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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-27T11:56:42+01:00

Chapitre 1

— Je n’ai pas de problème de boisson, Votre Honneur. J’ai un problème quand je bois, expliqua Karan Kowalski Steinberg-Reece.

Rien que de devoir se justifier devant cette femme en particulier la rendait malade.

— Je vous écoute, madame Kowalski Steinberg-Reece.

La juge la toisait du haut de son estrade d’un air hautain. Elle avait bien appuyé sur le « madame » en étirant chaque syllabe comme si elle tenait à souligner que les mariages n’avaient pas duré aussi longtemps que les noms.

— Je souffre d’hypoglycémie.

Que pouvait-elle dire d’autre ? Les résultats des tests de toxicologie parleraient d’eux-mêmes.

Et puis son avocat, un ami proche de son deuxième mari, avait bien insisté : étant donné le passé qui la reliait à la juge, il lui fallait en priorité mesurer ses paroles et son comportement.

L’honorable juge Jennifer Sharpe-Malone, connue autrefois sous le nom de « Jenny » lorsqu’elle était élève au lycée d’Ashokan, avait tout fait pendant quatre ans pour devenir pom-pom girl sans jamais y parvenir. Ces quatre mêmes années où Karan avait été capitaine de l’équipe des pom-pom girls. Juge aux épreuves de sélection, elle avait donc dû placer toutes ses amies, ce qui n’avait pas été une mince affaire.

Bien entendu, Jenny ne faisait pas partie de son cercle d’amies.

Et voilà que parmi tous les juges des Catskill Mountains de New York, il avait fallu qu’elle tombe sur elle ! Ce n’était vraiment pas son jour de chance.

— Je suis au courant de votre problème, répliqua cette dernière. J’ai consulté le rapport de police. En outre, d’après l’officier qui vous a arrêtée, vous paraissiez beaucoup plus diminuée que les résultats du test d’alcoolémie et du compte rendu toxicologique n’auraient pu le suggérer.

Quelle barbe ! Karan avait accepté de coopérer avec les policiers en soufflant dans le ballon pour ne pas risquer, en cas de refus, qu’on lui retire automatiquement son permis de conduire. Un verre de champagne. Un ridicule petit verre de rien du tout et son taux d’alcool était monté à 0,5. Une fraction de pourcentage en moins, et elle ne serait pas dans cette salle de tribunal à se ridiculiser ainsi devant Jenny.

Son avocat prit la parole :

— La loi n’obligeait pas ma cliente à accepter de passer le test d’alcoolémie, Votre Honneur, seulement l’analyse chimique. Or Mme Kowalski Steinberg-Reece s’est montrée coopérative en consentant à subir les deux.

— C’est noté dans le dossier, maître James, et pour votre gouverne, apprenez que je connais la loi.

Elle jeta un regard exaspéré vers Karan.

— Ne vous est-il pas venu à l’idée d’appeler un taxi ?

— Si, Votre Honneur.

« Soyez brève, concise. Ne vous perdez pas en commentaires alambiqués, lui avait dit son avocat. N’offrez d’explications que si le juge vous le demande. »

— Alors pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

— Il m’était impossible de laisser ma voiture là.

— Et pourquoi ?

— Personne ne pouvait me la ramener.

— Vous vous trouviez à… l’auberge de Laurel Lake, n’est-ce pas ? demanda Jenny en jetant un coup d’œil sur le document posé devant elle.

— Oui, Votre Honneur.

— L’auberge possède un garage fermé. Vous auriez pu très facilement y laisser votre véhicule pour une somme modique le temps de vous organiser pour la récupérer dans les meilleures conditions.

Oui, elle aurait pu. Il n’y avait rien à y redire.

— Madame Kowalski Steinberg-Reece, si l’idée de prendre un taxi le lendemain jusqu’à l’auberge de Laurel Lake pour récupérer votre voiture ne vous convenait pas, vous auriez pu, au moins, vous abstenir de boire.

Karan retint un mouvement d’humeur. A l’entendre, on aurait pu en conclure qu’elle était une poivrote !

