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** Extrait offert par Lorraine Heath **

Chapitre 1

Londres, 1874

Ici, elle pouvait amasser un joli paquet.

Elle ne fit rien pour cacher sa joie à cette découverte, même si personne ne devait comprendre ce que signifiaient véritablement son sourire radieux et ses yeux qui pétillaient de satisfaction. Toutes les ladies présentes étaient en extase devant cet immense étalage de luxe et ces manifestations de cupidité et de plaisirs courtois. Le sexe faible avait finalement été autorisé à pénétrer dans l’un des sanctuaires masculins de Londres les plus décriés et les plus célèbres et se réjouissait de découvrir enfin tout ce qui lui avait été jusqu’alors caché et refusé.

Le but avoué du grand bal donné en cette soirée, auquel nul ne pouvait assister sans une invitation, était de divertir les membres actuels des Deux Dragons et de présenter aux futurs adhérents les avantages offerts par cet ancien club de gentlemen. Depuis son arrivée à Londres, deux semaines plus tôt, Rose avait découvert que l’établissement était au centre de toutes les conversations.

Ce qui n’était pas étonnant car, une demi-heure plus tôt, elle avait aperçu son propriétaire juste au moment où il sortait d’une porte qui menait apparemment aux pièces du fond. Son pas assuré avait attiré son attention, et elle avait aussitôt reconnu en lui une âme sœur. Dix minutes plus tard, il avait pris une femme dans ses bras et l’avait scandaleusement embrassée à pleine bouche en plein milieu de l’une des pistes de danse. Etant donné sa ferveur et l’enthousiasme de la dame, Rose avait écarté toute éventualité qu’il puisse l’aider dans ses projets. Il était manifestement fiancé, or les hommes sans attaches étaient beaucoup plus faciles à manœuvrer.

Ignorant ceux qui ne la quittaient pas du regard, elle se familiarisa avec le lieu qui allait devenir sa deuxième demeure au cours des semaines à venir. Une partie de la salle accueillait des tables réservées à divers jeux de hasard. Sans doute, dès le lendemain, l’ensemble serait-il envahi de tables, mais ce soir, l’espace libéré était réservé aux visiteurs et à la danse. D’immenses lustres à gaz en cristal éclairaient la pièce. Le papier qui tapissait les murs se déclinait en tons neutres, ni spécifiquement masculin, ni spécifiquement féminin.

Rose aurait aimé voir le club avant sa rénovation, de toute évidence réalisée dans le but d’offrir un équilibre entre ce qui pouvait conserver un attrait pour les hommes, et un agencement qui n’offenserait pas les femmes. La décoration était certainement plus décadente et beaucoup plus intéressante avant. Mais elle n’était pas venue pour admirer les passementeries. C’était plutôt l’âme du lieu et ceux qui le fréquentaient et dont dépendait son existence qui l’intéressaient.

En déambulant au milieu de la foule, tout en décochant de-ci de-là quelques sourires, elle semait à dessein la confusion dans l’esprit de ceux qu’elle saluait et qui ne manqueraient pas de chercher d’où ils la connaissaient. Certains jureraient même le lendemain l’avoir reconnue et soutiendraient être de vieilles connaissances. Aucun n’admettrait ne l’avoir jamais vue avant ce jour. Elle était passée maîtresse dans l’art de feindre être à sa place en tout lieu, et dans bien d’autres domaines aussi.

Elle pénétra dans le salon réservé aux dames qui deviendrait, après cette soirée, interdit aux gentlemen. Elle savait qu’elle ne serait pas amenée à fréquenter assidûment cette pièce, mais elle pourrait, de temps à autre, y nouer les bonnes relations.

— Bonjour.

Rose se tourna et découvrit une femme de petite taille aux cheveux acajou et aux yeux aussi noirs que l’âme de Satan qui la regardait d’un air méfiant. Une autre âme sœur, sans doute.

— Bonsoir, répondit Rose, impérieuse, comme si elle était la maîtresse de ces lieux.

Pour gagner à ce petit jeu, il fallait garder le contrôle en toutes circonstances, et à tout prix.

— Je ne pense pas que nous ayons été présentées, déclara-t-elle. Je m’appelle Rosalind Sharpe.

