Sous les plis du drapeau rouge

Extrait de l'introduction

LE DRAPEAU ROUGE ENTRE ARTS ET HISTOIRE

Les rapports entre arts et politique, tout à la fois complexes, ambivalents et étroits, ont largement contribué à façonner la société des hommes. Il suffit pour se convaincre de leur importance d'opérer un rapide survol des civilisations dont l'héritage et les témoignages nous sont généralement parvenus par la survivance des arts qu'elles ont engendré : architecture chez les Égyptiens ou les Aztèques, art du portrait chez les Étrusques, philosophie et littérature chez les Grecs et les Romains, astronomie et mathématiques chez les Perses et les Arabes. Au travers de ces quelques exemples, on perçoit combien l'art a pu servir de véhicule pour transmettre jusqu'à nous le modèle politique de ces civilisations.

Depuis Thomas More, et plus près de nous, les penseurs des Lumières ou de la Révolution française, les utopies portées par les mouvements émancipateurs, à défaut de pouvoir se substituer à une réalité décriée et combattue, débouchaient régulièrement sur des productions artistiques. L'oeuvre contournait alors l'imperméabilité du monde réel à la réalisation des idéaux et permettait de se représenter une société meilleure ou un futur radieux. A la faveur de cette dynamique de substitution, certains objets politiques sont devenus de véritables oeuvres d'art. Si les utopies ont remarquablement su utiliser les chemins de traverse empruntés par les arts pour s'exposer au peuple, il faut attendre le XXe siècle pour assister à une fusion encore plus marquée entre les arts et la politique. Les systèmes totalitaires, dont le XXe siècle a consacré l'avènement avant de les voir disparaître, symbolisent à l'excès cette tentative d'asservissement des arts au profit du politique. Plus que tout autre mouvement politique, c'est sans doute le communisme qui a le mieux porté son image par l'intermédiaire des arts et de la culture. L'imagerie communiste, et plus largement syndicale et ouvrière, puis des pays socialistes a ainsi trouvé support dans l'affiche, les arts graphiques, la photographie, le cinéma...

L'histoire des arts ne s'y est d'ailleurs pas trompée en consacrant certaines écoles qui ont pris leur essor dans les chemins tracés par le camp révolutionnaire : futurisme et surréalisme dans la littérature et la poésie, constructivisme dans les arts graphiques et l'architecture, avant-gardisme dans la photographie et le cinéma. Dans chacun de ces mouvements artistiques, le drapeau rouge occupe une place singulière ; il apparaît dans les romans de Gorki ou Zola, dans les poèmes de Breton et Maïakovski, dans les tableaux de Baselitz et Deïneka, dans les photographies et les films de Rodtchenko, Vertov et Chaplin. De nombreux ouvrages traitent ainsi de la porcelaine soviétique, des affiches et journaux de l'avant-garde constructiviste des années 1920, du réalisme socialiste dans la peinture des années 1930 à 1950, des objets commémoratifs de l'ex-RDA...

Paradoxalement, l'objet le plus symbolique du communisme, le drapeau rouge, n'a jamais fait l'objet d'un livre, alors même qu'il a donné lieu à des expressions artistiques remarquables. Pourtant, les drapeaux, étendards ou calicots ont apporté des couleurs aux grandes manifestations et événements qui ont ponctué l'histoire du mouvement ouvrier, depuis la Commune de Paris jusqu'aux mobilisations anti-OMC. Le drapeau, vecteur d'identification et de rassemblement, a donné lieu à un foisonnement de représentations, à un mariage des techniques (broderie, arts graphiques, peinture) et des formes d'une richesse inattendue.