Renaissance

Chapitre 1

Les pneus de la Ferrari rouge crissèrent en tournant le coin de la rue et Jack Watson vint se ranger sagement à la place qu'il se réservait devant sa boutique de Beverly Hills, Chez Julie. Vingt ans plus tôt, il l'avait ainsi baptisée en l'honneur de sa fille, alors âgée de neuf ans. A l'époque, il considérait l'ouverture de ce magasin comme une aventure plaisante, une occupation destinée à le distraire, après qu'il eut renoncé à la production de films. Il avait en effet produit sept ou huit films à petit budget, sans grand succès, et auparavant, au sortir de l'université, il avait passé six ans à tenter sa chance comme acteur.

Sa carrière cinématographique avait été modeste, remplie d'espoirs et des habituelles promesses qui ne se concrétisent jamais comme prévu et se révèlent souvent décevantes. Toutefois, la chance avait tourné quand il s'était lancé dans le prêt-à-porter, grâce à l'aide inattendue d'un oncle qui lui avait légué un peu d'argent.

Sans effort apparent, il s'était soudain retrouvé à la tête de la boutique où toutes les femmes de Los Angeles rêvaient de s'habiller. Si, au début, son épouse l'avait guidé pour les achats, en moins de deux ans, il s'était rendu compte qu'il avait le don de choisir vêtements et accessoires, ainsi que celles qui les portaient.

Les actrices et les femmes du monde, les mannequins et les femmes au foyer aisées de toute la ville rêvaient d'aller Chez Julie. . et d'y rencontrer Jack Watson. Il appartenait à cette catégorie d'hommes qui n'ont aucun effort à fournir.

Les clientes se précipitaient sur lui comme les abeilles sur le miel, et il leur rendait bien cette adoration.

Deux ans après l'inauguration de la boutique, nul, si ce n'est lui, n'avait été surpris de voir sa femme le quitter.

Dix-huit années s'étaient écoulées depuis, et il devait admettre qu'elle ne lui avait pas manqué. Il l'avait rencontrée sur le tournage de l'un de ses films, alors qu'elle passait une audition, et ils avaient vécu deux semaines de passion dans sa petite villa de Malibu. Dès le début, il était tombé amoureux fou d'elle, et six mois plus tard, il l'épousait — ce devait être sa seule expérience du genre. Leur union, qui avait duré quinze ans et leur avait donné deux enfants, s'était achevée dans l'amertume et les échanges venimeux — indissociables, selon lui, du mariage. Par la suite, il avait essayé de nouveau, mais cette fois, la jeune femme, une artiste française de renom, s'était montrée trop intelligente pour accepter sa proposition. Il avait trouvé en elle quelqu'un à qui il désirait rester fidèle ; il avait alors la quarantaine et elle, trente-neuf ans. Ils avaient vécu ensemble deux ans, et quand elle était morte dans un accident, un jour où elle allait le retrouver à Palm Springs, il avait cru ne jamais s'en remettre. C'est à ce moment-là que Jack Watson avait découvert la souffrance. Dorianne Matthieu avait été la femme de ses rêves, et dans ses rares moments de grande lucidité, il soutenait encore qu'elle était la seule qu'il eût aimée. Amusante, piquante, sexy et belle, elle était à sa manière excentrique, ne lui passait rien et assurait qu'il aurait fallu être folle pour se marier avec lui. Il n'avait cependant pas douté un instant de l'amour qu'elle lui portait; quant à lui, il l'adorait.

Elle l'avait entraîné à Paris pour lui présenter ses amis, puis ensemble, ils avaient parcouru le monde : l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Sud. Les moments partagés avec elle lui semblaient toujours magiques. Sa mort lui avait donné le sentiment de l'inanité de l'existence et sa perte avait été si douloureuse qu'il avait pensé en mourir.