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Extrait ajouté par Tiate 2016-02-22T12:56:43+01:00

- C'est nouveau, ça. Ce sont des chansons d'amour, bébé. L'amour n'est pas toujours facile et simple. il peut être compliqué et douloureux. Ça n'en reste pas moins la chose la plus incroyable qui puisse arriver. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas fou de toi.

- Tu l'es ? demandai-je d'une voix serrée par l'émotion.

- Evidemment.

- Moi aussi je suis folle de toi. Tu es beau, à l'intérieur comme à l'extérieur, Davis Ferris.

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Extrait ajouté par clary-bouquineuse 2016-02-20T19:49:05+01:00

Lauren : T’inquiète, je gère. Quoi qu’il se passe, ne brise pas le groupe ! ! !

Moi : Promis.

Lauren : Mais brise son cœur. Il a écrit San Pedro après que Machin-truc l’a trompé. Cet album était TOP !

Moi : Je te promets de le laisser à l’état de loque.

Lauren : J’y compte bien.

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Extrait ajouté par AntanasiaD 2023-06-23T11:28:30+02:00

1

Je me réveillai sur le carrelage de la salle de bains. J’avais mal partout et une haleine de poney.

Mais qu’est-ce qui avait bien pu se passer, hier soir ? Je me souvenais du compte à rebours jusqu’à

minuit et de l’exaltation d’avoir vingt et un ans. Enfin majeure ! Je me revoyais danser avec Lauren, discuter avec un mec. Et puis BAM !

Tequila.

Une rangée de shots avec du citron et du sel sur le bord. Tout ce que j’avais entendu dire sur Las

Vegas était vrai. De mauvaises choses arrivaient là-bas, d’horribles choses. Je n’avais qu’une seule envie : me mettre en boule et mourir. Même gémir me donnait mal à la tête. Cette douleur ne faisait pas partie du programme.

— Ça va ? s’enquit une voix, virile, chaude et belle.

Très belle. Malgré la douleur, un frisson me parcourut. Mon pauvre corps en morceaux avait des réactions bien étranges.

— Tu vas encore vomir ?

Oh non…

J’ouvris les yeux et me redressai, repoussant mes cheveux blonds à présent gras. Son visage flou se rapprocha. Je plaquai une main devant ma bouche : mon haleine devait être abominable.

— Salut, marmonnai-je.

Peu à peu, ses traits se firent plus nets. Il était bien foutu, beau, et semblait étrangement familier.

Mais non, impossible. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme lui.

Il devait approcher la trentaine – un homme, pas un garçon. Il avait de longs cheveux bruns tombant sur ses épaules et des pattes. Ses yeux étaient d’un bleu intense. Irréels. Franchement, presque abusifs. Je n’avais pas besoin de ça pour tomber en pâmoison. Ils étaient magnifiques, même rougis par la fatigue. Des tatouages recouvraient l’un de ses bras et la moitié de son torse nu. Sur sa nuque

était tatoué un oiseau noir dont l’aile atteignait l’arrière de son oreille. Je portais toujours la belle robe blanche, désormais sale, que Lauren m’avait persuadée de porter. De ma part, ça semblait plutôt osé, étant donné la façon dont elle dévoilait ma poitrine généreuse. Mais ce n’était rien à côté de la tenue de mon nouvel acolyte. Il était simplement vêtu d’un jean, de bottes noires râpées, d’une paire de petites boucles d’oreilles en argent et d’un bandage blanc lâche sur l’avant-bras.

Ce jean… Ce bel homme le portait vraiment bien. Il tombait sur ses hanches de façon engageante et moulait tous les endroits stratégiques. Même mon effroyable gueule de bois ne pouvait me distraire de cette vision.

— Aspirine ? proposa-t-il.

Et voilà que je le reluquais. Il me sourit d’un air espiègle et entendu. Super…

— Oui, s’il te plaît.

Il attrapa une veste de cuir noir élimé sur le sol, celle que j’avais apparemment utilisée comme oreiller. Dieu merci, je n’avais pas vomi dessus. De toute évidence, cet Apollon à moitié nu m’avait vue dans toute ma splendeur, vomissant à plusieurs reprises. J’aurais pu mourir de honte.

Il vida ses poches une à une sur les carreaux blancs et froids. Une carte de crédit, des médiators, un téléphone et une guirlande de préservatifs. Ces derniers me laissèrent perplexe mais je fus très vite distraite par ce qu’il sortit ensuite : d’innombrables bouts de papier tombèrent au sol. Tous portaient des noms et des numéros de téléphone griffonnés dessus. Ce mec était Mister Populaire. Je comprenais tout à fait pourquoi. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ici, avec moi ?

Il finit par sortir un petit flacon d’aspirine. Sauvée. Je l’adorais, qui qu’il soit et quoi qu’il ait pu voir.

— Il te faut de l’eau, me dit-il avant d’aller remplir un verre au lavabo derrière lui.

La salle de bains était minuscule. Nous y tenions à peine tous les deux. Étant donné l’état de nos finances, cet hôtel était ce que nous avions trouvé de mieux, Lauren et moi. Elle avait absolument tenu

à fêter mon anniversaire en grande pompe. Mon objectif était légèrement différent. Et, malgré la présence de mon nouvel ami sexy, j’étais à peu près sûre d’avoir échoué : mes parties intimes semblaient intactes. J’avais entendu dire que c’était douloureux les premières fois. En tout cas, ça avait fait affreusement mal la première. Mais, aujourd’hui, mon vagin était probablement la seule partie de mon corps à ne pas me faire souffrir.

Je jetai quand même un coup d’œil sur le devant de ma robe. Le petit sachet en aluminium était toujours là, niché dans mon soutien-gorge. Intact. Quelle déception ! Ou peut-être pas. Prendre enfin son courage à deux mains pour remonter en selle (c’est le cas de le dire) et ne pas s’en souvenir aurait été horrible.

L’homme me tendit un verre d’eau, déposa deux cachets dans ma main, puis s’accroupit pour me regarder. Il y avait chez lui une intensité que je n’étais pas en état de supporter.

— Merci, dis-je avant d’avaler l’aspirine.

De bruyants gargouillis s’élevèrent de mon estomac. Super, très classe.

— Tu es sûre que ça va ?

Sa superbe bouche se contracta en un sourire, comme si nous partagions une blague.

Mais la blague, en l’occurrence, c’était moi.

Je ne pouvais m’empêcher de le dévorer des yeux. Compte tenu de mon état actuel, j’avais du mal à

me contenir. Les cheveux, le visage, le corps, les tatouages, tout ça. Il faudrait inventer un nouveau superlatif pour le décrire.

Après un long moment, je me rendis compte qu’il attendait une réponse. Me refusant toujours à

libérer mon haleine matinale, j’opinai du chef et lui souris. C’était le mieux que je puisse faire.

— O.K. Tant mieux.

Il était vraiment attentionné. Je ne savais pas ce que j’avais fait pour mériter autant de gentillesse. Si j’avais dragué ce pauvre garçon en lui faisant miroiter une nuit torride avant de finalement la passer la tête dans les toilettes, en principe, il aurait dû être un peu mécontent. Peut-être espérait-il que, ce matin, j’honorerais ma promesse. Cela semblait la seule explication plausible pour expliquer sa présence.

En temps normal, j’aurais dit que nous ne jouions pas dans la même cour et (pour le bien de mon amour-propre) que ce n’était pas du tout mon genre. J’aimais les mecs proprets. Les bad boys, c’était totalement surfait. Dieu sait que j’avais vu assez de filles se jeter aux pieds de mon frère au fil des ans.

Il prenait ce qu’elles avaient à offrir comme bon lui semblait puis passait à autre chose. Les mauvais garçons n’étaient pas ceux avec lesquels on s’engageait. Mais, hier soir, je n’étais pas à la recherche du grand amour, simplement d’une expérience sexuelle satisfaisante. Quelque chose qui n’impliquerait pas Tommy Byrnes se mettant en rogne contre moi pour avoir taché de sang le siège arrière de la voiture de ses parents. Mon Dieu, quel horrible souvenir. Le lendemain, ce connard m’avait larguée pour une fille de l’équipe d’athlétisme deux fois plus petite que moi. Et, pour couronner le tout, il avait fait courir des rumeurs sur mon compte. Cet épisode ne m’avait pas rendue aigrie le moins du monde. Pas du tout.

Mais que s’était-il passé hier soir ? Mon esprit était toujours embrouillé, les détails flous, incomplets.

— Tu devrais manger quelque chose. Tu veux que je te commande du pain grillé ou un truc comme

ça ?

— Non.

La simple idée de manger me soulevait l’estomac. Même le café ne me tentait pas et pourtant je ne refusais jamais un bon café. J’avais presque envie de vérifier mon pouls, juste au cas où. Au lieu de

ça, je portai mes mains à mes cheveux sales pour dégager mes yeux.

— Non, je… Aïe !

Des mèches de cheveux étaient prises dans quelque chose.

— Merde.

— Attends, laisse-moi faire.

Il tendit la main et démêla délicatement ma chevelure.

— Et voilà.

— Merci.

Un scintillement sur ma main gauche attira mon attention. Une bague. Et pas n’importe laquelle.

Une bague incroyable, extraordinaire.

— Oh merde, soufflai-je.

Elle était tellement grosse qu’elle en frisait l’indécence. Une pierre de cette taille devait coûter une petite fortune. Je la contemplai, perplexe, tournant ma main pour accrocher la lumière. L’anneau était

épais, massif, et la pierre étincelait comme si c’était une vraie.

Comme si.

— Ouais. À ce propos…

Il fronça les sourcils, l’air un peu embarrassé par la chose brillante à mon doigt.

— Si tu veux toujours la changer pour quelque chose de moins voyant, ça ne me pose pas de problème. C’est un peu gros. Je vois ce que tu voulais dire.

J’étais sûre de l’avoir déjà vu quelque part…

— C’est toi qui m’as acheté ça ?

Il hocha la tête.

— Hier soir, chez Cartier.

— Cartier ? Ah…

Ma voix n’était plus qu’un souffle.

Il me dévisagea longuement.

— Tu ne te rappelles pas ?

Je ne tenais vraiment pas à répondre.

— Ça fait quoi, ça, d’ailleurs ? Deux, trois carats ?

— Cinq.

— Cinq ? Oh la vache !

— Tu te souviens de quoi, au juste ? demanda-t-il, sa voix se durcissant un peu.

— Euh… c’est flou.

— C’est pas vrai…

Son froncement de sourcils s’intensifia jusqu’à altérer son beau visage.

— Tu te fous de moi, là. Tu ne te souviens de rien, sérieusement ?

Que répondre ? Ma bouche restait ouverte, inutile. Apparemment, j’avais oublié un tas de choses. À

ma connaissance, cependant, Cartier ne faisait pas dans le bijou de fantaisie. Ma tête se mit à tourner.

Un mauvais pressentiment déferla dans mon estomac et la bile brûla le fond de ma gorge. Encore pire que tout à l’heure.

Je ne vomirai pas devant ce mec.

Pas une nouvelle fois.

Il prit une profonde inspiration, les narines dilatées.

— Je ne m’étais pas rendu compte que tu avais autant bu. Je veux dire, je savais que tu étais un peu pompette mais…Sérieusement ? Tu ne te rappelles pas qu’on est allés sur les gondoles au Venitian ?

— Des gondoles ?

— Merde. Ah ! Et quand tu m’as acheté un hamburger ? Tu t’en souviens ?

— Désolée.

— Attends un peu, dit-il en me regardant à travers ses yeux plissés. Tu es en train de te foutre de moi, c’est ça ?

— Je suis vraiment désolée.

Il eut un petit mouvement de recul.

— En gros, tu ne te souviens de rien ?

— Non, répondis-je en déglutissant avec difficulté. Qu’est-ce qu’on a fait hier soir ?

— On s’est mariés, gronda-t-il.

Cette fois, je n’eus pas le temps d’arriver jusqu’aux toilettes.

Je résolus de divorcer tout en me brossant les dents, puis répétai ce que j’allais lui dire en me lavant les cheveux. Mais on ne peut pas décider de ces choses-là à la va-vite. Contrairement à hier soir où je m’étais apparemment mariée à la va-vite. Se précipiter encore une fois aurait été une erreur. Ou alors je faisais preuve de lâcheté en prenant la douche la plus longue du monde. Je pencherais plutôt pour la deuxième hypothèse.

Mais quel bordel ! Je n’arrivais pas à m’y faire. Mariée, moi ? Je n’arrivais plus à respirer. La panique me guettait.

Il ne pouvait quand même pas être surpris par mon envie de faire disparaître cette catastrophe.

Vomir par terre constituait pourtant un bon indice. Je poussai un gémissement et couvris mon visage de mes mains à ce souvenir. Son air dégoûté me hanterait jusqu’à la fin de mes jours.

Mes parents me tueraient si jamais ils l’apprenaient. J’avais des projets, des priorités. J’étudiais pour devenir architecte comme mon père. Le mariage ne faisait pas vraiment partie de mes plans.

Dans dix ou quinze ans, peut-être. Mais mariée à vingt et un ans ? Oh que non. Ça faisait des années que je n’avais même pas passé le stade du deuxième rendez-vous, et voilà que je me retrouvais la bague au doigt. Ça n’avait aucun sens, j’étais foutue. Impossible de passer ce mariage de dingues sous silence.

À moins que…

À moins que mes parents ne l’apprennent jamais. Au fil des années, j’avais pris l’habitude de ne pas les impliquer dans ce qui pourrait être considéré comme peu recommandable, superflu, ou tout simplement stupide. Ce mariage rentrait très vraisemblablement dans ces trois catégories.

En fait, peut-être que personne n’avait besoin de l’apprendre. Si je ne disais rien, comment pourrait-on le savoir ? Impossible. La solution était grandiose dans sa simplicité.

— Oui !

Je poussai un petit cri de joie et donnai un coup dans les airs, cognant au passage le pommeau de douche. L’eau gicla partout, y compris dans mes yeux, m’aveuglant. Mais peu importe : j’avais la solution.

Le déni. J’emporterais ce secret dans ma tombe. Personne ne serait jamais au courant de mon dérapage alcoolisé.

Je souris de soulagement, ma panique s’estompa et je pus de nouveau respirer. Merci mon Dieu.

Tout irait bien. J’avais un nouveau plan pour me remettre sur les rails de l’ancien. Quelle idée de génie ! J’allais prendre mon courage à deux mains, l’affronter et mettre les choses au clair. Les jeunes femmes de vingt et un ans promises à un brillant avenir n’épousaient pas de parfaits inconnus à

Vegas, peu importe combien ces inconnus étaient séduisants. Ça allait bien se passer. Il comprendrait.

Il cherchait probablement en ce moment même une façon de me larguer en douceur avant de prendre ses jambes à son cou.

Le diamant étincelait toujours à mon doigt. Je ne pouvais me résoudre à l’enlever tout de suite.

C’était Noël sur mon doigt, si gros, si brillant, si scintillant. Quoique, à la réflexion, mon mari temporaire n’avait pas vraiment l’air riche. Sa veste et son jean étaient usés. Cet homme était une

énigme.

Une petite minute. Et s’il trempait dans des affaires louches ? J’avais peut-être épousé un criminel.

La panique m’envahit de nouveau. Mon estomac se retourna et mon mal de tête se réveilla. Je ne savais rien sur la personne qui attendait dans l’autre pièce. Absolument rien. Je l’avais chassé de la salle de bains sans même connaître son nom.

Un coup à la porte me fit sursauter.

— Evie ?

Lui, au moins, savait comment je m’appelais.

— Une petite seconde.

Je fermai les robinets et sortis de la douche, m’enveloppant dans une serviette dont la taille ne suffisait pas à dissimuler mes formes. Mais ma robe était couverte de vomi ; hors de question de la remettre.

— Hé, dis-je en entrebâillant la porte de la salle de bains.

Il me dépassait d’une tête et je n’étais pourtant pas petite. Couverte d’une simple serviette, je le trouvais plutôt intimidant. Quelle que soit la quantité d’alcool qu’il ait absorbée lanuit dernière, il avait toujours l’air sublime, contrairement à moi, blafarde et dégoulinante. L’aspirine n’avait pas fait autant d’effet que prévu.

Forcément, je l’avais régurgitée.

— Hé, répondit-il, sans me regarder dans les yeux. Écoute, je vais régler ça, O.K. ?

— Régler ça ?

— Ouais, acquiesça-t-il, évitant toujours mon regard.

Visiblement, la moquette verte hideuse du motel était vraiment fascinante.

— Mes avocats vont s’occuper de ça.

— Tu as des avocats ?

Les criminels ont des avocats. Merde. Il fallait que je divorce de ce type sur-le-champ.

— Ouais. Ne t’inquiète pas. Ils t’enverront toute la paperasse. Je ne sais pas trop comment ça marche.

Il me jeta un regard courroucé, les lèvres serrées, et enfila sa veste en cuir à même son torse nu.

Son T-shirt séchait toujours sur le rebord de la baignoire. J’avais dû également vomir dessus pendant la nuit. Quelle horreur ! Si j’étais lui, je divorcerais sans regrets.

— C’était une erreur, annonça-t-il, faisant écho à mes pensées.

— Oh.

Il me regarda soudain.

— Quoi ? Tu n’es pas d’accord ?

— Si, si, répondis-je rapidement.

— C’est bien ce que je pensais. Dommage, ça semblait pourtant une évidence hier soir, pas vrai ?

Il passa une main dans ses cheveux et se dirigea vers la porte.

— Prends soin de toi.

— Attends !

Impossible de retirer la bague. Je tirai dessus, la tournai, essayant de la soumettre par la force. Elle finit par se décoincer, m’éraflant la phalange au passage. Des gouttes de sang jaillirent. Une tache de plus dans toute cette sordide affaire.

— Tiens.

— Non, mais c’est pas vrai !

Il jeta un regard mauvais à la bague étincelant dans la paume de ma main comme si elle l’avait personnellement offensée.

— Garde-la.

— Je ne peux pas. Elle a dû coûter une fortune.

Il haussa les épaules.

— S’il te plaît. (Je la lui tendis, la main tremblante, impatiente de m’en débarrasser.) C’est à toi.

Prends-la, s’il te plaît.

— Non.

— Mais…

Sans un mot, il sortit en trombe en claquant la porte derrière lui. Les minces parois vibrèrent sous la violence du choc.

Waouh. Ma main retomba le long de mon corps. Quel tempérament… Bon, c’est vrai, je l’avais un peu provoqué, mais quand même. J’aurais aimé me souvenir de ce qui s’était passé entre nous. Tout indice serait le bienvenu.

Je m’aperçus soudain que ma fesse gauche me faisait mal. Je grimaçai en frottant doucement la zone. Ma dignité n’était pas la seule victime, apparemment. J’avais dû l’égratigner pendant la soirée, me cogner dans un meuble ou tomber avec mes beaux talons tout neufs. Des talons hauts hors de prix que Lauren m’avait persuadée de porter avec la robe, ceux-là même dont la localisation actuelle tenait du mystère. Pourvu que je ne les aie pas perdus. Mais, étant donné mes noces récentes, rien ne pourrait plus me surprendre.

Je retournai dans la salle de bains avec le vague souvenir d’un bourdonnement, d’un rire, d’une voix chuchotant à mon oreille. Ça n’avait aucun sens.

Je me tournai et soulevai le bord de ma serviette, me hissant sur la pointe des pieds pour examiner mon large postérieur dans le miroir. Encre noire et peau rougie.

Tout l’oxygène quitta soudain mon corps.

Il y avait un mot sur ma fesse gauche, un prénom.

David

Je pivotai et vomis dans le lavabo.

2

Dans l’avion, assise à côté de moi, Lauren jouait avec mon iPhone.

— Je ne comprends pas comment tu peux avoir de si mauvais goûts musicaux. On est amies depuis des années. Ne t’ai-je donc rien appris ?

— Ne jamais boire de tequila.

Elle leva les yeux au ciel.

Au-dessus de nos têtes, le signal lumineux nous demandant d’attacher nos ceintures s’alluma. Une voix courtoise nous pria de redresser le dossier de nos sièges pour l’atterrissage. Avec une grimace, j’avalai le reste de mon café infect. Mais, en réalité, la caféine ne pourrait pas m’aider aujourd’hui. La qualité n’avait rien à voir là-dedans.

