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** Extrait offert par Lorraine Heath **

Chapitre 1

Londres, 1874

Parfois, Ophelia éprouvait un certain dégoût pour les autres femmes. C’était hélas ce sentiment qui, de nouveau, s’imposait ce soir. Les jeunes filles — tout comme les vieilles dames, du reste — n’hésitaient pas à se donner en spectacle, rivalisant pour attirer l’attention de Drake Darling, l’un des invités les plus en vue du bal.

Drake Darling, directeur du cercle de jeu préféré des aristocrates, fréquentait peu les réceptions organisées par la haute société mais, en tant que frère adoptif de la mariée, il n’aurait en aucun cas pu éviter cette soirée, destinée à célébrer le mariage de lady Grace Mabry avec le duc de Lovingdon. S’il avait été élevé au sein de la famille de Grace, il n’avait cependant aucun lien de parenté avec elle. Il n’était ni un lointain cousin, ni un neveu dont on avait longtemps perdu les parents de vue. Il était né bien loin de la noblesse. Cet individu n’avait pas une goutte de sang bleu !

Mais, curieusement, les femmes qui se précipitaient autour de lui en riant sottement et en agitant devant ses yeux leur carnet de bal semblaient avoir oublié ce petit détail. Il n’avait pourtant pas le pouvoir de les faire monter dans l’échelle sociale. Il n’aurait aucun titre à transmettre à son fils aîné. Il ne siégerait jamais à la Chambre des lords.

Il n’était bon qu’à une seule chose : faire fondre les cœurs. C’était son sourire. La forme sublime que prenaient ses lèvres quand elles s’entrouvraient, la façon incroyablement sensuelle qu’il avait de hausser le coin droit de la bouche, faisant apparaître une fossette qui trahissait sa malice.

C’étaient ses yeux. Aussi noirs que la nuit. Leur manière de pétiller donnait aux femmes l’impression qu’il avait non seulement le pouvoir de deviner leur vœu le plus cher, mais aussi de le réaliser d’une façon qui dépasserait de loin leurs attentes.

C’étaient ses cheveux, d’un brun si foncé que leur teinte semblait presque bleutée sous la lumière des lampes à gaz. L’allure rebelle que lui conféraient sa coupe un peu longue et l’insistance avec laquelle ses boucles venaient caresser le col de sa veste bleue donnait envie aux mains les plus audacieuses de s’y glisser.

C’étaient la largeur de ses épaules et la puissance de son torse, qui semblaient promettre le réconfort à celle qui reposerait la tête contre lui, sa stature, qui lui faisait dépasser d’une demi-tête la plupart des hommes présents dans le salon.

C’était son rire, l’aisance avec laquelle il l’offrait à une femme puis à l’autre. Sa façon de les saluer avec courtoisie, son incroyable sollicitude, l’air séducteur avec lequel il inclinait la tête pour mieux entendre ce qu’elles lui disaient et pour leur parler au creux de l’oreille.

Il les rendait folles amoureuses de lui. Tout naturellement. Sans effort et sans se soucier des conséquences.

Ophelia le détestait pour cela. La plupart de ces femmes n’hésitaient pas à le suivre dans les jardins où il les embrassait avec une fougue insensée. Elle l’avait surpris un jour avec une jeune domestique du domaine ducal. Elle avait vu cette petite femme de chambre, cachée avec lui derrière les écuries, se cramponnant à lui pour capturer tout ce que sa bouche virile avait à offrir. Elle-même avait alors huit ans, et ce spectacle l’avait dégoûtée. Elle savait déjà que c’était mal, immoral. Elle ne pensait pas qu’ils l’avaient vue, mais en s’enfuyant, elle avait entendu son rire grave et s’était mise à courir encore plus vite. C’est alors qu’elle avait compris qui il était. Elle savait qu’il ne faisait aucun cas de la réputation d’une femme.

Ce soir, d’ailleurs, il avait déjà dansé avec plus d’une dizaine de cavalières différentes.

Non qu’elle ait eu le loisir de les compter ! Ophelia avait été bien trop accaparée par les comtes, vicomtes, marquis et ducs qui l’avaient sollicitée. Des hommes qui possédaient un titre de courtoisie en attendant de recevoir l’héritage de leur père, et d’autres qui avaient déjà accédé au rang qui leur était destiné. Pas des imposteurs comme ce Darling. Elle n’avait pas l’intention de se démener pour attirer son attention, contrairement à ces jeunes idiotes qui se précipitaient à chaque fois qu’il quittait la piste de danse, ou qu’il revenait du buffet où il était allé chercher un rafraîchissement pour une demoiselle en pâmoison. Il jouait à merveille le rôle du galant, c’était indéniable. Il leur faisait oublier à toutes d’où il venait et ce qu’il était : un homme du peuple.