— Mademoiselle Minerva Dodger.

Ravalant sa surprise, Rose se contenta de hausser les sourcils.

— Vous êtes une denrée rare, ma chère ! Une femme non mariée et avec de l’argent.

— Pourquoi tirez-vous de telles conclusions ?

— Si j’ai bien compris, seuls les nobles et les riches ont été invités à cette soirée privée. Comme vous ne semblez pas appartenir à la noblesse, il ne vous reste plus que la richesse.

Mlle Dodger esquissa un léger sourire.

— Les invitations ont été envoyées avec parcimonie, c’est vrai, mais c’est mon père qui est riche. Sans compter qu’il est l’ancien propriétaire de cet établissement qui s’appelait alors le Dodger’s Drawing Room.

Bien sûr, elle aurait dû faire le lien, songea Rose. Elle se punirait plus tard pour cette faute. Une petite étourderie pouvait lui coûter cher et contrarier ses plans.

— Je suis sûre que c’est un homme intéressant. Il me tarde de le rencontrer.

Mlle Dodger balaya les alentours d’un œil nonchalant, même si Rose décelait chez elle une vivacité qui ne lui plaisait pas.

— Votre mari n’est pas loin, j’imagine ?

— Je suis veuve, répondit-elle.

Mlle Dodger posa une nouvelle fois les yeux sur elle. Dans la profondeur de son regard se lisait une réelle tristesse.

— Je suis terriblement désolée.

— Mon mari a été victime d’une attaque de tigre pendant que nous traversions la jungle, en Inde. Mais il est parti comme il a vécu, en aventurier. Cela me réconforte. Il aurait détesté mourir à un âge avancé, invalide dans un lit.

— Il vaut mieux en effet partir comme on le souhaite plutôt que d’y être forcé. Etes-vous fraîchement arrivée à Londres ? Je ne voudrais pas paraître indiscrète, mais il ne me semble pas connaître votre famille.

— Inutile de vous excuser, ma chère. Je ne suis ici que depuis quinze jours. C’est ma première sortie en ville.

— C’est très étonnant.

— Avant de partir en Inde, j’habitais dans le nord, une ville si petite que je préfère ne pas la nommer. Vous n’en avez certainement jamais entendu parler.

Aucun des endroits où elle avait vécu ne méritait d’être cité, et mieux valait ne pas laisser d’indices, au risque que quelqu’un retrace son périple.

— C’est mon avocat qui m’a obtenu cette invitation, expliqua-t-elle.

De cela, elle était sûre. Depuis qu’elle était entrée dans son bureau, Daniel Beckwith s’était plié en quatre pour répondre à ses attentes. Les veuves sur le point d’hériter de tous les biens de leur mari étaient rares et grandement appréciées. La description qu’elle lui avait donnée de son patrimoine avait de quoi laisser espérer à cet homme le gain d’une coquette somme d’argent, s’il l’aidait. Depuis, il faisait tout son possible pour la satisfaire.

— Je lui serai éternellement redevable, conclut-elle.

— Voulez-vous que je vous fasse visiter les lieux ?

— Je ne peux pas m’imposer à vous à ce point. En outre, j’ai moi aussi un côté un peu aventurier et je préfère partir seule en exploration.

— Très bien, dans ce cas, je vous laisse. Je vous souhaite de passer une agréable soirée.

— Oh ! mais je vais m’y efforcer !

Mlle Dodger prit alors congé, et Rose nota dans un coin de son esprit d’interroger Beckwith à propos du père de la jeune femme. Peut-être essaierait-elle de se lier d’amitié avec elle, même si cette dernière n’appartenait pas à la noblesse. Contrairement à la plupart des gens, elle s’intéressait plus à l’argent qu’aux titres. Comme le nouveau propriétaire du club avait ouvert son établissement aux roturiers, il devait, lui aussi, raisonner comme elle. Sage principe, dans la mesure où personne ne choisissait sa famille.

Elle ne le savait que trop bien !

Dans la salle à manger, une quantité fabuleuse de nourriture menaçait de faire plier les tréteaux sous son poids. Les invités, assis autour de tables rondes garnies de nappes en lin, se régalaient de ce festin. Les lumières étaient tamisées. Des bougies scintillaient au centre des tables. Cette pièce lui servirait de lieu de rendez-vous galant, décida-t-elle. Elle y dînerait le moment venu, entre autres choses.

