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Extrait ajouté par siegrid 2014-03-27T06:48:04+01:00

Prologue

Sais-tu de quoi tu es capable ? En as-tu seulement idée ?

Tu lis les journaux ou tu allumes la télévision pour regarder les informations. Les meurtres et homicides glissent sur toi comme le bulletin météo ou le cours de la Bourse, tu n'entends même pas lorsqu'on annonce qu'un enfant a été enlevé et violé, un homme abattu, une femme torturée, décapitée, coupée en morceaux, une famille entière décimée par un forcené.

Certes, tu es parcouru d'un léger frisson, envahi par un malaise presque agréable, mais qui se dissipe aussitôt, car tu le sais : ces choses ne te concernent pas. Elles se passent ailleurs que dans cette vie normale où chaque matin tu vas travailler et où chaque soir tu rentres chez toi, où tu vois tes amis, où tu pars en vacances en Espagne avec ta famille, où tu rends visite à tes beaux-parents pour Noël. Voilà quelle est ta vie, jour après jour. Le monde extérieur est parfois pris de démence, mais ce n'est pas ton problème.

En es-tu sûr ?

Tout à fait sûr ?

Et si cela te concernait ?

Si, un jour, tu te réveillais en découvrant que tu as un monstre en toi ? Et qu'en dépit de tous tes efforts il refuse de se laisser chasser ou soumettre ? Qu'il a pris possession de toi et ne te lâche plus ? Que ferais-tu alors ?

1

Le pire, c'est de ne pas savoir. De ne pas pouvoir dire avec une certitude absolue, irréfutable, si elle l'a vraiment fait ou pas. Car il n'y a pas de souvenir dans sa mémoire, pas le plus petit vestige de la nuit où cela s'est passé. Juste des preuves. Des preuves et des indices accablants, qui tous affirment que c'est elle, qu'il n'y a pas le moindre doute sur sa culpabilité.

La flaque rouge gluante dans laquelle elle s'est réveillée à côté de Patrick, les caillots, noirs comme du pétrole sous ses ongles. Elle avait du sang dans tous les pores de sa peau, comme si elle avait abattu un animal à mains nues. Et puis l'odeur, non, cette puanteur métallique dont elle avait le goût sur la langue et qu'elle ne pourrait plus jamais oublier. Ses empreintes digitales sur le couteau avec lequel elle avait égorgé Patrick avant de le frapper de vingt-sept coups, un massacre. En traître, pendant qu'il dormait, ignorant et paisible, sans pouvoir se défendre.

Voilà ce qu'elle a fait. Reproduisant la scène qu'elle s'était si souvent représentée en imagination. Elle l'a égorgé comme un porc. Jusque-là, cette scène n'existait que dans sa tête, immortalisée par les enregistrements qu'elle avait réalisés sur son iPhone et qui lui permettaient d'exprimer ses fantasmes de malade. Là et nulle part ailleurs. Bien à l'abri, ses peurs les plus secrètes, ses scénarios d'horreur. Et finalement, elle avait été trahie par ce qu'elle avait toujours cherché à dissimuler, par ce qu'elle n'avait jamais voulu confier ni avouer à quiconque, surtout pas à elle-même.

« Penser et faire sont deux choses différentes ! » lui avait martelé Elli. Pourtant, elle était passée à l'acte. Elle avait assassiné d'une manière bestiale celui qu'elle aimait le plus au monde. Se tuant du même coup. Car désormais, au fond d'elle-même, elle est morte. Éteinte. Il ne lui reste plus qu'à attendre la fin de son existence. Elle espère que le terme en sera proche, qu'elle n'aura plus longtemps à patienter. Mais ils ne lui faciliteront pas la tâche, c'est sûr. Ils la garderont ici, jour après jour, nuit après nuit, pendant des semaines, des mois, des années, et ils ne lui permettront pas de se fuir elle-même et d'échapper à ce qu'elle est devenue.

Le claquement. Au début, il surprend à chaque fois, on sursaute quand on l'entend toutes les deux minutes. Mais avec le temps, il finit par devenir un bruit de fond jusqu'à presque disparaître. Force de l'habitude, adaptation, l'individu s'accoutume vite à ce qui est constamment présent et, ici, c'est ce claquement permanent – clac clac clac –, le bruit des clés, le déclic des serrures. Déverrouiller, ouvrir la porte, entrer, fermer la porte, verrouiller. Une mesure de sécurité nécessaire en cas d'internement judiciaire. En ces lieux où ils sont tous enfermés. Clac clac clac – c'est à cela qu'on les reconnaît, les médecins, infirmiers et thérapeutes, toujours le trousseau de clés à la main, ouvrant et fermant les portes. Et le bipeur, fixé à la ceinture du pantalon, le bouton pour les cas d'urgence, oui, car tous ceux qui se trouvent derrière ces portes closes sont extrêmement dangereux. Bons à enfermer.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

Marie déjeune à une petite table de quatre dans la salle à manger du service 5, bâtiment 20. Un service mixte, hommes et femmes, il n'y en a pas d'autre exemple en Allemagne. Il semblerait que ce soit essentiel dans le processus de resocialisation. La mixité, donc, tous égaux dans la dangerosité. Elle lève les yeux et voit le visage de Günther, assis en face d'elle. Les deux coudes sur la table, il enfourne ses pâtes en mastiquant bruyamment. Günther, cinquante-deux ans, interné depuis treize ans : après une dispute, il a tiré sur son voisin au fusil de chasse, lui emportant la moitié de la tête, puis il a découpé le corps à la hache et l'a enfoui dans le jardin. Günther n'a pas la moindre chance d'être libéré. Jamais.