— Se rendent-elle compte à quel point elles se ridiculisent en adulant ce Darling ? marmonna-t-elle.

Debout à côté d’elle, Minerva Dodger tressaillit.

— Il me paraît difficile de les juger. Cet homme est une curiosité. Je ne crois pas qu’il ait assisté à une seule réception depuis le premier bal de Grace.

Ce soir-là, il avait eu l’audace de l’inviter à danser, mais elle avait refusé. Elle avait pour devoir de respecter son rang et les codes de son milieu, son père le lui avait assez répété ! Leur ancêtre n’était autre que Guillaume le Conquérant. Venant d’une telle lignée, elle n’avait pas le droit de danser avec les hommes entrés dans l’aristocratie sur le tard, pas davantage avec leurs fils. Elle avait la responsabilité de faire honneur à son père et à ses ascendants en respectant la tradition de la noblesse et en faisant un bon mariage. Si elle ne respectait pas les règles, sa dot considérable serait confisquée, et avec elle l’espoir de bonheur qu’elle pouvait encore entretenir. Son avenir ne dépendait que d’une chose : la fortune qui lui était promise et qui aurait le pouvoir de lui offrir ce dont elle rêvait depuis toujours : la liberté.

— C’est un roturier, rappela-t-elle à son amie.

Minerva la regarda avec curiosité.

— Tout comme moi, lui rappela-t-elle.

— Ta mère est issue d’une grande famille.

— Mais mon père vient de la rue.

C’était aussi l’un des hommes les plus fortunés qu’Ophelia connaissait.

— C’est différent, ton père s’est battu pour devenir quelqu’un, dit-elle pour rattraper sa maladresse.

— Ne pourrait-on pas en dire autant de Drake ?

— Je ne sais pas… Un homme peut-il vraiment échapper à son passé ?

— Ne sois pas injuste ! Tu ne peux pas priver Drake du mérite que tu attribues à mon père.

Mais si, elle le pouvait ! Et elle le faisait sans hésiter. Son propre père était un homme d’une moralité exemplaire. Depuis sa mort, elle se désolait de voir son frère s’écarter du droit chemin en allant trop souvent boire, le soir, et perdre son argent au jeu. Mais elle tiendrait bon, elle était déterminée à honorer l’éducation qu’ils avaient reçue. Le péché la suivait à la trace, et si elle ne restait pas vigilante, elle risquait fort de se laisser sombrer, elle aussi. Elle n’avait révélé à personne l’affreuse vérité la concernant… Son père aurait été terriblement déçu, s’il l’avait apprise ! Il l’aurait sans doute privée de dot, et laissée livrée à elle-même, condamnée à subsister par ses propres moyens.

— Mon père est entièrement satisfait de la façon dont Drake dirige le Dodger’s Drawing Room, insista Minerva, mentionnant sans ciller le scandaleux cercle de jeux qui portait le nom de son père. Et, Drake ayant été élevé par le duc et la duchesse de Greystone qui le chérissent autant que leurs autres fils, je crois pouvoir dire qu’il aurait très bien pu se passer de travailler, s’il l’avait souhaité. De mon point de vue, il suscite plutôt l’admiration.

Ophelia savait qu’elle avait eu tort de partager ses impressions sur Drake Darling avec Minerva. Elle semblait être la seule à le voir tel qu’il était réellement : un imposteur qui évoluait dans un milieu qui n’était pas le sien. Il n’avait rien d’un gentleman. Au contraire, il encourageait les hommes au péché et s’amusait à séduire les dames avec son sourire diabolique.

— En tout cas, ajouta Minerva avec un air pensif, il semble avoir le pouvoir de réveiller les pires sentiments qui sommeillent en toi. C’est une chose que je n’ai jamais comprise.

— Ne dis pas de bêtises ! Il me laisse complètement indifférente.

— Ne sommes-nous pas en train de parler de lui ?

— Non, en réalité, je parlais de l’attitude inappropriée des dames qui l’entourent, et de la mauvaise image qu’elles donnent de notre sexe.

— Mon père m’a toujours dit que nous n’étions pas le reflet du comportement des autres. Seulement de notre propre façon d’être.

