Extraits

Je hurle de toutes mes forces pour qu’il m’entende. Je veux qu’il apparaisse derrière moi et me prenne dans ses bras. Je veux qu’il me dise que tout va bien, que les pompiers vont arriver, que tout est sous contrôle et que ce ne sont que des dégâts matériels sans importance.

Puis, mon regard croise celui de l’homme que j’aime plus que tout au monde. Comme dans le pire de mes cauchemars, je vois Nathan à travers la baie vitrée de la véranda. Il est ligoté sur une chaise. Tout en me fixant du regard, il tente de se débattre, mais les liens semblent solides. Autour de lui, la maison commence à se remplir de fumée.

– Non ! crié-je.

Une main se pose sur ma bouche. On me maintient par les épaules et on me lie les poignets derrière le dos. Je ne regarde pas qui c’est, je ne veux pas lâcher Nathan des yeux. Je peine à percevoir ses émotions. Il y a de la haine, de l’amour, des excuses, mais je ne perçois pas de résignation.

Moi non plus, je ne peux pas me résigner. Je ne veux pas l’abandonner. Je me débats et rugis comme une lionne en cage. Mon cœur se déchire, rongé par l’angoisse.

– Cette maison appartenait à mes grands-parents. J’en ai hérité il y a longtemps, mais je n’y ai jamais vécu. Cecilia, écoute-moi. Je sais que cette bâtisse n’est pas toute jeune, que c’est une vieille propriété, qui n’est pas forcément au goût de tout le monde, qu’elle est isolée au beau milieu du bayou, et que le premier voisin se trouve à quatre kilomètres. Mais, j’ai vraiment envie qu’on vive ensemble et ça me semble être l’endroit idéal. Tu veux bien y réfléchir ? lâché-je d’une traite.

– C’est d’accord, accepte-t-elle sans hésiter.

Elle m’a répondu avec une spontanéité déconcertante. Malgré son sourire radieux, je tiens à ce qu’elle comprenne ce que cela implique. C’est aussi une façon de me rassurer moi-même, d’être certain qu’elle accepte en connaissance de cause.

– Tu peux prendre le temps qu’il te faut pour peser le pour et le contre, ajouté-je pour ne pas la brusquer.

Cecilia serre mes mains dans les siennes. Puis, la paume de sa main glisse sur ma joue avec tendresse. J’aime tant quand elle fait ça. Mes yeux croisent ses yeux, qui brillent dans l’obscurité. Du pouce, j’essuie une larme de joie sur sa joue.

– C’est inutile, c’est d’accord. Comment pourrais-je refuser de vivre avec toi, dans une telle maison ? Elle est magnifique. Je n’ose même pas imaginer l’intérieur. Tony et Elvira vont adorer gambader ici, se réjouit-elle d’avance.

Je ne peux pas dire que je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de vivre avec Tony et Elvira, mais j’ai appris à cohabiter avec eux. Après tout, je leur dois la vie, c’est grâce à eux si je suis encore de ce monde. Et puis, je crois qu’à cet instant, Cecilia pourrait bien me demander la lune, que je la lui donnerais.

Cette fin de journée, rendue plus moite encore par nos orgasmes, a réchauffé l’océan. Les vagues déferlent contre nos corps enlacés. Leur mouvement accentue la sensation d’une caresse sur mon entrejambe.

– Nathan, aime-moi, soupiré-je.

– Je t’aime déjà et tu le sais, me rassure-t-il, en me serrant un peu plus fort contre lui. Toi, aime-moi.

Je m’accroche à Nathan et dépose un tendre baiser sur ses lèvres. Encore une fois, nos souffles se mélangent au rythme de nos langues qui se caressent en harmonie.

Durant un instant, ses iris, qui scintillent au soleil, m’hypnotisent. Puis, je déballe tout, en vrac.

– Quand tu nous as vus… Il est déterminé à te tuer… Depuis le début, Nathan… C’est uniquement pour cette raison que je l’ai laissé m’embrasser… Mais c’était l’unique fois. Je te jure que depuis, il ne m’a pas touchée, je…

Nathan me coupe la parole en posant ses lèvres sur les miennes. Son baiser est à la fois doux et intense. Jamais je n’avais été embrassée avec autant d’amour. Chaque mouvement de sa bouche, chaque caresse de sa langue est empreinte d’une profonde tendresse. Et, l’évidence éclate. Je réalise enfin le sens du véritable amour.