Maintenant qu’on l’avait laissée entrer, elle comptait sur son habilité et sa ruse pour tirer profit de ce manque de jugement.

* * *

Dès que la femme en rouge était entrée dans le club comme si elle était la reine d’Angleterre en personne, elle avait attiré son attention. Ce qui était surprenant, car rien en elle n’était particulièrement fait pour attirer le regard.

A l’affût depuis son poste d’observation dans un coin sombre du balcon du Dodger’s… Il grogna. Non, il n’était plus au Dodger’s, mais aux Deux Dragons. Pourquoi diable Drake avait-il donc débaptisé ce temple du jeu vieux de plusieurs dizaines d’années ? Il n’avait d’ailleurs pas seulement changé son nom, mais presque toute la décoration. Avendale n’aimait pas le résultat. Pas le moins du monde ! Et tout particulièrement le fait que les femmes y soient admises, qu’elles puissent en devenir membres, et déambuler librement en ces lieux, exactement comme le faisait à cet instant cette femme.

Ses cheveux, relevés et retenus par des peignes en perles, étaient d’un blond soyeux. Ils n’avaient rien d’éclatant, d’explosif ou de spécifique. Sa coiffure aurait même dû l’aider à se fondre parmi les invités. Or, ce n’était pas le cas.

Tout reposait sur son allure. Sur la courbe élégante de son cou et sa manière de tenir ses fines épaules, comme si elles n’avaient jamais connu le moindre fardeau. Sur la façon dont sa robe épousait ses formes et donnait envie aux hommes de la suivre. Elle avait une très belle poitrine, parfaitement mise en valeur, qui détournait le regard de son visage pour l’attirer vers ses doux renflements. Le lendemain, au petit déjeuner, bon nombre de gentlemen ici présents se souviendraient de cette apparition en rouge, mais aucun ne serait en mesure de décrire avec précision les traits de son visage. En revanche, ils seraient capables de dessiner dans l’air, d’une main d’expert, sa silhouette.

Il connaissait la plupart des femmes de l’aristocratie. Mais pas elle, ce qui signifiait probablement qu’elle était l’une de ces riches roturières que Drake essayait d’attirer dans son club. Ou une Américaine. D’après ce qu’il savait, ils étaient tous riches comme Crésus. Et cette femme ne donnait pas l’impression d’être étrangère aux choses les plus raffinées de la vie.

Dans le salon, elle ne s’était entretenue qu’avec une seule personne, un valet de pied. Peu de temps après, elle s’était éclipsée quelques instants dans les pièces réservées aux dames. Il avait failli la suivre, la curiosité qu’elle lui inspirait le taraudait. Sans doute était-ce simplement le fruit de son ennui croissant. Son compagnon de débauche, le duc de Lovingdon, avait récemment épousé lady Grace Mabry, l’abandonnant à ses nuits de fêtes. Mais, tout bien réfléchi, il n’avait pas vraiment besoin d’un compagnon, puisqu’il avait des femmes à foison.

Pourtant, il trouvait parfois agréable d’avoir une conversation un tant soit peu intelligente avec une personne. Une personne qui appréciait ses plaisanteries salaces. Les femmes qu’il fréquentait avaient tendance à geindre, à soupirer et à lui susurrer des phrases coquines à l’oreille. Certes, il les appréciait, mais elles se ressemblaient tellement ! Oh ! leurs cheveux, leurs yeux et leur silhouette étaient différents, mais au fond, elles étaient toutes les mêmes. Excitantes quand elles étaient dans son lit, terriblement ennuyeuses en dehors.

Tout le contraire de cette femme en rouge qui n’avait rien d’ennuyeux.

Il savait qu’une partie de cartes très sélecte — et sans femmes — se jouait en bas. Il aurait dû y être. Il s’y rendait justement lorsqu’il avait décidé de jeter un coup d’œil sur les invités depuis l’alcôve, et qu’il l’avait aperçue.

Depuis cet instant, il était sous le charme. Même lorsqu’il ne la voyait pas, elle semblait l’attirer, alors qu’habituellement, avec les femmes c’était plutôt loin des yeux, loin du cœur.