— Je n’ai pas exactement bu, Votre Honneur. J’ai levé mon verre pour féliciter le sénateur lorsqu’il a annoncé qu’il se représentait aux prochaines élections.

Elle aurait mieux fait de se taire, ce que son avocat lui fit comprendre en posant sur elle un regard profondément méprisant.

Mais il était trop tard : Jenny était partie sur le sentier de la guerre.

— Si une simple coupe de champagne vous avait handicapée à ce point, vous auriez dû attendre que votre foie ait absorbé l’alcool avant de quitter la soirée, madame Kowalski Steinberg-Reece. Vous aviez aussi la possibilité de prendre une chambre pour la nuit puisque vous étiez dans un hôtel. Ou vous faire raccompagner par des amis.

Son ton était empreint d’un sarcasme tel qu’il dépassait de loin ce que l’on aurait pu attendre raisonnablement de la part d’un juge s’adressant à un prévenu, quel que soit le degré de son délit.

— Si cela ne vous convenait pas, poursuivit-elle, toujours aussi sèche, vous n’aviez qu’à demander au sénateur de vous reconduire chez vous.

Karan dut faire un effort de volonté surhumain pour ne pas exploser. Visiblement, Jenny prenait un réel plaisir à l’humilier. A moins qu’elle n’aime le son de sa propre voix.

— Enfin, quelle que soit la raison, votre décision de conduire sous l’empire de l’alcool n’était pas la bonne, conclut cette dernière. Soyez heureuse en tout état de cause de ne pas avoir causé d’accident dans lequel vous auriez pu vous blesser ou, pire encore, blesser quelqu’un d’autre. Les tragédies sont, hélas, bien trop courantes sur les routes. Mais je pense que vous le savez.

Karan sentit sa paupière gauche se mettre à tressauter, signe avant-coureur d’une migraine. Bien sûr, elle était heureuse de ne pas avoir eu d’accident, mais il était hors de question qu’elle l’admette devant Jenny. Quoi qu’il en soit, elle ne chercherait pas à se justifier une nouvelle fois. Elle n’ouvrit donc pas la bouche.

Au cours de ces quinze dernières années, la donne avait considérablement changé : elle n’était plus juge. C’était au tour de Jenny de l’étudier sous tous les angles, de mettre en lumière ses fautes et d’annoncer la sentence. Et Karan espérait que Jenny oublierait leur lointain passé et ne tiendrait compte que d’une chose : que la femme qui passait en jugement devant elle était un membre tout à fait respectable de cette communauté.

Ce serait le meilleur scénario envisageable. Et, même si on lui ordonnait de suivre un programme de prévention de la toxicomanie, elle se contenterait de remercier aimablement la juge Jennifer Sharpe-Malone d’un sourire de circonstance, avec l’espoir que ce programme, comme beaucoup d’autres concernant les infractions routières, serait accessible sur internet.

Cette situation était déjà bien assez humiliante sans qu’elle ait à passer des heures enfermée dans une pièce sans fenêtre en compagnie de toute une clique d’alcooliques confirmés et autres drogués du même acabit. Sans compter qu’elle était déjà fichée sur le site de la police, avec sa photo d’identité judiciaire. N’importe qui pouvait y avoir accès. Heureusement, elle était bien habillée pour la soirée du sénateur, et à part le numéro d’identification autour du cou, cela pouvait être une photo comme une autre. Enfin, presque.

— Madame Kowalski Steinberg-Reece, reprit Jenny d’un ton empreint d’autosatisfaction.

De toute évidence, cette situation de domination sans équivoque la ravissait au plus haut point. Mais après tout, si cela l’amusait, pourquoi pas ? Elle n’avait peut-être pas beaucoup d’occasions de s’amuser, dans sa vie.

— Madame Kowalski Steinberg-Reece, saviez-vous qu’un tiers des accidents mortels dans l’Etat de New York est causé par des conducteurs roulant en état d’ébriété ou en état d’ivresse ?

— Oui, Votre Honneur.

— Et qu’une loi, la STOP-DWI law, a été votée dans l’Etat de New York pour lutter contre la conduite sous l’empire de l’alcool et des drogues ?

