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Mamambala lui apprend tout : le jeu des pierres dans le fond des rivières, le son des saisons, la façon de coiffer les cheveux d'une fille selon les couleurs du ciel. Elle prie les esprits avec elle, à ses côtés. Son odeur dans la couche, généreuse, épaisse, est celle de la bienveillance.
Afficher en entierC'est de ce jour l’éclipse de son esprit, parfois, qui lui fait maudire les étoiles. "Le temps passe." Cette phrase si courte à prononcer est une épreuve cruelle pour qui la vit dans la solitude. Elle est loin des hommes et s'use à survivre, soufflant sur sa vengeance car c'est la seule chose qui lui soit restée. Le temps passe, oui, une vie entière, presque.
Afficher en entierMoi, Malaka, fils de la femme qui haïssait son enfant, je ne peux pas raconter la longue chaine des jours qui passent avec lenteur et pourtant il faudrait. Je ne peux pas trouver un mot pour chaque instant du quotidien qui est une menace, une humiliation, une violence et prouvant il faudrait, pour dire la torture de se sentir mourir lentement, enfermée dans une vie qui vous a été imposée. Pour dire la violence d'un mot, d'un coup. La présence de Saro n'est que brutalité. Il faudrait dire tout : l'usure, la colère et la tristesse de chaque jour. Il faudrait, sans quoi on ne peut pas comprendre la haine qui s'accumule. Il y a une jeunesse arrachée et un corps violenté. Il y a un visage que l'on humilie, sans cesse. Il faudrait trouver des mots pour cela : le sentiment que la vie ne sera plus que résignation et que cela sera long, infiniment long, jusqu'au tombeau...
Afficher en entier«Je te demande de me reprendre, Salina, [...]. Toi seule peux mettre fin à ma vie. Aucun guerrier, jamais, ne pourra me terrasser et tu le sais. Je te demande de me reprendre »
Afficher en entierD’abord, il y a ce jour des origines, lointain, où dans la chaleur du désert, après une longue attente, le cavalier arrive enfin. Il ne change pas son allure, n’hésite pas ni ne se presse. Il est maintenant à une centaine de mètres du groupe. Chacun cherche à l’identifier mais personne ne connaît les insignes qu’il porte. Son cheval est pourvu de sacoches de cuir qu’aucun membre du clan Djimba n’a jamais vues. Même sur le grand marché de la lointaine Kamangassa, il n’y a pas de telle maroquinerie. Il doit venir de plus loin que les terres connues. Il est couvert de poussière. Son corps fait si peu de mouvements qu’on pourrait le croire scellé à son cheval, condamné peut-être depuis des mois à errer ainsi, allant où sa monture décide de le mener. Quel âge a-t-il ? Nul ne peut le dire. L’homme avance. Les Djimba pensent un temps qu’il va traverser leur groupe sans rien dire, sans rien faire, comme si leur présence n’avait aucune importance, mais ce n’est pas ce qu’il fait. À dix pas de Sissoko Djimba, il s’arrête. Dans le creux de son bras gauche, tout le monde peut maintenant voir distinctement qu’il porte un nourrisson dans ses langes. Et les cris de l’enfant résonnent. Il n’a pas cessé de crier. Un petit être de chair est là, depuis des jours, des semaines, d’aussi loin qu’est parti cet homme étrange, et il pleure, avec force, sans se lasser. C’est miracle, même, qu’il n’ait pas fini par sombrer dans un épuisement du corps. Le silence dure. Puis, lentement, le cavalier passe une jambe au-dessus de la croupe de son cheval et pose pied à terre. Il porte toujours l’enfant. Il fait quelques pas jusqu’à être à mi-chemin entre Sissoko et sa monture et dépose au sol le paquet de linge qui pleure encore, puis il remonte sur son cheval et sans attendre de voir ce qu’il se passe, sans dire un mot – qu’il aurait de toute façon prononcé dans une langue inconnue à laquelle personne n’aurait pu répondre – à moins que dans les terres d’où il vient, il n’y ait tout simplement aucune langue –, lentement, il repart, rebroussant chemin, laissant derrière lui pour la première fois depuis des jours, des semaines peut-être, les cris de l’enfant qu’il vient d’abandonner.
Afficher en entierSissoko Djimba, le chef du village, appelle ses guerriers. Ils se regroupent, les muscles bandés, le regard sûr. Il n’y a pas de peur en eux. Ils constatent juste que les dieux leur envoient quelqu’un et qu’il faut faire face à cet événement. Chacun a mis ses habits d’apparat : de longues tuniques aux couleurs vives, et à la ceinture, l’épée Takouba – fer sacré des ancêtres. Le vent chaud du désert se lève et fait claquer les étendards du village. Les hommes sont parfaitement immobiles. Ils savent le temps qu’il faut pour que le cavalier arrive jusqu’à eux et ils attendent.
Afficher en entierAu tout début de sa vie, dans ces jours d’origine où la matière est encore indistincte, où tout n’est que chair, bruits sourds, pulsations, veines qui battent et souffle qui cherche son chemin, dans ces heures où la vie n’est pas encore sûre, où tout peut renoncer et s’éteindre, il y a ce cri, si lointain, si étrange que l’on pourrait croire que la montagne gémit, lassée de sa propre immobilité. Les femmes lèvent la tête et se figent, inquiètes. Elles hésitent, ne sont pas certaines d’avoir bien entendu, et pourtant cela recommence : au loin, vers la montagne Tadma que l’on ne franchit pas, un bébé pleure. Est-ce qu’elles sentent, les femmes du clan Djimba, à cet instant, tout ce que contient ce cri ? Le sang qu’il porte en lui ? Les convulsions, les corps meurtris, les bannissements et la rage ? Est-ce qu’elles sentent que quelque chose commence avec ce tout petit cri à peine identifiable, quelque chose qui ne va pas cesser de grandir jusqu’à tout renverser ?
Petit à petit, les pleurs deviennent plus nets. Cela ne fait plus de doute : le nourrisson se rapproche. Hommes et femmes convergent vers l’entrée du village pour attendre ce qui vient. Il faut encore de longues minutes pour qu’un cavalier apparaisse. Il avance lentement, disparaît parfois au gré des nœuds du sentier. Il avance et c’est bien de lui que proviennent les pleurs d’enfant.
Afficher en entierIl n'y a qu'une chose que Mamanbala n'a pas dite, c'est que grandir était un exil.
Afficher en entierElle sait, elle, que la vie se soucie peu de la volonté des hommes, qu'elle décide à leur place, impose, écarte les chemins qu'on aurait voulu explorer et affaiblit ce qu'on croyait éternel.
Afficher en entierLe cimetière accepte Salina, la femme aux trois exils, celle qui eut un fils haï, un fils colère et un fils pour tout racheter, Salina, la femme salée par les pleurs, condamnée à naître et à mourir en marchant dans des terres inconnues.
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