Une sensation de bien-être m’enveloppe lorsque je m’installe dans le repère que Nathan et moi nous étions choisi. Confortablement installée, entourée de mes fidèles compagnons à quatre pattes, j’ouvre mon recueil de poèmes et m’imprègne de chaque mot qu’a écrit Nathan dans sa dédicace. Je la connais par cœur mais ne me lasse pas de la relire. C’est l’ancre qui me permet de m’accrocher sans sombrer dans la terreur.

La peur me saisit à nouveau lorsque je me rends compte que les chiens sont en alerte et ne se prélassent pas comme à leur habitude. Je ne veux pas que Juan envahisse cet endroit et le salisse par sa présence. Qu’est-ce que je vais lui dire s’il me fait encore des avances et veut qu’on couche ensemble ? Non. Surtout pas ici, sous la pergola. Jamais.

Soudain, une main se pose sur ma bouche pour m’empêcher de crier. Je sens qu’il s’agit d’une main masculine. Je dois réagir mais je n’y arrive pas. C’est comme si mon inconscient me l’interdisait.

– J’ai mis du temps, mais j’ai compris la fin du livre.

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je n’en crois pas mes oreilles. C’est Nathan, sa voix, son parfum. Mon inconscient le savait mais mon esprit troublé avait besoin d’un peu plus de temps. Je tremble de bonheur. À l’instant où il me relâche, je me retourne et lui saute au cou. Le sourire qu’il affiche confirme que j’ai bien entendu les paroles qu’il a prononcées. Il est revenu pour moi. Il a compris le message rempli d’amour que je lui ai adressé lors de son départ de la villa.

De mes yeux, je savoure sa présence. Ses magnifiques iris verts pétillent et il ne m’en faut pas davantage pour avoir envie de le dévorer. Je me jette sur ses lèvres, dont la douceur et la chaleur me transportent. Je retrouve enfin un souffle de vie. La joie se mêle à l’excitation de l’avoir retrouvé. Il m’a tellement manqué. J’ai eu tellement peur. Je l’aime tellement.

Je suis perdue. La sensation d’un grand vide intérieur me revient. Comme lorsque j’ai perdu mes parents. Comme cette nuit, dans mon cauchemar. Mais aujourd’hui, contrairement à mon passé et à mon rêve, je garde une petite lueur d’espoir au fond de moi, grâce à Nathan. Et malgré le regard qu’il m’a lancé avant de partir pour San Francisco. Je comprends parfaitement sa déception et son sentiment de trahison. J’ai blessé Nathan et il est furieux contre moi. Mon vœu le plus cher serait qu’il profite de ce convoi pour prendre la fuite. Mais je serais bien naïve de le croire. Je connais suffisamment Nathan pour savoir qu’il n’abandonnera pas. Alors, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour le couvrir et faire en sorte que Juan tienne parole et lui laisse la vie sauve. Même si pour cela, je dois endurer auprès de Juan le rôle de la petite amie amoureuse.

Demonio a donc finalement décidé de me garder en vie parce que Cecilia le lui a demandé. Mais, en échange de ma vie, il m’impose l’exil, une obéissance aveugle et des missions suicidaires pour son compte. Voilà les conditions que je dois suivre si je veux rester en vie. Je perds ma liberté de mouvement, de penser, bref, ma liberté tout court. Mais ai-je vraiment le choix ?

Je pourrais accepter et une fois dehors retourner à la DEA mais c’est sans doute la dernière occasion que j’aurai de venger Peter et de démanteler l’organisation entière à sa source. Et, il m’est de toute façon impossible de me résigner à abandonner Cecilia à son sort. S’il y a la moindre chance pour qu’elle s’en sorte vivante, je dois la tenter. Il me faut accepter le deal pour parvenir à mes fins.

– Verdict ?

– J’accepte, sifflé-je entre mes dents.

Satisfait, Demonio rejoint Cecilia. Je contiens autant que possible la rage que j’ai accumulée, tandis qu’il passe son bras autour des épaules de celle dont je suis amoureux. À son contact, elle frisonne mais ne le repousse pas.

Je la regarde dans les yeux, lui offrant la possibilité de me faire comprendre que nous formons toujours une équipe, mais elle détourne le regard, honteuse.

Tu me le paieras cher, Demonio.