— Oui, Votre Honneur.

— Connaissez-vous la différence entre la conduite en état d’ébriété et la conduite en état d’ivresse ?

— Oui, Votre Honneur.

— Pouvez-vous me dire exactement en quoi elle consiste ?

— La conduite en état d’ébriété est une infraction au code de la route. La conduite en état d’ivresse est considérée comme un crime.

Les lèvres teintées d’un rouge agressif, qui faisait ressortir les fines petites lignes verticales autour de la bouche de Jenny, s’étirèrent en un lent sourire. Un peu de chirurgie esthétique ne serait pas du luxe dans son cas, songea Karan.

— Très bien, madame Kowalski Steinberg-Reece. L’Etat de New York vous déclare donc coupable de conduite en état d’ébriété. Cette cour vous condamne en conséquence à une suspension de votre permis de conduire pour une durée de quatre-vingt-dix jours. En outre, vous êtes également condamnée à une amende de cinq cents dollars, que vous réglerez au greffier du tribunal, ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de quinze jours.

Susanna, la meilleure amie de Karan, assise derrière elle, laissa échapper un petit cri de stupéfaction. Son avocat ravala un juron. Quant à Karan, elle resta sans voix, figée, les yeux écarquillés. Qu’avait dit Jenny ? Elle avait bien parlé de prison ?

— Votre Honneur ! s’exclama son avocat sans même chercher à dissimuler sa consternation. Votre Honneur, il s’agit de la condamnation la plus sévère possible.

— Dois-je vous répéter, maître James, que je connais la loi ?

— Ceci est la première infraction commise par Mme Kowalski Steinberg-Reece.

— Ce n’est sans doute pas la première fois qu’elle se trouve en état d’hypoglycémie. Elle semble parfaitement consciente de l’effet potentiel de l’alcool sur sa condition physique.

Karan eut du mal à ne pas sourire. Il suffisait de regarder Jenny pour constater qu’elle aussi subissait à sa façon les ravages de l’alcool. Même sa robe de juge, noire et vaste comme une tente, ne parvenait à dissimuler son embonpoint. Il fut un temps où elle était mince, pourtant.

— Bien qu’elle ait été parfaitement consciente des effets potentiels de l’alcool, votre cliente n’a pas hésité à lever son verre à la santé du sénateur avant de reprendre le volant sans avoir attendu que son corps ait résorbé l’alcool, reprit-elle. En la condamnant à la peine la plus sévère, j’espère que cela lui servira de leçon et que cette première infraction sera sa dernière.

Karan se tourna vers son avocat. C’était à son tour de jouer. Il fallait bien qu’il justifie ses honoraires colossaux. Elle avait insisté pour les lui verser, même si, pendant les trois années où elle avait été mariée avec Patrick, il venait régulièrement dîner chez eux.

— Puis-je m’approcher, votre Honneur ? demanda-t-il.

Il attendit que la juge acquiesce d’un hochement de tête avant de traverser la salle du tribunal.

Karan retint sa respiration. Elle n’osait pas bouger. Son avocat était plus que compétent, ne cessait-elle de se répéter. Elle n’avait d’autre choix que d’attendre et de lui faire confiance. Il ferait ce qu’il avait à faire.

Quel cauchemar ! Elle n’aurait jamais dû prendre le volant ce soir-là, elle le savait pertinemment. Même si elle n’habitait qu’à quelques kilomètres et que la route était peu fréquentée, elle n’aurait pas dû conduire. Si c’était à refaire, elle trouverait une autre solution. Jenny avait raison sur un point : elle était parfaitement consciente de l’effet potentiel de l’alcool sur elle. C’était bien pour cette raison qu’elle ne buvait jamais. Lorsqu’elle sortait, elle prenait de l’eau pétillante avec du citron vert, plus pour occuper les serveurs qu’autre chose. Les rares occasions où elle s’autorisait un peu d’alcool, c’était lorsque l’on portait un toast avec du champagne, et seulement si c’était du très bon champagne.

