Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
714 593
Membres
1 013 051

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Ajouter un extrait


Liste des extraits

- Vous réverez un être que vous ne pouvez ni voir ni toucher, Votre Majesté, alors que je vénère une puissance que je vois à l'oeuvre chaque instant. Qui de nous deux à l'attitude la plus logique ?

Afficher en entier

Une fois embarquée à bord de la Flèche Noire, Lila sut admirablement tenir sa langue (Kell aurait été fier).

Afficher en entier

And then the real fight began.

They sparred, a blur of elements and limbs, hits marked only by a flare of light. They came together, lunged apart, matching each other blow for blow.

"Have you lost your mind?" he growled as their elements crashed together.

"Nice to see you, too," she answered, ducking and spinning behind him.

"You have to stop," he ordered, narrowly dodging a fireball.

"You first," she chided, diving behind a column.

Water slashed, and fire burned, and earth rumbled.

"This is madness."

"I'm not the only one in disguise."

Afficher en entier

- Tu es partie.

- En mer, précisa Lila.

- Et tu es revenue avec la moitié du monde,

Afficher en entier

La magie est trouble, alors sois limpide.

La magie est sauvage, alors sois paisible.

La magie est chaos, alors sois sérénité.

As-tu trouvé un calme intérieur, Kell? »

Afficher en entier

« Impossible » aurait dit Kell. Mais quel mot inutile dans un monde rempli de magie…

Afficher en entier

I

Mer Arnésienne

Delilah Bard avait le don de s’attirer des ennuis.

Mieux valait aller au-devant d’eux que se laisser surprendre – voilà ce qu’elle avait toujours pensé. Mais ce jour-là, à la dérive sur l’océan dans un canot à deux places dépourvu de rames, sans la moindre terre à l’horizon, avec pour unique ressource la corde qui lui liait les poignets, elle commençait un peu à en douter.

Par cette nuit sans lune, la mer, tout autour d’elle, reflétait à l’infini l’obscurité étoilée. Seules les ondulations de l’eau sous la coque qui tanguait permettaient de séparer le ciel de l’océan. D’ordinaire, ce miroitement incommensurable donnait à Lila l’impression de se trouver au centre exact de l’univers.

Mais ce soir-là, sur son embarcation en perdition, il lui donnait plutôt envie de hurler.

Les yeux plissés, elle observa au loin le scintillement des lanternes du navire, que leurs teintes rougeâtres distinguaient de la lumière des étoiles. Le bateau – son bateau – s’éloignait lentement mais sûrement.

Malgré la panique qui lui montait à la gorge, elle tenait bon.

Je suis Delilah Bard, voleuse, pirate et voyageuse… se répétait-elle, bien décidée à ignorer la brûlure de la cordelette sur sa peau. J’ai visité trois mondes différents et j’y ai survécu. J’ai versé du sang de rois et tenu au creux de mes paumes la magie la plus pure. Je suis plus forte que l’équipage entier d’un bateau. Je n’ai besoin de personne.

Il n’y en a pas deux comme moi !

Soudain plus confiante, elle s’adossa au bastingage de la chaloupe et contempla la vaste nuit qui s’étalait devant elle.

Ça pourrait être pire…

Juste au moment où elle se faisait cette réflexion, une vaguelette d’eau froide vint lécher ses bottes. En baissant les yeux, elle découvrit un trou dans la coque. Pas bien grand, certes, mais c’était une piètre consolation : un petit trou coulait un bateau sans la moindre difficulté – peut-être pas aussi vite, mais tout aussi efficacement.

Lila poussa un gémissement excédé et examina la corde grossière serrée autour de ses poignets. Heureusement, ces salauds lui avaient laissé les jambes libres, mais elle était engoncée dans une de ces abominables robes : volumineuses jupes vertes, étoffe vaporeuse surchargée de tulle et taille si étroite que la jeune fille parvenait à peine à respirer. Pourquoi diable les femmes s’infligeaient-elles donc une telle torture ?

