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Extrait

Extrait ajouté par Massie 2018-06-14T20:01:05+02:00

CHAPITRE 1

Si l’on en croit la légende familiale, je suis née sur la moquette d’un taxi.

Je suis la petite dernière d’une fratrie de six et, apparemment, il a suffi de quarante minutes pour que ma mère qui répétait : « C’est une petite crampe de rien du tout, laissez-moi terminer de préparer le déjeuner », s’exclame : « Bonjour, Holland Lina Bakker. »

C’est toujours la première chose qui me vient à l’esprit quand je grimpe dans un taxi, moi la transfuge venant de Des Moines dans l’Iowa et fraîchement arrivée à New York. Je ne me sens jamais à l’aise sur ces sièges d’une propreté douteuse. Je remarque tout de suite les traces de doigts sales et les taches impossibles à identifier qui ternissent les fenêtres et la vitre de séparation en Plexiglas. Mais, surtout, je me dis que la moquette d’un taxi est vraiment un endroit horrible pour venir au monde.

Je referme la portière le plus vite possible pour me protéger des bourrasques du vent de Brooklyn.

– La station de métro de la 50e Rue, à Manhattan.

Je croise le regard du chauffeur dans le rétroviseur et devine sans peine ce qu’il pense : « Vous montez dans un taxi pour prendre le métro à Manhattan ? Jeune fille, la ligne C est directe et le ticket coûte trois dollars. »

Je refoule la bouffée de honte qui me submerge devant l’absurdité de mon comportement et rectifie instinctivement :

– Au croisement de la Huitième Avenue et de la 49e Rue.

Au lieu de me déposer chez moi, le chauffeur qui vient de me récupérer dans Park Slope me laissera devant une bouche de métro de Hell’s Kitchen, à environ deux blocs de mon immeuble. Et ce n’est pas parce que je suis une obsédée de la sécurité et que je ne veux pas que ce chauffeur de taxi sache où je vis.

La vraie raison, c’est que nous sommes lundi, qu’il est 23 heures 30 et que Jack y sera.

Enfin, en théorie. Depuis la première fois que je l’ai entendu jouer dans la station de la 50e Rue, il y a environ six mois, nos chemins se croisent tous les lundis soir, en plus des mercredis et jeudis matin avant le travail et des vendredis à l’heure du déjeuner. Le mardi, il est aux abonnés absents, idem le week-end.

Je crois que le lundi soir est mon moment préféré, parce qu’il se penche toujours sur sa guitare avec une intensité presque désespérée, comme s’il la berçait ou tentait de la séduire. La musique semble se libérer, s’échapper de ses doigts après avoir été contenue pendant deux jours. Seuls l’occasionnel bruit d’une pièce de monnaie jetée dans l’étui de guitare ouvert à ses pieds ou le vrombissement d’un métro brisent la solennité de la performance.

Je n’ai aucune idée de ce qu’il fait quand il n’est pas ici. Et je sais pertinemment qu’il ne s’appelle pas Jack, mais j’avais besoin de lui trouver un autre surnom que « le musicien de rue ». Ainsi, mon obsession paraît un peu moins pathétique.

Quoique.

Le chauffeur reste silencieux, aucune émission de radio type talk-show enflammé – le fond sonore habituel des taxis new-yorkais – ne vient briser la quiétude de l’habitacle. Je lève les yeux de mon smartphone, me désintéressant de mon fil d’actualités Instagram plein de livres et de tutoriels beauté pour contempler distraitement les amas de neige boueuse qui bordent la route. Je suis toujours légèrement ivre après les cocktails, l’effet de l’alcool ne se dissipe pas aussi vite que je m’y attendais. Au moment de régler la course et de sortir de la voiture, une sorte de vertige euphorique me submerge.

C’est la première fois que je vais voir Jack en étant ivre et je n’arrive pas à décider s’il s’agit de la pire idée du monde ou d’un coup de génie. Je suppose que je ne tarderai pas en avoir le cœur net.

Lorsque j’arrive en bas des escaliers, je le surprends en train d’accorder sa guitare et m’arrête à quelques mètres de distance pour le contempler. Illuminés par la lumière des lampadaires qui descend jusque dans le métro, ses cheveux bruns paraissent presque argentés.

Comme tous les jeunes de notre génération, son look est un peu négligé, mais il semble propre sur lui. J’aime penser qu’il vit dans un appartement agréable, tout à fait normal, qu’il a un boulot qui paie bien et qu’il joue dans le métro pour le plaisir. Ses cheveux, coupés court sur les côtés, un peu plus longs et indomptés sur le sommet du crâne, me font totalement craquer. Soyeux, brillants, il est difficile de résister à l’envie d’en effleurer une mèche. Je ne sais pas de quelle couleur sont ses yeux, car il ne quitte pas sa guitare du regard quand il joue. Je les imagine marron ou vert foncé, une couleur assez profonde pour s’y perdre.