Une attitude plutôt cavalière, il devait le reconnaître, mais il s’efforçait de partager son temps avec des femmes qui n’espéraient pas et ne souhaitaient pas qu’il se souvienne d’elles. Il évitait généralement celles qui avaient envahi le rez-de-chaussée, et qu’il ne croisait qu’à l’occasion de mariages ou de soirées comme celles-ci, fréquentées par des amis de sa famille. Il y faisait une courte apparition par convenance, pour ne pas être considéré comme un sauvage. Cela faisait plaisir à sa mère et lui permettait de lui donner de ses nouvelles.

Il l’avait aperçue un peu plus tôt avec sir William Graves, son deuxième mari. Son père avait été le premier. Une bien triste affaire…

Avendale relégua ces souvenirs dans un coin de son esprit. Il préférait ne pas les examiner de trop près. Mais la femme en rouge…

Il aurait beaucoup aimé inspecter en détail chaque partie de son corps.

* * *

Elle savait qu’on la regardait. Aux frissons qui lui parcouraient la peau, elle sentait un regard braqué sur elle. Le duvet, à l’arrière de sa nuque, s’était hérissé. Elle ne manifesta aucun signe de gêne mais, intérieurement, son cœur battait avec la rage d’un tambour de régiment avant la bataille.

Elle avait entendu quelqu’un parler d’un certain inspecteur de Scotland Yard qui rôdait dans les parages. Mais il était là en qualité d’invité, pas à sa recherche. Elle n’était pas à Londres depuis suffisamment longtemps pour éveiller les soupçons ou pour qu’on se doute que…

— Champagne ? demanda une voix grave derrière elle.

Elle aurait beaucoup aimé répondre oui, mais il fallait que son esprit reste alerte et concentré. Pivotant pour décliner l’offre du valet, elle fut prise de court.

L’homme qui lui tendait une flûte n’était pas un domestique. La noblesse, l’arrogance et les privilèges dus à son rang suintaient par tous ses pores, par toutes les coutures finement cousues et tous les fils des somptueux vêtements qui paraient son imposante carrure. Ses yeux noirs la détaillèrent ouvertement, et elle sentit de nouveau le duvet de sa nuque se dresser. C’était donc lui qui l’observait. Son regard était d’une intensité un peu troublante, et elle craignit soudain qu’il lise en elle comme dans un livre ouvert.

Pourtant, s’il avait eu ce don, il se serait empressé d’appeler cet inspecteur qui rôdait au lieu de lui offrir du champagne. Ses yeux n’auraient pas glissé sur son corps comme ils le faisaient en cet instant, cherchant à prendre la mesure de chacune de ses courbes, de chacune de ses dépressions, tout en imaginant comment elles pourraient remplir ses mains.

Si elle avait dû deviner son titre, elle aurait dit qu’il était duc. La puissance et l’influence étaient chez lui une deuxième peau. Elle pouvait fort bien se contenter d’un duc.

Elle lui décocha son sourire le plus enjôleur et le plus sensuel.

— Oui, merci. Je suis un peu déshydratée et j’apprécie les hommes capables de satisfaire mes désirs.

Elle enroula ses doigts gantés autour du pied de la flûte et s’assura d’effleurer les siens en s’y attardant quelques instants. Il écarquilla légèrement les yeux, et un coin de sa bouche pleine s’incurva presque imperceptiblement. Personne d’autre qu’elle ne l’aurait vu, mais elle s’était entraînée à remarquer les plus petits détails. Le corps et les expressions d’une personne en disaient plus long que les mots.

Elle tapa doucement son verre contre le sien.

— A une soirée intéressante !

Puis elle l’observa par-dessus le bord de sa flûte en y plongeant lentement les lèvres. Il l’imita, tout en la dévisageant. Jamais elle ne s’était sentie aussi intriguée par un gentleman. La plupart se contentait de flagorner, dès qu’ils avaient fait le premier pas et retenu son attention. Celui-ci se montrait plus prudent, plus observateur. Un véritable défi pour elle et, si elle ne s’était pas trompée sur son titre, elle serait plus qu’heureuse de le relever. Elle s’humidifia les lèvres et frémit de satisfaction en voyant les yeux bruns s’obscurcir. Il ne savait pas aussi bien qu’elle cacher ses émotions.