Tandis que l’eau montait peu à peu dans son frêle esquif, Lila se força à se concentrer. Elle inspira calmement le peu d’air que lui permettait son accoutrement en effectuant un rapide inventaire de ses maigres possessions, plus détrempées à chaque seconde qui passait : un unique fût de bière (un cadeau d’adieu), trois couteaux (tous dissimulés), une demi-douzaine de fusées éclairantes (fournies par les hommes qui l’avaient placée dans cette embarcation), ladite robe (saloperie !) et le contenu de ses poches et jupons (indispensable pour lui permettre de réussir son coup).

Les fusées étaient voisines de chandelles de feu d’artifice. Frappées contre n’importe quelle surface, elles produisaient une traînée d’étincelles colorées – pas une déflagration, non, un faisceau continu, assez puissant pour trancher l’obscurité comme une lame pendant un quart d’heure environ. À chaque couleur correspondait un code : jaune pour un naufrage, vert pour une quarantaine, blanc pour un signal indéterminé de détresse et rouge pour une attaque de pirates.

Lila en avait une de chaque sorte. Tandis qu’elle se demandait quoi faire, ses doigts dansaient sur chacune de leurs extrémités. Elle contempla un instant l’eau qui montait avant d’arrêter son choix sur la fusée jaune, qu’elle empoigna des deux mains pour la cogner contre le bastingage du petit canot.

Une lueur soudaine, presque aveuglante, coupa aussitôt le monde en deux : d’un côté la violente lumière blanche aux reflets dorés du signal, de l’autre le néant noir et dense qui l’entourait. Lila passa près d’une minute, complètement éblouie, à marmonner des imprécations en refoulant ses larmes, la fusée pointée vers le ciel le plus loin possible de son visage. Puis elle entama un décompte. Ses yeux commençaient enfin à s’habituer à la luminosité quand le faisceau vacilla, faiblit et s’éteignit. La jeune fille scruta l’horizon à la recherche d’un bateau, en vain. Dans la chaloupe, l’eau lui était parvenue à la cheville et montait toujours, lentement mais sûrement, à l’assaut de ses bottes de cuir. Lila prit un deuxième flambeau, le blanc cette fois, qu’elle tapa sur le bois après s’être protégé les yeux. Elle compta les minutes qui s’égrenaient et sonda la nuit en quête du moindre signe de vie.

— Allez, chuchota-t-elle. Allez, allez, allez…

Sa voix fut couverte par le sifflement du signal de détresse, qui s’éteignit et la replongea dans l’obscurité.

La voleuse serra les dents. À en juger par le niveau de l’eau dans la petite embarcation, il ne lui restait plus qu’un quart d’heure, soit le temps d’une fusée, avant de bel et bien risquer la noyade.

C’est alors que quelque chose glissa le long de la coque du canot. Dans l’obscurité brilla un râtelier de dents pointues.

Si Dieu existe, pensa-t-elle, ou un corps céleste, un pouvoir divin, bref si n’importe qui là-haut – ou sous nos pieds – a envie de me voir survivre à cette journée, qu’il soit motivé par la pitié ou l’envie de se distraire, le moment est vraiment venu d’intervenir…

Elle saisit alors le cylindre rouge destiné, lui, à avertir d’une attaque de pirates, et l’alluma d’un petit coup de poignet. La nuit baignée d’une inquiétante lumière pourpre lui rappela un instant l’Île, le fleuve qui serpentait au milieu de Londres. Pas son Londres à elle bien sûr – pour peu que cette lugubre cité eût vraiment, un jour, été la sienne – ni la pâle et terrifiante capitale où sévissaient autrefois Athos, Astrid et Holland. Non, son Londres à lui. Celui de Kell.

