Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu

Comme c'est l'époque où Gainsbourg aurait dû revenir parmi nous, je ne peux pas ne pas me demander ce qu'il eût ressenti à propos de Rostropovitch. L'aurait-il admiré ? L'aurait-il détesté ? Gainsbourg ne cachait pas (ou à peine) ce qu'il était ni ce qu'il pensait et ne dénigrait que ce qu'il n'aimait pas. Si tout à coup il s'emballait pour une femme ou un homme, ses yeux le disaient. Meneau fut sage de ne pas loger Slava à l'hôtel mais chez lui, bourgeoisement. L'un à côté de l'autre, Gainsbourg et Rostropovitch ? on ne les voit pas. Rostropovitch se croit le plus grand. L'est-il ? Gainsbourg est un poète. Dévoyé s'il on veut, encore qu'on puisse se demander en quoi. Il a bouffé de la vache enragée, n'a jamais composé avec la société, à toujours grommelé des insultes devant les puissants et surtout les imbéciles armés de puissance. Ingrat, jouisseur, méprisant , provocateur à propos de tout depuis que la fortune lui a souri et même avant, Gainsbourg c'est le poète maudit qui fait florès, l'ordure qui pond de l'or, ou si l'on veut, l'enfer. Rostropovitch machine Bach dans les églises, échange des sourires avec le clergé, boit dans les sacristies, déclare à haute voix qu'il croit de plus en plus et qu'il se sent humble et sans grade devant Chostakovitch. Quel brave homme ! Quel digne chrétien ! Gainsbourg est capable de jouer Brahms et Chopin. Bach, il n'oserait peut-être pas à cause d'une certaine convention qui veut que Bach navigue dans la religion. La musique, il la tord, la brutalise, la caresse, la viole. Les femmes l'aiment, il a mis dans son lit les plus belles, les plus célèbres et même peut-être les plus intelligentes. Plus que Rostropovitch qui a consacré sa vie à la musique, et un peu aux femmes, comme il a pu, ce n'est pas un tombeur, lui. Rostropovitch cajole les Rothschild, a des amis que n'a pas Gainsbourg, trop dangereux par ce qu'il dit, trop répugnant par sa barbe en limaille de fer. Ses gargouillements ignobles, son col sans cravate, ses regards de fauve bourré, ses gestes grossiers, ses insultes. Il a écrit des chansons immortelles qui prennent aux tripes. Rostropovitch soulève l'adoration des foules parce qu'il joue Bach, Brahms, Prokofiev. Même ivre, vrai russe, il se tient bien, mais il ne sera jamais gai avant un concert, tandis que l'ordure Gainsbourg-Gainsbarre exploite sa saoulographie comme Rostropovitch les églises romanes. Tous deux, jamais contents, toujours en quête de quelque chose. Gainsbourg capable de se montrer grand seigneur russe, Rostropovitch un peu radin, mais généreux en paroles et capable de monter des étages pour encourager un de ses élèves. Slava aimerait être Bach, Gainsbourg-Gainsbarre voudrait être Rimbaud.