— N’est-il pas scandaleux pour un gentleman de s’approcher d’une dame qu’il ne connaît pas sans personne pour faire les présentations ? demanda-t-elle.

— Je suis une personne absolument scandaleuse.

— Dois-je m’en inquiéter ? Ma réputation est-elle en danger ?

— Tout dépend de votre réputation. Etant donné que vous êtes arrivée sans chaperon et sans escorte, je présume que votre réputation vous importe peu.

Il l’avait donc vue arriver et l’observait depuis un bon moment. Presque trois quarts d’heure. Et le fait d’avoir retenu son attention pendant si longtemps était un bon présage.

— Je suis veuve. Je n’ai pas besoin de chaperon.

— Mes condoléances pour cette perte, même si vous ne semblez plus porter le deuil.

Elle ne manqua pas de remarquer la façon dont son regard avait plongé vers le renflement de ses seins. Ils attiraient les hommes beaucoup plus que son visage, qui manquait de beauté. Un avantage, tout compte fait, car un homme qui tournait le regard vers son décolleté remarquait rarement la ruse qui brillait dans le sien.

— Cela fait deux ans maintenant. Nous explorions la jungle, en Inde, lorsqu’il a été attaqué par un tigre. Ce fut épouvantable.

Elle frémit ostensiblement, s’assurant de le distraire grâce au mouvement de sa poitrine. Les hommes étaient si simples à manipuler ! Elle aurait dû en avoir honte, mais elle avait appris depuis longtemps qu’il ne fallait pas montrer de scrupules quand sa survie était en jeu.

— Je n’ai pas beaucoup envie d’en parler, conclut-elle.

Elle but une autre gorgée de l’excellent champagne et fit légèrement trembler sa main.

— J’ai besoin d’un peu de distraction. J’ai été ravie de votre compagnie, mais j’aimerais visiter le salon des hommes. Si je comprends bien, après cette soirée, les dames n’y seront plus les bienvenues, et j’ai très envie de voir ce qui nous sera bientôt refusé.

— Je vais vous accompagner.

— Vous avez certainement une femme qui vous attend quelque part et qui n’apprécierait pas les attentions dont je suis l’objet.

— Pas de femme, pas de fiancée et pas de maîtresse. Je n’aime pas être attaché à une personne.

— Je ne peux pas vous en vouloir. Ayant déjà connu cet état, je ressens exactement le même sentiment.

Il lui offrit son bras.

— Dans ce cas, allons-y.

Elle posa la main au creux de son coude, aussitôt récompensée par la fermeté de ses muscles. Cet homme n’avait rien d’un oisif. Sa propre tête atteignait à peine son épaule. Il la dominait de sa carrure large et imposante. Mais même s’il lui était arrivé aux genoux, il aurait encore dominé son entourage. Jamais elle n’avait rencontré un homme qui dégageait autant d’autorité et de supériorité.

Tandis qu’il avançait à grandes enjambées — car il ne pouvait qu’avancer avec assurance —, il salua quelques personnes qui lui renvoyèrent son salut avec déférence.

— Votre Excellence.

— Avendale.

— Monsieur le duc.

Ainsi, elle ne s’était pas trompée sur son titre. Il devait également en posséder de moins importants, avec les propriétés qui les accompagnaient. A combien s’élevait sa fortune ? A voir la coupe impeccable de sa queue-de-pie, de son pantalon et de son gilet, ainsi que la précieuse épingle accrochée à sa cravate, il devait être à la tête d’un patrimoine digne d’un prince.

Ils arrivèrent bientôt dans une pièce beaucoup plus sombre que toutes celles qu’elle avait vues. Les murs étaient recouverts d’un papier bordeaux et vert foncé, en parfaite harmonie avec le mobilier. Sur l’un d’eux, une immense cheminée dominait l’un des espaces aménagés pour la détente. Des vitrines exposaient toutes sortes d’alcools, et des valets en livrée versaient un liquide ambré dans des verres.

