Smonk ou La ville des veuves...

C’était l’avant-veille de son assassinat et on entendait de la musique d’harmonica tandis que E.O. Smonk, en selle sur la mule du litige, chevauchait entre les rails du chemin de fer et grimpait la colline en direction de l’hôtel où devait se tenir son procès. C’était le 1er octobre de cette année-là. La sécheresse et la poussière régnaient depuis six semaines et cinq jours. Les récoltes étaient brûlées. On était samedi. Trois heures dix de l’après-midi à en juger par l’ombre des bouteilles de l’arbre à bouteilles.

Smonk se glissa à bas de la mule au milieu des chevaux alignés le long de la barre d’attache qui hennissaient doucement, puis il cracha le mégot de son cigare et, du haut de son petit mètre soixante, il jeta un regard noir autour de lui par-dessus l’encolure des animaux. Il demanda à un gamin blond crasseux qui tenait un ballon à la main de surveiller sa mule équipée d’une selle anglaise posée sur un tapis de Bruges brodé. De l’étui cousu à la selle dépassait la crosse polie d’une Winchester avec laquelle, moins d’une demi-heure auparavant, Smonk avait envoyé ad patres quatre des chèvres d’un Irlandais parquées dans un enclos pour la simple raison que ce qu’il détestait plus encore qu’un Irlandais, c’était une chèvre irlandaise. En guise de marque, la mule avait un trou récent dans l’oreille gauche, fait par une balle de calibre 22, tout comme les vaches, les cochons, le chien de chasse et même le chat de Smonk.