mère.

« Bonjour, maman. Tu n’es pas devant ton ordinateur à l’heure qu’il est ? »

Nora Regan Reilly, célèbre auteur à suspense, se mettait généralement au travail dès six heures du matin.

« Si, dit Nora, mais j’ai un service à te demander. Tu veux bien sauter dans le premier train pour me rejoindre ?

— Bien sûr. Que se passe- t-il ?

— Je viens juste de recevoir un appel désespéré de Karen Fulton. Tu sais, cette amie du lycée que j’ai retrouvée à la réunion des anciens élèves ce printemps ? Celle qui vit à San Diego. Elle vient d’apprendre que sa mère, l’inénarrable Edna Frawley, a vendu leur villa à Bay Head.

— Celle où tu allais jadis ?

— Jadis ? répéta Nora avec un petit rire. Je te remercie, ma fille. Eh bien, oui, celle- là même !

— C’est une façon de parler, maman ! protesta Regan.

— Bref. Edna organise un grand vide- grenier aujourd’hui. Elle a loué un avion à bannière publicitaire pour survoler la plage et mis une annonce en pleine page dans le journal local. Elle se débarrasse des affaires de Cleo Paradise, cette actrice qui a passé le mois de juillet dans la maison – elle y a laissé un tas de choses. Karen a peur que tous ses souvenirs d’enfance se volatilisent. Elle arrive en avion mais elle ne sera pas là avant ce soir. Elle m’a demandé d’aller voir ce qui se passe. J’aimerais que tu m’accompagnes.

— Je vais regarder les horaires de train, dit Regan en retournant dans son bureau. Mais dis- moi, elle m’a tout l’air d’un sacré numéro, la mère de Karen.

— Ce n’est rien de le dire. Je me souviens très bien d’elle. On n’est jamais à l’abri d’une surprise avec cette chère Edna. »

Comme avec Scott, songea Regan en se remémorant la scène au restaurant chinois. Pour une surprise, c’était une surprise, cette demande en mariage. Résultat, Hayley rumine sa vengeance.

Regan se sentit brusquement inquiète. Si ces deux-là se croisaient, qui sait quelle autre surprise il pourrait lui réserver ?