Elle finit son champagne et posa la flûte sur le plateau d’un valet qui passait par là. L’homme à côté d’elle — Avendale — l’imita. Le voir à ce point dans son élément la dérangeait. Il était manifestement fait pour la débauche. Il y paraissait si parfaitement à son aise, capable de s’épanouir aussi bien ici que dans une chambre à coucher. De cela, elle en était certaine. Même dans l’ombre, on ne pouvait que le remarquer, rôdant autour d’elle, conquérant chaque partie de la nuit, la conquérant, elle. Et elle n’émettrait même pas un gémissement de protestation !

— Désirez-vous quelque chose de plus sombre ? demanda-t-il.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire carnassier et, l’espace d’un instant, elle craignit qu’il lise dans ses pensées. Un frisson s’empara d’elle avant qu’elle comprenne le sens réel de la question. Il avait réussi à la distraire. D’ordinaire, elle gardait la tête froide avec les hommes, même avec les plus séduisants. Peut-être accordait-elle à celui-ci trop d’importance, ou bien avait-elle bu trop vite son champagne, au point que son esprit en ait été un instant obscurci.

— Est-ce permis ? demanda-t-elle d’un air innocent.

— Oui, c’est d’ailleurs l’objectif de Darling. Ouvrir toutes les portes du vice et de la débauche aux dames. Mais ne serait-ce pas beaucoup plus amusant, si cela n’était pas permis ?

Il soutint son regard et, soudain, elle ne fut plus certaine qu’il lui parlait d’alcool. Les choses interdites étaient en effet beaucoup plus amusantes. Elles avaient beaucoup plus d’attrait. Comment savait-il que c’était ce qu’elle préférait ? Ce dont elle se délectait le plus ? Bientôt, beaucoup de dames se demanderaient pourquoi ce club avait autant fait parler de lui maintenant qu’elles étaient autorisées à pousser ses portes quand elles le voulaient.

— Ai-je entendu parler de moi derrière mon dos ? demanda un homme à la voix grave.

Rose tourna les talons et tomba nez à nez avec le gentleman qu’elle avait vu un peu plus tôt embrasser une femme sur la piste de danse. Cette dernière affichait à présent un sourire radieux, tout en se collant de manière indécente contre lui. Mais dans un endroit comme celui-ci, rien ne devait être complètement indécent. C’était d’ailleurs sa vocation.

— J’ai commencé à parler dans votre dos dès l’instant où vous avez émis cette horrible idée d’autoriser les dames dans notre sanctuaire, répliqua Avendale d’un air ouvertement mécontent.

— Et pourtant je vous vois déambuler avec l’une de ces dames. Voulez-vous nous présenter ?

— Je crains que nous ne l’ayons pas encore été nous-mêmes, reprit Avendale, braquant son regard sur elle. Les noms n’ont aucune importance pour moi.

Ainsi, son intérêt pour elle n’était qu’éphémère et se résumerait peut-être à cette seule soirée ? A peine un rendez-vous galant, une aventure. Elle se sentait suffisamment offensée pour en prendre ombrage, mais pas assez pour ne pas se sentir également flattée. En revanche, elle avait appris à ne pas montrer ses émotions. Elle lui ferait payer plus tard son arrogance. Oh ! pour ça, oui, il allait payer ! Elle avait hâte de voir arriver ce moment, mais prendre son temps ne ferait qu’augmenter son plaisir.

— Toutes mes excuses, monsieur Darling, dit-elle d’une voix douce. Je m’appelle Rosalind Sharpe.

Surpris, Darling haussa ses sourcils noirs.

— Vous savez qui je suis ?

— Vous m’avez envoyé une invitation. J’ai mené mon enquête après mon arrivée, et une personne vous a désigné. J’avais prévu de faire aussitôt votre connaissance, mais vous sembliez occupé.

Elle sourit et fit tout son possible pour rougir en se tournant vers la femme.

— Oui, c’est vrai, reconnut-il.

— Après le spectacle que vous avez donné, vous avez conscience qu’il vous faut épouser lady Ophelia, souligna Avendale.

Rose s’efforça de cacher sa surprise en découvrant qu’un roturier s’apprêtait épouser une noble.

— Je le ferai avec grand plaisir. Mais je ne voudrais pas me montrer impoli. Lady Ophelia Lyttleton, permettez-moi de vous présenter Mme Rosalind Sharpe.

— Enchantée, dit lady Ophelia.