Sauf quand leur comportement nous touche…

Chassant cette pensée de son esprit, Ophelia se garda cette fois de répliquer. Au fond, elle savait que Minerva avait raison. Darling faisait ressortir les aspects les plus durs et les plus amers de sa personnalité, et ce depuis toujours. Le péché appelait le péché.

Le matin même, elle avait attisé la jalousie de toutes les femmes de Londres en descendant l’allée centrale de Saint-George au bras de cet homme, à l’issue de la cérémonie de mariage de Grace et Lovingdon. Si elle s’était retrouvée dans cette situation, c’était seulement parce que Grace l’avait choisie comme demoiselle d’honneur et que Darling avait été le témoin de Lovingdon. Mais en marchant de l’autel à la sortie de l’église, elle n’avait pas prononcé un mot, et il l’avait pour ainsi dire ignorée. Il ne lui avait pas adressé son fameux sourire. Ses yeux n’avaient pas brillé pour elle. Elle avait senti que, tout comme elle, il n’avait supporté ce moment que par obligation et dévouement envers son ami…

A présent, les femmes dansaient avec ce débauché tandis qu’il les attirait gaiement vers la tentation. Il était temps que quelqu’un mette un terme à cette comédie, que quelqu’un leur rappelle — ainsi qu’à lui — la place qui était la sienne au sein de leur communauté.

* * *

Si Drake se trouvait à cet endroit en cet instant, c’était uniquement par obligation. Un homme devait parfois faire des concessions, et cette soirée au cœur de la bonne société londonienne en était une. On n’obtenait pas toujours ce que l’on souhaitait, ni même ce que l’on méritait.

Appliquant à la lettre ce qu’il avait appris au cours de ces longues années passées dans son milieu d’adoption, Drake s’efforçait de faire illusion. De faire comme s’il était enchanté d’être le centre d’attention, alors qu’il préférait pourtant mille fois l’ombre à l’éclat des salles de bal. Il n’était jamais aussi à l’aise que quand nul ne le voyait, mais cela ne l’empêchait pas de se faire caméléon. Il savait se fondre n’importe où, y compris dans un décor composé de grands miroirs, de lustres à gaz et des personnages les plus éminents de l’aristocratie.

Il y avait tout de même une chose qu’il ne feignait pas : c’était le bonheur qu’il éprouvait en regardant Grace et Lovingdon. Même s’ils n’étaient pas du même sang, il considérait Grace comme sa sœur. Quant à Lovingdon, c’était un ami de longue date. Il avait été son confident, et son compagnon de débauche. Jusqu’au jour où Grace avait conquis son cœur.

Voilà pourquoi il n’avait pas envisagé une seconde de ne pas assister à leur mariage. Quelques minutes plus tôt, il avait aperçu l’heureux couple s’échappant de la salle de bal. La tradition voulait que les jeunes mariés ne participent pas au bal donné en leur honneur, mais Grace n’avait jamais été prisonnière des conventions. Elle avait tenu à danser une dernière fois avec son père. Les membres de sa famille étaient pour l’instant les seuls à le savoir, mais la vue du duc de Greystone déclinait de jour en jour. C’était aussi pour lui qu’il était présent aujourd’hui. Pour lui et pour la duchesse, qui, tous deux, lui avaient offert un foyer et à qui il devait tout. Il se devait d’être présent aujourd’hui, et pour cette raison, il faisait le nécessaire pour ne pas montrer aux six jeunes femmes qui l’entouraient son désir infini de se trouver autre part. Il avait pour règle de s’assurer que ses bienfaiteurs ne regrettent pas de l’avoir accueilli au sein de leur famille.

Elles étaient bien trop jeunes, ces demoiselles qui lui souriaient et levaient les yeux vers lui en battant des cils… Même celles qui avaient dépassé les vingt-cinq ans étaient beaucoup trop innocentes à son goût. Elles étaient toutes légères et désinvoltes, comme si elles n’avaient jamais eu le moindre fardeau à porter. Comme si la vie ne représentait rien de plus pour elles qu’un amusement perpétuel. Or, il aimait les femmes qui offraient une saveur plus forte, plus acide, plus épicée.

— Garçon !