— Pardon ? demande-t-elle.

— Tu ne dis presque rien.

Il continue à mastiquer.

— J'voulais juste savoir pourquoi tu avais atterri ici.

Lui non plus ne devrait pas parler, songe-t-elle. Il a la voix traînante, fatiguée, les mots s'échappent dans une sorte de bégaiement, à peine articulés, et puis il a le nez bouché, les yeux larmoyants, le regard brisé. Voilà à quoi ressemblent la plupart des internés, ici : abrutis par les médicaments, neutralisés par des substances psychotropes, privés de toute capacité d'action, ils errent dans les couloirs ou à l'extérieur, dans la cour sécurisée.

Marie a de la chance. Elle ne prend de calmants que lorsque le chagrin et la douleur deviennent trop envahissants. Elle est juste sous antidépresseurs, des produits inoffensifs mais fortement dosés, le triple de la posologie habituelle. Ils n'ont pas d'effet paralysant, ils sont censés l'aider à maîtriser ses obsessions. F42.0, principalement des pensées obsessionnelles, selon la CIM-10, la « Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes ».

C'est ce que son avocat lui a expliqué, un simple code comportant des lettres et des chiffres pour désigner ce démon incompréhensible qui la torture depuis si longtemps, une lettre et quelques chiffres pour les images et les pensées horribles qui gouvernent sa tête, son âme, et qui ont dévasté sa vie. Ajoutons un peu de F33 pour les épisodes dépressifs récurrents, de F61 pour les troubles mixtes de la personnalité – que personne jusqu'à présent n'a su diagnostiquer avec certitude (histrionique, passive-agressive, dissociale ?). Avec le temps, on devrait bien arriver à le déterminer. F44.0 pour l'amnésie dissociative, car Marie ne parvient pas à se rappeler comment elle a assassiné Patrick. Ni même de l'avoir fait. Et F43.1 : elle souffre également d'un état de stress post-traumatique. Cela étant, les diagnostics se chevauchent. La comorbidité, voilà un autre mot que Marie a appris de son avocat. « On peut avoir des poux et des puces », lui avait-il expliqué alors que, désorientée, elle voulait comprendre ce que cela signifiait. Elle a atterri ici en vertu du paragraphe 63 du code pénal, placement dans un hôpital psychiatrique, et non du paragraphe 34, centre de sevrage. Elle était bien un peu ivre le soir où c'est arrivé, mais elle n'est pas une « toxico ». Ceux-là sont dans un autre bâtiment et combattent, outre les hôtes indésirables qui peuplent leur tête, la coke, l'héroïne, le cannabis, les benzodiazépines, l'alcool et tout ce qu'on peut ingurgiter pour atténuer un peu le caractère insupportable de l'existence et s'empêcher d'y mettre fin.

Alors pourquoi Marie est-elle ici ? Elle pourrait répondre à Günther en énumérant toutes ces définitions. Mais aucune d'elles ne révèle la vérité, toute la vérité, sur ce qu'elle est : un monstre. Comme lui, Günther. Comme tous ceux qui sont là. Cependant Marie n'est pas « hors circuit » à l'instar de la plupart des autres patients. Après la phase d'observation aux urgences, on a décidé qu'elle n'était pas dangereuse, ni pour elle-même ni pour les autres. On ne l'assomme donc pas avec des médicaments. Elle a beaucoup, beaucoup de chance.

Ou pas, songe-t-elle en regardant Günther, qui continue de la fixer. Il a le nez qui coule, du revers de la main il balaie la morve et s'essuie sur son pantalon de velours côtelé élimé pour, une seconde plus tard, inspirer bruyamment le reste. La morve se mêle aux pâtes, une bouillie visqueuse qu'il malaxe, la bouche ouverte. Si Marie était comme lui, complètement anesthésiée, elle n'aurait pas besoin de regarder ailleurs, de se détourner et de combattre la nausée, de baisser la tête et de fixer ses lasagnes sur l'assiette en plastique. Elle n'y a presque pas touché, comme d'habitude. À quoi bon manger quand on n'a plus besoin d'énergie, à quoi bon préserver le corps quand l'âme est déjà morte ?

Les yeux de Marie se portent sur sa propre main, agitée d'un tremblement. Elle tient une fourchette sur le manche de laquelle est inscrit un nombre, « 23 ». Il y a le même sur le couteau. C'est le numéro de Marie. Ici, les couverts aussi comportent des chiffres, tout comme les maladies de leurs utilisateurs. Après le repas, Marie les rendra au personnel de cuisine, car on veille avec le plus grand soin à ce que chaque patient restitue ses couverts. On ne doit pas garder de fourchette, de cuillère, ni a fortiori de couteau. Le numéro 23 de Marie est contrôlé trois fois par jour, matin, midi et soir.

