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J’hésite à raconter l’épisode du serpent. Un après-midi, quatre ou cinq jours plus tard, les enfants du voisinage trouvèrent à peu près une douzaine d’œufs de vipère cachés entre les piquets de la barrière du jardin. Ils soutinrent que c’étaient des œufs de vipère. Je me dis que, si une douzaine de vipères rampaient bientôt dans notre fourré de bambous nous ne pourrions plus aller dans le jardin sans faire grande attention. Aussi dis-je aux enfants : « Brûlons ces œufs » et les enfants me suivirent en sautant de joie.
Afficher en entierMon frère était encore à l’Université quand il fut mobilisé et envoyé dans une île du sud du Pacifique. Nous n’avons jamais reçu de ses nouvelles et il n’est pas revenu, bien que la guerre soit finie. Mère s’est résignée à ne plus le revoir. C’est du moins ce qu’elle dit. Pour moi, je n’ai jamais eu à me « résigner », car je n’ai pas de peine à penser que nous le reverrons certainement.
Afficher en entierAprès avoir échangé de petits coups d’œil, il nous parut vivre un moment d’absolue compréhension. Cela me fit rire et le visage de Mère s’éclaira d’un sourire.
Afficher en entierJe n’ai jamais aimé le petit déjeuner et n’ai pas faim avant dix heures. Ce matin-là je m’arrangeai pour finir ma soupe mais ce fut un effort de manger autre chose. Je mis dans mon assiette quelques boulettes de riz, que je défis du bout de mes baguettes en les écrasant ; j’en pris une miette avec ma baguette que je mis à hauteur de ma bouche, comme Mère tient sa cuiller pour manger le potage et je poussai ce morceau dans ma bouche comme j’aurais donné la becquée à un oiseau. Pendant que je peinais ainsi, Mère, qui avait déjà fini son repas, se leva posément et alla s’adosser au mur que chauffait le soleil du matin. Un instant, elle me regarda sans mot dire.
Afficher en entierJ’avais obtenu du Ravitaillement une boîte de petits pois de conserve américaine et j’en avais fait un potage quelconque. Or je n’ai aucune confiance dans mes capacités de cuisinière, bien que ce soit une des rares capacités qu’une jeune femme doive être sûre de posséder. Aussi me désolai-je de cette soupe, même lorsque Mère eut affirmé qu’elle était excellente.
Afficher en entierJ’ai fait une longue digression depuis la soupe de ce dîner, mais un livre m’a appris qu’au temps de la monarchie française les dames de la Cour ne pensaient pas à mal en se soulageant dans le parc du palais ou dans un coin des corridors. Tant d’innocence me charme et je me suis demandé si Mère ne pouvait pas être une des dernières de ces dames.
Afficher en entierJ’ai quelquefois pensé que les mets auraient meilleur goût si l’on mangeait avec les doigts ; mais je me retiens de le faire, craignant que, si une miséreuse de grande classe sait mal imiter Mère, je ne ressemble qu’à une miséreuse pure et simple.
Afficher en entierMère a une manière de manger, non seulement le potage, mais tout le reste, qui diffère entièrement de l’habituelle tenue à table. Après s’être servie de viande, elle coupe d’abord sa part en petits morceaux à l’aide de sa fourchette et de son couteau, puis elle fait passer sa fourchette dans sa main droite et pique légèrement les morceaux l’un après l’autre. D’autre part, alors que nous nous débattons pour désosser un poulet sans racler notre assiette, Mère prend délibérément l’os entre ses doigts et, d’un coup de dents, en arrache la chair. Même des manières aussi primitives semblent non seulement charmantes, mais étrangement séduisantes quand c’est de Mère qu’il s’agit. D’ailleurs ce n’est pas seulement quand il s’agit d’un os de poulet garni de chair que maman agit ainsi, car au déjeuner il lui arrive de saisir délibérément du jambon ou du saucisson avec les doigts. Elle dit parfois : « Les boulettes de riz, sais-tu pourquoi elles sont bonnes ? Eh bien, c’est parce qu’elles sont faites avec les doigts ! »
Afficher en entierMère poussa un faible cri. Elle prenait sa soupe dans la salle à manger.
Je pensai que quelque chose de désagréable était tombé dans son assiette.
— Un cheveu ? demandai-je.
— Non.
Afficher en entier" Seuls ceux qui ont envie de se maintenir en vie peuvent le faire.
De même que l'homme a le droit de vivre, il doit avoir le droit de mourir"
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