Parfois cela se passait très bien, elle pouvait boire une coupe entière sans effet désastreux. En revanche, il lui arrivait aussi, lorsque son niveau de glycémie était au plus bas, que la moindre gorgée l’assomme complètement. Pour éviter ce risque, elle avait coutume de prendre de très petites gorgées, en surveillant ses réactions jusqu’à ce qu’elle soit rassurée.

Ce soir-là, elle avait brisé toutes les règles et aujourd’hui elle en payait le prix. Elle le saurait pour la prochaine fois. Si elle survivait à quinze jours de prison…

Elle résista au désir de se retourner vers Susanna. Son amie était venue la soutenir moralement en prenant du temps sur ses heures de travail. Heureusement qu’elle était là, songea-t-elle avec une ironie désabusée. Elle pourrait avoir besoin d’elle pour payer sa caution !

Elle observa sans un mot Jenny et l’avocat se parler à voix basse, discuter entre eux de sa punition à venir sans qu’elle puisse y mettre son grain de sel, notant malgré elle les petits bruits qui troublaient le silence de la salle d’audience.

Un murmure de polyester tandis que l’huissier changeait de position sur son siège.

Le sifflement mécanique et régulier de la climatisation qui parvenait à peine à tenir la chaleur en respect.

Le grincement d’une charnière dans le fond de la salle tandis qu’une porte s’ouvrait puis se refermait.

Un bruit de pas étouffés mais pleins d’assurance, puis le poids d’un corps qui se laisse tomber sur un siège, juste derrière elle.

Lorsque Susanna se mit à chuchoter, Karan jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Sa meilleure amie était en train de parler avec Jack Sloane, plus séduisant que jamais dans son bel uniforme bleu et cuivre.

Tiens donc, le chef de la police de Bluestone Mountain avait décidé de lui accorder la grâce de sa présence.

Autrefois, lorsqu’elle était capitaine des pom-pom girls, elle avait eu un certain béguin pour Jack. Elle était même allée jusqu’à envisager un bel avenir avec lui. Ils étaient sortis ensemble jusqu’à la fin de leurs études secondaires et pendant longtemps à l’université. Puis Jack avait décidé de changer d’orientation ; des études de droit, il était passé à l’application de la loi. Or Karan ne tenait pas à être femme de flic, alors qu’elle aspirait à épouser un homme haut placé dans la société.

C’était dommage quelque part, car Jack était devenu de plus en plus beau au fil des années. Et comme si d’avoir changé d’orientation de carrière n’était pas déjà assez criminel en soi, il venait tout juste de se marier avec une femme que Karan ne pouvait pas supporter et qui, tout au long de ses études secondaires, n’avait cessé d’être une source d’irritation constante.

En ce qui la concernait, Jack lui devait beaucoup, ce qu’elle n’avait pas hésité à lui rappeler lors de son interpellation. Bien sûr, il lui avait promis de lui venir en aide mais, jusque-là, elle n’avait rien vu venir de concret. Elle savait bien qu’il n’avait pas le pouvoir de faire disparaître cette situation aussi aisément qu’une amende pour stationnement irrégulier. Cela dit, elle espérait qu’il ferait autre chose que de passer simplement quelques minutes dans la salle d’audience pour faire acte de présence.

Jenny leva les yeux et l’aperçut.

— Inspecteur Sloane. Merci de bien vouloir vous joindre à notre petite réunion.

— Juge Malone.

— Les grands esprits se rencontrent, nous étions justement en train de parler de vous. Nous pensions que vous aviez décidé de ne pas venir. Approchez-vous, je vous prie.

Jack s’avança et l’huissier lui ouvrit le petit portillon.

— Je ne voulais surtout pas rater la fête.

La fête ? Oh ! Combien Karan détestait cette petite ville ! Elle avait en sainte horreur les commérages, le fait que tout le monde soit au courant de tout sur tous. Or ici, tout le monde savait tout sur elle. Pourquoi vivait-elle ici ? Elle possédait un appartement superbe à Manhattan et une petite maison sur la côte du Connecticut, alors pourquoi donc tenait-elle tant à avoir aussi une maison ici ?