A l’exception de celle qui venait d’arriver, précisa-t-il mentalement. Il n’avait décidément aucun penchant pour lady Ophelia Lyttleton, aussi acide soit-elle. L’arrogance qu’il y avait dans cette voix, lorsqu’elle s’adressait à lui comme un vulgaire domestique, le rendait fou de rage. Il aurait dû se douter qu’il n’échapperait pas à son attention la soirée entière. Comment Grace avait-elle pu faire de lady Ophelia l’une de ses plus chères amies ? Malgré tous ses efforts, il était incapable de comprendre l’affection que sa sœur de cœur, l’être le plus doux, le plus gentil qu’il ait jamais rencontré, portait à une demoiselle aussi hautaine et prétentieuse. Certes, Grace ne manquait pas de tempérament, mais il n’y avait pas une once de méchanceté en elle, contrairement à lady Ophelia, qui venait encore de donner la preuve de son mauvais fond.

Les jeunes filles qui l’entouraient clignèrent des yeux avec stupeur et se turent brusquement. Soucieux de leur présence et désireux de se comporter en gentleman, il décida de ne pas ignorer lady Ophelia. Il se préparait cependant à payer le prix de la générosité dont il allait faire preuve. C’était une habitude qu’il avait prise. Cette femme ne manquait jamais de lui lancer des piques acerbes.

Lentement, il se retourna et la scruta d’un œil interrogateur. En dépit de sa petite taille, elle parvint aussitôt à lui donner l’impression que c’était elle qui le regardait de haut. A cause de son nez long, fin et mutin, à peine retroussé. A chaque fois qu’il l’avait croisée chez Grace, elle avait trouvé le moyen de l’irriter. Naturellement, elle prenait soin de s’en prendre à lui uniquement quand Grace se trouvait assez loin pour ne pas être témoin de ses impertinences. Il savait que cette dernière aurait souffert d’apprendre qu’il ne s’entendait pas avec son amie et il l’aimait trop pour lui faire de la peine. Voilà pourquoi il supportait les humiliations de lady Ophelia, convaincu qu’il faisait preuve de supériorité morale tandis qu’elle pataugeait honteusement dans la boue.

Il lui paraissait insensé qu’une femme soit à la fois aussi belle et aussi odieuse. Ses yeux verts en amande, avec leur forme exotique, étaient animés d’une telle sévérité qu’ils pourraient bien transpercer son âme s’il ne se tenait pas sur ses gardes. Bien qu’il soit de douze ans son aîné, elle avait appris, en accédant à l’âge adulte, l’art de le rabaisser, au point qu’il se sentait de nouveau comme un gamin de la rue dont la place était le caniveau. Bien sûr, elle n’était pas la seule à le mépriser parmi les membres de l’aristocratie. Mais quand c’était elle qui s’amusait à blesser son orgueil, cela le contrariait tout particulièrement.

— Garçon ! répéta-t-elle d’un ton plus arrogant encore. Pouvez-vous aller me chercher du champagne ? Et je vous prie de ne pas me faire attendre.

Comme s’il était un valet, comme s’il était là uniquement pour la servir ! Non qu’il méprise les membres du personnel, bien au contraire. Leur tâche était plus noble et leur talent infiniment supérieur à ce dont lady Ophelia ferait jamais preuve. Elle qu’il imaginait aisément dégustant des chocolats au lit en lisant un livre sans se soucier des gens qui se démenaient autour d’elle pour lui apporter tout le confort qu’elle exigeait.

Il envisagea un instant de lui répondre qu’elle pouvait aller chercher son champagne elle-même, mais il savait que c’était précisément ce qu’elle attendait de lui. Elle considérerait cette remarque comme une victoire. S’il répondait à sa provocation et l’insultait en public, elle aurait réussi à montrer qu’il n’avait rien d’un gentleman. Comme s’il risquait d’oublier d’où il venait ! Il avait beau prendre un bain chaque soir et se frotter vigoureusement tout le corps, il ne parvenait pas à faire disparaître le sombre passé qui lui collait à la peau. Ses parents adoptifs l’avaient accueilli, ainsi que leurs enfants et leurs amis, mais cela n’effaçait pas ses origines. S’il racontait à lady Ophelia les détails de son enfance, elle pâlirait sûrement d’horreur et ses cheveux aussi clairs et lumineux que des rayons de lune se dresseraient sur sa tête.

