Ajouter un extrait
Liste des extraits
Ce que les machines de guerre et les engins de mort avaient réussi à faire souvent à très longue distance et de manière plus ou moins anonyme, un homme l'avait anticipé, dans la paix nocturne d'un logis, en face à face avec une femme désarmée et terrorisée.
Il avait usé de la mort et de la souffrance comme d'un art, et utilisé la chair et le corps d'une femme comme la pâte de modelage d'une oeuvre diabolique et monstrueuse.
Afficher en entierA l'époque on inventait pas mal; les journaux ajoutaient de meilleurs morceaux quand la soupe était goûteuse mais manquait de consistance, pour le dire simplement. Je me souviens d'avoir raconté minute par minute la pendaison d'un assassin la veille de son exécution, pour être sûr d'être le premier à imprimer l'histoire !
Afficher en entier- manifestation d'ouvrières d'une usine d'allumettes, Londres, 1888 -
Douze visages d'horreur firent face aux hommes de la police et aux mandataires des fabriques. Douze visages mangés par l'acide, décomposés par le cancer, ravagés par la maladie du phosphore. Les mâchoires de certaines apparaissaient à travers la chair nécrosée des joues, révélant l'émail jauni de dents putréfiées. D'autres n'avaient plus de lèvres, et des gencives gonflées, boursouflées, rouges comme des sections fraîches de betterave, pointaient vers l'avant, à la manière de monstrueuses figures de proue. L'une d'entre elles, qui tenait le centre du rang, avait un oeil exsangue, déplacé vers le milieu du visage, empiétant sur un nez absent et sur l'orbite voisine. Sa lèvre relevée ne laissait pas, comme d'autres, deviner des dents pourries ou des chairs nécrosées. Elle n'avait plus rien dans la cavité buccale, juste une langue grise, comme celle des animaux que l'on vend aux étals du marché de Spitalfields, qui tournait dans sa bouche morte.
Afficher en entierJoe Barnett était une sorte de gros garçon à l'allure pataude. Malgré ses trente ans révolus, des joues rondes, un poil jaune et des rouflaquettes de cocher peu fournies l'empêchaient d'avoir tout à fait l'air d'un homme adulte.
Il gardait cet aspect d'adolescent attardé, que ses yeux bleus très clairs, presque transparents, renforçaient. Pourtant, ce regard, lorsqu'on le croisait, faisait frémir. On avait l'impression qu'il contenait un fonds inépuisable de rage qui ne demandait qu'à se libérer.
Ce matin du 12 novembre, Joe Barnett était justement plein de rage en se présentant devant le jury de Shoreditch, pour témoigner sur l'assassinat de sa dernière compagne, Mary Kelly.
Il se vit soudain debout devant une assemblée d'hommes en gilets et redingotes, tous la mine très imprégnée de leur mission, fronçant également les sourcils pour mieux dévisager celui qui faisait figure, dès l'ouverture de cette audition, de suspect idéal.
Joe Barnett sentit la culpabilité sourdre de lui comme le suc d'un fruit mûr à l'instant même où le coroner le regarda fixement.
Nom de Dieu, pensa-t-il, ils vont me resservir cette histoire de carreau cassé, et l'une ou l'autre des putains de Miller's Court va se mettre à raconter qu'elle m'a entendu cent fois crier et menacer du monde dans Spitalfields.
Son pas résonna comme un coup de fusil dans une cathédrale quand il approcha des jurés tapis près du coroner comme des canetons autour de leur mère.
Afficher en entierMiller's Court, chambre n°13
9 novembre 1888 - trois heure trente-et-une du matin
Son rêve avait pris fin avec une accélération que rien ne laissait prévoir. L'homme qui attendait dans l'ombre se rapprochait du lit à la manière d'une machine mécanique comme s'il était monté sur des roulettes monstrueuses actionnées par des bielles. Il soufflait d'ailleurs à présent aussi bruyamment qu'une machine à vapeur.
Il reversa Mary Kelly en arrière, comme on abat une quille. On pouvait immédiatement sentir que ça n'allait pas rigoler, cette nuit.
Afficher en entier-Je suis sa fille, Mr Buir. Je suis la fille de Mary Jane Kelly...
Je fondis en larmes.
Afficher en entier