Extraits

Ses yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, il voyait l’homme plus clairement. C’était bien un humain. Mais d’une taille anormale, car il mesurait au moins sept pieds. Même si son manteau noir le dissimulait en grande partie, il paraissait assez mince. Et malgré le capuchon baissé, Flick vit ses traits : un visage long et ridé taillé à la serpe, des yeux profondément enfoncés dans leur orbite et presque cachés par des sourcils broussailleux, un nez long et pourtant épaté, un collier de barbe noire soulignant de grandes lèvres minces… L’effet était effrayant. Flick lutta contre l’envie de courir jusqu’à la lisière de la forêt

Il se rappela la voix douce de la jeune femme, ses manières paisibles, sa beauté fragile. Des souvenirs de paix et de sérénité, une affection qu'il n'avait jamais éprouvée pour personne. S'il avait seulement pu passer un moment avec elle..."

La vie était parfois pleine d'une folie que l'homme devait accepter avec une colère résignée ou une brutale indifférence. Il n'y avait jamais de solution définitive. Excepté la mort."

— Je m’appelle Allanon, annonça-t-il le plus calmement du monde.

Un long silence accueillit sa déclaration.

Allanon ! Le mystérieux voyageur qui parcourait les Quatre Terres, l’historien des espèces, le philosophe, le professeur, et – murmuraient certains – l’adepte des arts magiques ! Allanon, l’homme qui était allé partout, des confins de l’Anar aux cimes interdites des monts Charnal. Son nom était bien connu des communautés les plus isolées des Terres du Sud…

Maintenant, il se tenait devant les Ohmsford, qui s’étaient rarement aventurés au-delà de leur vallée natale !

Pour la première fois, Allanon eut un sourire chaleureux. Au fond, il éprouvait de la pitié pour ces hommes. Ils ne le savaient pas encore, mais l’existence paisible qu’ils savouraient depuis des années touchait à son terme.

En un sens, Allanon en était responsable.

— Qu’est-ce qui vous amène par ici ? demanda Shea.

Le géant eut un rire rauque qui les prit par surprise.

— Vous, murmura-t-il. Je suis venu ici pour vous

Les humains actuels ont oubliés le passé. Ils savent peu de choses sur le présent et encore moins sur l'avenir. L'homme vit presque exclusivement au sud. Ignorant tout des Terres du Nord et de leur peuples, il ne sait presque rien sur celles de l'Est et de l'Ouest...

Dommage que l'espèce humaine soit devenue si timorée. Autrefois, c'était la plus visionnaire de toutes! Maintenant, elle se contente de vivre an l'écart des autres races, indifferente aux problèmes du monde.

Après s’être posés sur la cheminée puis sur les doubles portes closes, au bout de la pièce, ses yeux se braquèrent sur le comptoir, à droite. Les clients avaient tous levé la tête, stupéfaits à la vue du géant. Le compagnon de Flick ne leur prêtant aucune attention, ils retournèrent rapidement à leurs conversations ou à leurs libations, et jetèrent à peine quelques coups d’œil aux nouveaux venus, histoire de s’assurer de leurs intentions

Une terreur animale submergea Flick, le paralysant comme s’il était pris dans un filet aux mailles d’acier. Il lutta contre la folie qui tentait de s’emparer de lui. Quelque chose, lui sembla-t-il, envahit sa poitrine et chassa l’air de ses poumons. Il haleta. Une vision s’imposa à lui : une créature noire striée de rouge, des mains griffues et des ailes géantes. Il émanait de ce monstre une telle malfaisance que son existence même menaçait la vie de Flick

Pour la première fois, Flick vit l’inconnu s’intéresser intensément à quelqu’un. Ses mains accrochées au bord de la table, il se leva. Dominant une fois de plus les Ohmsford de toute sa taille, il semblait avoir oublié jusqu’à leur existence. Son front ridé se plissa un peu plus et une intense concentration s’afficha sur son visage raviné. Un instant, Flick crut que l’étranger était sur le point de détruire Shea ! Puis une autre idée chassa celle-là. L’homme sondait les pensées de son frère 

Sans autre commentaire, il s’installa à une petite table, au fond de la salle, le dos tourné au comptoir. Le Valombrien s’approcha des portes, les ouvrit et s’engagea dans un couloir. Son père était probablement à la cuisine, où il dînait en compagnie de Shea. Flick passa devant d’autres portes avant d’atteindre son but. Quand il entra, un salut amical l’accueillit. Comme il s’en était douté, son père, assis au bout d’un grand plan de travail, à gauche, terminait son repas. Il agita une main musclée

Ils avancèrent lentement entre les bâtisses du hameau. Le Valombrien vit des torches brûler derrière les fenêtres. Les maisons longues et basses, de plain-pied, avaient toutes un toit incliné et un auvent qui abritait une modeste véranda. Les logis étaient en bois avec des fondations en dur. Quelques-uns arboraient aussi des façades de pierre. Derrière les rideaux, Flick reconnut des visages familiers et il se sentit rassuré. Après les frayeurs de tantôt, se retrouver chez lui, au milieu de voisins, était un vif soulagement