Je ne le vois jamais arriver ou partir, parce que je ne m’attarde pas. Je dépose un billet d’un dollar dans son étui, sans cesser d’avancer. Ensuite, à distance, je lorgne en direction de son tabouret en bas des escaliers, j’admire ses doigts qui pincent les cordes, montent et descendent avec dextérité sur le manche de l’instrument. Je ne suis pas la seule à lui jeter des regards fascinés. Les accords s’enchaînent naturellement, sans fausse note. Il joue comme il respire.

Comme il respire. En tant qu’écrivain en herbe, c’est le cliché que j’aime le moins, pourtant c’est le seul qui convienne. C’est la première fois que je vois les doigts de quelqu’un se mouvoir ainsi, instinctivement. D’une certaine manière, il fait parler sa guitare comme si c’était une personne.

Il me jette un coup d’œil lorsque je glisse un billet dans son étui, et murmure : « Merci beaucoup. »

Il ne m’a jamais remerciée jusque-là ni levé les yeux lorsque quelqu'un lui donnait de l’argent. Je suis prise au dépourvu lorsque nos regards se croisent.

Verts, ses yeux sont verts. Et il ne se détourne pas tout de suite. Son regard est magnétique.

Alors, au lieu de répondre « de rien », « pas de quoi » ou de me taire, comme tout bon New-Yorkais, je bafouille « jadorevotremusique ». Une phrase prononcée comme un seul mot, dans un souffle.

Il me récompense par un léger sourire, et une décharge électrique traverse mon cerveau encore abruti par l’alcool. Il en rajoute en se mordillant la lèvre inférieure pendant quelques secondes avant d’ajouter :

– Vous trouvez ? C’est très aimable de votre part. J’adore jouer.

Son accent est résolument irlandais. Le son de sa voix me donne des frissons.

– Comment vous appelez-vous ?

Les trois secondes les plus mortifiantes de mon existence s’écoulent avant qu’il ne réponde avec un sourire surpris :

– Calvin. Et vous ?

Il s’agit bel et bien d’une conversation. Seigneur, je suis en train de parler avec l’inconnu sur lequel je fantasme depuis des mois.

– Holland. Comme la province des Pays-Bas mais sans le « e ». Tout le monde pense qu’il s’agit du pays, mais c’est faux.

Oh là là.

Ce soir, j’ai appris deux choses essentielles sur le gin : cet alcool a un goût de pomme de pin et c’est la boisson du diable.

Calvin sourit et réplique, joueur :

– Holland. Une province et une érudite.

Puis il ajoute quelque chose dans sa barbe que je ne comprends pas.

Je n’arrive pas à savoir si ses yeux brillent d’amusement parce que je suis une idiote divertissante ou si quelqu’un fait quelque chose de vraiment drôle derrière moi.

Et comme je n’ai dragué personne depuis des milliers d’années, je ne sais pas comment poursuivre la conversation après cette entrée en matière, donc je déguerpis, me mettant presque à courir alors que le quai se trouve approximativement à cinq mètres de Calvin. Quand je m’arrête enfin, je fouille dans mon sac avec l’empressement d’une femme habituée à faire semblant d’être très très occupée.

Je devine le mot qu’il a chuchoté, trente secondes trop tard. Adorable.

Il parlait de mon prénom, j’en suis sûre. Je ne le dis pas par fausse modestie. Ma meilleure amie Lulu et moi nous accordons pour dire qu’objectivement, nous sommes dans la moyenne. Le point de comparaison étant les femmes de Manhattan, nous gagnons des points quand nous sortons de New York. Mais Jack – Calvin – se fait reluquer par la masse des gens qui transitent par la station, des fils à papa de Madison Avenue s’abaissant à prendre le métro aux étudiantes fauchées de Bay Bridge. Honnêtement, il aurait l’embarras du choix en matière de partenaires sexuels s’il prenait le temps de lever les yeux vers son public.

Comme pour confirmer ma théorie, un coup d’œil rapide à mon miroir de poche révèle les coulures clownesques de mon mascara sous mes yeux et ma mauvaise mine en l’absence de blush sur mes pommettes. Je me redresse, tente de lisser les mèches de cheveux qui d’ordinaire ne s’emmêlent jamais et qui se sont actuellement échappées de ma queue-de-cheval, défiant la gravité autour de mon visage.

Là, tout de suite, je suis loin d’être adorable.