En regardant les demoiselles qui l’entouraient, il devina la tension qu’elles ressentaient. Elles semblaient même attendre le moment où lui, le garçon de la rue, allait remettre lady Ophelia à sa place. Il n’avait jamais compris la méchanceté dont les femmes pouvaient faire preuve entre elles. Grace avait souvent suscité la jalousie en raison de sa dot considérable qui avait amené les hommes à se battre pour elle. S’il avait beaucoup de choses à reprocher à lady O, il devait reconnaître qu’elle était toujours restée loyale envers Grace. Elle avait joué à merveille le rôle de confidente, et il savait combien son amitié était précieuse aux yeux de sa sœur. Pour cette raison, elle ne méritait pas qu’il la rabaisse en public.

Il inclina légèrement la tête, et dit avec une déférence exagérée :

— Je ferai selon vos désirs, lady Ophelia. Mesdames, ajouta-t-il en se tournant vers les autres, je n’en ai que pour un instant. Nous pourrons bientôt reprendre notre conversation sur les parfums les plus séduisants.

Au fil de leur discussion, elles avaient imaginé un petit jeu qui consistait à lui faire deviner de quelle fleur était fait leur parfum. Ce passe-temps l’amenait à se pencher vers elles pour en humer les fragrances au creux de leur cou, ce qui ne manquait pas de les faire soupirer d’émoi.

Lady Ophelia portait sur elle un parfum incroyablement séducteur, dont la dominante — une entêtante note d’orchidée — semblait promettre un voyage vers les plaisirs interdits. Il avait fait tout son possible pour ne pas se laisser troubler, en vain. Pourquoi, parmi toutes les femmes qu’il côtoyait, fallait-il qu’elle soit la seule à éveiller sa curiosité ? Peut-être était-ce à cause du défi qu’elle semblait lancer aux hommes, à cause des murs qu’elle avait élevés tout autour d’elle et que seul le plus agile parviendrait à franchir pour découvrir le trésor caché de l’autre côté. D’ordinaire, il n’avait besoin que de quelques minutes pour sonder les gens et connaître le fond de leur pensée. Mais il avait beau fréquenter lady Ophelia depuis des années, il demeurait incapable de définir qui elle était vraiment, sous le masque de froideur qu’elle s’était créé.

Tournant les talons, il se dirigea vers le buffet où étaient servis le champagne et divers rafraîchissements. Il sentait derrière lui son regard perçant qui ne le quittait pas. S’il se retournait, il risquait fort de la surprendre en train de parler à voix basse avec les autres jeunes femmes pour les mettre en garde contre lui. Sans doute n’était-elle pas consciente du service qu’elle lui rendrait en lui permettant d’avoir enfin la paix. Il était engagé pour trois autres danses, et il n’était pas question qu’il déçoive ses cavalières en rejoignant la salle de jeux sans avoir rempli ses obligations. Il n’avait pas non plus l’intention d’accorder à lady Ophelia la satisfaction de lui gâcher la soirée en l’envoyant faire ses commissions. Un verre était tout ce qu’elle obtiendrait de lui.

Il regrettait encore le soir où, deux ans plus tôt, lors du bal donné par Grace pour son entrée dans le monde, il l’avait invitée à danser. Sans doute n’avait-il pu résister à la tentation en voyant la ravissante jeune femme qu’elle était devenue. Et comme c’était l’amie de sa sœur, il avait ressenti le devoir de respecter les convenances. Lady O l’avait souvent regardé de haut, par le passé, mais il avait pensé qu’en atteignant l’âge adulte elle aurait abandonné cette attitude immature. Il n’aurait pu se tromper davantage ! Prenant un air horrifié, elle lui avait tourné le dos sans même répondre à son invitation. Elle l’avait humilié en public, sans aucun scrupule.

Après avoir pris une flûte sur le buffet, il revint vers le groupe et découvrit sans surprise qu’elle s’était éloignée. Il hésita à boire lui-même le luxueux breuvage, mais un whisky bien fort le tentait davantage. C’est alors qu’il entendit son rire séducteur. Comment diable une femme aussi glaciale pouvait-elle posséder ce rire rauque et sensuel, aussi envoûtant que le chant des sirènes ?

Furieux contre lui-même, il s’efforça d’étouffer le trouble insensé qu’elle lui inspirait avant de se retourner pour l’observer. Elle était en train de flirter de façon outrancière avec le duc d’Avendale et le vicomte de Langdon, tous deux gentlemen issus de familles puissantes et fortunées. Il ne fut pas étonné de voir deux autres jeunes femmes se joindre à leur groupe. Ces hommes étaient très courtisés, mais tout comme lui-même, ils évitaient soigneusement de s’engager dans une relation. Le mariage ne faisait pas plus partie de leurs projets que des siens. S’ils étaient présents ce soir, c’était seulement par amitié pour Grace et Lovingdon. Et maintenant que les jeunes mariés s’étaient éclipsés, il soupçonnait Avendale et Langdon d’être sur le point de se sauver pour aller s’amuser ailleurs.

