Extraits

– C’est sa seconde nature, mais je ne m’en plains pas. Il accepte malgré tout mes choix et c’est un père formidable. Même quand il me pousse à fond, c’est son côté protecteur qui s’exprime, pour me rendre le plus solide possible. Il m’a toujours interdit d’abandonner, pour quoi que ce soit.

J’ouvre la photo sur l’écran puis je grimace. Non pas pour la longue liste, mais parce qu’elle est manuscrite et tellement illisible que mon premier réflexe est de chercher la langue utilisée pour sa rédaction. C’est le chien militaire qui a servi de scribe ou quoi ?

– Tu traînasses trop, râle Lynx.

– Je ne peux pas marcher plus vite que ça.

– Si, tu peux.

Aussitôt, il claque un ordre :

– Squale ! Pour lever, levez !

Je comprends la signification de cet ordre lorsque deux bras se glissent sous mes aisselles. Leur prise bien assurée, je décolle du sol. Ils ont osé ! Me voici en l’air, coincée entre eux qui filent à une vitesse ahurissante. Comme deux avions de chasse, ils créent un déplacement d’air faisant voler mes cheveux. Dans les escaliers, ils poursuivent leur progression sans se préoccuper des personnes que nous croisons, obligées de se plaquer sur les côtés pour ne pas passer sous le char d’assaut que nous formons.

Fort heureusement, je connais l’adresse de ces hommes, je ne crains pas qu’ils me lâchent. En confiance, je trouve même la situation amusante. Les deux cagoulés doivent arborer un air sévère et concentré, alors que moi au milieu, c’est plutôt un sourire niais. Quel tableau devons-nous offrir !

Lorsque nous arrivons dans le long couloir menant à nos bureaux, ils accélèrent. Je ne résiste pas à mon envie de lâcher la bêtise qui naît dans mon esprit de gamine. Je tends un bras en avant avec le poing serré pour lancer d’une voix grave :

– Vers l’infini et au-delà !

Je ne sais pas s’ils comprennent la référence à Buzz l’Éclair, mais ils s’esclaffent tous les deux avant de me déposer sur le pas de la porte.

– Non ! Si tu ne veux pas me voir débouler dans ton jardin, ne coupe surtout pas.

Tente donc ça et je re-tue le nain de ma mère sur ta tête.

– Oh la vache ! Tu es une belle cachotière ! piaille-t-elle.

– Des cachoteries, moi ? Tu plaisantes, ce n’est pas mon genre.

Je ricane à la pensée du monceau d’informations que je dois dissimuler.

– Ce sont des bombes, ces mecs !

– Évite de prononcer ce mot trop fort. S’ils t’entendent, ils nous fonceront dessus pour nous protéger, nous aplatirons au sol et nous broieront les côtes au passage.

Aussitôt, elle met ses mains en porte-voix pour hurler :

– Bombe ! Bombe !

– Mais arrête ! Tu n’as pas compris ce que je viens de dire ?

– Si ! Justement. Je veux qu’ils m’écrasent sous leur corps parfait et leur visage de top model, s’esclaffe-t-elle.

– Ils sont pas mal et même plus que ça, je te l’accorde.

– Aucun de nous n’a de casserole, tu penses bien que nous n’avons pas eu l’occasion d’en créer, puisque nous avons été encadrés très tôt.

– Vous n’êtes pas drôles, je ronchonne.

– Ose me dire qu’être l’unique femme dans sa vie ne caresse pas ton orgueil.

À peine. Si ma fierté se transformait en laine, je pourrais tricoter des chaussettes pour la population française.

– Un peu, c’est vrai, je rétorque sur un ton neutre.

– La grosse menteuse ! me charrie-t-il.

– Tu ne m’as fourni aucun os à ronger, alors j’en fais autant.

– Allez, je peux t’en offrir un petit. Je vais te raconter la fois où je l’ai surpris en pleine séance de masturbation, murmure-t-il sur un ton de connivence en me donnant un coup de coude.

Sidérée, je reste figée quelques secondes, le temps d’assimiler ses paroles et réagir. Je le stoppe en levant les mains.

– Non ! Ça va aller ! Je souhaitais quelque chose pour le taquiner, pas pour détruire le mythe non plus.

– Mais si, c’est drôle. Alors, ce jour-là, nous étions dans un souterrain…

Ils n’ont aucune gêne, sont capables d’aborder tous les sujets possibles, même les plus intimes avec le plus grand naturel. En ce qui me concerne, c’est hors limite. Je me rue sur lui pour plaquer les deux mains sur sa bouche.

Ces deux-là et leurs messes basses, mais ça me gonfle !

Cet homme réputé inébranlable vient pourtant de rendre les armes face à un haricot.

- Attends, j'ai gardé le meilleur pour la fin. Ca tombre bien, tu es allongé, tu pourras t'évanouir après ma phrase.

Il parle d'une voix menaçante avec un rictus mauvais qui fait craindre le pire. Ce n'est quand même pas la fille du général ?

- Sabine, notre super archiviste et ami qui n'a jamais fricoté avec Lynx... il se trouve que c'est également la femme de Condor, lâche-t-il sur un ton fielleux qui me glace.

Oh putain ! C'est encore pire ! Tout mon sang vient de se transformer en poudre. Le Condor ! Je crois que mon cœur fait un arrêt brutal.

Je suis mort. Adieu Squale et merci pour ta petite visite sur terre.

- Tu veux bien continuer ton truc, demande Cobra avec un regard de chiot.

- Quel truc ?

- Les papouilles. Il veut des papouilles.