Sarah, Marseille 1720

En l'an de grâce 1719, la famille de Sarah, qui habitait Marseille depuis des générations, ne s'aventurait guère au-delà de leur quartier du Panier. Fréquenté par les voyageurs du XVIIe siècle, un cabaret à l'enseigne «le logis du panier» avait laissé son nom à cet îlot de maisons anciennes. Les Callas ne fréquentaient pas les cabarets, leur éducation protestante leur interdisait ce genre de distraction. Les rues qui se déroulaient dans ce vieux quartier de Marseille n'avaient pas de secret pour eux. Au-delà, la ville leur paraissait toujours plus grande, pleine de repaires inconnus.

Leur vie se passait entre la corderie près du port, là où les Phocéens avaient mis bas les voiles, dans la baie de Lakydon, près de la cathédrale de La Major. Sur la place de Lenche leur maison dominait la baie. La famille, marseillaise et protestante, s'était assimilée à la cité assez facilement.

Les 18 ans de Sarah étalaient au grand jour des formes arrondies, juste là où il le fallait et, discrètement, car les galants ne lui manquaient pas, son père, homme juste et sévère, surveillait ses sorties. Sans hésitation ses frères aînés auraient tué celui qui se serait permis le moindre manquement à l'égard de leur soeur.

Le dimanche précédent, au bal, un jeune homme l'avait invitée à danser. Ses frères regardèrent d'un oeil mauvais cet étranger venu du Nord, à l'accent pointu, disaient-ils, relatant l'événement à leurs parents. Ces derniers, surpris de les voir revenir à la maison plus tôt que de coutume, avaient demandé :

- Pourquoi notre petite Sarah a-t-elle quitté la soirée avant la fin ? Es-tu malade mon enfant ?

- Je serais volontiers restée avec mes amies ! Mes frères ont décidé de me priver de ce plaisir que j'attends toute la semaine ! Je vous en prie mon père, dites-leur que je ne fais rien de mal en allant danser. Toutes mes camarades étaient là, elles n'ont pas compris pourquoi après une seule chaconne et une courante, ils m'ont entraînée dehors.

- Explique-toi mon garçon, demanda le père intrigué, à Saül son fils aîné.

- Mon père nous le savons, Sarah est une fille sérieuse, pourtant on n'est jamais à l'abri d'une mauvaise rencontre, rester deux danses de suite avec le même cavalier est déjà une provocation.

- Vous êtes là pour regarder qui s'approche des jeunes filles !

- On ne peut pas connaître tous les invités de ce bal et le jeune homme qui a invité Sarah à danser n'était pas d'ici.

- Vous avez sans doute raison et dimanche prochain j'espère qu'il ne sera plus là.