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- Je t’aime, Jelena, et ça prend toute la place. Je crois que tu étais ma faiblesse, la faille dans les murs de ma forteresse. Mais c’est l’inverse : tu es ma force, le soleil qui repousse ma nuit. Je t’aime, à en éclater, et je ne comprends même pas comment j’ai pu être aussi aveugle et sourd à ce que mon cœur hurlait. Je crevais de trouille de tout bousiller. Je pensais ne pas mériter ton respect ni ton…

Il s’interrompt, sans oser poursuivre. Je conclus à sa place :

- … ni mon amour.

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La vie, c’est de la merde et l’univers est un enfoiré qui s’acharne sur ceux qui sont déjà au sol.

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L’amour, ce n’est pas toujours propre et lisse. Parfois, c’est le chaos, la merde, et la souffrance en même temps. Mais ça vaut le coup de traverser ça, pour voir ce qu’il y a derrière la tempête.

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Ça fait des jours que mes pensées tournent en boucle : salle, Serik. Serik, salle. Je n’arrive pas à décrocher. Ces émotions me parasitent le cœur et me perturbent. J’oscille entre « Mais pourquoi ne pas craquer, en fait ? » et « You shall not pass! », version Gandalf-Jelena contre le Balrog-Serik. Prends une décision, merde !

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Serik Wagner, le mec qui ne mettait jamais un genou à terre et se relevait même quand l'adversaire l'avait démoli, d'après les racontars du lycée, ce type vient d'abandonner le combat. Devant moi. Ça me fait bizarre, comme si j'avais cassé une icône.

Et puis, un grand sourire vient fleurir sur mes lèvres. Ça signifie aussi que j'ai gagné. Baleine 1, connard 0.

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— Laisse tomber, lâché-je, blasée. Je suis grosse, c’est un fait. Ça ne constitue pas plus une insulte que blonde, noire, lesbienne ou scientifique.

— De toute façon, les baleines sont des animaux majestueux, approuve Patti d’un ton rageur. Et toi, tu es une déesse du breakdance, une surdouée du new style, une guerrière du hip-hop ! Tu vas être sélectionnée, et tu quitteras ce trou du cul du monde. On te verra sur toutes les scènes internationales, tu danseras pour Beyoncé, tandis qu’ils croupiront ici à jamais, ces gros nazes. Ils en crèveront de jalousie. On les emmerde.

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Pourtant, il vient de me traiter de baleine. C’est la première fois qu’il s’en prend à moi. Je retiens l’éclat de rire sarcastique qui monte dans ma poitrine. Dire que je croyais que notre relation étrange était teintée d’une sorte de respect… J’avais tout faux. Toutes ces fois où je l’ai trouvé presque sympa, il devait seulement être malade. Un truc mal digéré. Heureusement que je n’ai pas commencé à projeter sur lui une forme de syndrome du sauveur, avec sa gueule d’ange cabossée et son humeur de tueur. Heureusement que je n’ai pas commencé à rêver de lui, la nuit, et à le chercher dans les couloirs du lycée, le jour, espérant croiser son regard noir captivant. Pas commencé à trouver la largeur de ses épaules séduisante, pas eu envie d’effleurer du bout des doigts ses pommettes hautes si souvent bleuies par des hématomes. Heureusement, hein… Je pince les lèvres et secoue la tête. L’univers vient juste de me remettre les idées en place. La baleine et le boxeur, tu parles d’un titre de roman d’amour ! Patti a raison. Bientôt, je ne serai plus dans ce lycée. Je vais réussir les sélections, je deviendrai danseuse professionnelle, je voyagerai à travers le monde, et tous ces trouducs ne seront plus qu’un lointain souvenir.

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Sur le chemin du retour, je fais toujours une pause vers l’église Faith City, pour saluer Joe, le SDF qui vit là. On échange quelques mots, parfois je lui donne un peu d’argent. Serik a attendu à chaque fois que je me suis arrêtée, faisant mine de scroller sur son téléphone, avant de repartir en même temps que moi. J’ai fini par trouver sa présence silencieuse étrangement rassurante, dans la nuit. Un soir, je suis sortie en retard. Il était quand même là, adossé au mur, l’attitude ombrageuse et le visage marqué de nouveaux hématomes. Sa cigarette à moitié consumée formait un point brillant dans la pénombre. — Tu m’attends ? l’ai-je interrogé, incrédule. Il a levé les yeux au ciel, a soufflé sa fumée vers les nuages, avant de lâcher d’un ton méprisant : — Je finis ma clope, ça se voit pas ? J’ai haussé les épaules. Il m’a emboité le pas, dès que j’ai traversé la rue pour gagner la lumière des lampadaires. Et notre rituel silencieux s’est poursuivi, semaine après semaine.

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Quand je suis sortie du studio, le premier soir, Serik sortait d’un de ses entraînements de boxe, au rez-de-chaussée du bâtiment. J’avais mes écouteurs dans les oreilles, et je fermais à moitié les yeux, toujours plongée dans ma chorégraphie. Je ne l’ai pas vu, et je l’ai percuté. Un mur dur et inflexible, à l’expression hargneuse. Je me suis reculée, la peur nouant mes entrailles, en réalisant qui se tenait devant moi.

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Je croyais bêtement qu’il y avait quelqu’un d’autre, derrière la façade méprisante de roi du lycée soigneusement entretenue par Serik. Je me suis plantée. Il est exactement ce à quoi il ressemble : un mec imbu de lui-même, doté d’autant d’empathie qu’une bactérie et qui ne sort du silence que pour assassiner d’un mot ceux qui lui déplaisent. Je me désole moi-même d’être si réceptive à son charisme magnétique.

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