L’image du jeune homme surgit soudain dans l’esprit de Lila, tel un flambeau avec ses cheveux auburn et cette perpétuelle ride entre ses deux yeux, l’un bleu, l’autre noir. Antari… Petit magicien. Prince rouge.

La voleuse fixa la lumière rouge jusqu’à ce qu’elle consume cette vision. Des considérations plus urgentes se bousculaient dans sa tête, à présent : la chaloupe presque pleine, la fusée agonisante, les nouvelles ombres qui se glissaient tout contre le canot.

À l’instant précis où le signal se mettait à crachoter, elle l’aperçut. Au début ce n’était presque rien, une simple volute de brume à la surface de l’océan. Mais ce brouillard prit bientôt la forme d’un bateau fantomatique : une coque sombre, polie avec soin et des voiles d’un noir brillant qui reflétaient la nuit de tous côtés, de petites lanternes assez pâles pour passer pour des étoiles. Le navire ne se matérialisa vraiment qu’une fois assez proche pour que la lueur mourante de la fusée accroche des reflets sur ces surfaces réfléchissantes. À ce moment-là, il était presque déjà à portée de main.

Dans la lumière vacillante, Lila distingua son nom, peint en lettres chatoyantes sur la coque : Is Ranes Gast.

Le Voleur de cuivre.

Les yeux écarquillés de stupéfaction et de soulagement, elle esquissa secrètement un petit sourire, qu’elle dissimula aussitôt sous une expression plus appropriée, à mi-chemin entre la reconnaissance et la supplication, mêlée d’un soupçon d’espoir circonspect.

La lumière crépita avant de s’éteindre, mais le navire s’était déjà rangé le long de la chaloupe, assez proche pour laisser apercevoir à Lila le visage des membres d’équipage penchés par-dessus le bastingage.

— Tosa ! s’écria-t-elle en arnésien.

À l’aide !

Elle se dressa avec précaution dans le canot, attentive à ne pas faire tanguer la minuscule embarcation sur le point de sombrer. La fragilité n’avait jamais été pour elle un sentiment naturel, mais elle fit de son mieux pour feindre d’être vulnérable. Recroquevillée dans son petit canot rempli d’eau, les poignets ligotés et la robe ruisselante, elle se sentait ridicule sous le poids du regard de ces hommes.

— Kers la ? demanda l’un d’eux.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Il s’adressait plus à ses compagnons qu’à la naufragée.

— Un cadeau ? suggéra un deuxième.

— Il va falloir le partager, dans ce cas… marmonna un troisième.

D’autres tinrent des propos moins agréables. Lila se fit plus vigilante encore, soulagée que leur accent, trop plein de vase et d’embruns, l’empêche de comprendre tous les mots, même si elle glanait le sens général de leurs paroles.

— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda l’un des hommes, à la peau si foncée qu’il se fondait dans la nuit.

Elle était encore loin de vraiment maîtriser l’arnésien, mais après quatre mois en mer entourée de marins incapables d’aligner deux mots d’anglais, elle s’était sans le moindre doute grandement améliorée.

— Sensan, répondit-elle.

Je coule.

L’équipage au complet éclata de rire. Ses membres ne semblaient pas particulièrement pressés de la remonter. Lila leva les deux mains devant elle pour leur montrer la cordelette.

— J’aurais besoin d’aide, dit-elle lentement.

Elle avait répété cette formulation.

— Tu nous en diras tant… répliqua le marin

— Mais pourquoi mettre une si jolie fille à la mer ? intervint un autre.

— Elle n’est peut-être plus bonne à rien.

— Je parie que non.

— Hé, petite ! Tout est à la bonne place, chez toi ?

— On va s’en assurer !

— C’est quoi, ce raffut ? clama une voix.

Un instant plus tard apparut un homme maigre comme un clou, aux yeux caves et aux cheveux bruns clairsemés. Les autres reculèrent avec respect lorsqu’il agrippa le bastingage de bois et balaya du regard la robe, la corde, le tonnelet et le canot de la naufragée.

