Ajouter un extrait
Liste des extraits
— Je veux que vous montiez dans le carrosse, ordonna Nathaniel, dont le visage trahissait enfin la tension. Ils ne resteront pas coincés là-dessous bien longtemps. Que faites-vous ?
Elisabeth avait dégagé son bras de la main de Nathaniel. Repoussant du pied une brique, elle récupéra une barre de métal qui avait roulé du tas de gravats et la leva fermement, l’air farouche. Nathaniel la jaugea un instant du regard et l’expression de son visage changea légèrement, alors qu’il reconsidérait la situation.
— Très bien, petite terreur. Vous m’aiderez à les retenir, dit-il en lui désignant le siège du cocher.
Afficher en entierLe visage d’Elizabeth s’illumina.
- Des grimoires, souffla-t-elle, encore plus réjouie qu’elle ne l’avait été par la forêt enchantée.
Nathaniel la considéra avec une expression étrange.
- Vous aimez cet endroit ?
- Bien sûr. Il y a des livres.
Afficher en entier- Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle.
- Eh bien, je savais que vous parliez aux livres, mais j'ignorais qu'ils vous écoutaient.
- Ils ne se contentent pas d'écouter ; ils font bien plus que ça.
Afficher en entierCombien de temps faudrait-il à silas pour les retrouver ? Elle ne partageait pas la confiance de Nathaniel. Elle n’avait jamais vu un lieu aussi bien défendu que celui-ci. Même si Silas était capable d’escalader le haut rempart qui protégeait la bibliothèque, celui-ci était renforcé de fer, et veillé par les gardiens. Et ce n’était que le premier obstacle à franchir ; il lui faudrait ensuite se glisser dans le bâtiment et passer un nombre conséquent de grilles en fer pour accéder aux geôles.
Après avoir attendu ce qui lui parut des heures, elle se redressa.
– Vous ne pensez pas que Silas aurait pu se faire prendre, tout de même ? demanda-t-elle.
– J’espère que non, répondit dans un murmure une voix légèrement vexée, en provenance du couloir. Maître Nathaniel sait que je ne suis pas un amateur.
– Silas ! s’exclamèrent-ils à l’unisson en précipitant aux barreaux.
Silas sortit de l’ombre en soupirant.
– Parlez plus doucement, si cela ne vous fait rien.
Un grand sourire illumina le visage de Nathaniel en le voyant apparaître dans le cercle lumineux de la torche, impeccable et serein comme à son habitude.
– Tu n’as pas été blessé ? demanda Nathaniel.
Silas écarta d’un geste négligent une question aussi indigne de lui.
– Je constate que tous les deux, vous n’avez pas perdu de temps pour réussir à vous faire jeter en prison. (Il se pencha pour examiner la serrure de la grille, puis, à l’aide d’un mouchoir replié pour se protéger la main du contact du fer, sortit de sa poche le trousseau de clés d’un gardien.) Je ne sais même plus, maître. Est-ce la deuxième ou la troisième fois que je dois vous faire évader d’une cellule ?
Nathaniel toussota.
– De simples malentendus sans gravité, en deux toutes petites occasions, assura-t-il à Elizabeth.
Silas s’empara d’une des clés du trousseau et s’en servit pour ouvrir les menottes de Nathaniel. Puis, tandis que ce dernier s’occupait de libérer Elizabeth, Silas choisit une seconde clé et s’appliqua à déverrouiller la porte de leur cellule.
– Au moins, cette fois, vous avez encore vos vêtements, releva-t-il d’un ton imperturbable, penché sur la serrure.
– Je te rappelle, dit Nathaniel, qu’il s’agissait d’un accident, et aucun témoin ne s’en est plaint, que je sache. Une femme m’a même envoyé des fleurs. N’en prenez pas ombrage, ajouta-t-il à l’intention d’Elizabeth. Elle avait quarante ans et se prénommait Mildred.
Silas ôta vivement sa main alors que la grille s’ouvrait, et lâcha les clés avec un sifflement de douleur. Un panache de fumée s’éleva de ses doigts. Il voulu se reculer pour leur laisser la place de sortir, mais en fut empêché par Elizabeth qui le serra dans ses bras, suivie aussitôt par Nathaniel qui l’étreignit de l’autre côté. Il se figea, raide comme un piquet, endurant leur démonstration d’affection avec la patience hautaine d’un chat de race embrassé par un bambin. Quand il finit par s’agiter un peu dans leurs bras, ils le relâchèrent enfin.
– Nous éviterons de reparler de ce moment, les avertit Silas en défroissant ses manches.
Afficher en entierOfficium adusque mortem. Était-ce son devoir d’affronter cet homme, au risque de le tuer, si échapper à ses griffes pouvait lui permettre de sauver bien d’autres vies ?
—Par ici, bande d’idiots ! grogna le bandit en s’appuyant au mur pour se relever, puis en plaquant une main sur sa manche ensanglantée. (Du sang poissa entre ses doigts crispés sur son bras et il adressa à Elisabeth un regard mauvais.) Et prenez garde ! Elle s’est trouvé une arme.
Nulle réponse ne parvint de la ruelle derrière l’échoppe du boucher.
—Oh, vous m’entendez ?
L’allée resta aussi silencieuse qu’un tombeau.
—Arrêtez un peu de jouer les abrutis ! aboya-t-il.
Puis le bruit d’un pas léger dans une flaque se fit entendre au coin, et une voix douce et courtoise s’éleva :
— Ne soyez pas trop sévère avec vos amis. Je crains qu’ils ne soient indisposés.
—C’est une blague, ou quoi ? lança l’homme en reculant pour voir ce qui se passait, et son visage perdit soudain toutes ses couleurs. Que… qui êtes-vous ? bégaya-t-il.
