Sarkozy à Bruxelles

Extrait de l'introduction :

J'aurais pu voter Sarkozy

Ceci n'est pas un livre de gauche. J'aurais pu voter pour Nicolas Sarkozy. Si je ne lui ai pas donné ma voix, je n'ai pas non plus souhaité sa défaite. L'étreinte maternelle de la candidate socialiste m'effrayait plus que les ruades de son adversaire. Néanmoins, ayant acquis la conviction que Ségolène Royal n'avait plus sa chance, je me suis contentée de consentir à l'élection de son adversaire. Abstention microscopique, abstention difficile cependant, car elle contrevenait à la règle que je m'étais fixée de ne jamais s'abstenir. Les bouffées de fierté nationale du candidat UMP, sa manière de liquider le travail de mémoire sur la colonisation ou la guerre d'Algérie, son «nous n'avons pas inventé la solution finale» à l'adresse des Allemands ne m'avaient pas seulement donné la nausée. Je les pensais ana­chroniques. La sagesse politique en Europe au XXIe siècle, c'est de dire, comme en mai 1968, «nous sommes tous des juifs allemands» mais aussi «nous sommes tous leurs bourreaux». L'Europe, c'est précisément la conscience d'une communauté de destin, l'exercice conjoint de la responsabilité et de la volonté, sans renoncer à la lucidité historique, sans nier les divergences d'intérêts. Il ne faut jamais rater l'occasion de remettre quelques pelletées de terre sur la tombe du nationalisme qui a endeuillé le XXe siècle. Or certains discours cédaient, me semblait-il, à la tentation de la simplification à outrance, de la mystification. Et puis, distribuer les bons et les mauvais points entre les uns et les autres n'est pas digne de la fonction présidentielle. Un jour, il faut quitter la cour de récréation.

Cette emphase patriotique était-elle bien nécessaire ? Les métaphores politiques peuvent être heureuses. «Je ne voudrais plus jamais quitter cette maison. Il n'y a pas - c'est ma conviction - de meilleur endroit pour notre vie en Europe que notre maison commune européenne», avait dit la chancelière Angela Merkel dans l'hémicycle européen, à Strasbourg, au début de la présidence allemande. «Maison commune.» François Mitterrand avait usé des mêmes mots. Un enfant de cinq ans les comprend. Ils sont limpides et forts. Née en Allemagne de l'Est, la chancelière n'était entrée dans la «maison» qu'à trente-cinq ans, au lendemain de la chute du Mur de Berlin. «Ich möchte aus diesem Haus nie wieder ausziehen. Es gibt - das ist meine Überzeugung - keinen besseren Platz für unser Leben in Europa als unser gemeinsames europäisches Haus.» Je ne me lasse pas de relire ces deux phrases. Je voudrais toujours les entendre.