Sûrement le capitaine – elle en aurait mis sa main à couper.

— Vous m’avez l’air dans un beau pétrin ! lui lança-t-il.

Il n’avait pas haussé le ton, mais sa voix portait malgré tout, avec un accent arnésien sec mais clair.

— Quelle perspicacité ! rétorqua-t-elle sans pouvoir se retenir.

Une telle insolence était un véritable coup de poker, mais quelle que soit la situation, Lila savait toujours lire les signes, déceler en un clin d’œil l’humeur et les grands traits de caractère de sa cible. Bingo : un sourire étira les lèvres de l’homme.

— Mon navire a été pris d’assaut, poursuivit-elle, et cette chaloupe ne tiendra plus très longtemps. Alors comme vous le voyez…

— Il serait plus facile de discuter sur le pont, non ? la coupa-t-il.

Lila acquiesça avec un léger soulagement, car elle commençait à craindre qu’ils ne reprennent la mer et ne la laissent se noyer. Ce qui, à en juger par les remarques et regards salaces de l’équipage, représentait peut-être une meilleure solution… Mais, dans sa chaloupe, seule la mort l’attendait, alors qu’à bord du navire il lui restait encore une chance.

On lança par-dessus le bastingage une corde dont l’extrémité lestée échoua dans l’eau qui montait autour de ses mollets. La jeune fille tira dessus afin d’amener son embarcation tout contre le flanc du navire, où l’on avait abaissé une échelle. Mais sans lui laisser le temps de se hisser à bord, deux marins descendirent dans le canot, dont la submersion s’accéléra de manière plus qu’inquiétante. Aucun des deux matelots ne parut cependant s’en soucier. L’un entreprit de remonter le fût de bière, l’autre, au grand désarroi de Lila, la jeune fille elle-même. Lorsqu’il la chargea sur son épaule, elle dut fait appel à tout son sang-froid – une qualité qu’elle n’avait pourtant jamais possédée en abondance – pour se retenir de lui planter un couteau dans le dos… en particulier quand les mains de l’homme commencèrent à s’aventurer sous son jupon.

Les ongles de la voleuse s’enfoncèrent dans ses paumes et, lorsqu’il la déposa enfin sur le pont à côté du tonnelet (en marmonnant « Plus lourde qu’elle n’en a l’air et au moins deux fois moins douce… »), ils avaient dessiné sur sa peau huit petits croissants rouges.

— Salaud ! grommela-t-elle en anglais.

Il lui murmura d’obscures considérations sur la douceur probable d’autres parties, plus tendres, de son anatomie, qu’il assortit d’un clin d’œil. Après s’être juré de le tuer (en prenant son temps), Lila se redressa et se retrouva au centre d’un cercle de marins.

Ou, plus exactement, de pirates.

Crasseux, les cheveux humides d’eau de mer et décolorés par le soleil, la peau tannée et les vêtements délavés. Tous avec un couteau tatoué en travers de la gorge – la marque des pirates du Voleur de cuivre. Elle en compta sept autour d’elle, cinq qui s’occupaient du gréement et des voiles, et sans doute une demi-douzaine sous le pont. Dix-huit. Disons vingt.

Le grand échalas brisa le cercle et s’avança, les bras écartés.

— Solase… Mes hommes ne manquent pas de courage, mais de manières, oui. (Il posa les mains sur les épaulettes de sa robe verte. Il avait du sang sous les ongles.) Mais vous tremblez ?

— J’ai passé une assez mauvaise soirée, avoua Lila.

Elle balaya du regard les visages frustes qui l’entouraient en espérant que la situation ne soit pas sur le point d’empirer.

— Anesh, mais vous voilà entre de meilleures mains, à présent, répliqua-t-il avec un sourire étonnamment denté.

Elle en savait assez sur le Voleur de cuivre pour savoir que c’était là un mensonge, mais feignit l’ignorance.

