Extraits

« Il n’y a pas de rencontre sans hasard, pas d’amour sans souffrance. Il faut être prête, et désirer vivre sans craindre les jours plus sombres. Car il y en a eu, et il y en aura encore. Mais une chose est sûre : si je pouvais aujourd’hui changer quelque chose à mon passé, je n’y toucherais pas. Il a fait de moi ce que je suis devenue, et ce que je m’apprête à réaliser.

(...)

Je suis fière de mon passé, et du chemin que j’ai déjà parcouru. Mais je suis surtout déterminée et suffisamment forte pour poursuivre. Je voudrais hurler à qui veut bien l’entendre que nos différences nous rapprochent, notre amour nous rend plus forts, nos peines nous soudent. Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, mais je suis prête à nous redonner une chance d’exister. Parce que tout en moi le désire. »

« Je n’ai rien à lui répondre. Ce que j’aurais à dire le rendrait fou de rage. Pourtant je le pense avec la plus grande conviction : je veux quitter cet endroit, fuir le quartier dans lequel j’ai grandi, et m’épanouir comme une femme moderne. Je veux être pareille à ces femmes que je vois dans ces films et ces séries que j’adore. Je veux décider de mon travail, de mon corps et de mon esprit. Pour le moment, je n’ai été qu’un mouton dans un troupeau. Je n’en ai pas honte, car je sais que j’étais beaucoup trop jeune pour m’en rendre compte. Mais la prise de conscience est encore plus violente ce soir. On m’oblige à me marier avec un homme pour s’assurer que je reste fidèle à ma communauté en toute circonstance. On m’attache, on ligote chaque parcelle de mon cerveau, ici. Je ne le permettrai pas. »

On m'a souvent expliqué que la mort n'avait qu'un sens : celui de rendre immortel ce qui ne l'est pas. Rendez-le immortel dans vos cœurs, et il survivra.

La porte claque pour la cinquième fois, et je ne peux que remarquer la fréquentation anormalement élevée de la bibliothèque du quartier. D’habitude déserte, elle est prise d’assaut en ce dernier samedi du mois d’août. Les petits voyous ont sûrement choisi de se remettre à niveau, à la veille de la rentrée scolaire. En ce qui me concerne, cette année sera ma dernière. Les derniers mois à arpenter les couloirs de mon lycée de Normandie Avenue, à Los Angeles. Une étape particulière, car elle déterminera mon avenir et mes chances d’intégrer une université. À défaut de pouvoir m’échapper de la ville, j’ai passé tout l’été à sillonner cette bibliothèque à la recherche de lectures qui me feraient voyager.

Cet endroit est mon havre de paix. Chez moi, pas moyen d’avoir une seule seconde de calme. Je partage ma chambre avec ma sœur jumelle. Or Maria est aussi bruyante qu’une tractopelle, et n’a absolument aucune limite lorsqu’il s’agit d’augmenter les décibels de sa musique latino. Mais je m’y suis habituée, et grâce aux boules Quiès fluorescentes offertes par ma mère, j’arrive à garder mes tympans en état de marche.

Ma mère a toujours su trouver les mots pour calmer nos litiges. Il faut dire qu’elle a été à bonne école, avec mes deux grands-frères : adolescents, Luis et Miguel passaient leur temps à se battre et à se disputer pour toutes sortes de raisons. Mais elle n’avait pas été préparée, ensuite, à nos sempiternelles chamailleries, à ma sœur et moi.

Si ma mère a pu se faire une joie de nous habiller avec les mêmes vêtements lorsque nous étions petites, pour s’amuser de notre troublante ressemblance physique, rien ne pouvait laisser présager que nous soyons si différentes en termes de caractère.

Ma sœur est volcanique et ne passe jamais inaperçue. Ses tenues suggestives, sa voix rauque, son rire bien étudié et son franc-parler lui valent une certaine popularité, à l’intérieur comme à l’extérieur du lycée. Pas besoin de porter des lunettes pour remarquer cette brunette au sang chaud. Elle n’a pas peur de se confronter à celles et ceux qui se mettent en travers de son chemin, et son uppercut est désormais craint à des kilomètres à la ronde.

Et moi... Eh bien, je suis plutôt le genre de fille à se cacher du regard des gens. Sweat à capuche, casquette vissée sur mes longs cheveux bruns, j’essaye toujours de faire le moins de grabuge possible. À chaque coup de sang de Maria, je suis mortifiée, et je sens que je m’éloigne encore davantage d’elle. Je n’aime pas me faire remarquer et le manque de discrétion de ma sœur m’a rapidement tapé sur le système. Non qu’il y ait de véritable différend entre nous, mais une distance s’est insidieusement installée, surtout depuis que son comportement provocateur a fait que les hommes, attirés, ont pris une place conséquente dans sa vie. J’ai bien tenté de passer du temps avec elle, mais j’ai très vite renoncé à faire des efforts lorsque je me suis rendu compte que nous n’avions plus grand-chose en commun, en dehors de notre ressemblance physique.

Source : kobo.com