Extrait

Les fois précédentes où j’étais venu ici, je traînais joyeusement derrière Sofia, faisant l’idiot et chantant avec elle. Comment les choses avaient-elles pu changer si vite ? Mon estomac se contracta et mes doigts tremblèrent sur mes genoux.

— Felix ?

Je levai les yeux sur Huey qui me surplombait. Il était encore plus impressionnant que dans mes souvenirs, avec de larges épaules, un torse musclé et des biceps testant les limites des coutures de ses manches. Il avait des yeux bleus et intenses sous ses sourcils foncés.

— Salut, dis-je. Salut, Huey, salut.

— Je te ressers quelque chose ? dit-il d’un mouvement brusque du menton vers mon verre de glaçons fondus.

— Ah, non merci, c’est bon.

Il hocha la tête. Nous nous fixâmes alors en silence et je me rendis compte que je n’avais aucune idée de comment inviter quelqu’un à sortir, que ce soit dans un but romantique ou amical. Je doutais qu’il soit homophobe s’il était un bon ami de Theo et de son partenaire, mais on ne savait jamais comment les gens pouvaient réagir quand il s’agissait d’eux-mêmes. Mes yeux s’attardèrent sur ses avant-bras, aussi volumineux que mes mollets. Que faire si je lui proposais un rendez-vous et qu’il s’énervait et me tabassait ? Ou s’il s’énervait et ruinait, grâce à son amitié avec Theo, les chances de Sofia avec Riven ? Ou encore s’il me riait au nez à l’idée d’être mon ami ?

Mon cœur battait la chamade et je me mis à transpirer. Voilà. Voilà pourquoi je laissais toujours Sofia prendre les devants.

— Hum.

Je n’arrivais pas à croire que j’étais venu jusqu’ici. Je n’arrivais pas à croire que j’étais assis dans le bar d’un quasi-inconnu pour lui demander s’il voulait être ami avec moi, comme un gamin de sept ans. Sérieusement, qu’est-ce que je fabriquais ? Sofia était la plus sympathique de nous deux. C’était elle qui abordait les gens et les séduisait dans les bars. Sofia était celle qui invitait les gens chez nous en disant « Tu vas adorer telle et telle personne », comme ma propre entremetteuse amicale.

— Je, euh…

Je secouai la tête et glissai du tabouret. Sans Sofia, j’étais perdu. J’étais en train de me ridiculiser.

Au moment où mes pieds touchèrent le sol, une main se referma sur mon biceps. Sans tirer ni serrer, elle me maintint simplement à ma place.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Huey.

De près, il était un mur de muscles inébranlable, pas fait de la même matière que moi. Toutefois, sa main n’était qu’une douce pression sur mon bras et lorsqu’il la retira, j’eus aussitôt envie qu’elle revienne.

Ses yeux étaient méfiants, inquiets, et une ligne s’était formée entre ses deux sourcils qu’il fronçait vers moi. J’ouvris la bouche, mais rien n’en sortit et je le fixai stupidement en clignant des yeux, le souffle court. Il fronça encore davantage les sourcils, puis posa une main sur mon dos et me conduisit vers l’arrière du bar, plus tranquille.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il.

— Rien, m’efforçai-je de répondre. Ou plutôt tout ?

J’essayai de rire de moi-même, mais ce fut plutôt un grincement qui m’échappa. Je serrai les poings, fixai le sol et m’obligeai à prononcer les mots.

— Je voulais te revoir. Je suis venu pour te demander si tu voudrais aller manger un morceau avec moi un jour, ou boire un verre, ou bien, euh, juste passer un peu de temps ensemble. Je ne savais pas si tu étais intéressé par les hommes donc je voulais préciser que ça pourrait être amical, après tout, on n’a jamais trop d’amis, pas vrai ? Mais je ne savais pas comment te demander, et j’ai soudainement réalisé qu’on ne se connaissait pas vraiment et qu’il n’y avait aucune raison que tu veuilles être mon ami et j’ai… j’ai… hum, un peu paniqué.

Je laissai échapper un rire nerveux et levai les yeux, redoutant l’expression de Huey.

Il avait simplement l’air… perdu ?