— Et de quelles mains s’agit-il donc ? demanda-t-elle.

L’homme à la silhouette squelettique lui prit les doigts pour les effleurer de ses lèvres gercées, sans tenir compte de la corde toujours serrée autour de ses poignets.

— Baliz Kasnov, répondit-il. Illustre capitaine du Voleur de cuivre, pour vous servir.

Parfait. Kasnov était une légende sur la mer Arnésienne. Son équipage, restreint mais d’une grande agilité, avait un penchant pour livrer ses assauts au petit matin, aux heures les plus sombres juste avant l’aube : ils tranchaient la gorge de tout le monde à bord avant de s’esquiver avec leur chargement en abandonnant les cadavres aux charognards. Malgré son air perpétuellement affamé, Kasnov était connu pour son appétit de trésors, souvent rassasié. Il était en particulier friand de denrées rares et comestibles. Lila savait que le Voleur de cuivre faisait route vers la côte nord d’une ville du nom de Sol dans l’espoir de prendre en embuscade les propriétaires d’une énorme cargaison d’excellent alcool.

— Baliz Kasnov, répéta-t-elle comme si elle n’avait jamais entendu ce nom.

— Et vous êtes ? s’enquit-il.

— Delilah Bard, ancienne passagère du Poisson doré, répondit-elle.

— « Ancienne » ? dit Kasnov, dont les hommes, à l’évidence déçus que leur hôte ait pour l’instant conservé tous ses habits, commençaient, à la place, à s’intéresser au tonnelet. Eh bien, mademoiselle Bard, poursuivit-il en lui prenant le bras d’un air de conspirateur, pourquoi ne me racontez-vous pas comment vous vous êtes retrouvée dans cette petite chaloupe ? Le grand large n’est pas un endroit pour une belle jeune femme telle que vous.

— Vaskens, lui expliqua-t-elle – des pirates – comme si elle ignorait se trouver précisément en compagnie de l’un des flibustiers de la mer Arnésienne. Ils ont volé mon bateau. C’était un cadeau de mon père, pour mon mariage. Nous sommes partis il y a deux nuits, à destination de Faro, mais ces maudits boucaniers sont sortis de nulle part. Ils ont pris d’assaut mon cher Poisson doré…

Elle avait répété son discours, non seulement les paroles mais aussi les silences.

— Ils… ils ont tué mon époux. Notre capitaine. Presque tout l’équipage… C’est arrivé si vite, ajouta-t-elle en anglais.

Elle s’interrompit, comme si elle ne l’avait pas fait exprès. Mais bien sûr, elle avait déjà attiré l’attention du capitaine, désormais pendu à ses lèvres comme un poisson à son hameçon.

— D’où venez-vous ?

— De Londres, répondit-elle sans dissimuler son accent cette fois.

Un murmure parcourut le groupe. Elle reprit, bien décidée à terminer son récit:

— Le Poisson doré était petit mais précieux, chargé d’un mois entier de provisions : victuailles, alcool… argent. Il est perdu, et bien perdu, désormais.

Enfin pas tout à fait, pas encore. Elle regarda par-dessus le bastingage. Simple tache plus claire à l’horizon, le bateau avait cessé sa retraite et semblait attendre. Les pirates suivirent son regard avec avidité.

— Combien d’hommes à bord ? demanda Kasnov.

— Assez, répondit-elle. Sept ou huit.