—Difficile de répondre à cette question, murmura la voix. Je suis un être très ancien, voyez-vous. J’ai provoqué la chute d’empires et me suis tenu au chevet de rois sur leur lit de mort. Des nations qui ont disparu dans les limbes de l’Histoire se sont affrontées pour le secret de mon nom. (Il soupira.) Mais, pour le moment présent, je suis simplement dépité. Mes projets du jour n’incluaient pas de flâner dans une ruelle sordide pour m’occuper d’une poignée de criminels de second rang. D’autant moins dans un habit propre, et avec des souliers neufs.
Afficher en entierLe carrosse se rapprocha du manoir et Elisabeth s'arracha à sa contemplation éberluée des lieux. Un nombre important de gens patientaient le long de l'allée, mais pour autant qu'Elisabeth puisse en juger, il ne s'agissait ni de sorciers ni de domestiques. Ils portaient tous des vestes de tweed marron et un carnet de notes coincé sous le bras, et consultaient régulièrement leur montre à gousset comme s'ils étaient particulièrement pressés. Quand ils entendirent le carrosse approcher, ils se tournèrent dans sa direction avec des visages avides, telle une meute de chiens attendant qu'on leur jette les reliefs du dîner.
—Qui sont tous ces gens ? demanda Elisabeth, mal à l’aise. On dirait qu’ils nous attendent.
Nathaniel glissa sur la banquette vers elle, regarda au-dehors, et jura entre ses dents.
—Le Chancelier Ashcroft a invité la presse à venir chez lui. Impossible de leur échapper, j’en ai peur. Courage, Scrivener. Ce ne sera pas long.
Quand Silas ouvrit la portière, un puissant brouhaha déferla sur eux. Parmi les gens rassemblés, personne n’accorda un regard à Silas ; tous les yeux se tournèrent vers Elisabeth quand elle descendit de la voiture et les hommes jouèrent des coudes pour s’octroyer une meilleure place.
—Mademoiselle Scrivener ! Auriez-vous un moment…
—Je suis M. Feversham de L’Enquêteur de Pont-l’Airain…
—Par ici, mademoiselle Scrivener !
—Pouvez-vous nous donner votre taille exacte, mademoiselle Scrivener ?
—Bonjour, dit Elisabeth, un peu médusée par le spectacle de ces hommes qui se ressemblaient tous beaucoup. (Jamais encore elle n’avait vu autant de moustaches en un même lieu.) Je suis navrée, j’ignore ma taille exacte.
Elle avait encore grandi depuis la dernière fois que Katrien l’avait mesurée.
—Est-il vrai que vous avez vaincu un Maléfict de catégorie huit à Estive ? demanda un des hommes, tout en griffonnant frénétiquement sur son carnet.
—Oui, c’est vrai.
—À vous seule ?
Elisabeth hocha la tête. L’homme la dévisagea avec de grands yeux écarquillés, et elle ajouta gentiment :
—Enfin, j’avais une épée.
Un autre reporter en tweed se faufila au-devant de la foule.
—J’ai cru comprendre que vous avez passé beaucoup de temps en compagnie du magister Thorn. Vous a-t-il fait part de ses intentions ?
—J’aurais bien aimé, répondit Elisabeth. La moitié du temps, ce qu’il dit n’a pas le moindre sens. Cela m’aiderait de connaître ses intentions.
Nathaniel toussota.
—Elle ne l’entendait pas dans ce sens, assura-t-il à la cantonade, tout en prenant Elisabeth par le bras. C’est une bibliothécaire sauvage, vous savez ; élevée au milieu des poux de livre, une histoire tragique…
Il tira Elisabeth hors de l’attroupement et l’entraîna vers le perron.
Afficher en entier- J'ai pensé- j'ai espéré- qu'après l'affrontement, vous retrouveriez votre bon sens. Que je me réveillerais pour découvrir que vous étiez partie.
Ses mots étaient durs. Elisabeth retint son souffle, attendant la suite.
-Mais vous êtes restée auprès de moi. Et, égoïstement, j'en suis heureux- de toute ma vie je n'avais jamais rien désiré d'aussi fort. Maudite créature, contrariante et indocile.
Afficher en entierQuelque chose est à l’œuvre, dit ce dernier en l’interrompant. Quelque chose d’une importance majeure. Je le sens dans l’espace entre les mondes, qui se propage telle une vague, projetant son influence dans toutes les directions, et Mlle Scrivener se dresse sur sa route tel un roc. Sa vie ne ressemble à aucune autre. Même engloutie par cette ombre, elle brûle si farouchement qu’elle en est aveuglante.
Afficher en entier- La plupart des gens ne croient plus aux contes de fées en grandissant. Pourquoi avez-vous continué, quand le reste du monde n'y prêtait plus foi ?
Elisabeth n'était pas sûre de connaître la réponse à cette question qui n'avait pas vraiment de sens pour elle, ou qui du moins de l'intéressait pas.
- Quel est l'intérêt de la vie si vous ne croyez en rien ? demanda-t-elle plutôt.
[...]
- Je n'ai pas répondu à votre question, dit-il en se levant pour se diriger vers les tentes. Si vous ne croyez en rien, alors vous avez beaucoup moins à perdre.
Afficher en entier— Vous me connaissez à peine. Et vous n’avez pas vu ce dont je suis capable, enfin, pas vraiment. Quand cela arrivera, je parie que vous changerez d’avis.
[...]
— Je n’ai peut-être pas vu ce dont vous êtes capable, dit-elle, mais j’ai vu ce que vous avez choisi de faire. (Elle releva les yeux vers lui.) N’est-ce pas le plus important ?
Afficher en entier