La musique de Calvin reprend, réinvestissant la station de métro silencieuse de ses accords puissants et ses échos tourmentés. J’ai l’impression d’être encore plus ivre alors que j’ai arrêté de boire il y a plus d’une heure. Pourquoi être venue ici ce soir ? Pourquoi lui avoir parlé ? Maintenant, je dois faire le point. Par exemple, il ne s’appelle pas Jack. Je connais la couleur de ses yeux. Je sais qu’il est irlandais – cette information en particulier me donne envie de me jeter sur lui.

Seigneur. Fantasmer sur un inconnu, c’est dur psychologiquement, mais après coup, je me dis qu’en rester là aurait été plus reposant. J’aurais dû me contenter de me raconter des histoires et de le dévorer des yeux à distance comme une groupie. Maintenant, j’ai brisé la glace et s’il est aussi sympathique qu’il en a l’air, il risque de me remarquer la prochaine fois que je déposerai de l’argent dans son étui. Et je devrai échanger quelques mots avec lui ou m’enfuir dans la direction opposée. Je suis peut-être dans la moyenne quand je n’ouvre pas la bouche, mais chaque fois que je commence à parler à un homme, Lulu me surnomme Miss Angoisseland, parce que je les mets toujours mal à l’aise. Évidemment, il y a une part de vérité dans ce jugement. Et me voilà engoncée dans mon manteau de laine rose, la transpiration perle sur mon front, je suis soudain submergée par un désir incontrôlable de remonter mes collants jusqu’à mes aisselles, parce qu’ils n’arrêtent pas de glisser et que j’ai l’impression de porter un sarouel.

Je pourrais le faire en me dandinant discrètement. En dehors d’un homme visiblement abruti par l’alcool, qui ronfle sur un banc, et Calvin qui ne me prête plus attention, il n’y a pas un chat.

Mais soudain l’ivrogne se lève au ralenti, comme un zombie, et avance vers moi d’un pas chancelant. Vides, les stations de métro deviennent facilement lugubres. Elles sont le repaire des pervers, des ivrognes, des exhibitionnistes. Il n’est pas très tard – même pas minuit, un lundi – mais je suis entre deux métros. Aucun voyageur en vue.

Je m’écarte vers la gauche, prenant discrètement mes distances sur le quai, et sors mon téléphone pour me donner une contenance. Hélas, je devrais savoir que les types louches, quand ils deviennent insistants, ne se laissent pas décourager par la vue d’un iPhone. Le zombie fait un pas de plus vers moi.

Je ne sais pas si c’est l’effet de la peur qui m’aiguise les sens ou le vent qui s’engouffre dans la station, mais je suis frappée par l’odeur écœurante de moisissure qui semble émaner de la poubelle débordant de déchets. Ou de l’homme.

Il me désigne du doigt.

– T’as mon téléphone.

Je me tourne et m’éloigne le plus vite possible de lui en direction des escaliers et de Calvin. J’ouvre mon répertoire, prête à appeler Robert.

Il ne me lâche pas d’une semelle.

– Toi. Par ici. T’as mon téléphone.

Sans lever les yeux, je réponds aussi calmement que possible :

– Laissez-moi tranquille.

J’appuie sur le prénom de Robert, serrant mon téléphone contre mon oreille. La tonalité retentit, mon cœur bat la chamade.

La musique de Calvin monte en puissance, se fait presque agressive. Ne voit-il pas que quelqu’un me traque ? Je réalise soudain à quel point il est concentré lorsqu’il joue. Il est complètement ailleurs.

L’homme commence à courir maladroitement dans ma direction, en titubant, et les accords qui s’échappent de la guitare de Calvin deviennent la bande-son de l’affreuse séquence où un malade me poursuit sur le quai. Mes collants m’empêchent de détaler, l’ivrogne me rattrape malgré son état, il chancelle de moins en moins.

J’entends la voix de Robert retentir dans le combiné :

– Salut, Bouton d’Or.

– Putain, Robert, je suis à…

L’homme se jette sur moi, saisit mon bras et tente de m’arracher mon téléphone.

– Robert !

– Holls ? crie-t-il. Ma chérie, où es-tu ?

Je tente de me débattre en essayant de ne pas perdre l’équilibre. Je me sens sur le point de m’étaler par terre. Affolée, totalement paniquée, une certitude glaciale s’empare soudain de moi.

L’homme est en train de me pousser. En direction des rails.

Au loin, j’entends un cri :

« Hé ! »

Mon iPhone s’écrase sur le béton.

– Holland ?

Les événements s’enchaînent à toute vitesse – j’imagine que c’est la caractéristique des catastrophes ; si je pouvais rembobiner, j’aime penser que je ferais quelque chose, n’importe quoi – et je me vois glisser sur la ligne jaune d’avertissement. L’instant d’après, je bascule dans le vide, droit sur les rails du métro.

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