À leur sourire de convoitise, elle devina les pensées des flibustiers. Ils étaient plus du double, sur un navire fait pour se fondre dans l’obscurité. S’ils parvenaient à rattraper ce magot en fuite… Lila sentait peser sur elle le regard scrutateur de Baliz Kasnov. Elle le lui rendit en se demandant, distraitement, s’il savait pratiquer la magie. Certes, la plupart des bateaux étaient protégés par quelques sorts, afin de rendre la vie à bord plus sûre et plus aisée. Mais, au grand étonnement de la jeune fille, la majorité des marins s’était avérée assez peu encline à la pratique des arts élémentaires. À en croire Alucard, la maîtrise de la magie était une compétence prisée et, sur la terre ferme, une authentique affinité avec l’un des éléments valait en général un emploi lucratif à son possesseur. Les marins, eux, se concentraient presque toujours sur les éléments les plus pertinents au vu des circonstances, l’eau et le vent… Mais rares étaient les magiciens capables d’inverser le cours d’une bataille en mer. Finalement, la plupart des matelots préféraient une bonne vieille lame d’acier. Difficile pour Lila – qui avait en cet instant même plusieurs poignards dissimulés sur sa personne – de trouver à y redire.

— Et pourquoi vous ont-ils épargnée ? poursuivit Kasnov.

— Ah parce que vous trouvez qu’ils se sont montrés très cléments ? répliqua-t-elle.

Le capitaine se pourlécha les lèvres d’un air gourmand. De toute évidence, il avait déjà décidé de monter à l’abordage du navire : il ne lui restait plus qu’à trancher la question du sort de Lila. Or l’équipage du Voleur de cuivre n’était pas connu pour sa clémence.

— Baliz… l’appela l’un d’eux, à la peau plus foncée que les autres.

L’homme saisit son capitaine par l’épaule pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille. Lila ne distingua que des bribes de paroles : « Londoniens », « riches »… et « rançon ». Un sourire s’épanouit lentement sur les lèvres de Kasnov, qui finit par hocher la tête.

— Anesh, glissa-t-il à son subordonné avant de s’adresser à l’ensemble de ses hommes. Hissez les voiles ! Cap au sud-sud-ouest, un poisson doré nous attend !

Un grognement approbateur monta de la troupe. Kasnov indiqua à Lila un petit escalier.

— Madame, votre soirée a été rude. Je vais vous laisser utiliser ma chambre, vous y serez certainement plus à votre aise.

Lila suivit le capitaine sous le pont, un petit sourire aux lèvres : derrière elle, le tonnelet de bière avait cédé sous les assauts des flibustiers qui commençaient à lui faire un sort.

Dieu merci, Kasnov ne s’attarda pas.

Il la laissa dans sa propre cabine, les poignets toujours ligotés, et disparut après avoir verrouillé la porte derrière lui. À son grand soulagement, Lila n’avait vu que trois hommes dans les coursives. Ils étaient donc quinze à bord du Voleur de cuivre.

Installée au bord de la couchette, elle compta jusqu’à dix, vingt, puis trente, tandis qu’au-dessus de sa tête résonnaient les allées et venues des matelots : le navire virait de bord pour se diriger vers le bateau en fuite. Les pirates n’avaient même pas pris la peine de la fouiller, ce qu’elle trouvait un peu présomptueux de leur part. Elle tira une lame de sa botte et, d’un geste parfaitement maîtrisé, la retourna dans sa main pour trancher ses entraves, qui tombèrent à terre. Tout en se frottant les poignets, elle entonna une chanson de marins sur le Sarod, un fantôme légendaire réputé hanter les bateaux égarés la nuit.

"Comment sait-on que le Sarod vient de monter à bord ?

(Vient de monter, vient de monter, vient de monter à bord ?)"

Lila empoigna à deux mains la taille de sa robe dont elle arracha le jupon, révélant un pantalon noir moulant rentré dans ses bottes et, au-dessus de chacun de ses genoux, un couteau sanglé dans un étui. Ensuite, d’un coup de lame, elle trancha dans son dos les lacets de son corset afin de pouvoir enfin respirer.