Et contrairement à lady O, ils ne manqueraient pas de lui proposer de les accompagner.

Il entendit de nouveau le rire d’Ophelia. Seulement, cette fois, lorsqu’il cessa de résonner, elle fixa sur lui un regard glacial avant de baisser les yeux vers la flûte de champagne qu’il tenait toujours à la main. Elle esquissa alors un sourire triomphant et un regard mutin. Puis elle reprit un air charmant, ô combien trompeur, et se retourna vers Avendale, l’ignorant, lui, ostensiblement.

Malheureusement pour elle, le temps où il s’était laissé ignorer était révolu.

* * *

En voyant Darling avancer vers elle d’un pas décidé, ses grandes mains — celles d’un travailleur — dissimulant l’élégante flûte de champagne, Ophelia fut assaillie d’un élan de panique. Il y avait sur son visage toute la détermination d’un homme prêt au combat. Manifestement, elle s’était méprise à son propos. L’ignorer n’allait pas être aussi aisé que prévu. Elle était décidée néanmoins à ne pas se laisser impressionner. Ni par lui, ni par aucun autre homme.

Ce n’était qu’un roturier, un ancien garçon des rues. Il avait beau arborer la tenue d’un gentleman, elle savait qu’au fond, il ne trompait personne. Son comportement avec les femmes prouvait qu’il était indifférent à toute moralité.

Au moment où cette pensée lui traversait l’esprit, elle eut une brusque sensation de chaleur. Sûrement à cause de cette salle bondée, des lampes à gaz, de tous les jupons qu’elle portait et de son corset serré. Elle n’était certainement pas en train d’imaginer Drake Darling posant les mains sur elle ! Elle n’était pas une fille des rues. Elle était une dame, et ces choses-là n’étaient pas faites pour les dames.

Pourtant, alors qu’il s’approchait d’elle, elle vit briller au fond de ses yeux noirs une lueur de malice, comme s’il lisait dans ses pensées. Comme si, d’un regard, il voulait lui montrer qu’il était tout prêt à lui faire découvrir les territoires de la luxure, pour la faire tomber de son piédestal. Ce n’était pas un homme beau, au sens classique du terme. Il avait des traits rudes, un visage qui semblait taillé à la serpe par un sculpteur en colère. Son nez était trop large, son front trop grand. Sa mâchoire trop carrée et couverte par l’ombre d’une barbe naissante. Mais pourquoi diable perdait-elle son temps à examiner son visage dans les moindres détails, alors que de vrais gentlemen sollicitaient son attention ?

Comme il s’arrêtait devant elle, il prit le temps de promener les yeux sur sa personne sans la moindre gêne. Le souffle court, terrifiée à l’idée qu’il remarque son trouble, elle se redressa fièrement. Pourquoi se souciait-elle tant de l’impression qu’elle lui faisait ?

— Votre champagne.

Sa voix rugueuse et profonde donnait à ses mots une consonance sombre. Sensuelle même. Dans l’intimité, il ne restait certainement pas silencieux. Il devait susurrer des paroles osées à l’oreille des femmes.

— Vous avez mis tellement de temps à aller me chercher un verre que j’ai perdu l’envie de boire.

— Vous n’allez tout de même pas vous priver du plaisir de sentir ces fines bulles vous chatouiller le palais ?

Il prononça le mot « plaisir » d’une voix chargée de sous-entendus. Le fait qu’il s’adresse à elle en ces termes, sans même se soucier qu’on puisse les entendre, était… intolérable ! Et pourtant, elle demeurait incapable de trouver une repartie tant son regard insistant la décontenançait. Ses yeux étaient si brillants qu’ils lui donnaient l’impression de l’imaginer, elle, en train de lui chatouiller le palais.

— Vous avez tellement tardé qu’il doit être éventé maintenant, dit-elle avant de lui tourner le dos. Avendale, je crois que vous parliez de…

Il eut alors l’impudence de se glisser entre le duc et elle. Les yeux plissés, les traits tendus, il se dressait face à elle.

— Lady Ophelia, j’insiste pour que vous preniez cette flûte que vous m’avez demandée.

— Garçon, sachez qu’avec moi vous n’êtes pas en droit d’insister pour quoi que ce soit !

De son doigt ganté, il tapotait le verre, son regard dans le sien, réfléchissant sans doute à la meilleure façon de lui répondre. Elle ignorait pourquoi elle cherchait toujours à le provoquer. Sans doute parce que quelque chose en lui la déstabilisait, et ce depuis toujours. Elle voulait le remettre à sa place, lui rappeler — ainsi qu’à elle-même — qu’ils n’étaient pas du même rang. Son père l’avait battue à coups de ceinture le jour où il l’avait surprise en train de parler avec lui. Elle n’était alors qu’une fillette de douze ans, mais cette leçon était restée à jamais gravée dans sa mémoire. Il n’était pas question qu’elle entretienne des relations quelconques avec une personne qui n’était pas noble de naissance.

— Puisque c’est ainsi…, fit-il dans un souffle.

Puis il porta la flûte à sa bouche et rejeta la tête en arrière pour boire le champagne d’une seule et longue gorgée. Elle devinait la puissance de son cou, en grande partie dissimulé par un foulard parfaitement noué, mais à l’évidence aussi musclé que le reste de son corps.

Se redressant, il jeta sur elle un regard brillant de satisfaction et se passa la langue sur lèvres.

— Pas du tout éventé. Très agréable, même, comme le baiser d’une tentatrice.

Une colère bouillante s’empara d’elle. Il se moquait d’elle, et la ridiculisait ! Peu importait qu’elle ait elle-même provoqué cette petite scène. Il aurait dû s’éclipser en apprenant qu’elle ne voulait plus du champagne qu’elle lui avait réclamé. Il n’avait pas le droit de faire naître en elle l’envie folle de savourer les quelques gouttes restées sur ses lèvres.

— Garçon…

— Cela fait bien longtemps que je n’en suis plus un.

Elle redressa la tête.

— Garçon, insista-t-elle, peut-être pourriez-vous aller chercher du champagne pour nous tous.

— Vous devrez attendre la semaine des quatre jeudis, madame.

Il fit un pas de plus vers elle, et elle se hâta de reculer. Elle vit alors une lueur de triomphe briller dans ses yeux. Quel poison ! Mais elle n’allait pas le laisser gagner. Elle ne ferait pas un pas de plus en arrière.

Comme un valet passait près d’eux, il posa la flûte vide sur son plateau en argent, sans la quitter du regard. Puis il avança de nouveau vers elle.

Elle luttait pour rester de marbre, et respirait maintenant son parfum enivrant. C’était comme une odeur de terre riche, mêlée à celle du tabac ou peut-être du péché.

Il s’approcha encore…

Elle céda d’un demi-pas en arrière.

— Dansez avec moi, dit-il.

— Je vous demande pardon ?

— Vous m’avez entendu.

Elle le fusilla du regard.

— Je ne danse pas avec les roturiers !

— De quoi avez-vous peur ?

— Je n’ai pas peur.

— Vous mentez.

Elle regarda à gauche, puis à droite. Sans qu’elle s’en aperçoive, il avait réussi à la faire reculer dans l’ombre d’une alcôve dont il bloquait maintenant l’issue. Le groupe avec lequel elle discutait encore quelques instants plus tôt avait disparu. Elle aurait dû se douter que Langdon et Avendale s’associeraient à ce moins que rien et attireraient ses amies à l’écart, sur la piste de danse, dans les jardins ou vers le buffet, pour l’aider à mettre son plan à exécution. Les lâches ! Mais elle n’allait pas se laisser intimider pour autant.

— Monsieur, vous êtes un être méprisable.

— Et vous, une demoiselle hautaine qui aurait besoin d’une bonne leçon.

— Et vous pensez être bien placé pour me la donner, si je comprends bien.

Son regard s’assombrit, et quand elle le vit se fixer sur ses lèvres, elle recula de trois pas précipités.

— Je ne vous permets pas, dit-elle dans un souffle.

Furieuse contre elle-même, elle se rendit compte que le ton de sa voix était plus suppliant qu’autoritaire.

— Après des années de provocation, ne vous étonnez pas d’être victime d’un retour de bâton.

Sur ce point, elle aurait eu du mal à le contredire. Elle ignorait pourquoi elle éprouvait sans cesse le besoin de s’en prendre à lui. Peut-être à cause de la part d’ombre qu’elle décelait en lui et qui la fascinait au point de l’attirer dangereusement.

— Cessez votre petit jeu ! Je refuse de me donner en spectacle avec vous.

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** Extrait offert par Lorraine Heath **

Prologue

EXTRAIT DU JOURNAL DE DRAKE DARLING

Né sous le nom de Peter Sykes, je suis le fils d’un meurtrier et d’une femme assassinée. Un héritage qui me hante depuis toujours. J’ignore combien de vies a pu prendre mon père mais, ce que je sais, c’est qu’il a tué ma mère parce qu’elle voulait m’offrir une existence meilleure. A l’insu de tous, j’ai assisté à sa pendaison. J’avais huit ans. Jouant des coudes au milieu de la foule compacte, je me suis frayé un chemin jusqu’au premier rang, et c’est là que j’ai vu. J’ai vu mon père pleurer. Je l’ai vu souiller son pantalon, je l’ai entendu demander grâce, ainsi que ma mère l’avait fait face à lui.

Comme elle, il a supplié en vain. Ils ont glissé le nœud coulant autour de son cou, puis ont ouvert la trappe. Tout ce que j’ai vu et entendu après cela, je l’ai enfoui dans les recoins les plus sombres de mon esprit. Mais il y a une chose avec laquelle je suis condamné à vivre : le sang qui coule dans mes veines et qui est le sien. Son legs fait bouillir en moi une colère perpétuelle, tant je redoute d’être condamné à embrasser le même destin que lui. Je sens la présence d’une force sauvage qui ne demande qu’à être libérée.

Après le décès de ma mère et l’emprisonnement de mon père, j’ai vécu dans la rue. Un jour, Mlle Frannie Darling m’a recueilli. Elle a épousé par la suite Sterling Mabry, le duc de Greystone. Ils m’ont accueilli dans leur foyer et m’ont élevé comme leur fils. Mlle Darling n’ayant plus l’usage de son patronyme, je l’ai pris dans l’espoir de me laver des péchés de mon père.

Un soir, le duc m’a montré la constellation du Dragon — draco en latin. J’ai alors distingué dans le ciel étoilé la bête féroce que rien ne pouvait atteindre. C’est à ce moment-là que j’ai adopté le prénom Drake, essayant de nouveau désespérément d’échapper au passé et au destin transmis par mon père. Avec la famille du duc, j’ai parcouru le monde, découvrant des créatures et des créations plus extraordinaires les unes que les autres, vivant des expériences qui dépassaient l’imagination.

Mais où que j’aille, mon passé sordide me suit à la trace. Je peux bien voyager au bout de la Terre, rien ni personne n’a le pouvoir de me sauver de la fatalité.

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Le seau fit un bruit sec quand il le reposa, comme pour ponctuer sa reponse. Puis d'un seul geste, il ôta sa chemise, lui offrant un spectavle qui lii coupa le souffle. Même si elle avait déjà vu don torse nu un peu plus tôt, elle n'en était pas moins troublée.

Elle tourna aussitôt pour ressortir.

- Je vous laisse prendre votre bain.

- Pas si vite, phee!

Le ton autoritaire ne lui laissa d'autre choix que de s'arrêter. Immobile, elle attendit. Elle avait cessé de respirer. Il lui sembla même que don coeur ne battait plus. Elle entendit lr froissement des autres vêtements qu'il enlevait et elle se tendit d'un coup, comme un animal prêt à s'élancer pour fuir si prédateur.

- Vous devez me laver le dos, dit-il.

Le clapotement de l'eau lui parvint aux oreilles.

- Vous n'êtes pas serieux?

Furieuse conte elle-même, elle se rendit compte que sa voix , faible et tremblante, trahissait sa peur. Cela lui était déjà arrivé par le passé, mais elle avait appris depuis à la maîtriser pour ne rien laisser paraître de ses emotions.

-Je ne peux pas le faire seul, insista-t-il. Fermez la'porte pour conserver la chaleur de la pièce. Je ne voudrais pas avoir froids.

Elle ne demandait qu'à la fermer, dès qu'elle serait sortie dans le couloir. Mais au fond d'elle, quelque chose l'empêchait de fuir. Sans avoir comment ni pourquoi, elle appris que la fuite était synonyme de défaite. Tant qu'elle ne s'avouait pas vaincue, elle pouvait avancer. Elle pouvait survivre.

D'où lui venait ces pensées? Elles étaient si claires dans son esprit, et leur origine si floue... Mais elle e' était sûre, c'était la vie qui lui avait enseigné ces leçons.

- Phee? Allons, venez. Ne soyez pas si timide, tout à coup.

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