Rendez-vous à Burano

Le fourreau noir gisait au pied du lit, près des escarpins qu’Aurora avait jetés au hasard dans la pièce.

Non loin, la veste du smoking de Sébastien paraissait un chiffon froissé que surmontait, dérisoire, son nœud papillon de satin.

Un rayon de soleil effleura le visage de la jeune femme, qui s'éveilla soudain. Son premier geste fut de caresser tendrement le dos musclé de l'homme endormi auprès d'elle ; le second, de se tourner vers la fenêtre, dont ils avaient négligé de tirer les rideaux, la veille, et par laquelle pénétrait à flots le soleil du printemps.

Quelques pigeons voletaient au-dessus des toits, une mouette passa dans le ciel uniformément bleu — comme dans un chromo, son bonheur semblait se décliner en images banales. Car elle était heureuse, l'esprit enfiévré de mille projets d'avenir, et le corps apaisé. Heureuse, sans retenue. Plus heureuse, en réalité, qu'elle se rappelait l'avoir jamais été. Pour la première fois de sa vie, en effet, elle aimait un homme sans qu'aucune réticence, aucune réserve ne viennent lui faire douter de cet amour.

Car, au sujet de Sébastien Calmann, elle ne se posait aucune des questions qui avaient

été à l'origine de ses deux désastres sentimentaux précédents. Quoiqu'il ait appartenu au cercle très fermé des invités de la marquise Pallavici, Sébastien n'était pas, lui semblait-il, un mondain, comme Patrick Arnaud. Sa personnalité

était complexe, incernable, mais au moins Aurora était-elle sûre d'une chose, d'un point capital : Calmann était sincère. Ses caresses, son émotion, sa tendresse ne mentaient pas. Et si, aujourd'hui, elle s'éveillait auprès de lui, c'était bien parce qu'ils s'étaient plu, séduits l'un l'autre à la première seconde de leur rencontre. Et non par un quelconque et sordide calcul financier de Sébastien.