"Lorsque le vent retombe mais chante encore à tes oreilles,

(À tes oreilles, dans ta tête, dans ton sang, dans tes os…)"

Elle jeta le jupon vert sur le lit et l’ouvrit de l’ourlet à la taille. Entre deux couches de tulle se trouvaient dissimulés une demi-douzaine de fins bâtons qui pouvaient passer pour des baleines et ressemblaient à des fusées, mais n’étaient ni l’un ni l’autre. Elle glissa la lame dans l’une de ses bottes et sortit les chandelles de leur cachette.

"Quand le courant s’arrête mais qu’le bateau dérive encore,

(Dérive encore, vogue au grand large, navigue au loin, tout seul.)"

Au-dessus de sa tête, elle entendit un bruit sourd, la chute d’un poids mort. Suivirent un autre, puis un autre encore : la bière produisait ses effets. Elle frotta du charbon sur un morceau de tissu noir, qu’elle noua sur son nez et sa bouche.

"Lorsque la lune et les étoiles se cachent des ténèbres,

(Car les ténèbres ne sont pas vides, pas vides du tout.)

(Non, les ténèbres ne sont pas vides du tout…)"

La dernière chose qu’elle extirpa des plis du jupon vert fut son masque. Un simple loup en cuir noir avec, sur le front, des cornes recourbées qui lui conféraient une grâce étrange et menaçante. Lila le posa sur son nez puis l’attacha.

"Comment sait-on que le Sarod vient de monter à bord ?

(Vient de monter, vient de monter, vient de monter à bord ?)"

Des pas retentirent dans l’escalier au moment précis où elle apercevait son reflet dans un vieux miroir piqueté de taches noires posé dans un recoin de la cabine.

"Eh bien vous ne, oh non vous ne le verrez pas venir,

(Pas un instant, pas un instant vous n’le verrez venir.)"

Elle sourit derrière son masque puis se retourna et, dos à la paroi, cogna une chandelle contre le bois – comme les fusées un peu plus tôt dans la soirée. Mais cette fois, aucune lumière n’en jaillit, seulement des volutes de fumée pâle.

Un instant plus tard, la porte de la cabine s’ouvrit à la volée, mais les flibustiers arrivaient trop tard. Elle lança la chandelle fumante dans la pièce et entendit les hommes tituber et tousser, avant d’être terrassés par le panache empoisonné.

Et de deux, pensa Lila en enjambant leurs corps.

Plus que treize…

Afficher en entier

Il y avait quelque chose dans sa voix qu'elle reconnut à peine, car c'était la première fois qu'elle l'entendait chez lui. Une note de sincérité. Lorsqu'elle se retourna, il était encadré par la porte, nimbé dans la lumière de la pièce derrière lui. Une simple silhouette, le portrait esquissé d'un noble.

Une illusion, et non la réalité.

Afficher en entier

Alucard tapota son masque, puis répliqua d’un ton teinté de mépris :

— Ma famille est déjà remplie de volatiles. Mon père était un vautour, et ma mère une pie. Mon frère aîné est un corbeau, et ma sœur un moineau. Mais moi, je n’ai jamais vraiment été un oiseau.

Lila résista à la tentation de répondre qu’il aurait pu être un paon. Ce n’était pas le bon moment.

— L’emblème de notre maison symbolise le vol, or les oiseaux ne sont pas les seules créatures volantes, poursuivit-il en levant son masque de dragon. En outre, je ne concours pas pour les Emery, mais pour moi-même. Et si tu voyais le reste de ma tenue, tu ne…

— Tu as des ailes ? Ou une queue ?

— Non, elles me bloqueraient. Mais j’ai d’autres écailles.

— Comme un poisson.

— Va-t’en ! s’écria-t-il.

Afficher en entier

La Flèche noire était revenue jeter l’ancre dans le port de Londres.

Alucard Emery se trouvait donc en ville, quelque part.

Kell avait été presque tenté de couler le bateau, mais il ne récolterait que des ennuis. Et si Rhy l’apprenait, il piquerait sans doute une colère ou se poignarderait par méchanceté.

Afficher en entier

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode