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La nuit où je confessai à Emmet que ma dépression avait empiré, je restai éveillé un long moment à observer le plafond tout en pensant aux tapis roulants. Emmet était la troisième personne à me le suggérer. Trois personnes pour me dire que les tapis roulants étaient la parfaite réponse à mon problème, et les trois fois, j’avais souri et hoché la tête au lieu de répondre « je déteste ces putains de tapis roulants ». Je ne me serais jamais adressé aussi grossièrement à Emmet parce que ça l’aurait bouleversé, mais c’est avec lui que j’avais été le plus tenté de balancer la vérité. Je voulais lui dire que les tapis roulants me rendaient dingue. Ils n’allaient nulle part, et je les maudissais pour ça. C’était toute ma vie : rester sur place en ressassant les mêmes merdes. Je n’avais pas besoin qu’un équipement sportif me le rappelle.
Afficher en entierLa plupart des gens ne veulent pas m’écouter raconter tout ce que je sais, mais Jeremey n’est pas la plupart des gens. Il s’en fiche que je sois autiste. Il dit même que c’est l’une des choses qu’il préfère chez moi. Il dit parfois que mon autisme est le meilleur remède contre son anxiété et sa dépression. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui nous ont poussés à monter ici, avec le télescope. La maison de ma tante l’angoissait, et il m’avait confié également qu’il était déprimé depuis quelques jours. En fait, cela faisait des mois qu’il était plus souvent déprimé qu’autre chose, et les ajustements de son traitement, tout comme ses séances avec son thérapeute, le docteur North, n’y changeaient rien. La dépression, tout comme l’anxiété parfois, n’arrêtait pas de voler le meilleur de lui. Je me demandais si c’était à cause de son inquiétude au sujet des rumeurs que nous n’arrêtions pas d’entendre sur les difficultés du Roosevelt, mais c’était difficile à dire avec la dépression. Cela pourrait très bien être parce que la dépression dévorait tout simplement la joie.
Afficher en entierUn sanglot s’éleva de nulle part, pris dans mon nez. Je le transformai en éternuement en fermant étroitement les yeux. Nous y étions. Ce que je redoutais le plus au monde. Et j’étais si épuisé, si pris à m’empêcher de sombrer dans le désespoir, que je ne pus m’empêcher de l’avouer d’une voix tremblante :
— Mais si tu fais trop de compromis, tu vas me quitter, et alors je n’aurai plus personne.
Emmet pressa fermement ma main.
— Je ne te quitterai jamais. Je t’aime.
Pourquoi est-ce qu’il faisait exprès de ne pas me comprendre ? Est-ce qu’il avait pitié de moi ? Les ténèbres me mirent au défi de le lui montrer pour qu’il comprenne. Repousse-le maintenant. Ça fera mal, mais tu as déjà mal. Ne serait-ce pas plus simple de gérer aussi cette douleur maintenant ?
— Mais tu ne peux pas aimer ça. Personne ne peut aimer ça.
Il fredonnait maintenant, sa main libre battant l’air.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « ça » ? Toi ? Si, je t’aime. Je viens juste de le dire. Je ne comprends pas.
Je renonçai.
— Tu veux que je le balance ? Très bien. Ça, c’est ma dépression. Tu ne peux pas aimer ma dépression. Personne ne peut. Moi je la déteste. Mais elle fait partie de moi. Je ne peux pas m’en débarrasser.
Ce n’était pas dans mon intention initiale de tout balancer, mais c’est le problème avec Emmet. Il ne comprend pas la subtilité, alors on finit par être direct lorsqu’on ne comptait, ni ne voulait l’être. Je me recroquevillai un peu plus, mais je ne pouvais plus me cacher maintenant. J’étais dans le gouffre. J’étais dans le gouffre.
De douces lèvres se pressèrent contre ma joue, une fraîche humidité qui m’extirpa de mon maelström de désespoir. Je me tournai vers lui, et Emmet m’embrassa à nouveau, sur les lèvres cette fois.
— Si ta dépression est une part de toi, alors je l’aime aussi.
Afficher en entierJ’errai dans l’appartement en fredonnant et en marchant le long du tapis, là où il rejoignait le sol. Ma pieuvre était déchaînée et je voulais frapper mon crâne contre le mur pour la calmer. Tout était trop bruyant. Le martellement de l’horloge dans la salle de bains, le rugissement du réfrigérateur, les gouttes qui s’écrasaient violemment dans l’évier, l’écho assourdissant de l’air s’engouffrant dans le four, le bouillonnement de l’eau dans les canalisations.
Afficher en entierJe te l’avais dit, me dit Darren dans la fenêtre de tchat lorsque je finis par lui demander de l’aide et qu’il m’apprit qu’il n’avait rien pour moi. S’il y avait un moyen de simuler l’opinion publique, les scientifiques politiques et l’industrie du divertissement l’auraient déjà fait. Parfois ils trouvent une formule, mais elle ne marche qu’un temps. Le cerveau humain ne veut pas être contrôlé.
Je ne veux pas les contrôler, lui répondis-je. Je veux juste leur expliquer pourquoi notre façon de faire est la meilleure.
Afficher en entierPourquoi c’était ça, ma vie ? Ce n’était pas juste ! Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas me sortir du gouffre ? Pourquoi ne pouvais-je pas profiter de ma vie ? Pourquoi devais-je exister comme ça ?
Afficher en entier— C’est Tycho. C’est un cratère.
— Comme les pulls ?
— Non. Le pull c’est un tricot, épelé t-r-i-c-o-t. Là c’est T-y-c-h-o, d’après le nom de l’astronome danois. Il y a soixante-dix pour cent de chances que sa formation soit le résultat d’une collision avec l’astéroïde (289) Baptistina, celui-là même qu’ils ont longtemps pensé être la cause de l’extinction des dinosaures, avant qu’ils se rendent compte qu’il n’en était rien.
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