Extraits

Rowena Farmer s’installa dans une des bergères et indiqua à Harriet de s’asseoir sur le canapé. Il était plus bas que la normale et elle regretta de ne pas avoir mis une jupe plus longue, comme la sienne lui remontait sur les cuisses et l’obligeait à serrer fortement les genoux et à les tourner vers la gauche. Elle était cependant sûre que Rowena Farmer pouvait voir sous sa jupe si elle le voulait, mais les yeux de la star de cinéma ne quittèrent pas un instant son visage jusqu’à ce qu’elle prenne la lettre de candidature et la lise comme pour s’en rappeler la teneur.

Quand elle gara sa voiture devant la porte d’entrée, elle vit derrière elle une pelouse immaculée avec des conifères et des arbustes verts de part et d’autre jusqu’au portail. À première vue, les flancs du jardin étaient moins bien entretenus et plus broussailleux qu’herbus, mais tout le pourtour de la zone était protégé par de grands arbres qui parvenaient à isoler la propriété du reste du monde.

Un majordome lui ouvrit la porte et elle pénétra dans un long hall d’entrée, au bout duquel montait un escalier décloisonné moderne en colimaçon.

La moquette était d’un corail foncé, les murs et les plafonds d’un blanc texturé et le hall était décoré de chaque côté d’une pléthore d’objets en porcelaine allant du lévrier grandeur nature en position d’attention assise à une ballerine d’une finesse exquise d’à peine quinze centimètres de haut posée sur une table en verre tarabiscotée. Les ornements n’avaient aucun lien apparent entre eux et aucun n’était assorti par la couleur ou le style, mais elle supposa qu’ils avaient tous une valeur inestimable.

— Parfait, je vous donne l’adresse. Vous avez de quoi écrire ?

Elle doit croire que j’ai six ans, se dit Harriet, mais elle ne laissa pas transparaître son agacement dans sa voix et nota l’adresse et les indications pour s’y rendre. Ce ne fut que quand elle reposa le combiné que ses jambes cédèrent sous elle et qu’elle dut s’asseoir sur le canapé pour se remettre.

C’était si rapide, s’étonna-t-elle. Une annonce comme celle-ci devait avoir attiré des tas de propositions, et pourtant, on l’avait appelée au téléphone en moins de quarante-huit heures. La rapidité de la réponse la rendit nerveuse et plus tard ce soir-là, elle appela Ella.

— Harriet, où est ta bague ? demanda Ella, sa voix à la diction parfaite portant aux quatre coins du bar à vins.

Harriet rougit, retira sa main gauche du plateau de la table et la cacha sous la nappe.

— Ne parle pas si fort, marmonna-t-elle.

— Alors dis-moi, Miss Radcliffe, où est-elle ? Une fille toujours aussi organisée que toi n’a pas pu égarer une bague de fiançailles aussi exquise que ruineuse. Comment James va-t-il le prendre ?

— James ne s’inquiétera pas. Je la lui ai rendue.

Ella fixa son amie d’un regard abasourdi, puis vida son verre d’un trait. C’était ainsi qu’elle réagissait au moindre choc.

— Quoi ? Tu n’épouses plus James ?

Harriet hocha la tête.

— Exact.

— Mais pourquoi ? Vous formiez le couple parfait, et avec toi à ses côtés, il aurait gravi tous les échelons. Mon Dieu, si tu savais comme j’aimerais devenir la femme d’un banquier d’affaires.

En dépit de son humeur chagrine, Harriet se mit à rire.

— Ella, tu ne pourrais jamais épouser un type comme James. Tu mourrais d’ennui pendant ta lune de miel.

— Ah bon ? dit-elle, se penchant avidement vers elle. Vas-tu enfin me confesser les secrets de votre vie sexuelle ? Il n’était pas terrible au lit ?

Harriet haussa les épaules.

— Ça allait. Enfin, il était très attentionné et veillait à ce que je sois satisfaite, c’est juste qu’il n’y avait jamais rien de… Je ne sais pas, rien d’excitant. Je crois qu’il m’aimait, mais il manquait de passion. J’étais avec lui samedi dernier et quand il s’est couché sur le côté et a mis sa main directement là où elle va toujours, je me suis soudain dit que je ne pouvais plus le supporter ; qu’il me touche encore une fois là et je crie. Eh bien, il m’a touchée là, et j’ai crié.

— Tu as crié ?

Ella était sidérée.

La salle de bains intégrée formait un contraste saisissant. Le sol était recouvert de tapis blancs et la baignoire en émail encastrée dans du bois dur épousait la forme du corps, large à une extrémité puis se rétrécissant du côté des robinets.

Elle était aussi étrangement profonde, et Harriet se demanda s’il y aurait assez d’eau chaude pour que tous dans la maison remplissent des baignoires similaires.

Les murs étaient décorés de minuscules gravures à la plume et à l’encre, toutes encadrées d’un bois assorti au coffre de la baignoire. De plus près, elle vit que chaque gravure représentait un couple en train de faire l’amour, la plupart dans des positions qui lui faisaient mal rien que d’y penser.

Un téléphone était posé sur sa table de chevet, et dans un élan soudain, elle le prit et composa le numéro d’Ella. Pour une fois, ce ne fut pas le répondeur et Ella était manifestement heureuse de l’entendre.

Dès qu’Harriet décrocha son combiné, un témoin lumineux s’alluma sur le téléphone du bureau de Lewis, qui leva délicatement son appareil puis resta à écouter sa conversation d’une oreille attentive.