C’était une bonne question, pour laquelle elle n’avait pas de réponse. Cette fois-ci, néanmoins, elle en avait par-dessus la tête ! Dès qu’elle sortirait de cette salle d’audience, elle irait voir un agent immobilier, se promit-elle tandis qu’elle observait cette réunion des anciens du lycée d’Ashokan. Oui, décidément, cette farce avait assez duré.

Elle attendit d’être invitée à son tour à s’approcher. En vain. De toute évidence, elle n’avait qu’à bien se tenir pendant que le reste du monde prenait à sa place des décisions concernant sa vie personnelle.

Elle respira à fond. A quoi bon s’énerver ? Cela ne servirait à rien. Après tout, elle seule était responsable de cette situation. Mais elle avait beau le savoir, c’était une piètre consolation.

Quelle idiote de s’être mise dans un tel pétrin ! C’était l’occasion rêvée pour Jenny de se venger cruellement de ses frustrations passées. Et puis pourquoi le beau Jack, l’ancienne star du terrain de football, n’était-il pas devenu, au cours des années, un flic au crâne chauve et au ventre en brioche ? C’était surtout cela qui l’énervait au plus haut point.

Elle sentit les doigts de Susanna lui presser doucement l’épaule, comme pour la rassurer. Elle n’était pas du genre à se laisser aller à des épanchements émotionnels, et son amie, qui la connaissait depuis l’école communale, le savait bien. Elles avaient partagé tant d’expériences ensemble : petits amis, diplômes, mariages, divorces, enterrements.

Susanna, elle, était ouverte et chaleureuse. Elle aimait communiquer ses émotions, elle aimait les embrassades spontanées, le contact physique, rassurant. Surtout depuis la mort de Skip, son mari.

Karan aurait aimé être aussi ouverte qu’elle, aussi accessible, disponible, toujours là pour ceux qu’elle aimait. Même dans les moments les plus difficiles. Mais elle avait un peu de mal.

Bien sûr, il y avait aussi le revers de la médaille. Susanna s’inquiétait pour un oui ou pour un non. Jamais Karan n’avait rencontré quelqu’un capable de s’inquiéter autant. Parfois, jusqu’à l’excès.

Mais que serait sa vie sans Susanna ? Elle préférait ne pas y penser. Elles étaient inséparables, comme deux sœurs. Ou plutôt, comme l’idée que Karan se faisait d’une sœur, elle qui était fille unique.

— Madame Kowalski Steinberg-Reece, annonça Jenny d’une voix qui en disait long sur ses intentions.

Pas de doute : Jenny s’était métamorphosée en un requin prêt à dévorer sa proie sans merci !

— Grâce à une suggestion du chef de police Sloane, nous sommes parvenus à un arrangement qui vous satisfera davantage, je l’espère.

Susanna pressa l’épaule de Karan une dernière fois, avant de retirer sa main.

Face au peloton d’exécution, Karan resta de marbre. Son avocat plissa les yeux, lui intimant du regard l’ordre de ne surtout pas ouvrir la bouche. C’était inutile. Elle n’avait aucunement l’intention d’ouvrir la bouche.

— Nous considérons qu’il y a peu de chances que vous récidiviez, poursuivit Jenny. C’est pourquoi nous vous proposons une alternative qui, si vous êtes d’accord, supplantera votre peine d’emprisonnement.

C’est à peine si Karan osait respirer. Jusque-là, rien à dire. L’idée de passer deux semaines derrière les barreaux lui donnait la chair de poule. Surtout que la couleur orange ne lui allait pas du tout. Mais alors, pas du tout.

— Au lieu d’une peine d’emprisonnement, précisa Jenny qui semblait prendre un malin plaisir à faire durer le suspense, vous devrez effectuer trois cent soixante heures de travaux d’intérêt général.

Karan fit un rapide calcul mental. Trois cent soixante heures, cela faisait quinze jours. D’accord. Toujours rien à dire jusque-là.

