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À l'arrière de la remorque du camion, un artiste en mal d'inspiration a peint une vision très personnelle de Jésus-Christ notre Sauveur. À moins qu'il ne s'agisse de Marilyn Manson, ça mériterait débat. Barbouillé de crasse, roulant des yeux révulsés d'héroïnomane, le fils unique et pourri-gâté de Dieu tape une sieste sur sa croix. Il est maigre comme un cintre, J.-C, et son abdomen glabre porte la blessure sanguinolente laissée par la lance d'un romain. Une couronne d'épines ceint son front. Des clous dans les paumes, là où des scientifiques payés à se branler le nœud ont pourtant établi qu'ils ne pouvaient pas se trouver. L’œuvre dégouline de piété. Au-dessus de la plaque d'immatriculation, un autocollant qu'on peut acheter un dollar dans n'importe quelle station essence, proclame : « Mon camion roule au gas-oil, je carbure à la foi ! »
Heureux les simples d'esprit, qui tombent en panne d'essence avant la panne de foi. Il n'y a pas si longtemps que ça, j'adorais me foutre de la hure de ces types, trop butés pour admettre que c'est l'Homme qui a créé Dieu, et pas le contraire. J'aimais les débiner publiquement, quand je le pouvais, les bondieusards, les préchi-précha, les grenouilles de bénitier, eux et leur propension à croire aveuglément les salades que d'autres cul-bénits ont écrites bien avant eux. Je m'en gaussais de tout ce folklore et de ces contes philosophiques pour enfants en bas-âge. Des fous de Dieu, prêts à se faire exploser grâce à des pains de C-4 autour de la taille, en entraînant le plus d'infidèles possible dans la mort, pour un mot, un geste, une caricature. De leur croyance infaillible dans le concept si manichéen d'enfer et paradis. Faut-il avoir la pétoche de mourir pour s'inventer un ailleurs aussi tarte.
Afficher en entierC’est dingue comme huit grammes de plomb chemisé fonçant à quatre cents mètres par seconde peuvent semer malheur et désolation.
C’est pas avec une faux, qu’on devrait représenter la Mort, mais avec une mitraillette entre ses mains décharnées.
Afficher en entierJe reconnais immédiatement le staccato caractéristique de deux Uzis arrosant de concert. C'est effrayant, quand on y pense, de ne pas être foutu de reconnaître un navet d'un chou-rave mais d'être capable d’interpréter n'importe quelle détonation. Une forêt de corps ensanglantés se défriche devant moi, fauchée par une volée de plomb.
Afficher en entierElle prend sa mine la plus affligée, c'est à en faire chialer un saule.
Afficher en entierLa mère Niewitz s'accroupit avec difficulté près de la tombe de sa fille et arrache quelques mauvaises herbes poussant dans les fissures de la dalle. À elle non plus, le temps n'a pas fait de cadeau. Elles lui ont durement tapé sur la tronche, les années. Son visage dur et autoritaire s'est creusé, et de profondes rides d'inquiétude se sont formées sur son front, autour de sa bouche, entre ses sourcils. Aucun pli en revanche au coin des yeux, là où l'on en trouve chez ceux qui rient beaucoup. Ses doigts noueux se tordent, déformés par l'arthrite, et ses gestes sont devenus hésitants, maladroits.
Pourtant elle n'est pas si vieille que ça. Après un peu plus d'un demi-siècle d'existence, elle devrait être encore dans la fleur de l'âge, mais elle paraît si délabrée qu'on lui donnerait vingt ans de plus, elle semble si fragile qu'on jurerait que la moindre brise suffirait à la renverser. Mais ceux qui la connaissent le savent : cette femme est comme le roseau, elle plie mais ne rompt pas. Zofia Niewitz c'est un roc sur lequel viennent se fracasser les emmerdes, l'une après l'autre. Elle navigue sur une mer de chagrin démontée sans jamais dévier de son cap, insubmersible. Je dois bien au moins lui reconnaître cette force de caractère. J'ai fréquenté des truands patentés qui avaient moitié moins de cran que la mère de Kat.
Afficher en entierL'image qu'elle renvoie est si monochrome qu'on pourrait la prendre pour l'héroïne vieillissante d'un film d'Alfred Hitchcock. Faudrait pas qu'elle s'attarde dans les parages, la vioque, ou elle risque de se fondre dans ce décor minéral jusqu'à ce qu'il l'assimile complètement.
Sa voix demeure imprégnée d’un accent polonais à couper au couteau. Quarante ans qu’elle est descendue du bateau qui l'a amenée d'Europe, et cette vieille peau n’a pas été foutue de gommer les traces de ses origines. Zéro pointé pour l'effort d'intégration.
Afficher en entierCette ville, c’est une pute avec qui personne ne veut monter. Elle a un pied bot et un bec-de-lièvre. Elle roule sur la jante et elle refoule du goulot. Elle est vicelarde et dangereuse et malsaine et elle fera tout pour essayer de vous broyer mais malgré tout, moi, je ne peux m’empêcher de l’aimer. C’est ici que je suis né et c’est ici que je mourrai, et finalement les seuls moments de ma vie que je regrette, ce sont les quelques années où je lui ai été infidèle. Que j'ai passées loin d'elle.
Parce qu'il n'y a qu'ici, à Corvette, que les chiens et les hommes peuvent vivre sans collier.
Afficher en entierC’est humain de râler quand on est coincé dans un bouchon. Si on avait l’éternité devant nous, on serait plus patient, mais dans une situation pareille, c’est d'un morceau d’existence qu’on nous spolie. De précieuses minutes sont dilapidées, des instants qui auraient pu être employés à quelque chose de plus constructif, de plus agréable. Mais la vie, est-ce que ce n’est pas justement une longue succession de corvées, de futilités, d’impératifs, entre lesquels surviennent de fugaces instants de bonheur ? Les premiers mots d’un mouflet, une victoire, une nuit dans les bras de l’être aimé, l’annonce d’un nouvel album des Four Horsemen... En définitive, il n'y a que ces rares moments privilégiés qui comptent. Le reste, c’est du remplissage.
Afficher en entierLe froid, ou la couperose, a fait éclater un réseau de petites veines rouges sur ses joues et son nez bosselé. Il arbore une moustache à la Tom Selleck, un attribut pileux qui ne sied qu’à Tom Selleck lui-même. Ses bajoues flasques lui prêtent un air hargneux de Boxer et sa lippe charnue pend comme si elle était lestée d'une livre de plomb. Face à ce gus on ne peut raisonnablement pas condamner l’avortement.
Afficher en entierQuand on est au fond du trou, personne ne vient vous aider. Pour en sortir, il ne faut compter que sur soi-même et sur ce qu'on est prêt à faire pour y arriver. Sur qui on est prêt à marcher. Les seules mains tendues ne le seront que pour mieux vous lâcher à mi-parcours, vous planter un poignard dans le dos. La seule porte de sortie est celle ouverte bien en grand par le crime organisé. Mais ce gamin, je ne le vois pas la franchir. N'a pas ce qu'il faut. Il a ce qu'il ne faudrait pas avoir. Ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne passe à quelque chose de plus costaud que son cocktail breveté « vodka-désinfectant-parfum-citron-vert ». Vas-y qu'on te savonne la planche.
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