— Tout le plaisir est pour moi, milady. J’espère que nous aurons l’occasion de mieux nous connaître. Cet endroit me fascine. Je pense que je vais y passer du temps.

— Je suis sûre d’y faire quelques apparitions mais, dans l’immédiat, je vais être extrêmement occupée à organiser notre mariage.

Lady Ophelia leva vers Drake Darling des yeux pleins d’adoration, et Rose en ressentit un pincement de jalousie. Mais l’amour n’était pas pour elle, elle ne le savait que trop bien.

— Si vous voulez bien nous excuser, poursuivit Darling, nous allons continuer notre tour.

Le couple s’éloigna bras dessus, bras dessous.

— En voilà encore un qui a succombé, commenta Avendale d’un air sinistre.

Rose se tourna vers lui.

— On dirait que vous êtes amis, ce qui me surprend. C’est un roturier et si j’en crois la manière dont les personnes que nous avons croisées vous ont salué, vous êtes duc.

Il haussa les épaules.

— Nos familles se connaissent depuis longtemps et partagent une grande amitié.

— Ce qui est encore plus étonnant.

— Ma famille est composée d’un mélange de roturiers et de nobles, mais son histoire est beaucoup trop compliquée pour l’expliquer en quelques mots. Et je ne suis pas d’humeur à parler, mais plutôt à boire.

Il attrapa au passage deux verres contenant un liquide ambré et lui en offrit un.

— Quelque chose de plus sombre que le champagne.

— Merci, dit-elle, avant de boire une petite gorgée. Ce brandy est excellent.

— Oh ? Je vois que vous aimez les bonnes choses…

— Mais certainement !

Elle balaya la pièce du regard.

— C’est donc ici que les hommes boivent, fument, lisent et bavardent entre eux, continua-t-elle. Où jouent-ils aux cartes, lorsqu’ils ne veulent plus être aussi civilisés ?

Avendale désigna le fond de la pièce.

— Cette porte conduit à une autre pièce où ils peuvent parier tout leur soûl, sans que les dames puissent voir à quel point ils sont horribles quand ils jouent, et combien ils sont capables de perdre sans ciller.

— Vous ne m’apparaissez pas comme un homme qui perd.

— Inutile de me flatter, madame Sharpe, vous avez déjà retenu mon attention.

— Mais pendant combien de temps sans vous flatter ?

Il rit doucement.

— Jusqu’à ce que cela m’ennuie. Et les flatteries m’ennuient.

— Eh bien, sans plus de cérémonie, j’aimerais terminer ma visite. Vous pouvez m’accompagner ou non. Cela m’est égal.

Elle pouvait se montrer aussi froide et distante que nécessaire. Elle appréciait qu’il ne cherche pas à être adulé, tout en se sentant un peu déstabilisée. Elle n’avait encore jamais rencontré d’homme insensible à la flatterie.

Il lui montra la salle de jeux réservée aux hommes. L’atmosphère y était sombre et pesante, comme dans le salon. Très masculine. Elle transpirait le pouvoir et la richesse. Rose aurait aimé être une petite souris pour voir ce qui s’y passait en temps ordinaire.

Il échangea avec elle quelques mots, avant de la raccompagner dans le salon. Il avait sa façon à lui de communiquer. Par une légère pression sur son coude, dans le bas de son dos, sur son épaule. Ses caresses étaient légères et furtives, mais réalisées d’une main possessive. L’homme n’était pas complètement insensible à ses charmes. Il s’efforçait simplement de ne pas trop y succomber.

— Dansez avec moi, dit-il.

Sa demande la surprit, et Rose se morigéna intérieurement de s’être laissée prendre de court quelques instants.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je ne pensais pas que vous aimiez danser.

— D’ordinaire, je ne danse pas, mais ma mère a dépensé des fortunes pour que j’apprenne. Il faut bien que je mette mes cours en pratique de temps en temps. Préférez-vous danser ici ou dans la salle de bal ?

— Il existe une autre pièce pour danser ? Je dois être passée à côté.

— Quelque chose me dit que vous n’avez pas raté grand-chose.