— L’inspecteur Sloane travaille depuis quelque temps avec le maire Trant ainsi qu’avec un certain nombre de membres influents de la communauté. Ils ont inauguré New Hope, le premier centre d’accueil de Bluestone Mountain pour les victimes de violence domestique. Vous les assisterez dans leurs efforts en effectuant vos heures de travaux d’intérêt général sous la supervision de l’un des directeurs du programme. Vous pourrez organiser vos heures selon votre convenance. Vous allez aussi devoir prendre part à des sessions de groupe hebdomadaires ainsi qu’à des sessions privées de psychothérapie pendant toute cette durée, et votre permis de conduire restera suspendu tant que vous n’aurez pas complété les heures qui vous auront été imposées, à la suite de quoi vous devrez vous représenter devant cette cour en ma présence. J’étudierai votre cas et, dans la mesure où ces conditions auront été remplies de manière satisfaisante et seulement alors, votre permis vous sera restitué. Si vous choisissez cette condamnation alternative, je vous ferai grâce des trois heures d’éducation aux problèmes liés à la consommation de drogues et d’alcool qui vous seraient imposées dans l’autre cas par la loi. Avez-vous besoin de quelques instants pour consulter votre avocat ?

Elle lui faisait grâce de trois heures ? Quelle générosité ! En revanche, l’idée de se retrouver dans une pièce sans fenêtre entourée de drogués de tous bords la fit frissonner.

— Oui, Votre Honneur, répondit-elle poliment.

Son avocat vint la rejoindre, et s’assit près d’elle à la table.

— Paris Hilton s’en est tirée avec deux cents heures de travaux d’intérêt général, et elle n’en était pas à sa première condamnation, lui siffla-t-elle à l’oreille.

— N’oubliez pas qu’elle a été en liberté surveillée pendant un an.

Il jeta un coup d’œil vers le tribunal, comme s’il craignait d’être entendu. Mais Jenny était bien trop occupée à parler avec Jack.

— Le Japon lui a refusé le droit d’entrer, ajouta-t-il.

— Comme si je voulais aller au Japon ! C’est vraiment ce que vous pouvez obtenir de mieux ?

Il la fusilla du regard.

— Karan, je ne sais pas ce que vous avez fait à cette femme, ce que je peux vous affirmer néanmoins, c’est que vous n’obtiendrez rien de plus. Vous avez le choix entre la prison et le travail d’intérêt général. La balle est dans votre camp.

Les images de pièces sans fenêtre laissèrent place tout à coup à celles du dernier petit tour en prison de Lindsay Lohan, l’actrice accusée d’avoir volé un collier dans une bijouterie. Karan frissonna. La presse locale ferait un tabac si elle allait en prison, d’autant plus que la rédactrice en chef de la Bluestone Mountain Gazette n’était autre qu’une ancienne élève du lycée d’Ashokan, qui n’avait pas fait partie non plus de son cercle d’amis. Elle se ferait un plaisir de la mettre au pilori.

Effectuer ses heures de travail d’intérêt général dans le centre d’accueil pour les victimes de violence domestique était loin d’être aussi humiliant que la prison.

La réponse s’imposait d’elle-même.

— Je prends la sentence alternative, dit-elle.

— Excellent choix !

Il se leva.

— Votre Honneur, ma cliente accepte la sentence alternative et vous remercie de votre considération.

Ah non ! Elle n’irait pas jusqu’à la remercier !

— Je vous souhaite bonne chance donc, madame Kowalski Steinberg-Reece, conclut Jenny. J’attends avec impatience de vous revoir afin de pouvoir évaluer votre volonté de ne pas récidiver.

Karan n’en doutait pas. L’honorable juge Sharpe-Malone n’avait probablement rien d’autre à faire lorsqu’elle se retrouvait le soir chez elle à manger ses repas congelés réchauffés au micro-ondes.

Elle sentit le regard de son avocat peser sur elle et se tourna vers Jenny.

— Merci, Votre Honneur, laissa-t-elle tomber.

Elle s’était montrée aussi polie qu’elle le pouvait, humainement parlant.

Le marteau retomba d’un coup sec, la faisant sursauter.

— Mesdames et messieurs, l’audience est levée !

Terminé pour la journée.

Pour Karan, hélas, ce n’était qu’un début.

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