Parfois, il arrive qu'un patient fasse disparaître un couvert, le cache sous son pull ou se l'introduise dans un orifice corporel, vagin, anus, peu importe. Ou qu'il le jette dans une poubelle par pure méchanceté. Alors c'est l'alerte rouge, on boucle tout le service, on ferme toutes les chambres, et on se lance dans une recherche frénétique. Tant qu'on n'a pas retrouvé l'ustensile manquant, les membres du personnel soignant sont en état de siège. Car on ne peut courir le risque qu'un couteau ou une fourchette refasse son apparition dans un de leurs dos ou qu'un des détenus – non, patients – essaie par ce biais de se frayer un chemin vers la liberté. En soi, cette simple tentative paraît absurde à Marie. De quelle liberté peut-il s'agir ? Ils sont tous enfermés à vie dans leur prison intérieure, pour cela pas besoin de murs, de clôtures, de portes en acier ou de vitres blindées : une âme torturée est une prison plus sûre que n'importe quel quartier de haute sécurité.

— Pas envie de parler, hein ?

Marie contemple l'assiette de Günther, ses lasagnes, son numéro, le 5. Abattoir 5, pense-t-elle. Et ensuite, Le Nombre 23, un autre film, où il était question d'une théorie du complot, elle s'en souvient, elle l'avait vu au cinéma avec son mari, Christopher. Marie lève la tête et observe le visage bouffi de Günther. La voilà ici, dans cette salle, avec cet individu – n'est-ce pas aussi le signe d'un complot ? Elli n'avait cessé de lui répéter : « Penser et faire sont deux choses différentes. » Dans ce cas, elle ne peut pas avoir « fait » quelque chose, c'est tout bonnement impossible !

« Tout cela n'existe que dans ma tête », une chanson d'Andreas Bourani, le morceau préféré des Tournesols, son groupe au jardin d'enfants de la Mansteinstrasse. Vingt-cinq adorables bambins dont elle s'occupait en tant qu'éducatrice : bricolage, gymnastique, journées en forêt, natation, poésie, pièces de théâtre pour Noël, tout ce qui plaît aux enfants.

Elle les aimait, ces gamins, vraiment, et elle les aime encore. Elle était si heureuse, heureuse jusque dans son malheur –, mais cela, elle l'ignorait. Il avait fallu qu'elle atterrisse dans ce service pour comprendre qu'elle avait été heureuse. Tout cela n'existe que dans ma tête, dans ma tête… Mais ce n'est pas vrai, si ces choses étaient restées dans sa tête, elle ne serait pas ici.

— Qu'est-ce que tu as à me fixer comme ça ?

Günther laisse retomber sa fourchette et lance à Marie un regard agressif, le voilà de nouveau en train de chercher querelle à un voisin, ne serait-ce qu'à table. Aussitôt, un infirmier arrive en toute hâte. Il se poste juste derrière Günther, les muscles bandés, prêt à intervenir si besoin est.

— Tout va bien ? demande-t-il.

Günther rentre la tête dans les épaules comme un chien battu, il ne manque plus qu'un glapissement ou un couinement. Puis il reprend sa fourchette et continue d'enfourner ses lasagnes comme si de rien n'était.

Marie se lève avec son plateau, se dirigeant en silence vers les dessertes de cantine, et l'insère dans un emplacement libre. Elle jette ses couverts dans le bac auprès duquel se trouve une jeune infirmière qui surveille l'opération de restitution. Dormir, pense-t-elle en empruntant le long couloir qui mène à sa chambre. Elle veut juste dormir un peu, comme elle le fait la plupart du temps.

Qui dort ne pèche pas. Une autre pensée, qui la fait presque rire car, ça aussi, c'est faux : tout s'est passé la nuit, pendant que Patrick dormait. C'est à ce moment-là qu'elle a agi. Qu'elle a pris le couteau, tranché la gorge de Patrick avant de le poignarder. Elle a péché pendant le temps du sommeil. Patrick n'avait aucune chance face à ce déploiement de violence.

Traîtreusement, c'est le terme employé par le juge, elle l'a traîtreusement assassiné. Mais pourquoi ? Voilà ce que personne n'a réussi à comprendre. Marie encore moins que les autres : elle aimait Patrick, comme elle aimait les enfants, quoique d'une autre manière, évidemment. C'est lui qui, pour la première fois depuis très longtemps, était parvenu à la faire rire. À la faire revivre. Aimer.

Il n'y avait donc rien qui puisse expliquer ce meurtre, rien de compréhensible en tout cas. Aucun individu normal n'aurait commis un tel acte, cela ne pouvait être que le résultat d'une crise psychotique. F63.8, trouble du contrôle des impulsions. Impulsions et contrôle, contrôle… De toute façon, même si on avait pu trouver une explication, cela n'aurait pas ressuscité Patrick ni soulagé Marie de sa culpabilité.

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© Karl Blessing Verlag 2012

© Presses de la Cité, un département de Place des Éditeurs, 2014, pour la traduction française

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