Cecilia semble à la fois sous le choc et sous le charme de Juan. Lui se comporte avec elle comme en terrain conquis. Comme s’ils étaient des amants de la veille. Mais les années ont passé. Cet abruti n’imagine pas une seconde qu’elle puisse être passée à autre chose depuis longtemps et qu’elle soit en train de lui donner le change pour survivre.

À moins que… Bordel. Comment ai-je pu être aussi con ?

Une possibilité accablante frappe mon esprit. C’est un coup de poing en pleine gueule. Pire encore, c’est un passage à tabac.

Et, si elle m’avait menti sur toute la ligne ? Si Cecilia m’avait raconté que Juan était mort tout en sachant qu’il était Demonio ? Pourtant, elle semblait réellement choquée de le revoir. Comment aurait-elle pu jouer un tel jeu et être aussi convaincante ?

Et puis me revient en tête le passé de Cecilia. Ou du moins ce que j’en sais, si les informations qu’elle m’a données sont vraies. Je ne savais rien d’elle avant qu’elle n’avoue tout à Valdez. Jamais je ne l’aurais suspectée d’avoir une double identité. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’elle puisse avoir changé de vie. Elle pourrait parfaitement être le pion de Demonio et être infiltrée dans la police, que je n’y verrais que du feu.

Un sentiment de trahison me foudroie sur place. Soudain, j’en veux terriblement à Cecilia. Je lui en veux de me faire douter d’elle, de s’être laissée embrasser par lui alors que je lui ai ouvert mon cœur. Et, je m’en veux à moi aussi d’éprouver cette putain de jalousie dont je ne veux pas, cette douleur féroce qui me transperce. Je m’en veux de lui avoir fait cette déclaration à la con. Normal qu’elle n’y ait pas répondu si elle joue la comédie avec moi. Et dire que je suis tombé dans le panneau. Dire que pendant ce temps-là, elle ne pensait qu’à lui, Juan, Demonio, celui dont j’ai juré la perte. Surtout, je lui en veux de ne pas être celle que je croyais, de m’avoir berné et manipulé, et de tremper dans ces trafics monstrueux.

Mes yeux restent malgré tout focalisés sur Cecilia. Elle fixe avec horreur ce type, Demonio, Juan ou qui qu’il soit. Ce type représente tout ce qui me répugne au plus haut point. Il est l’auteur de ce carnage, celui que je pourchasse sans relâche depuis tant d’années pour venger Peter. Et, c’est également le grand amour de Cecilia. Au fond, sa véritable identité m’importe peu. Cet homme est tout simplement mon pire ennemi, celui dont j’ai juré la perte. Je le jauge avec tant de répugnance que j’en ai presque la gerbe. Je déteste le voir sourire ainsi. Je hais son air triomphant, sa manière de poser les yeux sur Cecilia, tout comme je hais chaque pas qu’il fait dans sa direction.

J’entends les sanglots de Blanche, terrorisée par la violence dont nous venons d’être témoins. Je perçois également les murmures de Camille, qui tente de la réconforter. Mes yeux restent malgré tout focalisés sur Cecilia. Elle fixe avec horreur ce type, Demonio, Juan ou qui qu’il soit. Ce type représente tout ce qui me répugne au plus haut point. Il est l’auteur de ce carnage, celui que je pourchasse sans relâche depuis tant d’années pour venger Peter. Et, c’est également le grand amour de Cecilia. Au fond, sa véritable identité m’importe peu. Cet homme est tout simplement mon pire ennemi, celui dont j’ai juré la perte. Je le jauge avec tant de répugnance que j’en ai presque la gerbe. Je déteste le voir sourire ainsi. Je hais son air triomphant, sa manière de poser les yeux sur Cecilia, tout comme je hais chaque pas qu’il fait dans sa direction. Il se plante devant elle, les bras le long du corps, son flingue à la main, l’index sur la gâchette.

– Maria, commence-t-il avec un sourire inquiétant. Toi, tu m’as manqué.

Cecilia amorce un geste dans sa direction mais laisse retomber sa main avant d’avoir touché son torse.

Éloigne-toi de lui.

Immobile, Cecilia hésite. Son visage est décomposé et livide, ses lèvres sont entrouvertes. Elle est face à un fantôme. Et, pas n’importe lequel, celui de Juan. Son amour perdu, l’homme qu’elle a aimé avec sincérité, celui dont elle a tant de mal à faire le deuil, celui dont elle m’a parlé avec tant d’amour dans la voix. Et, celui qu’elle découvre être l’homme pour lequel nous avons été missionnés par la DEA. Demonio.