Et lui non plus. L’espace d’une seconde, elle songea à s’excuser et à partir sur-le-champ, avant que les choses aillent trop loin, avant que ce soit elle qui succombe à son charme et n’ait plus les idées claires, mais cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas été intriguée par un homme. Or, celui-ci était mystérieux. A la manière dont les gens s’arrêtaient pour lui parler, elle avait compris qu’il n’était pas connu pour s’intéresser à leurs affaires, ni s’épancher sur les siennes. Elle pouvait tirer profit de cette propension à la discrétion.

— J’aimerais voir cette salle de bal, dit-elle.

— Si je dois aller aussi loin pour une danse, je mérite d’en avoir deux.

— Cela serait plutôt scandaleux, vous ne trouvez pas ?

— Vous avez passé l’âge de rougir, et je suis certain que le scandale vous va très bien.

— En toute honnêteté, j’essaie de l’éviter, mais cela fait une éternité que je n’ai pas dansé. Depuis la mort de mon mari.

Lui prenant le bras, elle lui adressa un sourire censé le charmer et lui donner l’impression qu’il était le seul homme de cette pièce à mériter son attention.

— Je vous suis, ajouta-t-elle.

En arpentant pièces et couloirs, elle surprit sur elle plusieurs regards étonnés, plusieurs sourcils dressés. Certes, elle devait attirer l’attention, mais pas trop. Il était toujours préférable qu’une femme laisse planer autour d’elle un air de mystère.

La salle de bal était magnifique avec ses lustres qui scintillaient et ses murs recouverts de miroirs. Une estrade accueillait un orchestre d’au moins douze musiciens. Des lis diffusaient leur parfum dans l’air. Oh ! oui, le temple de Drake Darling offrait le lieu parfait pour que les riches roturiers se mélangent à la noblesse. Quel homme intelligent ! Il avait su réunir tout ce qu’elle recherchait en un même endroit. Elle lui enverrait un petit mot de remerciement, le moment venu.

— Vous paraissez impressionnée, dit Avendale.

— J’aime l’élégance.

Il était important qu’elle se souvienne du moindre détail. Elle serait criblée de questions, lorsqu’elle rentrerait chez elle.

— Il faudra que je décore ma salle de bal dans le même esprit. Elle a besoin d’être agencée avec plus de style.

— Vous avez une salle de bal ?

La surprise perçait dans sa voix.

— Mon mari, béni soit-il, m’a laissée à la tête d’une petite fortune. Je vous aurais cru assez intelligent pour comprendre que j’étais une femme riche et indépendante. Comment aurais-je pu me procurer une invitation, sinon ?

— C’est vrai. Je n’y avais pas pensé. J’ai oublié que Darling avait certaines exigences concernant ses membres. Au moins, elles éloigneront la populace.

Il désigna d’un signe de tête le centre de la piste.

— Voulez-vous danser ?

— Absolument, j’en serais ravie.

Avec une douceur qui lui chavira le cœur, il l’entraîna parmi la foule des danseurs. Elle comprit une seconde trop tard que valser avec lui était une erreur. Il la serrait d’un peu trop près, un peu trop fermement. Oui, elle voyait bien le danger à présent. C’était un homme habitué à obtenir ce qu’il voulait.

Son regard noir ne quitta jamais le sien, et elle avait une conscience aiguë qu’il l’observait. Chaque mèche de ses cheveux, chaque cil, chaque rougeur sur ses joues. Ce qui n’était que justice, car elle aussi l’examinait attentivement. Aucune mèche de ses cheveux bruns n’était décoiffée. Parfois, en fonction de l’éclairage, elle apercevait quelques reflets cuivrés, mais le noir dominait. Comme il devait dominer tous les aspects de sa vie.

Rien en lui ne paraissait léger ou désinvolte. Tout était intense. Pendant que les autres bavardaient et souriaient à leurs partenaires, il se contentait d’étudier chacune de ses lignes et de ses courbes. D’après ce qu’elle avait vu, il préférait les courbes. Elle y était habituée. Sa poitrine était son plus bel atout, et elle faisait beaucoup d’efforts pour la mettre en valeur. Elle avait depuis longtemps abandonné le voile de la timidité.

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** Extrait offert par Lorraine Heath **

Prologue

EXTRAIT DU JOURNAL DU DUC D’AVENDALE

Un sombre secret a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui… Avec cela, tout est dit.

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