Extrait

Dimitri lui lança un coup d'œil distrait en pénétrant dans la salle. Il restait une place à sa table, cependant elle était certaine qu'il n'y viendrait pas. Peu importait! Il était seulement indispensable qu'il puisse, de sa place, constater combien elle se tenait mal, petit spectacle qu'elle avait bien l'intention de lui offrir.

Il s'arrêta pour échanger quelques mots avec l'aubergiste, apprit sans doute qu'Alexandra avait tout organisé. Bien sûr, la jeune femme espéra qu'il en était contrarié, ce qui était d'ailleurs le but de l'opération. En général, les hommes aimaient se croire seuls capables de prendre des décisions !

Comme elle l'observait attentivement, elle ne découvrit sur son visage aucun signe de mécontentement. Puis il y eut un petit rire de joie à l'autre bout de la salle. L'une des servantes venait tout juste de l'apercevoir et, de toute évidence, elle le connaissait bien car elle se précipita vers lui.

Bien qu'il ne lui fût pas destiné, Alexandra eut le souffle coupé en voyant l'éblouissant sourire de Dimitri. La servante n'était pas particulièrement jolie, pourtant le comte Petroff la regardait avec ravissement. Puis il se pencha vers elle pour lui murmurer quelques mots à l'oreille. Elle rit, posa familièrement la main sur sa poitrine avant de lui répondre. Il lui frôla la joue de sa bouche et, d'un air satisfait, elle retourna enfin à son travail. Pas besoin d'être grand clerc pour deviner qu'ils s'étaient fixé rendez-vous...

Alexandra bondit de son siège et rattrapa la jeune fille alors qu'elle se dirigeait vers la cuisine. Sans préambule — elle-même n'avait rien prémédité —, elle la saisit brutalement par les cheveux, lui faisant lâcher son plateau qui alla se fracasser à terre. Toutes les têtes se tournèrent vers elles.

— C'est avec mon fiancé que vous envisagez de passer la nuit? demanda Alexandra en tremblant. Si je vous vois encore vous approcher de lui, je vous coupe les oreilles et vous les fais manger. Est-ce qu'il vaut ce sacrifice? Mais peut-être vous a-t-il fait mille serments ?

— Non, madame la baronne, gémit la fille, très pâle.

— Vous me connaissez? demanda Alexandra, perplexe.

— O... oui, madame la baronne.

— Donc, vous savez que je ne parle jamais à tort et à travers ?

— Oui.

— Bon. Alors, espérons que je n'aurai plus l'occasion de vous faire des reproches.

Sans un regard à Dimitri, Alexandra regagna sa table. Elle était elle-même assez stupéfaite de sa propre réaction. Après cette scène en public, prouver à son fiancé qu'elle n'avait aucune éducation ne serait pas si difficile !