Extraits

La monture visiblement ancienne et d’un travail très délicat était sertie d’un diamant en forme d’étoile qui étincela à la lumière lorsque Adrian lui passa la bague à l’annulaire.

Cette nuit-là, Neely eut encore plus de mal que la veille à trouver le sommeil. Par les volets entrouverts, la clarté de la lune tombant sur sa bague illuminait d’un éclat irréel. Elle s’endormit en la regardant.

Un bras passé sous sa tête, ses cheveux noirs étalés sur la blancheur de l’oreiller, Adrian dormait comme seuls peuvent dormir les mortels, avec abandon.

Renonçant à comprendre, il avisa un blouson de cuir suspendu derrière la porte de la cuisine, l’enfila et sortit. Il y avait un restaurant près d’ici. Il était passé devant en venant et il était pratiquement sûr d’y être déjà allé une ou deux fois. Les mains dans les poches, il remonta l’allée, déboucha sur la route et se mit à marcher en direction du café ou restaurant, il ne se rappelait plus très bien. Pas plus d’ailleurs qu’il ne se rappelait pourquoi sa cuisine était aussi désertique ! Évidemment, les médecins de Londres l’avaient prévenu que son amnésie risquait de perdurer et qu’il ne devait pas s’affoler devant ses trous de mémoire, mais il y avait tout de même de quoi être déconcerté. Tant de choses de sa propre vie continuaient à lui échapper.

Neely jeta des coups d’œil furtifs aux spectateurs des rangs voisins, surprise qu’aucun d’eux n’ait tourné la tête en les entendant parler. Maeve leur avait probablement jeté un sort car ils semblaient tous hypnotisés par l’écran. En quelques phrases, elle lui raconta la visite d’Adrian et son départ.

— Je vois, prononça Maeve d’un ton ambigu. Neely aurait bien aimé « voir » aussi mais pour l’heure, elle nageait dans le brouillard.

Quand elle sortit un peu plus tard, l’estomac lesté des deux scones que Mme F. l’avait forcée à avaler, elle constata que l’intendante ne s’était pas trompée. Le vent cinglant charriait avec lui une bruine glaciale, et le ciel s’était encore assombri. Le taxi dut rouler au pas tant les chaussées paraissaient glissantes, et Neely fut presque surprise d’arriver à destination sans accident.

Elle régla rapidement la course, gravit les marches parsemées de sel, s’engouffra dans le hall du musée et, une fois à l’intérieur, prit le temps de frotter vigoureusement ses oreilles gelées avant de se diriger vers la billetterie.

— Si, lança-t-elle d’une voix raffermie. Moi je peux l’aider. Je lui ai promis de ne pas interférer dans son projet de redevenir humain mais il est au moins une chose que je puis faire sans trahir ma promesse.

Le cœur battant, Neely attendit que la sœur d’Adrian reprenne la parole et fut surprise de la voir se diriger tout à coup vers le bureau où elle s’empara d’une plume et d’une feuille de papier. Elle griffonna quelque chose et Neely dut faire un effort pour ne pas se réfugier à l’autre bout de la pièce en voyant Maeve revenir vers elle.

Une dernière nausée convulsa douloureusement son estomac vide tandis qu’elle ressortait de la voiture pour se rendre dans les toilettes de la station-service. Elle se rinça la bouche, se passa le visage sous l’eau froide puis s’adossa près du lavabo contre le mur constellé de graffitis. Se rendre à Washington n’était peut-être pas une si bonne idée finalement. Elle s’imagina soudain entrer dans une cage à lions en agitant des bouts de viande jusqu’à ce que les fauves s’aperçoivent de sa présence. A peu de chose près, c’était très exactement ce qu’elle s’apprêtait à tenter. Et pourtant, elle avait beau se creuser la cervelle, elle ne voyait pas d’autre alternative.

Un rire moqueur lui répondit. L’instant suivant, des lèvres froides lui effleurèrent le cou, juste avant qu’il ne sente la brûlure d’une morsure. Immédiatement, et sans qu’il lui fût possible de s’y soustraire, le sang commença à se répandre dans ses veines, comme un flux bienfaisant le ramenant à la vie. Ses membres paralysés reprenaient de la vigueur, les brumes qui obscurcissaient son esprit se dissipaient peu à peu et il émergea enfin de son délire pour croiser le regard narquois de Vénétia Havernail, agenouillée près de lui.

Elle s’était redressée et sa bouche maculée de rouge sombre ressortait comme une blessure dans son visage très pâle. Un sursaut de dégoût parcourut Adrian. Il dut se faire violence pour ne pas se détourner lorsque Vénétia lui passa la main dans les cheveux.

Elle raccrocha les larmes aux yeux et, en se tournant, faillit heurter un routier qui attendait derrière elle que le téléphone se libère. L’homme lui fit un gentil sourire auquel elle répondit tant bien que mal avant de sortir précipitamment. Son estomac commençait à crier famine mais elle préférait ne pas s’attarder : son appel avait pu être localisé. Elle reprit sa voiture et conduisit encore deux bonnes heures avant de s’arrêter de nouveau. Sans sortir de la Spitfire, elle acheta un hamburger et un jus d’orange, et les avala rapidement avant de repartir.

Adrian comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus. Sa déception était immense mais la réserve prudente d’Aubrey avait suscité en lui un espoir fragile auquel il se raccrocha. Pour que le vampire se montre si réticent à lui parler de la Fraternité, il fallait que celle-ci détienne des secrets. Parmi eux, se trouvait peut-être celui qu’il recherchait ? Attendre patiemment le bon vouloir de ces mystérieux Anciens le mettait en rage mais il n’était rien qu’il puisse faire pour accélérer les choses. Il ne lui restait plus qu’à prendre congé.

Maeve ? Un pincement désagréable mordit le cœur de Neely qui se raisonna et piqua du nez dans son assiette. Elle avait déjà suffisamment d’émotions à tenir en bride sans y rajouter la jalousie. Elle laissa Adrian sortir de la pièce sans faire de commentaire.

Quand il revint, elle avait fini de dîner et s’était installée sur un pouf devant la fenêtre, les pans de sa chemise pudiquement tirés sur ses genoux… Elle détourna la tête du paysage et jeta un regard curieux au monceau de robes qu’il portait sous le bras.