— Je suis on ne peut plus sérieuse, déclarai-je. Et, moi vivante, je ne remettrai jamais plus un pied dans le Nevada.

— Voilà ce que j’appelle une réaction excessive.

— Pas le moins du monde, ma p’tite dame.

Lauren avait débarqué au motel deux heures à peine avant notre vol. J’avais tué le temps en refaisant mon petit sac encore et encore, dans une tentative désespérée de remettre un semblant d’ordre dans ma vie. C’était bon de voir Lauren sourire, même si nous avions été à deux doigts de rater l’avion. Apparemment, elle allait rester en contact avec le beau serveur qu’elle avait rencontré la veille. Lauren avait toujours eu du succès avec les mecs, tandis que moi je passais plutôt inaperçue.

Mon projet de m’envoyer en l’air à Vegas avait été une tentative de sortir de cette ornière. Mais tout ne s’était pas vraiment déroulé comme prévu.

Étudiante en économie, Lauren était parfaite à tous points de vue. J’étais plus du genre rondelette ;

c’est pourquoi j’avais pris l’habitude de marcher dans Portland dès que je le pouvais et m’efforçais de ne pas goûter aux gâteaux de la vitrine du café dans lequel je travaillais. Ça limitait les dégâts.

Même si ma mère jugeait toujours bon de me sermonner sur le sujet car, grands dieux, je mettais du sucre dans mon café. Mes cuisses allaient sans aucun doute finir par exploser !

Lauren avait trois frères aînés et savait parler aux mecs. Rien ne l’intimidait. Cette fille débordait de charme. J’avais moi-même un grand frère mais, depuis qu’il avait quitté la maison quatre ans plus tôt en ne laissant qu’un mot, nous ne nous voyions plus qu’à l’occasion des réunions de famille.

Nathan avait un sacré tempérament et le don de s’attirer des ennuis. Au lycée, ça avait été le mauvais garçon par excellence, toujours en train de se bagarrer et de sécher les cours. Mais attribuer mon manque de succès auprès des garçons à ma relation inexistante avec mon frère était injuste. Je reconnaissais tout à fait mes lacunes vis-à-vis du sexe opposé.

— Écoute-moi ça.

Lauren brancha mes écouteurs sur son téléphone et le bruit strident des guitares électriques explosa dans mon crâne. Mon mal de tête revint soudain à la vie. La douleur me vrillait les tempes. Mon cerveau n’était plus qu’une bouillie sanguinolente, ça ne faisait aucun doute. J’arrachai les écouteurs.

— Stop. Par pitié.

— Mais c’est Stage Dive !

— Et ils sont super. Mais peut-être une autre fois.

— Je m’inquiète pour toi, parfois. Tu le sais, ça ?

— Il n’y a rien de mal à écouter de la musique country à un volume raisonnable.

Elle grogna en ébouriffant ses cheveux bruns.

— Il n’y a rien de bien à écouter de la musique country tout court. Bon, dis-moi, qu’est-ce que tu as fait hier soir ? À part te bourrer la gueule ?

— Pas grand-chose.

Moins on en dit, mieux c’est. Car comment expliquer ça ? Je me tortillai dans mon siège, envahie par la culpabilité. Mon tatouage se rappela à mon souvenir en signe de protestation.

Je n’avais pas parlé à Lauren de mon grand projet pour la soirée. Elle aurait voulu m’aider. Et, franchement, le sexe ne me semblait pas le genre de choses nécessitant un coup de main. En dehors de ce qu’on attendait du partenaire sexuel en question, évidemment. Son aide aurait consisté à me vendre

à chaque beau gosse qui passait en leur promettant la disponibilité totale et immédiate de mes jambes ouvertes.

J’adorais Lauren et son dévouement était indéniable mais, question subtilité, elle se posait là. En primaire, elle avait balancé un coup de poing dans le nez d’une petite fille qui me taquinait sur mon poids et, depuis, nous étions amies. Avec elle, vous saviez toujours exactement à quoi vous en tenir.

Une qualité que j’appréciais la majeure partie du temps, excepté quand la discrétion était de mise.

Par bonheur, mon estomac survécut à l’atterrissage agité. Dès que les roues eurent touché le tarmac, je poussai un soupir de soulagement. J’étais de retour dans ma ville natale. Bel Oregon, joli

Portland, jamais plus je ne vous quitterai. Avec les montagnes au loin et les arbres en pleine ville, c’était un pur délice. Me limiter à un seul endroit toute ma vie serait peut-être un peu exagéré, mais comme c’était bon d’être à la maison ! Je commençais un stage de la plus grande importance la semaine suivante, pour lequel mon père avait dû faire jouer ses relations. Il fallait également que je me mette à organiser mes cours pour le prochain semestre.

Tout irait comme sur des roulettes. J’avais appris la leçon. En temps normal, je ne dépassais pas trois verres. Trois verres, ça allait encore. Ça me rendait joyeuse sans risquer de foncer tête baissée, droit au désastre. Je ne franchirais plus jamais cette ligne. J’étais redevenue ce bon vieux moi méthodique et ennuyeux. L’aventure, c’était fini pour moi.

Nous nous levâmes et sortîmes nos sacs des coffres au-dessus de nous. Tout le monde jouait des coudes dans la hâte de débarquer. Les hôtesses nous adressèrent des sourires étudiés alors que nous trépignions dans l’allée centrale et sur la passerelle. Vinrent ensuite la sécurité puis le retrait des bagages. Par chance, nous n’avions pas de valises en soute, aussi nous ne nous attardâmes pas. J’avais hâte de rentrer à la maison.

J’entendis soudain crier au-dessus de nos têtes. Des flashs crépitaient. Il devait y avoir quelqu’un de célèbre dans l’avion. Les gens devant nous se retournèrent pour regarder ce qui se passait. Je les imitai mais ne vis pas de visage connu.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Lauren en scrutant la foule.

— J’en sais rien, répondis-je en me mettant sur la pointe des pieds, excitée par tant d’agitation.

Puis je l’entendis : mon nom, crié encore et encore. La bouche de Lauren se pinça sous l’effet de la surprise. La mienne s’ouvrit en grand.

— Pour quand est prévu le bébé ?

— Evie, David est-il avec vous ?

— Y aura-t-il un autre mariage ?

— Quand déménagez-vous à Los Angeles ?

— David est-il venu rencontrer vos parents ?

— Evie, les Stage Dive vont-ils se séparer ?

— Est-il vrai que vous vous êtes fait tatouer vos deux prénoms ?

— Depuis quand David et vous vous fréquentez-vous ?

— Qu’avez-vous à répondre aux accusations selon lesquelles vous avez causé la séparation du groupe ?

Mon nom et le sien, encore et encore, dans un déferlement de questions. Un mur de bruit que j’arrivais à peine à saisir. Je restai là, bouche bée, incrédule, tandis que les flashs m’aveuglaient et que les gens se pressaient autour de moi. Mon cœur battait la chamade. Je n’avais jamais aimé la foule et ne voyais aucune échappatoire.

Lauren fut la première à reprendre ses esprits.

Elle vissa ses lunettes de soleil sur mon visage et m’attrapa la main. À grands renforts de coups de coude, elle me traîna au travers de l’attroupement. Le monde devint flou : Lauren portait des verres correcteurs. J’eus de la chance de ne pas me casser la figure. Nous courûmes dans l’aéroport bondé

jusqu’à la sortie et la file de taxis, en doublant tout le monde. Des gens commencèrent à protester.

Nous les ignorâmes.

Les paparazzis n’étaient pas loin.

Satanés paparazzis. J’aurais trouvé ça drôle si ce n’était pas en train de m’arriver à moi.

Lauren me poussa sur le siège arrière d’un taxi dans lequel je m’affaissai, faisant de mon mieux pour me cacher. Si seulement j’avais pu disparaître…

— Démarrez ! Vite ! hurla-t-elle au chauffeur.

Ce dernier la prit au mot. La voiture démarra en trombe, nous envoyant valdinguer sur les sièges en vinyle crevassés. Mon front cogna sur le dossier du siège passager (par bonheur rembourré).

Lauren dut attacher ma ceinture de sécurité. Mes mains ne semblaient plus fonctionner. Tout tressautait et vacillait.

— Explique-moi.

— Euh…

Les mots restaient bloqués. Je remontai ses lunettes de soleil sur le dessus de ma tête, le regard dans le vide. J’avais mal aux côtes et mon cœur tambourinait toujours.

— Ev ?

Avec un petit sourire, elle me tapota le genou.

— Par hasard, te serais-tu mariée lors de notre petite escapade ?

— Je… ouais. Je, euh, oui. Je crois.

— Waouh.

Puis soudain, le grand déballage.

— Mon Dieu, Lauren. J’ai complètement merdé et je ne me souviens pratiquement de rien. Je me suis réveillée et il était là, et puis il était très énervé contre moi et je ne peux même pas lui en vouloir.

Je ne savais pas comment te le dire. J’avais l’intention de faire comme si rien ne s’était passé.

— Je crois que ce n’est plus possible maintenant.

— Non.

— O.K. C’est pas la fin du monde. Tu t’es mariée, et alors ?

Lauren hocha la tête, le visage étrangement calme. Ni colère ni reproches. Alors que je me sentais coupable de ne pas lui avoir fait confiance. D’habitude, nous partagions tout.

— Je suis désolée. J’aurais dû te le dire.

— Oui, tu aurais dû. Mais ce n’est pas grave.

Elle lissa sa jupe comme si nous étions en train de prendre le thé.

— Bon, alors, qui as-tu épousé ?

— D-David. Il s’appelle David.

— Ce ne serait pas David Ferris, par hasard ?

J’avais déjà entendu ce nom quelque part.

— Peut-être.

— Où va-t-on ? demanda le chauffeur sans quitter la route des yeux.

Il slalomait entre les voitures à une vitesse surnaturelle. Si j’avais été en état de ressentir quelque chose, ça aurait été la peur et la nausée. Une trouille bleue, même. Mais je ne ressentais rien.

— Ev ?

Elle se retourna sur son siège, scrutant les voitures derrière nous.

— On ne les a pas semés. Où veux-tu aller ?

— À la maison, répondis-je, le premier endroit sûr qui me vint à l’esprit. Chez mes parents, je veux dire.

— Bonne idée. Ils ont une barrière.

Sans reprendre haleine, Lauren débita à toute allure l’adresse au chauffeur. Elle fronça les sourcils et remit les lunettes de soleil sur mon visage.

— Garde-les.

J’eus un petit rire alors que le monde extérieur se brouillait de nouveau.

— Tu crois vraiment que ça va servir à quelque chose maintenant ?

— Non, répondit-elle en repoussant ses longs cheveux. Mais les gens dans ta situation portent toujours des lunettes de soleil. Crois-moi.

— Tu regardes trop la télé.

Je fermai les yeux. Les lunettes de soleil n’arrangeaient en rien ma gueule de bois. N’arrangeaient rien du tout, d’ailleurs. Et tout était ma faute.

— Je suis désolée de ne t’avoir rien dit. Je n’avais pas l’intention de me marier. Je ne me souviens même pas de ce qui s’est passé. C’est un tel…

— Foutoir ?

— Ça marche aussi.

Lauren soupira et posa la tête sur mon épaule.

— Tu as raison. Tu ne devrais plus jamais boire de tequila.

— Non.

— Rends-moi service, tu veux ? Ne fais pas exploser mon groupe préféré.

— Oh mon Dieu ! (Je remis les lunettes de soleil et fronçai si fort les sourcils que j’en eus mal au crâne.) Guitariste. C’est un guitariste. Voilà d’où je le connais.

— Oui. C’est le guitariste de Stage Dive. Quel esprit de déduction !

Le David Ferris. Il était accroché au mur de la chambre de Lauren depuis des années. Certes, c’était la dernière personne auprès de qui je m’attendais à me réveiller, sur le sol d’une salle de bains ou autre, mais comment avais-je pu ne pas le reconnaître ?

— Ça explique la bague.

— Quelle bague ?

Me tortillant dans mon siège, je retirai le monstre de la poche de mon jean avant de l’essuyer. Le diamant brilla d’un air accusateur dans la lumière aveuglante.

À côté de moi, Lauren se mit à s’agiter. Un rire étouffé s’échappa de ses lèvres.

— Elle est énoooorme !

— Je sais.

— Non, mais sérieusement !

— Je sais.

— Merde. Je crois que je vais me faire pipi dessus.

Surexcitée, elle s’éventa le visage et se mit à faire des petits bonds sur son siège.

— Non mais regarde-moi ça !

— Lauren, arrête. On ne peut pas flipper toutes les deux. Ça va pas le faire.

— Tu as raison. Désolée.

Elle s’éclaircit la gorge, luttant visiblement pour recouvrer son calme.

— Combien ça peut coûter, un truc comme ça ?

— Je préfère ne pas le savoir.

— C’est… complètement… dingue !

Nous contemplâmes le bijou clinquant dans un silence respectueux et intimidé.

Soudain, elle recommença à sautiller sur son siège comme un enfant hyperactif.

— Je sais ! On n’a qu’à la vendre et partir faire le tour de l’Europe. Mince, on pourrait sûrement faire plusieurs fois le tour du monde. Imagine un peu.

— Impossible, objectai-je, aussi tentant que cela puisse paraître. Il faut que je la lui rende, d’une manière ou d’une autre. Je ne peux pas garder ça.

— Dommage. (Elle eut un large sourire.) En tout cas, félicitations. Tu es mariée à une rock star.

Je rempochai la bague.

— Merci. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

— J’en sais rien du tout, répondit-elle, puis elle secoua la tête en me regardant, des étoiles dans les yeux. Tu as dépassé toutes mes espérances. Je voulais que tu te lâches un peu. Que tu t’amuses et que tu donnes une deuxième chance à la gent masculine. Mais là, tu as atteint un niveau de folie inédit. Tu as vraiment un tatouage ?

— Oui.

— Avec son prénom ?

Je hochai la tête en soupirant.

— Et on peut savoir où ?

Je fermai les yeux.

— Sur la fesse gauche.

Lauren ne put se contenir plus longtemps. Elle explosa si fort de rire que les larmes se mirent à

couler sur son visage.

Génial…

3

Le portable de mon père sonna juste avant minuit. J’avais éteint le mien depuis longtemps déjà. Le téléphone fixe n’avait pas arrêté, aussi l’avions-nous débranché. La police était intervenue à deux reprises pour faire évacuer les curieux du jardin. Maman avait fini par prendre un somnifère et était allée se coucher. Elle n’avait pas vraiment apprécié de voir son petit monde si bien organisé voler en

éclats. Étonnamment, après s’être d’abord mis en colère, papa avait plutôt bien géré la situation. Je m’étais confondue en excuses comme de juste. Et je voulais divorcer. Il était prêt à mettre cela sur le compte de la jeunesse et des hormones. Mais tout changea lorsqu’il vit le nom qui s’affichait sur son portable.

— Leyton ?

Il répondit, ses yeux me transperçant de l’autre bout de la pièce. Mon estomac se contracta aussitôt.

Seul un parent sait si bien vous culpabiliser. Je l’avais déçu. Nous le savions tous les deux. Il n’y avait qu’un Leyton et une seule raison pour laquelle il pouvait appeler à cette heure-là.

— Oui, dit mon père. C’est une situation regrettable.

Les rides autour de sa bouche se creusèrent.

— Naturellement. Oui. Eh bien, bonne nuit.

Ses doigts se crispèrent autour du téléphone qu’il jeta ensuite sur la table de la salle à manger.

— Ton stage est annulé.

Tout l’oxygène quitta mon corps et mes poumons se ratatinèrent.

— Leyton estime, à juste titre, qu’étant donné ta situation…

La voix de mon père mourut. Il avait fait des pieds et des mains pour m’obtenir ce stage dans l’un des plus prestigieux cabinets d’architecture de Portland. Il avait suffi d’un coup de téléphone de trente secondes pour que tout s’effondre.

On frappa à la porte. Aucun de nous ne réagit. Nous avions l’habitude, maintenant.

Papa se mit à faire les cent pas dans le salon. Je le regardais, dans un état second.

Tout au long de mon enfance, des moments comme celui-là avaient toujours suivi un schéma bien précis. Nathan se battait à l’école. L’école appelait notre mère. Laquelle faisait une crise de nerfs. Mon frère s’enfermait dans sa chambre ou, pire, disparaissait pendant des jours. Papa rentrait à la maison et faisait les cent pas. Et moi, au milieu, j’essayais de jouer les médiatrices, experte dans l’art de ne pas faire de vagues. Alors qu’est-ce que je fichais là, au beau milieu de ce tsunami ?

Petite, j’avais été plutôt facile à vivre. J’avais obtenu de bonnes notes au lycée et étais entrée dans la même université locale que mon père. Je n’avais certes pas son talent inné pour le dessin mais compensais par un travail acharné. Je bossais à mi-temps dans le même café depuis mes quinze ans.

Emménager avec Lauren avait été mon plus grand acte de rébellion. Mes parents auraient préféré que je reste à la maison pour faire des économies. J’étais, dans l’ensemble, terriblement banale. Pour le reste, j’avais toujours usé de subterfuges afin qu’ils puissent dormir sur leurs deux oreilles. Mais ce n’est pas non plus comme si j’avais fait les quatre cents coups. Quelques fêtes. L’épisode Tommy quatre ans plus tôt. Rien qui puisse me préparer à ça.

Sur notre pelouse, hormis la presse, il y avait également des gens en pleurs, brandissant des pancartes qui clamaient leur amour pour David. Un homme tenait sur son épaule un vieux radiocassette allumé. Une chanson intitulée San Pedro semblait leur préférée. Les hurlements atteignaient leur paroxysme chaque fois que le chanteur reprenait le refrain. « But the sun was low and we’d no place to go… »

Ils avaient apparemment prévu de me brûler en effigie. Ce qui m’allait très bien : j’avais envie de mourir.

Mon grand frère Nathan était passé prendre Lauren pour la ramener chez lui. Nous ne nous étions pas vus depuis Noël mais aux grands maux, les grands remèdes. L’appartement que nous partagions toutes les deux était également assiégé et elle refusait de faire appel à sa famille ou à nos amis. Dire que mon frère jubilait face à ma situation aurait été injuste. Pas complètement faux, mais assurément injuste. Cette fois, c’était mon tour de me retrouver dans le pétrin. Et pas qu’un peu ! Nathan, lui, ne s’était jamais marié par accident ni fait tatouer à Vegas.

Parce que, évidemment, une espèce de journaliste à la noix avait demandé à ma mère son avis sur le tatouage. Le secret était donc divulgué. Apparemment, aucun jeune homme de bonne famille bien comme il faut ne voudrait plus m’épouser désormais. Avant, mes rondeurs m’empêchaient de dégoter un mari mais, maintenant, c’était entièrement la faute du tatouage. J’avais résisté à l’envie de lui faire remarquer que j’étais déjà mariée.

On frappa de nouveau à la porte. Papa m’interrogea du regard. Je haussai les épaules.

— Mademoiselle Thomas ? retentit une voix caverneuse. David m’envoie.

Ouais, c’est ça.

— J’appelle les flics.

— Attendez. S’il vous plaît, implora la grosse voix. Je l’ai au téléphone. Ouvrez simplement la porte pour que je puisse vous le passer.

— Non.

Bruits étouffés.

— Il me demande de vous parler de son T-shirt.

Celui qu’il avait oublié à Vegas. Il était dans mon sac, encore humide. Hum. Peut-être. Mais je n’étais pas encore totalement convaincue.

— Quoi d’autre ?

Nouveau conciliabule.

— Il dit qu’il refuse que vous lui rendiez…, veuillez m’excuser mademoiselle…, la « putain de bague ».

J’ouvris la porte mais sans retirer la chaîne de sécurité. Un homme, sorte de bouledogue en costume noir, me tendit un téléphone portable.

— Allô ?

En bruit de fond, de la musique à plein volume et des conversations. Manifestement, ce petit incident n’avait pas perturbé David outre mesure.

— Ev ?

— Oui.

Il marqua une pause.

— Écoute, tu devrais probablement rester à l’écart le temps que les choses se tassent. Sam va te sortir de là. Il fait partie de mon équipe de sécurité.

Ledit Sam m’adressa un sourire poli. J’avais déjà vu des montagnes plus petites que ce gars-là.

— Pour aller où ?

— Il… il va te conduire chez moi. Et nous trouverons une solution.

— Chez toi ?

— Ouais, il y aura les papiers du divorce et tout ça à signer de toute façon. Alors autant que tu viennes ici.

Je voulais refuser. Mais l’idée d’éloigner ma famille de toute cette mascarade était terriblement tentante. De même que celle de déguerpir d’ici avant que maman ne se réveille et n’apprenne pour le stage. Toujours était-il que, à tort ou à raison, je ne pouvais oublier la manière dont ce matin David

était sorti de ma vie dans un claquement de porte. Un vague plan B s’esquissait : mon stage annulé, je pourrais retourner travailler au café. Ruby serait ravie de m’avoir à plein temps pour l’été et j’adorais cet endroit. Mais me pointer avec cette horde sur mes talons était hors de question.

J’avais peu d’options et aucune bien alléchante, mais j’hésitais encore.

— Je ne sais pas…

David poussa un long soupir.

— Tu as une meilleure idée, peut-être ?

Touché.

Derrière Sam, la frénésie continuait. Les flashs crépitaient et les gens criaient. Ça semblait totalement irréel. Si c’était ce à quoi ressemblait la vie de David, je ne savais pas comment il arrivait

à le supporter.

— Écoute, il faut que tu foutes le camp d’ici, me dit-il d’un ton brusque.

Mon père se tenait à côté de moi, en se tordant les mains. David avait raison : quoi qu’il ait pu se passer, il fallait que je protège les gens que j’aimais. C’était le moins que je puisse faire.

— Ev ?

— Désolée. Oui, je crois que je vais accepter ton offre. Merci.

— Repasse le téléphone à Sam.

Je fis ce qu’on me demandait et ouvris largement la porte afin que le géant puisse entrer. Ce n’était pas qu’il était particulièrement grand mais très baraqué. Ce type prenait vachement d’espace. Sam hocha la tête et répondit quelques « Oui, monsieur ». Puis il raccrocha.

— Mademoiselle Thomas, la voiture vous attend.

— Non, intervint mon père.

— Papa…

— Tu ne peux pas faire confiance à cet homme. Regarde un peu ce qui s’est passé.

— Ce n’est pas le seul coupable. J’ai une grande part de responsabilité.

Toute cette histoire m’embarrassait. Mais fuir n’était pas la solution.

— Je dois régler ça.

— Non, répéta-t-il d’un ton sans appel.

Mais je n’étais plus une petite fille, celle qui croyait que notre jardin était trop petit pour y accueillir un poney.

— Je suis désolée, papa, mais ma décision est prise.

Son visage devint cramoisi, ses yeux incrédules. Avant, il ne m’en aurait pas fallu plus pour céder.

(Ou faire tranquillement mes petites affaires derrière son dos.) Mais aujourd’hui… C’était différent.

Mon père me paraissait vieux, sans assurance. Et surtout, c’était entièrement mon problème.

— S’il te plaît, fais-moi confiance, dis-je.

— Ev, ma chérie, tu n’as pas besoin de faire ça, déclara-t-il, changeant de tactique. On peut trouver une solution nous-mêmes.

— Je sais. Mais il a déjà des avocats sur le coup. C’est ce qu’il y a de mieux à faire.

— N’auras-tu pas besoin d’un avocat, toi aussi ?

Il y avait de nouvelles rides sur son visage, comme s’il avait vieilli d’un seul coup. La culpabilité

s’insinua en moi.

— Je vais me renseigner, te trouver un bon avocat. Je ne veux pas que tu te retrouves lésée dans cette affaire, continua-t-il. Il y a bien quelqu’un qui connaît un avocat spécialisé dans les divorces.

— Papa, ce n’est pas comme s’il y avait de l’argent en jeu, plaisantai-je avec un sourire forcé. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas. On va régler ça puis je rentrerai à la maison.

— « On » ? Chérie, tu connais à peine cet homme. Tu ne peux pas lui faire confiance.

— Le monde entier a les yeux rivés sur moi. Qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ?

J’adressai au ciel une prière silencieuse afin de ne jamais connaître la réponse à cette question.

— Tu commets une erreur… (Il soupira.) Je sais que tu es aussi déçue que moi pour le stage. Mais ce n’est pas une raison pour se précipiter.

— J’ai bien réfléchi. Je dois vous éloigner de tout ce cirque, maman et toi.

Son regard se tourna vers le couloir sombre qui menait à la chambre où ma mère était plongée dans un sommeil artificiel. Je ne voulais surtout pas que mon père se sente déchiré entre elle et moi.

— Tout va bien se passer, déclarai-je d’un ton un peu trop enjoué. Je t’assure.

À court d’arguments, il baissa la tête.

— Je pense que tu prends la mauvaise décision. Mais appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. Si tu veux rentrer à la maison, je te réserverai un vol sur-le-champ.

Je hochai la tête.

— Je suis sérieux. Au moindre problème, tu m’appelles.

— Oui. Promis.

C’était un mensonge.

J’attrapai mon sac à dos, tout juste revenu de Las Vegas. Impossible de me changer, tous mes vêtements se trouvaient à l’appartement. Je lissai mes cheveux et les glissai soigneusement derrière mes oreilles, essayant de limiter les dégâts.

— Tu avais toujours été si sage…, déclara mon père d’un ton nostalgique.

Je ne savais pas quoi répondre.

Il me tapota le bras.

— Appelle-moi.

— Oui, répondis-je, la gorge serrée. Dis au revoir à maman pour moi.

— Votre fille est entre de bonnes mains, monsieur, affirma Sam en s’avançant.

Je n’attendis pas la réponse de papa et mis un pied dehors pour la première fois depuis des heures.

La folie se déchaîna ; je fus prise d’une envie irrésistible de prendre mes jambes à mon cou et d’aller me cacher. Mais la présence rassurante de Sam à mon côté m’apaisa. Il passa un bras sur mon épaule et me guida. Un autre homme en costume noir vint à notre rencontre, se frayant un chemin à travers la foule. Les décibels grimpèrent en flèche. Une femme hurla qu’elle me détestait et me traita de salope.

Un autre voulait que je dise à David qu’il l’aimait. Mais ce fut surtout une avalanche de questions. Les caméras étaient braquées sur mon visage, les flashs crépitaient. Sam prit les devants : mes pieds touchèrent à peine le sol lorsque son ami et lui me poussèrent dans la voiture qui attendait. Pas de limousine. Lauren aurait été déçue. C’était une berline de luxe avec un intérieur tout cuir. La portière claqua derrière moi puis Sam et son ami grimpèrent à leur tour dans le véhicule. Le chauffeur me salua d’un signe de tête dans le rétroviseur avant de démarrer prudemment. Des gens frappèrent sur la vitre et coururent à côté de la voiture. Je me recroquevillai dans mon siège mais on les sema rapidement.

J’allais retrouver David.

Mon mari.

4

Je dormis tout le long du court vol vers Los Angeles, pelotonnée dans un fauteuil super confortable dans un coin du jet privé. C’était un niveau de luxe au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Quitte à bouleverser sa vie, autant profiter de l’opulence. Sam me proposa du champagne que je refusai poliment. La seule idée de l’alcool me retournait encore l’estomac. Il y avait de grandes chances pour que je ne boive plus jamais.

Mon choix de carrière avait provisoirement volé en éclats mais, qu’importe, j’avais un nouveau plan. Divorcer. C’était incroyablement simple. J’adorais. J’avais repris le contrôle de mon destin. Le jour où je me marierais, si je me mariais, ce ne serait pas à Las Vegas avec un illustre inconnu. Ce ne serait pas une effroyable erreur.

Lorsque je me réveillai, nous étions en train d’atterrir. Là encore, une berline attendait. Je n’étais jamais allée à Los Angeles. La ville avait l’air tout aussi animée que Vegas, mais en moins glamour. Il y avait encore des tas de gens dehors, malgré l’heure tardive.

Je retardai le moment de rallumer mon portable mais Lauren allait finir par s’inquiéter. J’appuyai sur le petit bouton noir et l’écran s’illumina, revenant à la vie. Cent cinquante-huit textos et quatre- vingt-dix-sept appels manqués. Je regardai l’écran, ahurie, mais le nombre ne changea pas. Merde !

Apparemment, tous les gens que je connaissais avaient appris la nouvelle, sans compter d’autres que je ne connaissais pas.

Mon portable gazouilla.

Lauren : Tu vas bien ? T’es où ? ?

Moi : Los Angeles. Je reste chez lui jusqu’à ce que les choses se calment. Ça va, toi ?

Lauren : Bien. Los Angeles ? Tranquille, la vie.

Moi : Le jet privé était incroyable. Mais ses fans sont fous.

Lauren : C’est ton frère qui est fou.

Moi : Désolée.

Lauren : T’inquiète, je gère. Quoi qu’il se passe, ne brise pas le groupe ! ! !

Moi : Promis.

Lauren : Mais brise son cœur. Il a écrit San Pedro après que Machin-truc l’a trompé. Cet album était

TOP !

Moi : Je te promets de le laisser à l’état de loque.

Lauren : J’y compte bien.

Moi : Bisou

Il était 3 heures du matin passées lorsque nous arrivâmes devant une demeure du pur style espagnol des années 1920 dans le quartier de Laurel Canyon. Elle était magnifique. Même si mon père n’aurait pas été impressionné – il préférait les lignes épurées et contemporaines sans fioritures. Les maisons de quatre chambres et deux salles de bains pour les richards de Portland. Mais, je ne sais pas, il y avait quelque chose de beau et de romantique dans cette extravagance. Le fer forgé noir ornemental ressortait contre les murs blancs et nus.

L’extérieur grouillait de photographes et d’un troupeau de groupies. La nouvelle de notre mariage avait manifestement ameuté la foule. Ou peut-être avaient-ils l’habitude de camper ici. Les portes en fer forgé s’ouvrirent lentement à notre approche. Les immenses feuilles des palmiers qui bordaient l’allée serpentine ondulèrent sur notre passage. L’endroit avait l’air tout droit sorti d’un film. Stage

Dive était célèbre, j’en étais consciente. Leurs deux derniers albums avaient engendré de nombreux tubes. L’été dernier, Lauren avait parcouru des centaines de kilomètres en l’espace d’une semaine pour assister à trois de leurs concerts qui avaient tous eu lieu dans des stades remplis.

N’empêche que c’était quand même une sacrément grande baraque.

J’étais très nerveuse. Je portais toujours le même jean et le même haut bleu que le matin. M’habiller pour l’occasion n’était pas une option. J’improvisai un brushing avec mes doigts et vaporisai un peu du parfum que j’avais dans mon sac à main. Je manquais peut-être de glamour mais au moins je sentais bon.

Chaque lumière de la maison flamboyait et de la musique rock résonnait dans l’air chaud de la nuit.

Des doubles portes grandes ouvertes se déversaient des gens. Dans la maison, devant, sur les marches, partout. La fête battait son plein.

Sam m’ouvrit la portière et je sortis de la voiture d’un pas hésitant.

— Laissez-moi vous montrer le chemin, mademoiselle Thomas.

— Merci.

Mais je ne bougeai pas. Au bout d’un moment, Sam comprit le message. Il me devança et je suivis.

Deux filles se pelotaient sans vergogne juste devant la porte. Mon Dieu, elles étaient minces et vraiment superbes, dans leurs minuscules robes pailletées qui dissimulaient à peine leurs cuisses. Ça grouillait de gens qui buvaient et dansaient. Un lustre était suspendu au-dessus de nos têtes et un magnifique escalier s’enroulait autour d’un mur intérieur. Un véritable palais hollywoodien.

Par chance, personne ne semblait faire attention à moi. Je pouvais ainsi les observer à loisir, bouche bée.

Sam s’arrêta pour discuter avec un jeune homme affalé contre un mur, une bouteille de bière aux lèvres. Il avait de longs cheveux blonds, son nez était percé d’un anneau en argent et son corps recouvert de tatouages. Avec son jean déchiré et son T-shirt décoloré, il avait le même style ultra cool que David. Peut-être les rock stars portaient-elles des vêtements artificiellement usés. Les gens riches

étaient vraiment une espèce à part.

Le type m’examina de la tête aux pieds. Je résistai à l’envie de m’enfuir. Lorsque nos yeux se croisèrent, son regard sembla intrigué mais pas hostile. Ma tension s’apaisa un peu.

— Salut, fit-il.

— Salut.

J’osai un sourire.

— Tout va bien, déclara-t-il à l’attention de Sam avant de me désigner du menton. Allez viens. C’est par ici. Je m’appelle Mal.

— Salut, répétai-je bêtement. Moi, c’est Ev.

— Ça va aller, mademoiselle Thomas ? me demanda le garde du corps à voix basse.

— Oui, Sam. Merci beaucoup.

Il me fit un signe de tête poli avant de faire demi-tour. Ses larges épaules et son crâne chauve disparurent bientôt dans la foule. Lui courir après pour lui demander de me ramener à la maison ne servirait à rien mais mes pieds me démangeaient de le faire. Non, fini l’autoapitoiement. Il était temps de me comporter en grande fille.

Il devait y avoir plusieurs centaines d’invités. La seule chose qui s’en rapprochait était mon bal de promo et il paraissait totalement insignifiant comparé à ça. Sans parler des tenues. Tout sentait l’argent à plein nez. C’était Lauren la spécialiste des stars mais je reconnus quand même quelques visages. Un des lauréats des Oscars de l’année précédente, un mannequin lingerie que j’avais vu sur un panneau publicitaire dans la rue à Portland, ainsi qu’une jeune chanteuse pop qui n’aurait pas dû

écluser une bouteille de vodka, et encore moins être assise sur les genoux du membre aux cheveux gris de… Mince, c’était quoi le nom de ce groupe, déjà ?

Peu importe.

Je refermai la bouche avant que quelqu’un ne remarque les étoiles dans mes yeux. Lauren aurait adoré tout ça. C’était incroyable.

Lorsqu’une femme qui ressemblait à une déesse amazonienne à moitié nue me bouscula, Mal s’arrêta et fronça les sourcils d’un air désapprobateur.

— Certaines personnes sont vraiment sans-gêne. Allez, viens.

Le rythme lent de la musique s’insinua en moi, réveillant mon mal de tête, ce qui gâcha un peu la fête. Nous nous frayâmes un chemin à travers une pièce remplie de fauteuils en velours sur lesquels les gens étaient affalés langoureusement. Puis nous traversâmes une pièce encombrée de guitares, d’amplis et autre attirail rock. À l’intérieur de la maison, l’air était enfumé et moite, malgré les fenêtres et les portes grandes ouvertes. Mon haut me collait à la peau. Nous passâmes sur un balcon où soufflait une légère brise. Je levai mon visage vers elle avec reconnaissance.

Et, tout à coup, il apparut, appuyé contre une balustrade en fer forgé. Merde ! Comment avais-je pu oublier son beau visage ? Impossible d’expliquer l’effet que produisait David en chair et en os. Il ne déparait pas avec tout ce beau monde. C’était l’un des leurs. En revanche, ma place était dans la cuisine avec le petit personnel.

Mon époux était en grande discussion avec la brunette siliconée et toute en jambes à côté de lui.

Peut-être était-il un homme à seins et était-ce la raison pour laquelle nous nous étions retrouvés mariés. C’était une hypothèse comme une autre. Seulement vêtue d’un minuscule bikini blanc, la fille se collait à lui comme par une attache chirurgicale. Ses cheveux savamment décoiffés avaient dû

nécessiter deux bonnes heures chez un coiffeur haut de gamme. Elle était superbe et je la détestais juste un petit peu. Une goutte de sueur coula le long de ma colonne vertébrale.

— Hé, Dave ! cria Mal. On a de la compagnie.

David se retourna, m’aperçut et fronça les sourcils. Dans cette lumière, son regard semblait sombre et franchement contrarié.

— Ev.

— Salut.

Mal se mit à rire.

— C’est à peu près le seul mot que j’ai réussi à lui arracher. Sérieux, mec, elle parle ta femme au moins ?

— Oh oui, elle parle.

Le ton de sa voix indiquait qu’il aurait préféré que je ne parle plus jamais. Ou du moins pas en sa présence.

Je ne savais pas quoi dire. En général, je ne recherchais pas l’amour et l’approbation universelle, mais de là à susciter une telle hostilité…

La brunette gloussa et frotta sa généreuse poitrine contre le bras de David, comme si elle voulait laisser son empreinte. Malheureusement pour elle, il ne sembla pas s’en apercevoir. Elle me gratifia d’un regard torve et plissa sa bouche carmin. Charmant. Bien qu’être perçue comme une rivale flattât mon ego. Je me redressai et regardai mon mari droit dans les yeux.

Grossière erreur.

Les cheveux bruns de David étaient attachés en une petite queue-de-cheval avec quelques mèches entourant son visage. Cette coiffure aurait fait ressembler n’importe qui à un trafiquant de drogue cradingue, mais pas lui. Évidemment. Avec lui, une ruelle sordide aurait ressemblé à une suite nuptiale. Un T-shirt gris moulait ses larges épaules et un jean délavé recouvrait ses longues jambes.

Ses pieds, chaussés de rangers noires, étaient croisés, totalement à l’aise, car il était dans son élément.

Moi pas.

— Ça te dérangerait de lui trouver une chambre ? demanda-t-il à son ami.

Mal grogna.

— Franchement, est-ce que j’ai l’air d’un putain de majordome ? Montre sa chambre à ta femme tout seul, comme un grand.

— Ce n’est pas ma femme, grommela David.

— Aucune chaîne de télé de ce pays ne serait d’accord avec toi sur ce point.

Mal m’ébouriffa les cheveux. J’avais l’impression d’avoir huit ans.

— À tout à l’heure, petite mariée. Ravi de t’avoir rencontrée.

— Petite mariée ? répétai-je, incrédule.

Il m’adressa un large sourire.

— Tu n’as pas écouté les infos ?

Je secouai la tête.

— Ça vaut sûrement mieux.

Et, dans un dernier rire, il s’éloigna.

David se décolla de la brunette. Ses lèvres charnues se pincèrent de mécontentement mais il ne s’en aperçut pas.

— Allez, viens.

Il tendit la main pour me faire avancer et là, étendu sur toute la longueur de son avant-bras, un tatouage.

Evie

Je me figeai. Oh merde. Il avait choisi un endroit bien visible pour y inscrire mon prénom. Je ne savais pas comment réagir.

— Qu’est-ce qu’il y a ? (Il suivit mon regard et fronça les sourcils.) Ah, ça. Allez, on y va.

— Dépêche-toi de revenir, David, roucoula Miss Bikini en faisant des effets de cheveux.

Je n’avais rien contre les bikinis. J’en possédais moi-même quelques-uns, même si ma mère me trouvait trop charpentée pour ce genre de choses. (Je ne les ai jamais portés mais ce n’était pas la question.) Non, ce qui me dérangeait, c’était les regards méprisants et pleins de haine que me jetaitMiss Bikini lorsqu’elle pensait que David ne regardait pas.

Si elle savait combien je lui étais indifférente…

Une main au bas de mon dos, il me conduisit vers l’escalier. Des gens l’appelèrent et des femmes minaudèrent mais à aucun moment il ne ralentit. J’avais le sentiment qu’il avait honte d’être vu avec moi. Ma présence avec David attirait tous les regards sur moi. Il faut dire que je n’avais pas vraiment le profil d’une femme de rock star. Quelqu’un l’interpella pour lui demander de me présenter mais mon mari ne fit aucun commentaire et continua son chemin.

À l’étage, au bout d’un long couloir, nous tournâmes à gauche. Il ouvrit une porte et j’aperçus mon sac posé sur un lit king size. La chambre était somptueuse. Le lit, les murs, les tapis, tout était blanc.

Dans un coin de la pièce se trouvait une causeuse magnifique, immaculée. Rien à voir avec ma petite chambre exiguë de l’appartement que je partageais avec Lauren, où, entre mon lit double et mon bureau, il y avait tout juste la place pour ouvrir la porte du placard. Cette chambre était la perfection incarnée.

— Je ferais mieux de ne toucher à rien, marmonnai-je, les mains enfoncées dans mes poches arrière.

— Quoi ?

— C’est ravissant.

David regarda autour de lui avec un désintérêt manifeste.

— Si tu le dis.

Je me dirigeai vers les fenêtres. Au-dessous s’étendait une immense piscine bien éclairée et entourée de palmiers. Dans l’eau, deux personnes s’embrassaient ; la tête de la femme était renversée en arrière et ses seins flottaient à la surface. Ah, non, au temps pour moi. Ils étaient en train de faire l’amour. Une chaleur s’insinua dans mon cou. Je n’étais pas bégueule, mais quand même. Je détournai le regard.

— Écoute, des gens vont venir discuter avec toi des papiers du divorce. Ils seront là à 10 heures, m’informa-t-il, hésitant, dans l’encadrement de la porte.

Ses doigts tapotèrent sur le châssis et il jetait sans cesse des regards pleins d’envie vers le couloir, manifestement pressé de partir.

— Des gens ?

— Mon avocat et mon manager, répondit-il en regardant ses pieds. Ils veulent en finir au plus vite donc… ça devrait être, euh, réglé en un rien de temps.

— Très bien.

David se mordit l’intérieur des joues et hocha la tête. Il avait des pommettes incroyables. J’avais vu des hommes dans des magazines de mode qui ne pouvaient soutenir la comparaison. Mais, beau ou non, son froncement de sourcils ne le quittait jamais. Pas en ma présence, du moins. Ça aurait été bien de le voir sourire, juste une fois.

— Tu as besoin de quelque chose ?

— Non. Merci pour tout. Pour le jet et l’hébergement. C’est très gentil de ta part.

— Pas de souci.

Il recula d’un pas et commença à refermer la porte derrière lui.

— Bonne nuit.

— David, on devrait peut-être discuter de ce qui s’est passé hier soir, non ?

Il marqua un temps d’arrêt, à demi caché derrière la porte.

— Franchement, Ev, ça servirait à quoi ?

Et il disparut.

À nouveau.

Pas de claquement de porte, cette fois. Je pris cela comme un pas en avant dans notre relation.

C’était stupide de ma part d’être surprise. Mais la déception me submergea et je restai plantée là, à

regarder la chambre, sans vraiment la voir. Ce n’était pas que je voulais qu’il tombe soudain à mes pieds, mais l’antipathie était un peu dure à supporter.

Je finis par retourner vers la fenêtre. Les amants avaient disparu, la piscine était vide à présent. Un autre couple avançait dans l’allée du jardin éclairée, derrière les immenses palmiers. Il se dirigeait vers ce qui devait être l’abri de piscine. C’était David et Miss Bikini qui, accrochée à son bras, secouait ses longs cheveux et balançait des hanches. Elle avait sorti le grand jeu. Ils allaient bien ensemble. David tira sur l’attache de son haut de bikini, dévoilant sa poitrine. Elle éclata d’un rire silencieux sans même prendre la peine de se couvrir.

Je déglutis avec difficulté. La jalousie faisait aussi mal que l’antipathie. Mais je n’avais aucun droit d’être jalouse.

À la porte de l’abri, David marqua une pause et jeta un regard derrière son épaule. Ses yeux rencontrèrent les miens. Oh, merde. Je me cachai derrière le rideau et retins bêtement mon souffle.

Surprise en train d’espionner… La honte. Lorsque j’osai enfin sortir de ma cachette, ils avaient disparu. De la lumière filtrait à travers les rideaux. Pourquoi m’étais-je cachée ? Après tout, je n’avais rien fait de mal.

La splendeur immaculée de la chambre s’étendait devant moi mais, à l’intérieur comme à

l’extérieur, j’étais une véritable épave. La réalité de ma situation venait soudain de m’apparaître. Et quel foutoir c’était ! Lauren avait trouvé le mot exact.

— David peut bien faire ce qu’il veut.

Ma voix résonna à travers la chambre, étonnamment forte même par-dessus le bruit sourd de la musique au rez-de-chaussée. Je redressai les épaules. Demain, je rencontrerais ses avocats et le divorce serait prononcé.

— David peut faire ce qu’il veut, et moi aussi.

Mais qu’avais-je envie de faire ? Aucune idée. Je déballai mes quelques vêtements, m’installant pour la nuit. J’accrochai le T-shirt de David sur un porte-serviettes pour qu’il finisse de sécher.

Ranger mes affaires me prit dix minutes à tout casser.

Et maintenant ?

Je n’avais pas été conviée à la fête. Et je n’avais aucune envie de penser à ce qui pouvait bien se passer dans l’abri de piscine.

David était sans aucun doute en train d’offrir à Miss Bikini tout ce dont j’avais rêvé à Vegas. Mais pas de sexe pour moi. À la place, il m’avait envoyée dans ma chambre comme une vilaine petite fille.

Et quelle chambre ! La salle de bains attenante était équipée d’une baignoire plus grande que ma chambre à Portland. Plus qu’assez de place pour barboter. Tentant. Mais je n’avais jamais beaucoup aimé être envoyée dans ma chambre. Petite, les rares fois où ça m’était arrivé, j’avais escaladé la fenêtre et m’étais assise dehors avec un livre. Pas très rebelle mais ça m’avait suffi. Ne jamais sous- estimer le pouvoir de la discrétion.

Oh et puis merde, je n’allais pas rester là comme ça !

Personne ne me vit descendre l’escalier. Je me glissai discrètement dans un coin et m’installai pour regarder tout ce beau monde en action. C’était fascinant. Les corps se tortillaient sur une piste de danse improvisée au milieu de la pièce. Quelqu’un alluma un cigare, remplissant l’air d’un parfum riche et épicé. Des volutes de fumée s’élevaient vers le plafond, à plus de six mètres. Les diamants scintillaient et les dents étincelaient. L’opulence clinquante côtoyait le grunge. Pour observer les gens, c’était l’emplacement idéal. Malheureusement, aucun signe de Mal. Lui au moins avait été sympa.

— Tu es nouvelle, dit une voix à côté de moi, me fichant une trouille bleue, de sorte que je fis un bond de dix mètres, ou du moins de quelques centimètres.

Un homme en costume noir était nonchalamment appuyé contre le mur et sirotait un verre d’alcool ambré. Son costume chic avait vraiment de l’allure. Celui de Sam provenait manifestement de la grande distribution, mais pas celui-là. Je n’avais jamais compris l’attrait d’un costume et d’une cravate jusqu’à aujourd’hui ; cet homme les portait incroyablement bien. À peu près du même âge que

David, il avait de courts cheveux bruns. Bel homme, évidemment. Et, comme David, il avait de magnifiques pommettes.

— Tu sais, si tu bouges encore un pied, tu vas finir par disparaître derrière ce palmier.

Il prit une nouvelle gorgée.

— Personne ne pourra plus te voir.

— J’y penserai.

Je ne pris même pas la peine de nier que j’étais en train de me cacher. Apparemment, c’était déjà

évident pour tout le monde.

Il sourit, dévoilant une fossette. Tommy Byrnes lui aussi avait des fossettes et j’étais devenue insensible à leur pouvoir. L’homme se pencha un peu plus, afin que je l’entende plus facilement par- dessus la musique, j’imagine. Le fait qu’il accompagne ce mouvement d’un pas vers moi me sembla totalement inutile. Aucun respect pour mon espace personnel. Malgré le costume chicos, quelque chose chez ce gars-là me donnait la chair de poule.

— Je m’appelle Jimmy.

— Ev.

Il me dévisagea, les lèvres pincées.

— Nan, je t’ai jamais vue, c’est sûr. Comment ça se fait ?

— Tu connais tous les autres ? (J’étudiai la pièce, dubitative.) Il y a beaucoup de monde.

— En effet, reconnut-il. Et je les connais tous. Tous sauf toi.

— David m’a invitée.

Je n’avais pas voulu laisser échapper son prénom mais j’étais acculée, au sens propre comme au figuré.

— Et il est au courant ?

Ses yeux avaient l’air bizarre, ses pupilles dilatées. Quelque chose ne tournait pas rond chez ce type. Il regardait fixement l’échancrure de mon décolleté comme s’il avait l’intention d’y enfouir son visage.

— Ouais, il est au courant.

Jimmy n’eut pas l’air particulièrement ravi par la nouvelle. Il siffla son verre, le vidant d’une gorgée.

— Alors, comme ça, David t’a invitée à la fête.

— Il m’a invitée à rester quelques jours.

Ce n’était pas un mensonge. Heureusement, il n’avait pas l’air au courant pour David et moi. Ou peut-être était-il trop défoncé pour faire le rapprochement. Dans tous les cas, je n’allais certainement pas vendre la mèche.

— Vraiment ? Comme c’est gentil de sa part.

— Oui, très gentil.

— Et dans quelle chambre t’a-t-il installée ?

Il déposa son verre vide dans le pot de fleurs d’une main nonchalante. Son large sourire semblait fou. Mon besoin de m’éloigner de lui devint soudain vital.

— La blanche, répondis-je, cherchant un moyen de m’enfuir. En parlant de ça, je ferais mieux d’y retourner.

— La blanche ? Voyez-vous ça… Tu dois être spéciale.

— Si tu le dis. Maintenant, si tu veux bien m’excuser…

Je le bousculai violemment. Au diable les mondanités.

Il n’avait pas dû s’y attendre car il recula d’un pas.

— Hé ! Attends.

— Jimmy.

David apparut soudain, gagnant ma gratitude immédiate.

— Il y a un problème ?

— Aucun problème, répondit Jimmy. Je fais juste la connaissance de… Ev.

— Ouais, eh bien, tu n’as pas besoin de connaître… Ev.

Le sourire de Jimmy s’élargit.

— Allons, tu sais combien j’aime la chair fraîche.

— On y va, m’intima David.

— Ça ne te ressemble pas de me casser mes coups, Davie, dit Jimmy. Ne t’ai-je pas vu avec la ravissante Kaetrin sur le balcon tout à l’heure ? Pourquoi n’irais-tu pas la retrouver et profiter de son plus grand talent ? Ev et moi sommes occupés.

— Pas vraiment, non, rétorquai-je.

Pourquoi David était-il revenu si vite de sa récréation avec Miss Bikini ? Il ne pouvait quand même pas avoir été préoccupé par le bien-être de sa petite femme, si ?

Aucun d’eux ne semblait m’avoir entendue.

— Alors comme ça, tu l’as invitée quelques jours chez moi, déclara Jimmy.

— J’avais comme l’impression qu’Adrian avait loué cet endroit pour nous tous pendant que nous travaillions sur l’album. Il y a eu un changement de programme ?

Jimmy éclata de rire.

— Cet endroit me plaît. J’ai décidé de l’acheter.

— Super. Fais-moi savoir quand tu auras signé et je m’assurerai de foutre le camp. En attendant, j’invite qui je veux.

Jimmy me regarda, le visage rayonnant d’une joie malsaine.

— C’est elle, pas vrai ? Celle que tu as épousée, espèce d’enfoiré.

— On y va.

David m’attrapa la main et m’entraîna vers la cage d’escalier. Sa mâchoire tressauta.

— J’aurais pu me la faire contre un mur à une putain de fête et toi, tu l’as épousée ?

Dans ses rêves.

Les doigts de David se resserrèrent autour de ma main.

Jimmy gloussa comme le crétin qu’il était.

— Elle n’est rien, espèce de connard. Regarde-la. Non mais regarde-la ! Dis-moi que ce mariage n’est pas le résultat d’un mélange vodka-cocaïne.

Ce n’était rien que je n’avais pas déjà entendu. Enfin, à l’exception de la référence au mariage. Mais ses mots me blessèrent quand même. Avant que je n’aie eu le temps de lui dire tout le bien que je pensais de lui, David chargea Jimmy, le saisissant par le revers de sa veste. Le combat allait être serré

: ils étaient tous deux grands, costauds, et aucun n’avait l’air prêt à céder. Dans la pièce, malgré le bruit sourd de la musique, les conversations cessèrent et le silence s’installa.

— Allez, vas-y, petit frère, siffla Jimmy. Montre-moi qui est la véritable star ici.

Les épaules de David se raidirent sous le fin coton de son T-shirt. Puis, avec un grognement, il lâcha Jimmy qui partit en arrière.

— Tu es comme maman. Regarde-toi, t’es qu’une épave.

Je les regardai, abasourdie. C’étaient les deux frères du groupe. Mêmes cheveux bruns et visages d’anges. Je n’étais visiblement pas tombée dans la plus harmonieuse des familles. Jimmy avait presque l’air honteux.

Mon mari se dirigea vers moi et m’attrapa le bras au passage. Tous les regards étaient braqués sur nous. Une petite brune élégante fit un pas en avant, la main tendue. L’angoisse déformait son beau visage.

— Tu sais bien qu’il ne le pense pas.

— Reste en dehors de ça, Martha, rétorqua-t-il sans ralentir.

La femme me jeta un regard de dégoût. Pire, de reproche.

Il me traîna en haut de l’escalier puis dans le couloir jusqu’à ma chambre. Sans un mot. Peut-être que cette fois il allait m’enfermer. Coincer une chaise sous la poignée de porte. Je comprenais sa colère envers Jimmy. Ce gars-là était un con fini. Mais qu’avais-je fait, moi ? À part m’échapper de ma prison dorée, bien sûr.

À mi-chemin du long couloir, je dégageai mon poignet. Il fallait que je fasse quelque chose avant qu’il ne me coupe la circulation sanguine.

— Je connais le chemin.

— Encore envie de t’envoyer en l’air, hein ? Tu aurais dû m’en parler, j’aurais été ravi de rendre service, ironisa-t-il. En plus, tu n’es même pas bourrée ce soir. Peut-être que tu t’en souviendras, cette fois.

— Aïe.

— C’est faux ?

— Non. Mais tu te comportes vraiment comme un salaud.

Il s’arrêta net et me regarda, les yeux écarquillés.

— Un salaud ? Tu es ma femme, putain !

— Non, tu l’as dit toi-même. Juste avant d’aller jouer avec ta petite copine près de la piscine.

Même s’il n’y était manifestement pas resté longtemps. Cinq, six minutes, peut-être ? J’avais presque de la peine pour Miss Bikini. Le service laissait vraiment à désirer.

Ses sourcils bruns s’abaissèrent comme des nuages noirs. Il n’était pas le moins du monde décontenancé. Raté. Je ne l’avais jamais autant détesté.

— Tu as raison. Au temps pour moi. Dois-je te ramener à mon frère ? demanda-t-il en faisant craquer les articulations de ses doigts façon homme des cavernes.

— Non, merci.

— Au fait, bravo pour ton petit numéro avec Jimmy. De toutes les personnes présentes ce soir, il a fallu que tu flirtes avec lui, ricana-t-il. Très classe, Ev.

— Tu crois vraiment que c’est ce qui s’est passé ?

— Qu’est-ce que vous foutiez cachés dans un recoin, dans ce cas ?

— Tu es sérieux, là ?

— Je connais Jimmy, et je sais comment les nanas se comportent avec lui. Et ça ressemblait vraiment à ça, trésor.

Il ouvrit grands les bras.

— Prouve-moi le contraire.

« Mon petit numéro »… Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Mais ce qui était sûr, c’est que je n’avais certainement pas flirté avec ce crétin. Pas étonnant que la plupart des mariages se soldent par un divorce. Le mariage, ça craint, et les maris encore plus. Mes épaules se voûtèrent. Je ne crois pas m’être jamais sentie aussi petite.

— Je pense que tu as plus de problèmes avec ton frère qu’avec les femmes, et ce n’est pas peu dire.

(Je secouai lentement la tête.) Merci de m’avoir laissée me défendre toute seule. J’apprécie vraiment.

Mais tu sais quoi, David ? Ce que tu penses m’est bien égal.

Il tressaillit.

Je quittai la chambre avant de débiter d’autres méchancetés. Oublions les civilités. Plus vite nous divorcerions, mieux ce serait.

5

Lorsque je me réveillai le lendemain matin, la lumière matinale filtrait par les fenêtres. Quelqu’un frappait à la porte, tournait la poignée, essayant d’entrer. Je l’avais verrouillée après la scène avec

David, juste au cas où il aurait été tenté de revenir pour échanger d’autres amabilités. J’avais mis des heures à m’endormir, à cause de la musique vibrant à travers le plancher et de mes émotions contradictoires. Mais l’épuisement avait fini par avoir raison de moi.

— Evie ? Il y a quelqu’un ? cria une voix de femme dans le couloir. Vous êtes là ?

Je m’extirpai du gigantesque lit et tirai sur le bord du T-shirt de David. Quoi qu’il ait utilisé pour le laver à Las Vegas, ça ne sentait plus le vomi. Cet homme était doué pour la lessive. Heureusement pour moi car, à l’exception de ma robe de soirée sale et de quelques hauts, je n’avais rien d’autre à

me mettre.

— Qui est-ce ? demandai-je, bâillant à m’en décrocher la mâchoire.

— Martha. L’assistante de David.

J’entrebâillai la porte. La jolie brune de la veille me regardait, l’air un peu agacé. Peut-être d’avoir

été obligée d’attendre ou à la vue de mes cheveux en bataille, je ne savais pas. Est-ce que tout le monde dans cette baraque avait l’air de sortir tout droit d’une couverture de Vogue ? Ses yeux se rétrécirent lorsqu’elle aperçut le T-shirt de David.

— Ses avocats sont arrivés. Vous feriez bien de vous remuer.

Elle fit demi-tour et s’éloigna dans le couloir, ses talons claquant furieusement contre le carrelage en terre cuite.

— Merci…

Elle ne m’avait pas reconnue mais je ne m’y attendais pas vraiment. Ce coin de Los Angeles était à

l’évidence un repaire de crétins mal élevés. Je me précipitai sous la douche, enfilai mon jean et un T- shirt propre. C’était le mieux que je puisse faire.

La maison était toujours silencieuse lorsque je me ruai dans le couloir. Aucun signe de vie au deuxième étage. J’appliquai un peu de mascara, attachai mes cheveux mouillés en queue- de-cheval, rien de plus. Je pouvais faire attendre ces gens ou y aller sans maquillage. Victoire de la politesse.

Cependant, pour du café, j’aurais laissé les hommes de David poireauter le temps d’au moins deux tasses. Me présenter sans caféine semblait suicidaire étant donné les circonstances particulièrement stressantes. Je dévalai les marches quatre par quatre.

— Mademoiselle Thomas, appela un homme qui sortait d’une pièce sur la gauche.

Il portait un jean, un polo blanc et, autour du cou, une épaisse chaîne en or. Qui était-ce ? Quelqu’un du staff de David ?

— Désolée pour le retard.

— Ne vous inquiétez pas.

Il sourit mais, malgré ses grandes dents blanches, son sourire ne m’inspira pas confiance.

Visiblement, la nature n’avait joué aucun rôle dans ses dents ou son bronzage.

— Je suis Adrian.

— Ev. Enchantée.

Il me fit entrer dans la salle. Trois hommes en costume attendaient autour d’une table d’une longueur impressionnante. Au plafond pendait un autre lustre en cristal qui étincelait dans la lumière matinale. Sur les murs étaient accrochés de magnifiques tableaux colorés. Des originaux,

évidemment.

— Messieurs, laissez-moi vous présenter Mlle Thomas, annonça Adrian. Scott Baker, Bill Preston et Ted Vaughan sont les représentants légaux de David. Je vous en prie, Ev, asseyez-vous.

Adrian parlait lentement, comme s’il s’adressait à une débile mentale. Il tira une chaise afin que je me retrouve en face de l’équipe des aigles juridiques avant de faire le tour de la table pour s’asseoir de leur côté. Waouh. Le ton était donné.

Je frottai mes paumes moites sur mon jean et m’assis, en faisant de mon mieux pour ne pas perdre contenance sous leurs regards hostiles. Je pouvais le faire. Ça ne devait pas être si difficile de divorcer, après tout.

— Mademoiselle Thomas, commença celui qu’Adrian avait présenté comme étant Ted.

Il poussa dans ma direction une grosse chemise en cuir noir remplie de papiers.

— M. Ferris nous a demandé de rédiger les documents d’annulation. Tous les points y sont abordés, y compris le montant de la prestation compensatoire.

La taille de la pile de documents devant moi était intimidante. Ces gens travaillaient vite.

— La prestation compensatoire ?

— Oui, répondit Ted. Soyez certaine que M. Ferris s’est montré très généreux.

Je secouai la tête, perplexe.

— Je suis désolée. Que… ?

— Nous reviendrons là-dessus plus tard. Vous remarquerez que ce document évoque toutes les clauses que vous devez respecter. La principale étant que vous ne parliez pas à la presse. Ce n’est pas négociable, j’en ai bien peur. Cette clause demeure en vigueur jusqu’à votre décès. Comprenez-vous bien cette exigence, mademoiselle Thomas ?

— Je pourrai donc leur parler après ma mort ? demandai-je avec un petit rire.

Ted me tapait sur les nerfs. Je n’avais peut-être pas assez dormi, finalement.

Il me montra ses dents. Elles n’étaient pas aussi impressionnantes que celles d’Adrian.

— C’est un sujet très sérieux, mademoiselle Thomas.

— Ev. Je m’appelle Ev et je me rends bien compte de la gravité de la chose, Ted, veuillez excuser ma désinvolture. Mais si nous pouvions revenir à la partie qui concerne la compensation ? J’avoue

être un peu perdue.

— Mais certainement.

Il tapota sur la paperasse avec un gros stylo en or.

— Comme je le disais, M. Ferris s’est montré très généreux.

— Non, l’interrompis-je sans même regarder les documents. Vous ne comprenez pas.

Il s’éclaircit la voix et me toisa par-dessus ses lunettes.

— Il serait peu judicieux de votre part d’essayer d’obtenir plus au vu des circonstances, mademoiselle Thomas. Un mariage d’une durée de six heures à Las Vegas conclu alors que vous

étiez tous deux sous l’empire de l’alcool ? C’est un motif parfait d’annulation.

Les petits copains de Ted ricanèrent et je sentis mon visage s’empourprer. J’avais de plus en plus envie de filer « accidentellement » un coup de pied sous la table à ce connard.

— Mon client ne fera pas d’autre offre.

— Je ne veux pas qu’il fasse d’autre offre, répondis-je en haussant le ton.

— L’annulation va avoir lieu, mademoiselle Thomas. Aucun doute là-dessus. Il n’y aura pas de conciliation.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Il soupira.

— Il faut que nous finalisions cela aujourd’hui, mademoiselle Thomas.

— Je n’essaie pas de retarder les choses, Ted.

Les deux autres avocats me regardèrent avec dégoût, épaulant Ted avec des sourires torves et entendus. Rien ne me foutait plus en rogne qu’une bande d’idiots qui essaient d’intimider quelqu’un.

Au lycée, les tyrans avaient fait de ma vie un enfer. Et, franchement, ces gens-là étaient du même acabit.

Adrian m’adressa un large sourire tout en dents, faussement paternel.

— Je suis persuadé qu’Ev se rend bien compte de la grande générosité de David. Nous n’allons pas faire d’histoires, n’est-ce pas ?

Ces gens-là étaient hallucinants. À ce propos, où était mon cher mari ? Trop occupé à baiser des mannequins en bikinis pour se pointer à son propre divorce, peut-être ? Je repoussai ma frange, essayant de trouver mes mots. De contenir ma colère.

— Attendez…

— Nous désirons simplement ce qu’il y a de mieux pour vous étant donné la regrettable situation, mentit Adrian.

— Super, dis-je, les doigts s’agitant sous la table. C’est… c’est vraiment très aimable à vous.

— Si vous voulez bien, mademoiselle Thomas.

De façon autoritaire, Ted tapota son stylo sur un nombre inscrit sur le document et je regardai machinalement, presque malgré moi. Il y avait beaucoup de zéros. Je veux dire, vraiment beaucoup.

C’était dingue. Même en plusieurs vies, je ne gagnerais jamais autant d’argent. David voulait vraiment me voir disparaître, et en vitesse. Mon estomac gargouilla nerveusement. Toute cette scène semblait surréaliste, comme tirée d’un mauvais film de série B ou d’un soap opera. Une fille des bas-quartiers séduit un garçon riche et sexy et le piège pour qu’il l’épouse. À présent, tout ce qui lui restait, c’était d’utiliser ses gens pour me chasser vers le soleil couchant.

Eh bien, il avait gagné.

— Tout ça n’est qu’un malentendu, déclara Adrian. Je suis certain qu’Ev est aussi désireuse que

David de laisser tout ça derrière elle. Et, avec cette somme généreuse, elle peut à présent envisager un avenir brillant.

— De plus, vous n’essaierez plus d’entrer en contact avec M. Ferris, d’aucune manière que ce soit.

Toute tentative de votre part entraînerait une rupture de ce contrat.

Ted releva son stylo et se renfonça dans son siège avec un sourire faux, les mains croisées sur son ventre.

— Est-ce clair ?

— Non, répondis-je en me frottant le visage avec mes mains.

Ils s’attendaient vraiment que je saute de joie devant tout cet argent. Argent que je n’avais rien fait pour mériter, soit dit en passant. Bien sûr, ils avaient peur que je vende mon histoire à la presse et que je harcèle David chaque jour que Dieu ferait. Ils me prenaient pour une moins que rien.

— Je pense que je peux honnêtement dire que rien de tout cela n’est clair.

— Ev, s’il vous plaît.

Adrian me jeta un regard déçu.

— Soyez raisonnable.

— Vous savez quoi ?

Je me levai, retirai la bague de la poche de mon jean et la jetai sur la masse de documents.

— Vous n’avez qu’à rendre ça à David et lui dire que je ne veux rien. Rien de tout ça.

Je désignai la table, les papiers, et toute cette foutue baraque. Les avocats se regardaient nerveusement, comme s’ils avaient besoin de plus de paperasse avant de pouvoir m’autoriser à

m’indigner.

— Ev…

— Je ne veux pas vendre son histoire, ni le harceler, ni quoi que vous ayez enterré dans le paragraphe 98.2. Je ne veux pas de son argent.

Adrian étouffa un rire. Qu’il aille se faire voir. Ce salaud de m’as-tu-vu pouvait bien penser ce qu’il voulait.

Ted fronça les sourcils devant l’énorme bague étincelante qui gisait innocemment au milieu du bazar.

— M. Ferris n’a pas fait mention d’une bague.

— Ah non ? Pourquoi ne diriez-vous donc pas à ce cher M. Ferris qu’il peut se la mettre là où je pense, Ted.

— Mademoiselle Thomas !

Il se leva brusquement, son visage bouffi scandalisé.

— Ce n’était pas nécessaire.

— Je crains de ne pas être d’accord avec vous sur ce point, Ted.

Je sortis en trombe de la salle à manger de la mort et me dirigeai droit vers la porte d’entrée aussi vite que mes pieds me le permettaient. La fuite immédiate semblait la seule solution. Si seulement je pouvais m’éloigner d’eux assez longtemps pour reprendre mon souffle, j’arriverais à trouver un nouveau plan pour affronter cette situation ridicule. Et tout irait bien.

Alors que je dévalais le perron, une Jeep noire flambant neuve s’arrêta devant moi.

La vitre s’abaissa et Mal, mon guide de la veille, apparut. Il me sourit derrière ses lunettes de soleil noires.

— Salut, petite mariée.

Je lui fis un doigt d’honneur et partis au petit trot sur la longue et sinueuse allée menant à la grille d’entrée. Vers la libération, la liberté, et mon ancienne vie, ou du moins ce qu’il en restait. Si seulement je n’étais pas allée à Vegas. Si seulement j’avais réussi à convaincre Lauren qu’une fête à la maison suffisait, rien de tout cela ne serait arrivé. Mon Dieu, quelle idiote j’avais été ! Pourquoi avais-je autant bu ?

— Ev, attends ! Qu’est-ce qui se passe ? Où vas-tu ?

Je ne répondis pas. J’en avais fini avec eux. Et puis j’étais sûre que j’allais me mettre à pleurer.

Merde. Mes yeux me piquaient.

— Stop.

Il serra le frein à main, sortit de la Jeep et me courut après.

— Hé, je suis désolé.

Je ne répondis pas. Je n’avais plus rien à leur dire.

Il m’attrapa doucement le bras et je tentai de lui décocher un coup de poing. Je n’avais jamais frappé quelqu’un de ma vie. Manifestement, je n’allais pas commencer maintenant : il l’esquiva sans peine.

— Ho ! O.K.

Mal recula d’un pas et me lança un regard méfiant par-dessus ses lunettes de soleil.

— Tu es en colère. J’ai compris.

Les mains sur les hanches, il jeta un regard en direction de la maison. Ted et Adrian se tenaient sur le perron et nous observaient. Même à cette distance, le duo de choc n’avait pas l’air content. Bande de salopards.

Mal soupira.

— Non mais je rêve. Il a lancé ce connard de mes deux après toi ?

J’acquiesçai, tentant de garder mon sang-froid.

— Tu as quelqu’un pour te raccompagner ? demanda-t-il.

— Non.

Il pencha la tête.

— Tu vas te mettre à pleurer ?

— Non !

— Et puis merde. Allez, viens. (Il me tendit une main que je regardai avec incrédulité.) Réfléchis,

Ev. Il y a des photographes qui attendent devant. Même si tu arrives à les éviter, tu vas aller où ?

Il avait raison. Il fallait que je revienne chercher mes affaires. Quelle bêtise de ma part de ne pas y avoir pensé. Dès que j’aurais repris mes esprits, j’y retournerais, récupérerais mon sac et foutrais le camp d’ici. Je m’éventai le visage avec mes mains et pris une grande respiration. Tout allait bien se passer.

Sa main était restée suspendue, en attente. Il y avait deux petites ampoules sur la jointure entre le pouce et l’index. Curieux.

— C’est toi, le batteur ? demandai-je en reniflant.

Pour je ne sais quelle raison, il éclata de rire, presque plié en deux, en se tenant le ventre. Peut-être qu’il se droguait. Ou peut-être était-ce un cinglé de plus dans ce gigantesque asile de fous. Même

Batman aurait eu du mal à garder cet endroit en ordre.

— C’est quoi ton problème ? demandai-je en m’écartant d’un pas. Au cas où.

Ses lunettes de soleil chicos tombèrent sur l’asphalte avec un petit bruit. Il les essuya avant de les remettre sur son nez.

— Rien. Rien du tout. Allons-nous-en d’ici. J’ai une maison sur la plage. On va s’y cacher. Allez, viens, ça va être marrant.

J’hésitai, jetant un regard meurtrier aux deux crétins sur le perron.

— Pourquoi voudrais-tu m’aider ?

— Parce que tu en vaux la peine.

— Oh, vraiment ? Et qu’est-ce qui te fait penser ça ?

— Tu ne vas pas aimer ma réponse.

— Je n’ai pas aimé une seule des réponses que j’ai obtenues ce matin. Pourquoi donc arrêter maintenant ?

Cela le fit sourire.

— Très bien. David est mon plus vieil ami. On s’est bourré la gueule plus de fois que je peux m’en souvenir. Même avant qu’on soit célèbres, les nanas ont toujours essayé de lui mettre le grappin dessus. Mais il n’a jamais été intéressé par le mariage. S’il t’a épousée, eh bien, ça me laisse penser que tu vaux le coup d’être aidée. Allez, Ev. Arrête de t’inquiéter.

Facile à dire, sa vie n’avait pas été anéantie par une rock star.

— Il faut que j’aille récupérer mes affaires.

— Pour qu’ils te tombent dessus ? On s’occupera de ça plus tard.

Il tendit la main, ses doigts cherchant les miens.

— Fichons le camp d’ici.

Je glissai ma main dans la sienne et le suivis.

6

— Non mais attends, cette chanson ne parle pas d’un chien mourant ou un truc comme ça ?

— T’es pas drôle, m’esclaffai-je.

— Oh que si.

À l’autre bout du canapé, Mal ricana tandis que, sur l’écran plat, Tim McGraw chantait un hymne à

sa femme.

— Pourquoi, d’après toi, tous les chanteurs de musique country portent-ils de si grands chapeaux ?

J’ai une théorie.

— Chut !

La manière dont ces gens vivaient me fascinait. Mal – diminutif de Malcolm – habitait une maison sur la plage, véritable prouesse architecturale d’acier et de verre sur deux étages. Elle était incroyable. Pas l’une de ces immenses demeures nichées dans les collines mais tout aussi impressionnante. Mon père aurait été en extase devant son minimalisme et la pureté de ses lignes. De mon côté, j’appréciais simplement d’avoir un ami dans ce moment difficile.

Sa maison tenait plus de la garçonnière qu’autre chose. J’avais eu la vague intention de lui préparer

à déjeuner pour le remercier de m’avoir invitée mais n’avais pas réussi à dénicher quoi que ce soit à

manger. Le réfrigérateur était rempli de bières et le freezer de vodka. Ah non, il y avait également un sac d’oranges destinées à accompagner les shots de vodka, mais il m’avait interdit d’y toucher.

Heureusement, sa super machine à café dernier cri rattrapait tout. Il avait même du café à moudre potable. Je l’avais impressionné en exhibant quelques-uns de mes tours de barmaid. Trois tasses en moins d’une heure plus tard, je me sentais de nouveau moi : caféinée et méthodique.

Mal commanda une pizza et nous regardâmes la télé jusque tard dans la nuit. Il aimait surtout se moquer de mes goûts en matière de films, de musique, de tout. Au moins le faisait-il avec bienveillance. Nous ne pouvions pas sortir car des photographes attendaient sur la plage. Je m’en voulais mais il me fit comprendre que ça ne l’ennuyait pas.

— Et cette chanson, tu aimes ? demanda-t-il.

Miranda Lambert arpentait l’écran dans une super robe des années 1950, et je souris.

— Miranda déchire.

— Je l’ai rencontrée.

Je me redressai.

— Sérieux ?

Mal ricana de nouveau.

— Tu es impressionnée que j’aie rencontré Miranda Lambert mais tu ne savais même pas qui j’étais il y a quelques heures. Franchement, ma p’tite dame, vous êtes dure pour mon ego.

— J’ai vu les disques d’or et de platine alignés dans l’entrée, mon pote. Je pense que tu vas t’en remettre.

Il renâcla.

— Tu sais, tu me rappelles beaucoup ma sœur.

Je réussis presque à esquiver la capsule qu’il me jeta. Elle rebondit sur mon front.

— Et c’est en quel honneur ?

— Pourrais-tu au moins faire semblant de me vénérer ?

— Non. Désolée.

Avec un mépris total de mon amour pour Miranda, Mal se mit à zapper. Téléachat, football, Autant en emporte le vent, et moi. Moi à la télé.

— Attends.

— Ce n’est pas une bonne idée, objecta-t-il.

Tout d’abord défilèrent mes photos d’école, suivies d’une de Lauren et moi à notre bal de promo.

Ils avaient même envoyé un journaliste faire le pied de grue devantle Ruby’s, passant ma vie au crible avant de m’élever au rang sacré d’épouse de David. On le voyait ensuite lors d’un concert, guitare à

la main, qui chantait les chœurs. Les paroles étaient l’éternelle rengaine « que-ma-nana-est-cruelle » :

« She’s my one and only, she’s got me on my knees… » Je me demandai s’il écrirait des chansons sur moi. En ce cas, il y avait des chances qu’elles soient extrêmement peu flatteuses.

— Merde.

Je serrai fort un des coussins du canapé contre ma poitrine.

Mal se pencha et m’ébouriffa les cheveux.

— David est le chouchou de ces dames. Il est beau, joue de la guitare, et écrit les paroles. Les minettes s’évanouissent sur son passage. Ajoute à ça le fait d’être une jeunette et tu as le scoop de la semaine.

— J’ai vingt et un ans !

— Et lui vingt-six. Ça leur suffit.

Mal soupira.

— Regarde les choses en face, petite mariée. Tu as été unie à l’un des fils préférés du rock par un imitateur d’Elvis à Vegas. Ça fait toujours son petit effet. En plus, étant donné tout ce qui se passe avec le groupe dernièrement… Jimmy qui déconne et David qui perd son mojo de parolier. Enfin, tu vois le tableau. Mais, la semaine prochaine, quelqu’un d’autre fera quelque chose de dingue et ils t’oublieront.

— J’espère…

— Je le sais. Les gens font tout le temps des conneries. C’est ça qui est bien.

Il se renfonça dans le canapé, les mains derrière la tête.

— Allez, fais risette à Oncle Mal. Je sais que tu en meurs d’envie.

Je souris sans conviction.

— C’est vraiment un sourire pourri et j’ai honte pour toi. Tu ne tromperas personne avec ça.

Recommence.

Je réessayai de sourire jusqu’à ce que mes joues me fassent mal.

— Merde ! Maintenant on dirait que tu souffres.

Notre hilarité fut interrompue par des coups à la porte. Il haussa les sourcils dans ma direction.

— Je me demandais combien de temps il allait tenir.

— Quoi ?

Je le suivis jusqu’à la porte d’entrée, tapie derrière une cloison au cas où ce serait encore la presse.

Il ouvrit la porte et David lui fonça dessus, visiblement fou de rage.

— Espèce de connard ! J’espère pour toi que tu ne l’as pas touchée. Où est-elle ?

— La petite mariée est occupée. (Mal pencha la tête et toisa David d’un air glacial.) Qu’est-ce que

ça peut bien te foutre, de toute façon ?

— Ne me cherche pas. Où est-elle ?

Mal referma doucement la porte et fit face à son ami. Je préférai rester en retrait. Bon d’accord, je me planquai lâchement. Bref.

— Tu l’as laissée affronter Adrian et trois avocats toute seule, dit Mal en croisant les bras. C’est toi, mon ami, le connard dans cette histoire.

— Je ne savais pas qu’Adrian la traiterait comme ça.

— Tu ne voulais pas le savoir, rétorqua Mal. Tu peux mentir à tout le monde, Dave. Mais pas à moi.

Et sûrement pas à toi-même.

— Fous-moi la paix.

— Tu as besoin de sérieux conseils, mon pote.

— T’es qui ? Oprah ?

Laissant échapper un rire, Mal s’affala contre le mur.

— Exactement. Et, dans quelques minutes, je vais offrir une voiture à chaque spectateur, alors ne zappez pas.

— Qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Qui ça ? Oprah ?

David le foudroya du regard. Il ne remarqua même pas ma présence. Ça me faisait mal de le reconnaître mais même ses regards renfrognés étaient magnifiques. Ça suscitait en moi des choses

étranges. Mon cœur martelait ma poitrine. La colère et l’émotion dans sa voix ne signifiaient quand même pas qu’il était inquiet pour moi ? Ça n’avait aucun sens, pas après la nuit dernière et ce matin.

Je devais me faire des idées. Je ne savais plus où j’en étais. M’éloigner de ce type semblait l’option la plus sûre.

— David, elle était tellement en colère qu’elle m’a balancé un coup de poing.

— Ne dis pas de conneries !

— Je te jure. Elle était au bord des larmes lorsque je l’ai trouvée.

Je me cognai le front contre le mur dans une agonie muette. Pourquoi diable Mal lui avait-il raconté ça ?

Mon époux baissa la tête.

— Je ne voulais pas que ça se passe comme ça.

— Ça devient un leitmotiv. (Mal secoua la tête et poussa une exclamation désapprobatrice.) Avais-tu au moins l’intention de l’épouser, mec ? Sérieusement ?

— Je ne sais plus, O.K. ? Merde. Je suis allé à Vegas car j’en avais marre de toute cette merde, et je l’ai rencontrée. Elle était différente. Cette nuit-là, elle avait l’air différente. Je… je voulais simplement changer d’air.

— Pauvre Davey. Être un dieu du rock ne t’amuse plus ?

— Où est-elle ?

— Je compatis à ta douleur, mon pote. Vraiment, je te jure. Je veux dire, tout ce que tu voulais, pour changer, c’est une fille qui ne serait pas à tes pieds et maintenant tu lui en veux exactement pour ça.

Cornélien, hein ?

— Va te faire foutre. Laisse tomber, Mal. Ce qui est fait est fait.

Mon mari poussa un soupir.

— De toute façon, c’est elle qui tenait à divorcer. Pourquoi ce n’est pas elle que tu soumets à un interrogatoire, hein ?

Avec un soupir grandiloquent, Mal ouvrit grands les bras.

— Parce qu’elle est trop occupée à se cacher dans un coin pour nous espionner. Je ne peux pas la déranger maintenant.

Le corps de David s’immobilisa et ses yeux bleus me trouvèrent.

— Evie.

Merde ! Grillée.

Je m’écartai du mur et essayai de faire bonne figure. Sans succès.

— Salut.

— Ça, c’est son truc.

Mal se tourna vers moi et me fit un clin d’œil.

— Tu as vraiment demandé le divorce au génialissime David Ferris ?

— Lorsque je lui ai annoncé qu’on était mariés, elle m’a vomi dessus, expliqua David.

— Quoi ? s’exclama Mal en éclatant de rire jusqu’aux larmes. Sans déconner ? Putain, c’est génial.

Oh, la vache ! J’aurais aimé être là.

Je lançai à David ce que j’espérais être le regard le plus incisif de tous les temps. Il n’eut pas vraiment l’air impressionné.

— Sur le sol, précisai-je. J’ai vomi sur le sol, pas sur David.

— Cette fois-là, ajouta ce dernier.

— Je t’en prie, continue, dit Mal en riant plus fort que jamais. C’est de mieux en mieux.

David s’arrêta. Dieu merci.

— Sérieux, j’adore ta femme, mon pote. Elle est incroyable. Je peux l’avoir ?

Le regard que me lança David témoignait d’une affection réticente. Ou d’une irritation absolue. Je lui soufflai un baiser. Il détourna les yeux, les poings serrés comme s’il se retenait de m’étrangler.

C’était réciproque.

Ah, le bonheur conjugal.

— Vous êtes trop drôles, tous les deux.

Le portable de Mal sonna. Il le sortit de sa poche et ce qu’il vit sur l’écran fit immédiatement cesser son rire.

— Tu sais quoi, Dave ? Tu devrais la ramener chez toi.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Je ne le croyais pas non plus. Je ne voulais plus jamais remettre un pied dans cette maison des horreurs. Peut-être que si je le lui demandais gentiment, Mal irait me chercher mes affaires. Lui imposer encore un peu ma présence ne me plaisait pas plus que ça mais je me trouvais à court d’options.

— Holà, doucement !

Mal fourra son portable sous le nez de David.

— Et merde, marmonna celui-ci.

Il passa une main derrière sa nuque. Le regard anxieux qu’il me lança déclencha toutes sortes d’alarmes dans ma tête. Quoi qu’il ait pu y avoir sur cet écran, ce n’était pas bon.

Vraiment pas bon.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je.

— Oh, tu, euh… T’inquiète.

Il regarda de nouveau le téléphone avant de le rendre à Mal.

— Tu as raison, c’est une bonne idée. Allons chez moi. Super. Ouais.

— Non.

Pour que David soit si gentil avec moi, c’est qu’il devait se passer quelque chose de très grave. Je tendis la main, les doigts s’agitant d’impatience, de stress, ou d’un peu des deux.

— Montre-moi.

Après un hochement de tête réticent de David, Mal me tendit le téléphone.

Même sur le petit écran, aucun doute n’était permis. C’était bien mon corps, dénudé à partir de la taille. Mon cul nu trônait au centre dans toute sa splendeur, pâle et potelé. Mon Dieu, il avait l’air

énorme. Ils avaient utilisé des objectifs à grand angle ou quoi ? Ma robe de soirée retroussée, j’étais allongée sur une table, tandis qu’un tatoueur s’efforçait de me tatouer les fesses. Ma culotte était baissée, cachant à peine l’essentiel. Merde. Tu parles d’une situation compromettante. Participer à un tournage porno ne faisait certainement pas partie de mes projets.

À l’autre extrémité du cadre, nos visages étaient collés et David souriait. Tiens tiens ! Voilà donc à

quoi il ressemblait lorsqu’il souriait.

Puis tout me revint : le bourdonnement de l’aiguille, David qui me parlait en me tenant les mains pour me faire oublier la douleur.

— Tu faisais semblant de me mordre les doigts et le tatoueur s’est énervé car nous faisions les andouilles, me rappelai-je.

David abaissa le menton.

— Ouais. Tu ne devais pas bouger.

Je hochai la tête, essayant de me souvenir de plus, en vain.

Les gens allaient voir cette image. Les gens l’avaient vue. Des gens que je connaissais ainsi que de parfaits inconnus. Tout le monde et n’importe qui. Je fus prise de vertige. Sauf que, cette fois, ce n’était pas à cause de l’alcool.

— Mais comment ont-ils eu ça ? demandai-je, la voix tremblotante et le moral dans les chaussettes.

Ou peut-être était-ce ce qu’il restait de ma dignité en lambeaux.

David me lança un regard triste.

— Je ne sais pas. Nous étions dans une salle privée. Ça n’aurait jamais dû arriver mais certaines personnes sont prêtes à tout pour de l’argent.

Je hochai la tête et rendis son téléphone à Mal d’une main tremblante.

— Je vois. Eh bien…

Ils me regardaient tous les deux, le visage tendu, attendant que je fonde en larmes ou je ne sais quoi. Ils pouvaient toujours courir.

— Ça va, dis-je en faisant mon possible pour y croire.

— Bien sûr, dit Mal.

David fourra les mains dans ses poches.

— L’image est un peu floue de toute façon.

— Oui, c’est vrai, acquiesçai-je.

La pitié dans ses yeux eut raison de moi.

— Excusez-moi une minute.

Heureusement, la salle de bains n’était pas loin. Je fermai la porte à clé et m’assis au bord du jacuzzi, essayant de maîtriser ma respiration, de retrouver mon calme. Je ne pouvais rien y faire. La photo était déjà partout. Mais il n’y avait pas mort d’homme. Ce n’était qu’une photo de moi dans une position compromettante, montrant plus de peau que je l’aurais souhaité, et alors ? La belle affaire.

Accepte et va de l’avant. Même si toute personne de ma connaissance la verrait sans doute. Des choses bien pires s’étaient passées dans l’histoire de l’humanité. J’avais juste besoin de remettre cet épisode dans son contexte et de rester calme.

— Ev ? (David frappa doucement à la porte.) Tout va bien ?

— Oui, oui.

Non. Pas vraiment.

— Je peux entrer ? S’il te plaît.

Je me relevai lentement et déverrouillai la porte. Il entra et referma derrière lui. Pas de queue-de- cheval aujourd’hui. Ses cheveux bruns encadraient son visage. À une oreille, trois petites boucles en argent jouaient à cache-cache derrière sa chevelure. Je les fixai pour éviter son regard. Je n’allais pas pleurer. Pas pour ça. Mais qu’est-ce qui arrivait à mes yeux ces temps-ci ? Et pourquoi l’avais-je laissé entrer ?

Il me dévisagea avec un froncement de sourcils prononcé.

— Je suis désolé.

— Tu n’y es pour rien.

— Si. J’aurais dû faire plus attention à toi.

— Non, David. (Je déglutis avec difficulté.) Nous avions tous les deux bu. Mon Dieu, tout ça est affreusement stupide et embarrassant.

Il continuait à me regarder fixement.

— Désolée.

— Hé, tu as parfaitement le droit d’être bouleversée. C’était un moment intime. Ça n’aurait pas dû

arriver.

— Non. Je… en fait, j’aimerais être seule un petit moment.

Il poussa un petit grognement et, soudain, il m’enlaça, m’attirant à lui. Surprise, je perdis l’équilibre et mon nez cogna contre sa poitrine. Il sentait bon. Propre, viril et agréable. Une odeur

étrangement familière qui m’apaisa sans que je comprenne vraiment pourquoi.

Une main s’agitait nerveusement dans mon dos.

— Je suis désolé. Vraiment désolé.

Sa gentillesse m’acheva et les larmes se mirent à couler. Satanées larmes.

— Personne ou presque n’a jamais vu mon cul et maintenant il est partout sur Internet.

— Je sais, bébé.

Il appuya sa tête contre la mienne, me tenant serrée fort tandis que je pleurai comme une madeleine dans son T-shirt. Ça aidait, d’avoir quelqu’un à qui s’accrocher. J’allais m’en sortir. Au fond de moi, je le savais. Mais là, tout de suite, je n’arrivais pas à m’en convaincre. Être collée à lui, ses bras autour de moi, me faisait du bien.

Je ne sais pas quand nous avons commencé à nous balancer. David me berçait doucement comme si nous étions en train de danser un slow. Mon irrésistible envie de rester comme ça, mon visage contre son T-shirt, m’effraya et je reculai. Ses mains reposèrent légèrement sur mes hanches, le lien n’était pas tout à fait rompu.

— Merci, dis-je.

— Pas de problème.

Il y avait une tache humide sur son T-shirt.

— Ton T-shirt est tout mouillé.

Il haussa les épaules.

Je n’étais pas jolie quand je pleurais. C’était un don chez moi. Le miroir me le confirma : yeux rougis et joues rose fluo. Avec un sourire gêné, je m’éloignai de lui et ses mains retombèrent le long de son corps. J’aspergeai mon visage d’eau et le séchai avec une serviette tandis qu’il se tenait bras croisés et sourcils froncés.

— Partons d’ici tous les deux, annonça-t-il.

— Tu es sûr ?

Je lui lançai un regard dubitatif. David et moi, seuls ? Étant donné notre situation maritale et nos précédentes rencontres à jeun, ça ne semblait pas être l’idée du siècle.

— Ouais, acquiesça-t-il, puis il se frotta les mains, soudain emballé. Juste toi et moi.

— David, comme tu l’as dit tout à l’heure, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

— Tu préfères rester à Los Angeles ? railla-t-il.

— Écoute, tu as été vraiment adorable depuis que tu as passé le seuil de cette porte. Enfin, à part quand tu as raconté à Mal que je t’avais vomi dessus. Ce n’était vraiment pas nécessaire. Mais, en l’espace de vingt-quatre heures, tu m’as laissée seule dans une chambre, tu as foutu le camp avec une groupie, tu m’as accusée de m’envoyer en l’air avec ton frère et tu as lancé ta meute d’avocats à mes trousses.

Il garda le silence.

— Non pas que le fait de t’enfuir avec une groupie me regarde. Évidemment.

Soudain, il se mit à faire les cent pas. Bien que cette salle de bains fît cinq fois la taille de la mienne, elle n’était pas encore assez grande pour une telle confrontation. David se trouvait entre la porte et moi. Impossible de fuir.

— Je leur avais simplement demandé de s’occuper des papiers, déclara-t-il.

— Oh ça, ils l’ont fait, répliquai-je en mettant mes mains sur mes hanches, campant sur mes positions. Je ne veux pas de ton argent.

— J’ai cru comprendre.

Son visage était totalement impénétrable. Ma déclaration n’avait pas provoqué chez lui l’incrédulité

ou la moquerie qu’elle avait suscitée chez les tyrans en costume. Heureusement pour lui.

— Ils sont en train de préparer de nouveaux documents.

— Parfait. (Je soutins son regard.) Tu n’as pas besoin de m’acheter. Ne tire pas de conclusions hâtives. Si tu veux savoir quelque chose, demande. Et je n’ai jamais eu l’intention de vendre cette histoire à la presse. Je ne ferais jamais ça.

— O.K. (Il s’affala contre le mur et renversa sa tête en arrière, le regard dans le vide.) Désolé, dit-il au plafond.

Je suis certaine que le plâtre apprécia énormément.

Comme je ne répondais pas, son regard finit par trouver le mien. Ça devrait être interdit d’être aussi beau. Les gens normaux n’avaient aucune chance. Mon cœur chavirait chaque fois que je le regardais. Non, « chavirer » n’était pas assez fort. Il sombrait.

Où était Lauren pour me dire que je dramatisais quand j’en avais le plus besoin ?

— Je suis désolé, Ev, répéta-t-il. Je sais que ces vingt-quatre dernières heures ont été difficiles.

J’essayais simplement d’arranger les choses en proposant un petit break.

— Merci. Et merci aussi d’être venu voir comment j’allais.

— C’est normal.

Il me regarda, franchement cette fois-ci. Et l’honnêteté que je lus dans ses yeux, une lueur fugitive que je ne sus interpréter, changea la donne pour moi. Tristesse ou solitude, je ne sais pas. Une sorte de lassitude qui disparut avant que je n’aie pu la saisir. Mais qui laissa une trace. Il y avait plus chez cet homme qu’un beau visage et un nom célèbre. Il fallait que je garde ça à l’esprit et que je ne tire pas de conclusions hâtives à mon tour.

— Tu veux vraiment partir ? demandai-je. Tu es sûr ?

Ses yeux brillaient d’amusement.

— Pourquoi pas ?

Je lui souris timidement.

— On pourrait discuter, juste toi et moi. Il faut simplement que je passe quelques coups de fil et on y va, O.K. ?

— O.K.

Avec un petit signe de tête, il ouvrit la porte et s’éloigna. Mal et lui discutèrent à voix basse dans le salon. J’en profitai pour me laver de nouveau le visage et arranger mes cheveux. Il était temps de reprendre la situation en main. À vrai dire, il en était même grand temps. Que faisais-je, à passer d’une catastrophe à l’autre ? Ça ne me ressemblait pas. J’aimais avoir le contrôle, une ligne directrice. Il fallait que je cesse de me soucier de ce que je ne pouvais pas changer et que je prenne des mesures concrètes. J’avais mis de l’argent de côté pour le jour où ma vieille voiture rendrait l’âme. Car lorsque l’hiver arriverait et que tout deviendrait froid, gris et humide, marcher serait beaucoup moins attrayant. L’idée de piocher dans mes économies ne m’emplissait pas de joie mais aux grands maux…

Les avocats de David allaient rédiger de nouveaux documents, l’argent en moins, et je les signerais.

Un sujet d’inquiétude en moins. Cependant, me soustraire aux regards quelques semaines me convenait parfaitement. Il fallait simplement que je réfléchisse au lieu de réagir impulsivement, pour changer. J’étais une grande fille et je pouvais prendre soin de moi. Le moment était venu de le prouver. J’allais le suivre, régler ça, puis partir de mon côté. Je me planquerais un peu avant de retrouver mon train-train quotidien, loin de lui et de toute cette folie.

Oui, voilà.

— File-moi les clés de la Jeep, exigeait David lorsque je retournai dans le salon.

Mal grimaça.

— Je déconnais lorsque j’ai dit que je distribuais des voitures.

— Allez. Arrête un peu tes conneries. Je suis en moto et je n’ai pas de casque pour elle.

— Bon, O.K.

À contrecœur, il déposa les clés dans la main tendue de David.

— Mais c’est seulement parce que j’aime bien ta femme. Pas une égratignure, tu m’entends ?

— Ouais, ouais.

David se retourna et m’aperçut. L’ébauche d’un sourire se dessina sur ses lèvres.

À l’exception du premier jour sur le carrelage de la salle de bains, je ne l’avais jamais vu sourire.

Cette esquisse me réchauffa le cœur. Mes genoux tremblèrent. Mais qu’est-ce qui m’arrivait ? Je ne pouvais pas me permettre d’avoir des sentiments pour lui. Pas si je voulais sortir de tout ça indemne.

— Merci de m’avoir supportée aujourd’hui, Mal.

— Tout le plaisir était pour moi, répondit-il d’une voix traînante. Certaine de vouloir partir avec lui, petite mariée ? Cet enfoiré t’a fait pleurer. Moi, je te fais rire.

Le sourire de David disparut et il se dirigea vers moi. Sa main se posa doucement au creux de mes reins, chaude, même par-dessus la couche de vêtements.

— On se tire d’ici.

Mal sourit et me lança un clin d’œil.

— Où allons-nous ? demandai-je à David.

— Quelle importance ? Allez, en route.

7

Mon cou était ankylosé et la douleur me lança lorsque je me redressai lentement en clignant des yeux pour chasser le sommeil. Je frottai les muscles incriminés, essayant de les détendre.

— Aïe !

David retira une main du volant et la tendit pour masser la base de ma nuque de ses doigts vigoureux.

— Ça va ?

— Ouais. J’ai dû m’endormir dans une position bizarre.

Je me redressai dans mon siège, profitant du paysage, m’efforçant de ne pas trop apprécier le massage du cou. Parce que, évidemment, il était particulièrement habile de ses doigts. M. Doigts de

Fée charma mes muscles sans difficulté. Impossible de résister. Je poussai des gémissements sonores et le laissai continuer.

Être à moitié endormie était ma seule excuse.

Le jour se levait à peine. Dehors défilaient de grands arbres ombragés. En essayant de sortir de Los

Angeles, nous avions été pris dans des embouteillages tels qu’une fille de Portland comme moi n’en avait jamais vu. Malgré toutes mes bonnes intentions, nous n’avions pas vraiment discuté. Nous nous

étions arrêtés prendre à manger et de l’essence. Le reste du temps, Johnny Cash était passé en boucle et j’avais répété des discours dans ma tête. Aucun n’était sorti de ma bouche. Pour je ne sais quelle raison, je ne voulais pas mettre fin à notre aventure. Je me sentais bien avec lui, à présent. Le silence n’était pas embarrassant mais paisible. Reposant, même, étant donné le lot de drames de ces dernières heures. Être avec lui sur la route… il y avait là quelque chose de libérateur. Aux alentours de 2 heures du matin, j’avais fini par m’endormir.

— Où sommes-nous ?

Il me jeta un regard de côté, sans cesser de me masser.

— Eh bien…

Nous dépassâmes un panneau.

— On va à Monterey ?

— C’est là que se trouve ma maison. Détends-toi.

— À Monterey ?

— Ouais. Qu’est-ce que tu as contre Monterey, hmm ? Une mauvaise expérience au festival de musique ?

— Non.

Je me rétractai rapidement, ne voulant pas paraître ingrate.

— Je suis surprise, c’est tout. Je ne m’étais pas rendu compte que nous étions, hum… à Monterey.

O.K.

David soupira et freina. De la poussière et des cailloux cliquetèrent contre la Jeep. (Mal n’aurait pas

été content.) Il se tourna vers moi, un coude appuyé sur le haut du siège passager, m’acculant.

— Parle-moi, l’amie.

J’ouvris la bouche et vidai mon sac :

— J’avais un plan. J’ai un peu d’argent de côté. J’allais me rendre dans un endroit tranquille pendant quelques semaines, le temps que tout ça se tasse. Tu n’avais pas besoin de te donner tout ce mal. Il faut simplement que je récupère mes affaires chez toi et tu ne m’auras plus dans les pattes.

Il hocha la tête.

— Bon, pour l’instant on est ici et j’aimerais passer quelques jours dans ma maison. Alors pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? En tout bien tout honneur. On est vendredi, mes avocats ont dit qu’ils pourraient nous envoyer les papiers lundi. On les signera à ce moment-là. J’ai un concert mardi soir à Los Angeles. Si tu veux, tu peux te planquer chez moi quelques semaines le temps que les choses se calment. Qu’est-ce que tu en dis ? On passe le week-end ensemble et ensuite on part chacun de notre côté.

Ça semblait effectivement une bonne idée. Mais je pris quand même une seconde pour réfléchir.

Une seconde de trop, manifestement.

— Tu as peur de passer le week-end avec moi ou quoi ? Je suis à ce point effrayant ?

Son regard soutint le mien, nos visages près de se toucher. Ses cheveux bruns encadraient son beau visage. L’espace d’un instant, j’en oubliai presque de respirer. Je ne bougeai pas. J’en étais incapable.

Dehors, une moto passa en rugissant, puis tout redevint silencieux.

S’il était effrayant ? Il n’avait pas idée.

— Non, mentis-je avec un petit rire pour donner le change.

Je ne pense pas qu’il m’ait crue.

— Écoute, je suis désolé de m’être mal comporté à Los Angeles.

— Ce n’est pas grave, David, je t’assure. Cette situation aurait rendu dingue n’importe qui.

— Dis-moi, fit-il à voix basse. Tu t’es souvenue de t’être fait tatouer. Autre chose t’est-il revenu ?

Je n’avais pas envie de parler de mon dérapage alcoolisé. Pas avec lui. Avec personne, d’ailleurs.

J’en payais déjà les conséquences : ma vie était bouleversée et étalée sur Internet. Ce qui était d’ailleurs totalement ridicule puisque hormis l’épisode du siège arrière de la voiture des parents de

Tommy, mon passé n’avait rien de très croustillant.

— Est-ce que c’est important ? Je veux dire, n’est-il pas un peu tard pour avoir cette conversation ?

— Tu as sûrement raison.

Il se réinstalla dans son siège et posa une main sur le volant.

— Tu as besoin de te dégourdir les jambes ?

— Un arrêt toilettes ne serait pas de refus.

— Pas de problème.

Il se gara sur le bas-côté et le silence s’installa de longues minutes. Il avait dû éteindre la musique pendant que je dormais. À présent, le silence était gênant et c’était ma faute. La culpabilité, dès le matin, sans même une goutte de caféine pour me donner du courage, c’était horrible. Il s’était montré

adorable, avait essayé de discuter, et moi, je l’avais rembarré.

— La majeure partie de cette nuit est toujours floue, dis-je.

Il décolla ses doigts du volant et m’adressa un vague petit signe. Ce fut son unique réaction. Je pris une profonde inspiration, rassemblant mes forces pour continuer.

— Je me souviens d’avoir bu des shots de vodka à minuit. Après ça, c’est pas très clair. Je me souviens du bruit de l’aiguille au salon de tatouage, de nos rires, mais c’est tout. Je n’avais jamais perdu connaissance de ma vie. C’est flippant.

— Ouais, fit-il doucement.

— Comment on s’est rencontrés ?

Il expira bruyamment.

— Je sortais d’un bar avec des amis pour rejoindre un autre club. Une des filles ne regardait pas où

elle allait et est rentrée dans une serveuse. Apparemment, la serveuse était nouvelle ou je ne sais quoi, parce qu’elle a lâché son plateau. Heureusement, il n’y avait que quelques bouteilles de bière vides.

— Et comment suis-je entrée en scène ?

Il me jeta un petit regard, quittant un instant la route des yeux.

— Des types ont commencé à emmerder la pauvre serveuse, menaçant de la faire virer. Et tu les as engueulés.

— Vraiment ?

— Oh que oui. (Il se lécha les lèvres, le coin de sa bouche se retroussa.) Tu les as traités de petits snobinards à la con. Tu as aidé la fille à ramasser les bouteilles avant de recommencer à insulter mes amis. Un grand moment. Je ne me souviens pas de tout ce que tu as dit. Tu es devenue très inventive à

la fin.

— Hum ! Et c’est à cause de ça que tu t’es intéressé à moi ?

Il referma la bouche et se tut.

— Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

— La sécurité est arrivée pour te jeter dehors. Ils n’allaient quand même pas se mettre les riches à

dos.

— J’imagine que non.

— Tu avais l’air si affolée que je t’ai sortie de là.

— Tu as laissé tomber tes amis pour moi ?

Je le regardai, stupéfaite. Il haussa les épaules. Comme si ça n’avait aucune importance.

— Et ensuite ?

— On est allés prendre un verre dans un autre bar.

— Je suis étonnée que tu sois resté avec moi.

Abasourdie était plus proche de la vérité.

— Pourquoi ça ? Tu m’as traité comme un être humain. On a parlé de tout et de rien. Tu n’avais pas d’idées derrière la tête. Tu ne t’es pas comportée comme si j’appartenais à une autre espèce. Lorsque tu me regardais, j’avais l’impression…

— L’impression que quoi ?

Il s’éclaircit la gorge.

— Je ne sais pas. Ça n’a pas d’importance.

— Si.

Il poussa un petit grognement.

— S’il te plaît ?

— Putain, grommela-t-il en se tortillant dans le siège conducteur, visiblement mal à l’aise. J’avais l’impression que c’était réel. Comme… une évidence. Je ne sais pas comment l’expliquer autrement.

Je demeurai un instant assise dans un silence de mort.

— C’est une bonne façon de l’expliquer.

Soudain, il me lança un petit sourire narquois.

— Et, en plus, c’était la première fois qu’on me faisait ce genre de propositions malhonnêtes.

— O.K., O.K., arrête tout de suite.

Je cachai mon visage dans mes mains et il éclata de rire.

— Détends-toi. C’était très mignon.

— Mignon ?

— Ce n’est pas une tare.

Il s’engagea dans une station-service et s’arrêta devant une pompe à essence.

— Regarde-moi.

Je m’exécutai. Un sourire éclairait son beau visage.

— Tu as dit que tu pensais que j’étais un gars vraiment adorable. Et tu m’as proposé de monter dans ta chambre, faire l’amour et passer un peu de temps tous les deux. Enfin si ça m’intéressait.

— Je sais vraiment m’y prendre avec les hommes, dis-je en riant.

Je ne sais pas si j’avais eu des conversations plus embarrassantes dans ma vie. Oh mon Dieu, rien que de m’imaginer en train de tester mon petit numéro de séduction sur David… Lui sur qui se jetaient chaque jour des groupies et de sublimes mannequins. S’il y avait eu assez de place sous le siège, je m’y serais cachée.

— Et qu’as-tu répondu ?

— À ton avis ?

Sans me quitter du regard, il ouvrit la boîte à gants et en sortit une casquette de base-ball.

— Je crois que les toilettes sont par là.

— C’est horriblement gênant. Pourquoi n’as-tu pas tout oublié, toi aussi ?

Il me regarda et son petit sourire disparut. D’un air grave, il soutint mon regard captif un long moment. Dans la voiture, la température sembla chuter d’une dizaine de degrés.

— Je reviens tout de suite, dis-je en me débattant avec ma ceinture.

— O.K.

Je finis par réussir à déboucler ce stupide truc, mon cœur martelant ma poitrine. La discussion était devenue très tendue vers la fin. Je ne savais plus où j’en étais. Apprendre qu’il avait pris ma défense à

Las Vegas, qu’il m’avait choisie plutôt que ses amis… ça changeait tout. Qu’avais-je besoin de savoir d’autre sur cette nuit-là ?

— Attends.

Il fouilla dans sa collection de lunettes de soleil, en sortit une paire de Ray-Ban Aviator et me la tendit.

— Tu es célèbre toi aussi, maintenant, tu te rappelles ?

— Mes fesses le sont.

Il sourit presque, enfonça la casquette de base-ball sur sa tête et posa un bras sur le volant. Mon prénom tatoué s’affichait, dans toute sa splendeur. Il était rose sur les bords et quelques lettres étaient en train de cicatriser. Je n’étais pas la seule à être marquée à vie.

— À tout de suite, dit-il.

J’ouvris la portière et descendis prudemment de la voiture. Je devais éviter à tout prix de trébucher et de m’étaler de tout mon long devant lui.

Je passai aux toilettes puis me lavai les mains. La fille dans le miroir des toilettes avait l’air hagard, ou pire encore. J’aspergeai mon visage d’eau et me coiffai comme je le pouvais, tentant de limiter les dégâts. Quelle blague ! L’aventure dans laquelle j’étais embarquée était en train d’anéantir toute tentative pour garder le contrôle. Moi, ma vie, tout semblait être en proie à des changements permanents. Mais alors pourquoi était-ce si agréable ?

Je le retrouvai en train de signer un autographe à deux jeunes dont l’un s’était lancé dans un solo endiablé de air guitar. David rit et lui donna une tape dans le dos. Il était gentil, abordable. Ils discutèrent encore quelques minutes jusqu’à ce qu’il s’aperçoive de ma présence.

— Merci, les gars. Si vous pouviez garder ça pour vous encore quelques jours, je vous en serais très reconnaissant. On aurait bien besoin d’une petite pause loin de toute cette agitation.

— Comptez sur nous.

L’un des types se retourna et me fit un grand sourire.

— Félicitations ! Au fait, vous êtes beaucoup plus jolie en vrai que sur les photos.

— Merci.

Ne sachant pas trop quoi faire d’autre, je leur adressai un signe de la main. David me lança un clin d’œil et m’ouvrit la portière côté passager.

L’autre type sortit un téléphone portable et se mit à prendre des photos. David ne lui prêta pas attention et monta à son tour dans la voiture. Il ne prononça pas un mot avant que nous ne soyons de retour sur la route.

— Ce n’est plus très loin, annonça-t-il. On va toujours à Monterey ?

— Absolument.

— Cool.

Entendre David évoquer notre première rencontre avait apporté un nouvel éclairage à la situation.

Cette conversation avait éveillé ma curiosité. Je crois que la possibilité qu’il ait pu me choisir cette nuit-là ne m’avait pas effleurée jusque-là. J’avais imaginé que nous avions tous deux laissé la tequila penser pour nous. J’avais tort. C’était plus compliqué que ça. Bien plus. La réticence de David à

répondre à certaines questions m’intriguait.

Je voulais des réponses. Mais je devais faire preuve de prudence.

— C’est toujours comme ça pour toi ? demandai-je. Être reconnu ? Que les gens t’abordent tout le temps ?

— Ils étaient sympas. Ce n’est pas toujours le cas. Ça fait partie de mon boulot. Les gens aiment la musique, donc…

Un mauvais pressentiment s’insinua en moi.

— Tu m’as bien dit qui tu étais cette nuit-là, n’est-ce pas ?

— Oui, évidemment, confirma-t-il en me lançant un regard sarcastique, les sourcils arqués.

Mon mauvais pressentiment fut aussitôt remplacé par la honte.

— Désolée.

— Je voulais que tu saches dans quoi tu t’embarquais. Tu m’as dit que tu m’appréciais vraiment beaucoup mais que tu n’étais pas particulièrement fan de mon groupe.

Il tripota l’autoradio, une esquisse de sourire sur le visage. Bientôt, une chanson rock que je ne connaissais pas résonna doucement dans les haut-parleurs.

— À vrai dire, tu culpabilisais à ce sujet. Tu n’arrêtais pas de t’excuser. Tu as insisté pour m’offrir un hamburger et un milk-shake pour te faire pardonner.

— C’est juste que je préfère la country.

— Crois-moi, je le sais. Et arrête de t’excuser. Tu as le droit d’aimer ce que tu veux.

— Est-ce que le hamburger et le milk-shake étaient bons ?

Il haussa les épaules.

— Ça allait.

— J’aimerais m’en souvenir.

— Ça, c’est une première, railla-t-il.

Je ne sais pas exactement ce qui m’a pris ensuite. Peut-être voulais-je simplement voir si je réussissais à le dérider. Un genou sous moi, je tirai sur ma ceinture de sécurité, me redressai et posai un petit baiser sur sa joue. Une attaque surprise. Sa peau était chaude et douce contre mes lèvres. Il sentait si bon… Personne ne devrait avoir le droit de sentir aussi bon.

— Que me vaut cet honneur ? demanda-t-il en me regardant du coin de l’œil.

— C’est pour m’avoir éloignée de Portland puis de Los Angeles. Pour m’avoir parlé cette nuit-là.

(Je haussai les épaules à mon tour.) Pour tout un tas de raisons.

Une petite ligne apparut au-dessus de l’arête de son nez. Lorsqu’il parla, sa voix était voilée.

— Je vois. Pas de problème.

Sa bouche resta fermée et sa main se dirigea vers sa joue, touchant l’endroit que je venais d’embrasser. Il continua à me jeter des regards en coin, les sourcils toujours froncés. Et, à chaque regard, je me demandais si David Ferris avait aussi peur de moi que moi de lui. Sa réaction était encore plus parlante qu’un sourire.

À flanc de falaise, la maison en pierres et en rondins émergea des arbres. L’endroit était tout aussi impressionnant que la demeure de Los Angeles, mais dans un autre style. En dessous, l’océan était tout simplement spectaculaire.

David sortit de la voiture et se dirigea vers la maison, en jouant avec un trousseau de clés. Il ouvrit la porte d’entrée avant de désactiver l’alarme.

— Tu viens ? cria-t-il.

Je m’attardai à côté de la voiture, admirant cette magnifique bâtisse. Lui et moi. Seuls. Hmmm. À

proximité, des vagues se fracassaient contre les rochers. J’aurais juré entendre le crescendo d’un orchestre. Cet endroit avait vraiment une atmosphère particulière. Le romantisme à l’état pur.

— Il y a un problème ? demanda-t-il en se dirigeant vers moi.

— Non… J’étais simplement…

— Bien.

Je ne compris ce qui se passait que lorsque je me retrouvai la tête en bas par-dessus son épaule.

— Merde ! David !

— Détends-toi.

— Tu vas me faire tomber !

— Je ne vais pas te faire tomber. Arrête de t’agiter. Aie confiance, un peu.

— Mais qu’est-ce que tu fais ?

Je me débattis et lui donnai des petits coups de poing.

— C’est la tradition de porter la mariée pour lui faire passer le seuil.

— Pas comme ça.

Il me tapota la fesse, celle portant son prénom.

— On va pas commencer à être conventionnels, maintenant, si ?

— Je croyais qu’on était juste amis.

— C’est purement amical. Mais tu devrais probablement arrêter de me peloter ou je vais finir par me faire des idées. Surtout après ce baiser dans la voiture.

— Je ne te pelote pas !

Je rouspétai mais arrêtai de me servir de ses fesses comme appui. Comme si c’était ma faute si cette position ne me laissait pas d’autre choix que de m’agripper à son cul bien ferme.

— Oh je t’en prie, tu n’arrêtes pas de me toucher. C’est dégoûtant.

Je ris malgré moi.

— Tu m’as balancée par-dessus ton épaule, espèce d’idiot. Évidemment que je te touche.

Nous gravîmes les marches dans cette position jusqu’à un grand patio en bois puis arrivâmes enfin dans la maison. Du parquet d’un brun chaud et des cartons de déménagement. Des tas et des tas de cartons de déménagement.

— Ça pourrait poser problème.

— Quoi donc ? demandai-je, toujours la tête en bas, aveuglée par mes cheveux.

— Accroche-toi.

Il me remit délicatement à la verticale. Tout le sang quitta ma tête et je perdis l’équilibre. Il m’attrapa les coudes pour me maintenir debout.

— Ça va ?

— Oui. Quel est le problème ?

— Je pensais qu’il y aurait plus de meubles.

— Tu n’es jamais venu ici ?

— J’étais très occupé.

Hormis les cartons, il y avait… d’autres cartons. Il y en avait partout. Nous nous trouvions dans une grande pièce centrale avec une immense cheminée en pierre. Nous aurions pu faire rôtir une vache entière dans ce truc si l’envie nous en prenait. Un escalier menait à un étage au-dessus et à un sous- sol. Venait ensuite une salle à manger avec cuisine américaine. Entre le verre et la pierre, l’endroit

était un parfait mélange d’ancien et de moderne. Absolument renversant. Comme semblaient l’être tous les endroits dans lesquels il vivait.

Je me demandai ce qu’il aurait pensé du minuscule appartement que je partageais avec Lauren. Une pensée idiote. Comme s’il allait le voir un jour.

— Au moins, ils ont pensé au frigo.

Il ouvrit l’une des grandes portes en inox. Chaque recoin regorgeait de nourriture et de boissons.

— Parfait !

— C’est qui, « ils » ?

— Les gens qui s’occupent de cet endroit. Des amis à moi. Je leur ai téléphoné pour leur demander de nous faire quelques courses.

Il sortit une Corona qu’il décapsula.

— À la tienne !

Je souris, amusée.

— Au petit dej ?

— Ça fait deux jours que je n’ai pas dormi. Je veux une bière et un bon lit. Bon sang, j’espère qu’ils ont pensé à acheter un lit.

Bière à la main, il traversa d’un pas tranquille le salon avant de monter l’escalier. Je le suivis, intriguée.

Il ouvrit les portes des chambres les unes après les autres. Il y en avait quatre et chacune avait sa propre salle de bains car les gens riches et cool ne pouvaient manifestement pas partager. Il s’arrêta devant la dernière porte au fond du couloir.

— Merci mon Dieu, souffla-t-il.

À l’intérieur se trouvait un lit immense avec des draps blancs et propres. Et encore des cartons.

— Pourquoi tous ces cartons ? Ils n’ont acheté qu’un lit ?

— Il m’arrive de rapporter des trucs de mes voyages.

Parfois, on m’en donne. Ces dernières années, j’ai tout envoyé ici. Tu peux jeter un œil, si tu veux.

Et oui, il n’y a qu’un lit.

Il but une nouvelle gorgée de bière.

— Tu crois que je suis plein aux as ou quoi ?

J’éclatai de rire.

— Dixit le gars qui a fait ouvrir Cartier pour que je puisse choisir une bague.

— Tu te souviens de ça ?

Il sourit derrière sa bouteille.

— Non, j’ai simplement supposé, étant donné l’heure.

Je me dirigeai vers les baies vitrées. Quelle vue incroyable !

— Tu as voulu acheter une petite bague merdique. Je n’en croyais pas mes yeux.

Il m’observait, mais son regard était lointain.

— J’ai jeté la bague au visage de tes avocats.

Il tressaillit et étudia ses chaussures.

— Ouais, je sais.

— Je suis désolée. J’étais tellement furax après eux.

— C’est un peu le problème avec les avocats. (Il reprit une gorgée de bière.) Mal m’a dit que tu lui avais foutu un coup de poing.

— Je n’ai pas réussi.

— Tant mieux. C’est un idiot, mais il est plein de bonnes intentions.

— Ouais, il a vraiment été adorable avec moi.

Les bras croisés, je promenai mon regard sur son immense chambre avant d’aller explorer la salle de bains. Le jacuzzi aurait donné envie à celui de Mal de rentrer sous terre de honte. L’endroit était somptueux. Pourtant, une fois encore, le sentiment de ne pas être à ma place, de ne pas coller avec le décor, me frappa de plein fouet.

— Tu en fais une tête, mon amie.

J’esquissai un sourire.

— J’essaie juste de comprendre. Je veux dire, c’est pour ça que tu as fait le grand saut à Vegas ?

Parce que tu es malheureux ? Parce que, à part Mal, tu es entouré de crétins ?

— Et merde, lâcha-t-il en laissant tomber sa tête en arrière. On est obligés de toujours revenir sur cette nuit-là ?

— J’essaie de comprendre.

— Non. Ça ne s’est pas passé comme ça.

— Alors quoi ?

— On était à Vegas, Ev. Ce genre de trucs arrive.

Je refermai la bouche.

— Je ne veux pas dire… (Il se passa une main sur le visage.) Écoute, ce qui s’est passé entre nous n’avait rien à voir avec une folle nuit alcoolisée, O.K. ? Je ne voudrais pas que tu croies ça.

Je m’agitai dans tous les sens. Ça semblait la seule réaction appropriée.

— Mais c’est ce que je pense, justement. C’est exactement ce que je pense. C’est la seule façon pour que ça fasse sens dans ma tête. Quand une fille comme moi se réveille mariée à un type comme toi, que peut-elle bien penser d’autre ? Bon Dieu, David, regarde-toi. Tu es beau, riche, célèbre. Ton frère avait raison : tu n’as rien à faire avec moi.

Il se tourna vers moi, le visage tendu.

— Arrête. Ne te rabaisse pas comme ça.

Pour toute réponse, je poussai un soupir.

— Je suis sérieux. Ne donne pas d’importance à ce qu’a dit ce connard, tu m’entends ?

— Alors donne-moi quelque chose. Raconte-moi ce qui s’est passé entre nous.

Il ouvrit la bouche avant de la refermer brutalement.

— Nan. Je ne veux pas remuer tout ça, de l’eau est passée sous les ponts. Simplement, ne crois pas que toute cette nuit n’était qu’un moment d’égarement alcoolisé. Franchement, tu n’avais même pas l’air si bourrée que ça.

— David, tu esquives la question. Allez. Ce n’est pas juste que tu te souviennes et moi pas.

— Non, répondit-il d’une voix dure et froide comme je ne lui avais jamais connue, avant de se pencher vers moi, la mâchoire serrée. Ce n’est pas juste que je me souvienne et pas toi, Evie.

Je ne savais pas quoi dire.

— Je vais prendre l’air.

Joignant le geste à la parole, il sortit en trombe de la pièce. De lourds bruits de pas retentirent le long du couloir et dans l’escalier. Je restai immobile, comme paralysée.

Je le laissai se calmer un moment avant de le suivre sur la plage. La lumière matinale était aveuglante, le ciel bleu sans nuages. C’était magnifique. L’air marin me vidait un peu la tête. Les paroles de David soulevaient plus de questions que de réponses. Essayer de me remémorer cette nuit- là tournait à l’obsession. J’en étais arrivée à deux conclusions. Qui toutes deux m’inquiétaient. La première était que cette nuit à Vegas était spéciale pour lui. Me voir banaliser cette expérience le contrariait. La seconde était qu’il n’avait pas été si ivre que ça. Il semblait avoir su exactement ce qu’il faisait. Et, dans ce cas, qu’avait-il dû ressentir le lendemain matin ? Je l’avais rejeté en bloc, lui et notre mariage. Il avait dû se sentir blessé, humilié.

Mon comportement était justifié. J’avais cependant manqué de délicatesse. À ce moment-là, je ne connaissais pas David. Mais je commençais à le découvrir. Et plus nous parlions, plus je l’appréciais.

Il était assis sur les rochers, une bière à la main, et contemplait la mer. Une légère brise agitait ses cheveux. Son T-shirt était collé contre son large dos. Ses genoux étaient repliés, un bras enroulé

autour d’eux. Il avait l’air plus jeune, plus vulnérable.

— Salut, dis-je en m’accroupissant à côté de lui.

— Salut.

Les yeux plissés à cause du soleil, il me regarda d’un air méfiant.

— Pardon d’avoir insisté, hasardai-je.

Il hocha la tête et son regard se tourna de nouveau vers l’océan.

— Pas grave.

— Je ne voulais pas te faire de peine.

— Ne t’inquiète pas pour ça.

— Toujours amis ?

Il eut un petit rire.

— Bien sûr.

Je m’assis à côté de lui, essayant de trouver quoi dire ensuite, comment arranger les choses entre nous. Mais rien ne pourrait rattraper mon comportement à Vegas. J’avais besoin de plus de temps. Le compte à rebours des papiers d’annulation s’accélérait. Je pris soudain conscience que notre temps passé ensemble allait être écourté. Que bientôt tout serait terminé et que jamais plus je ne le verrais ni ne lui parlerais. Que je n’aurais plus l’occasion de résoudre l’énigme que nous formions. J’eus soudain la chair de poule, et pas qu’à cause du vent.

— Merde. Tu as froid, dit-il en passant un bras autour de mes épaules, m’attirant plus près contre lui.

Je me rapprochai, ravie.

— Merci.

Il posa sa bouteille de bière, m’enveloppant de ses bras.

— On ferait mieux de rentrer.

— Restons encore un peu. Merci de m’avoir emmenée ici. C’est un endroit magnifique.

— Mmm.

— David, je suis vraiment désolée.

— Viens là.

Il posa un doigt sous mon menton pour le relever. La colère et la douleur avaient disparu de son visage, remplacées par la gentillesse. Puis il haussa les épaules, comme à son habitude.

— Oublions tout ça.

Cette idée me fit totalement paniquer. Je ne voulais pas oublier tout ça ni le laisser partir. Cette découverte me coupa le souffle. Je levai les yeux vers lui et me noyai dans son regard.

— Je ne veux pas.

Il cligna des yeux.

— Je vois. Tu veux te faire pardonner ?

Je n’étais pas certaine que nous parlions de la même chose mais je hochai néanmoins la tête.

— J’ai une idée.

— Vas-y.

— Plein de choses peuvent te rafraîchir la mémoire, n’est-ce pas ?

— J’imagine, oui.

— Donc si je t’embrassais, ça te rappellerait peut-être des souvenirs.

J’arrêtai de respirer.

— Tu as envie de m’embrasser ?

— Tu n’as pas envie que je t’embrasse ?

— Si, répondis-je rapidement. Je veux bien.

Il retint un sourire.

— C’est trop aimable.

— Et ce baiser est dans l’intérêt de la recherche scientifique ?

— Yep. Tu veux savoir ce qui s’est passé cette nuit-là et je n’ai pas spécialement envie d’en parler.

Donc, je me suis dit que ce serait plus simple si tu arrivais à te le rappeler toute seule.

— Ça se tient.

— Parfait.

— Jusqu’où on est allés cette nuit-là ?

Il baissa les yeux jusqu’à l’échancrure de mon débardeur et la naissance de mes seins.

— Au pelotage.

— Avec le haut ?

— Sans le haut. On était tous les deux torse nu. Les câlins torse nu, il n’y a rien de meilleur.

Il me regarda tandis que j’assimilai l’information, son visage collé au mien.

— Soutien-gorge ? soufflai-je.

— Absolument pas.

— Oh.

Je me léchai les lèvres et ma respiration s’accéléra.

— Alors tu penses vraiment qu’on devrait faire ça ?

— Tu réfléchis trop.

— Désolée.

— Et arrête de t’excuser.

Ma bouche s’ouvrit mais je m’empressai de larefermer.

— T’inquiète, tu finiras par prendre le coup de main.

Mon cerveau s’enraya et je regardai fixement sa bouche magnifique, ses lèvres charnues qui se retroussaient légèrement sur les bords.

— Dis-moi à quoi tu penses.

— Tu m’as dit d’arrêter de penser. Et, honnêtement, je ne pense à rien, là.

— Bien, répondit-il en se penchant encore un peu plus. Très bien.

Ses lèvres effleurèrent les miennes. Douces mais fermes. Ses dents jouèrent avec ma lèvre inférieure. Puis il la suçota. Il n’embrassait pas comme les garçons que je connaissais, même si je n’aurais su définir exactement la différence. C’était simplement meilleur et… plus encore. Infiniment plus. Ses lèvres se pressèrent contre les miennes et sa langue s’immisça dans ma bouche, se frottant à

la mienne. Dieu qu’il avait bon goût ! Mes doigts se glissèrent dans ses cheveux comme s’ils en avaient toujours eu envie. Il m’embrassa jusqu’à ce que j’oublie tout ce qui avait pu se passer avant.

Rien n’avait plus d’importance.

Il passa sa main autour de ma nuque, m’immobilisant. Ce baiser n’en finissait pas. Il m’enflamma des pieds à la tête. J’aurais voulu que ça dure toujours.

Il m’embrassa jusqu’à ce que la tête me tourne et je m’accrochai désespérément à lui. Il se recula soudain, haletant, et posa une nouvelle fois son front contre le mien.

— Pourquoi tu t’arrêtes ? demandai-je quand je pus enfin former une phrase cohérente.

Mes mains l’agrippèrent, essayant de l’attirer de nouveau à ma bouche.

Il prit une profonde inspiration.

— Est-ce que quelque chose t’est revenu ? Quelque chose de familier ?

Mon cerveau, embrumé par ce baiser, était totalement vide. Et merde.

— Non, je ne crois pas.

— Dommage.

Une ride apparut entre ses sourcils. Les cernes sous ses beaux yeux bleus semblaient s’être encore assombris. Je l’avais déçu une fois de plus. Mon cœur se serra.

— Tu as l’air fatigué.

— Ouais. Je crois qu’il est temps d’aller piquer un somme.

Il planta un baiser rapide sur mon front. Était-ce un baiser amical, ou plus ? Impossible à dire. Peut-

être était-ce, là encore, à des fins scientifiques.

— On aura essayé, hein ? dit-il.

— Oui. On aura essayé.

Il se leva et ramassa sa bouteille de bière. Sans lui pour me réchauffer, la brise me transperçait et je frissonnai. Mais c’était ce baiser qui m’avait réellement secouée. Il m’avait coupé le souffle. Dire que j’avais eu une nuit remplie de baisers comme celui-là et que j’avais oublié… J’avais besoin d’une greffe du cerveau dans les plus brefs délais.

— Ça te dérange si je viens avec toi ?

— Pas du tout.

Il me tendit la main pour m’aider à me relever.

Ensemble, nous retournâmes dans la maison, montâmes l’escalier jusqu’à la chambre principale. Je retirai mes chaussures tandis que David s’occupait des siennes. Nous nous étendîmes sur le matelas, sans nous toucher, et contemplâmes fixement le plafond comme si ce dernier recélait des réponses.

Je gardai le silence. Au moins une longue minute. Mon esprit bien éveillé fonctionnait à plein régime.

— Je crois que je commence à comprendre comment on a fini mariés.

— Vraiment ?

Il se tourna vers moi.

— Oui. Vraiment.

Jamais on ne m’avait embrassée comme ça.

— Viens par ici.

Un bras fort m’encercla la taille, m’attirant au milieu du lit.

— David…

Je me rapprochai de lui avec un sourire nerveux. Plus que prête pour davantage de baisers. Plus de lui.

— Allonge-toi sur le côté, dit-il, ses mains guidant mes mouvements de manière qu’il se trouve collé derrière moi.

Un bras glissé sous mon cou, l’autre contre ma taille, il me serra contre lui. Ses hanches épousaient parfaitement mes fesses.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demandai-je, perplexe.

— La position de la cuillère. On l’a faite cette nuit-là. Jusqu’à ce que tu sois malade.

— On a fait la cuillère ?

— Yep. Deuxième étape du processus de la thérapie de la mémoire : la position de la cuillère.

Maintenant dors.

— Mais je me suis réveillée il y a tout juste une heure !

Il pressa son visage dans mes cheveux et posa même une jambe sur la mienne, m’immobilisant.

— Pas de bol. Je suis fatigué et je veux faire la cuillère. Avec toi. Tu me dois bien ça. Alors on fait la cuillère.

— Compris.

Son souffle réchauffa ma nuque, provoquant des frissons le long de ma colonne vertébrale.

— Relax. Tu es toute tendue.

Il resserra son étreinte. Je saisis sa main gauche et caressai ses callosités du bout de mes doigts. Les extrémités de ses doigts étaient dures. Il y avait également une rugosité sur son pouce et une autre moins prononcée à la jointure des doigts et de sa paume. Il avait manifestement passé beaucoup de temps une guitare à la main. À l’envers de ses doigts était tatoué le mot « FREE ». Sur sa main droite, le mot « LIVE ». Je ne pus m’empêcher de me demander si le mariage empiéterait sur cette liberté.

Des vagues d’inspiration japonaises et un dragon sinueux aux couleurs et aux détails impressionnants recouvraient son bras.

— Parle-moi de tes études, dit-il. L’architecture, c’est ça ?

— Oui, répondis-je, un peu surprise qu’il le sache – j’avais dû le lui dire à Vegas. Mon père est architecte.

Il mêla ses doigts aux miens, les immobilisant.

— Tu as toujours voulu jouer de la guitare ? demandai-je, essayant de ne pas me laisser trop distraire par la manière dont il était enroulé autour de moi.

— Ouais. La musique est la seule chose qui ait jamais eu du sens pour moi. Je ne m’imagine pas faire autre chose.

— Mmmm.

Comme ce devait être agréable d’être passionné à ce point par quelque chose. J’aimais l’idée d’être architecte. Nombre de mes jeux d’enfant avaient consisté à construire et à dessiner. Mais, pour être honnête, ça n’avait jamais été une vocation.

— Je n’ai aucune oreille.

— Ça explique beaucoup de choses, gloussa-t-il.

— Ne te moque pas. Je n’ai jamais été très bonne en sport non plus. J’aime dessiner, lire et regarder des films. Et voyager, même si j’en ai rarement eu l’occasion.

— Ah oui ?

— Mmm.

Il changea de position, se lovant confortablement contre moi.

— Lorsque je voyage, c’est toujours pour des concerts. Ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour visiter.

— C’est dommage.

— Et être reconnu peut être vraiment chiant, parfois. Il y a une sacrée pression sur nous et je ne peux pas toujours faire ce dont j’ai envie. En fait, je crois que je suis prêt à lever le pied, rester chez moi plus souvent.

Je gardai le silence, retournant ses mots dans ma tête.

— On finit par se lasser des fêtes, d’avoir en permanence des gens autour de soi.

— J’imagine.

Et pourtant, à Los Angeles, il avait toujours une groupie accrochée à son cou, roucoulant à chacune de ses paroles. De toute évidence, certains aspects de ce mode de vie ne lui déplaisaient pas tant que

ça. Des aspects avec lesquels je n’étais pas certaine de pouvoir rivaliser, même si je le voulais.

— Ça ne te manquerait pas ?

— Honnêtement, je n’ai connu que ça, alors je ne sais pas.

— En tout cas, tu as une maison magnifique où te réfugier.

— Hmm.

Il demeura silencieux un petit moment.

— Ev ?

— Oui ?

— Être architecte, c’était ton idée ou celle de ton père ?

— Je ne m’en souviens plus, reconnus-je. Il en a toujours été question. Reprendre le flambeau n’a jamais intéressé mon frère. Il ne faisait que se bagarrer et sécher les cours.

— Tu m’as raconté que tu en avais vu de toutes les couleurs au lycée, toi aussi.

— Comme tout le monde, non ? (Je me tortillai et me tournai afin de pouvoir voir son visage.) Je parle rarement de ça aux gens.

— On en a parlé. Tu m’as raconté qu’on s’en était pris à toi à cause de ton poids. J’en ai déduit que c’était ce qui avait déclenché ta colère contre mes amis. Le fait qu’ils s’en prennent à cette fille comme une bande d’ados.

— Je suppose que ça a dû jouer.

Le harcèlement à l’école n’était pas un sujet que j’aimais aborder. Cela faisait remonter à la surface tout un tas de mauvais souvenirs. Mais les bras de David semblaient exiger une réponse.

— La plupart des professeurs faisaient comme s’ils ne voyaient rien. Comme s’il s’agissait d’une emmerde de plus dont ils n’avaient pas besoin. Mais il y avait cette enseignante, Mlle Hall. Chaque fois qu’ils s’en prenaient à moi ou à l’un des autres élèves, elle intervenait. Elle était super.

— Elle a l’air. Mais tu n’as pas vraiment répondu à ma question. Tu as envie de devenir architecte ?

— Eh bien… C’est ce que j’ai toujours prévu. Et je…euh, j’aime l’idée de concevoir la maison de quelqu’un. Je ne sais pas si être architecte est ma vocation, comme la musique l’est pour toi, mais je crois que je pourrais me débrouiller.

— Je n’en doute pas une seconde, bébé, dit-il d’une voix douce.

J’essayai de ne pas laisser ces mots tendres me réduire à l’état de petite chose tremblante sur le matelas. La subtilité était la clé. Je l’avais blessé à Vegas. Si je désirais réellement qu’il ait envie de nous donner une autre chance, je devais la jouer fine. Lui offrir de beaux souvenirs pour remplacer les mauvais. Des souvenirs que nous pourrions partager tous les deux, cette fois.

— Ev, c’est vraiment ce que tu veux faire de ta vie ?

Je me figeai. Ayant déjà débité les réponses traditionnelles, une réflexion supplémentaire s’imposait. Ce plan était prévu depuis si longtemps que je n’étais pas habituée à le remettre en question. C’était la solution de facilité. Mais David en demandait plus et je voulais lui apporter des réponses. C’était peut-être la raison pour laquelle je lui avais dévoilé tous mes secrets à Las Vegas.

Quelque chose chez cet homme m’attirait et je n’avais aucune envie d’y résister.

— Pour être honnête, je ne suis pas sûre.

— C’est normal, tu sais. (Son regard ne quittait pas le mien.) Tu n’as que vingt et un ans.

— Mais je suis censée être une adulte à présent, prendre mes responsabilités. Je suis censée savoir ce que je veux.

— Tu vis avec ton amie depuis plusieurs années, non ? Tu paies tes factures, tu vas en cours, et tout

ça ?

— Oui.

— Alors comment peux-tu dire que tu ne prends pas tes responsabilités ? (Il glissa ses longs cheveux bruns derrière son oreille, dévoilant son visage.) Tu n’as qu’à commencer ta carrière dans l’architecture et voir comment tu t’en sors.

— Ça a l’air si simple, dit comme ça.

— Ça l’est. Soit tu persévères, soit tu essaies autre chose, à toi de voir. C’est ta vie. Ton choix.

— Tu ne joues que de la guitare ? demandai-je, désireuse d’en apprendre plus à son sujet.

Je ne voulais plus être le sujet de la conversation. Le nœud de tension qui grandissait en moi était désagréable.

— Non, répondit-il et un sourire étira le coin de sa bouche – il m’avait percée à jour. De la batterie et de la basse. Évidemment.

— « Évidemment » ?

— Quand on sait jouer de la guitare, on sait jouer de la basse. Et pour peu qu’on arrive à tenir deux baguettes en même temps, on peut jouer de la batterie. N’hésite surtout pas à répéter ça à Mal la prochaine fois que tu le verras, O.K. ? Ça devrait lui plaire.

— Ça marche.

— Et je chante.

— Vraiment ? demandai-je, tout excitée. Tu me chanterais quelque chose ? S’il te plaît ?

Il fit un petit bruit évasif.

— Tu as chanté pour moi, cette nuit-là ?

Il m’adressa un petit sourire triste.

— Oui.

— Alors ça pourrait peut-être faire remonter un souvenir.

— Tu vas te servir de ça tout le temps, hein ? Chaque fois que tu voudras quelque chose, tu me lanceras ce prétexte à la figure ?

— Hé ! C’est toi qui as commencé. Tu voulais m’embrasser à des fins scientifiques.

— C’était le cas. Un baiser entre amis pour des raisons de pure logique.

— C’était un baiser très amical, David.

Un sourire ironique éclaira son visage.

— Oui, en effet.

— Chante-moi quelque chose, s’il te plaît.

— O.K., maugréa-t-il. Mais retourne-toi. Quand j’ai chanté pour toi, on faisait la cuillère.

Je me lovai de nouveau contre lui. Être le doudou de David était merveilleux. Je ne pouvais rien imaginer de mieux. Dommage qu’il s’en tienne à la logique scientifique. Mais je ne pouvais pas lui en vouloir. À sa place, je resterais sur mes gardes.

Sa voix me submergea, profonde, rauque, alors qu’il entonnait une ballade.

I’ve got this feeling that comes and goes

Ten broken fingers and one broken nose

Dark waters very cold

I know I’ll make it home

This sorry sun has burned the sky

She’s out of touch and she’s very high

Her bed was made of stone

I know I’ll break her throne

These aching bones won’t hold me up

My swollen shoes they have had enough

These smokestacks burn them down

This ocean let it drown

Lorsqu’il eut terminé, il resta silencieux un moment. Il me serra dans ses bras, probablement pour vérifier que j’étais toujours en vie. Je serrai son bras à mon tour sans me retourner pour qu’il ne puisse pas voir les larmes dans mes yeux. Le mélange de sa voix et de cette ballade mélancolique m’avait complètement retournée. Vu l’état lamentable dans lequel je me retrouvais lorsque j’étais avec lui – pleurs ou vomissements –, je ne comprenais pas pourquoi il s’intéressait toujours à moi.

— Merci, soufflai-je.

— À ton service.

Je restai allongée, essayant de déchiffrer les paroles. De comprendre pourquoi il avait choisi cette chanson.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Homesick. Je l’ai écrite pour le dernier album, dit-il, puis il se redressa sur un coude et se pencha pour regarder mon visage. Merde, tu es triste maintenant. Je suis désolé.

— Non. C’était magnifique. Tu as une voix incroyable.

Il se renfrogna mais me pressa de nouveau contre sa poitrine.

— La prochaine fois, je te chanterai quelque chose de plus gai.

— Si tu veux.

Je pressai mes lèvres contre le dos de sa main, les fit courir le long de ses veines et sur le duvet sombre.

— David ?

— Hmm ?

— Pourquoi ce n’est pas toi qui chantes dans le groupe ? Tu as une si belle voix.

— Je fais les chœurs. Jimmy adore le feu des projecteurs. Ça a toujours été plus son truc. (Ses doigts se mêlèrent aux miens.) Il n’a pas toujours été comme ça. Je suis désolé qu’il t’ait emmerdée à

Los Angeles. J’aurais pu le tuer pour ce qu’il a dit.

— C’est rien.

— Non, ce n’est pas rien. Il était complètement défoncé. Il ne savait plus ce qu’il disait.

Son pouce bougeait nerveusement sur ma main.

— Tu es magnifique. Ne change rien.

Je ne savais pas quoi répondre. Jimmy avait débité des horreurs que je n’avais pas réussi à oublier.

C’est étrange comme on ne se souvient que des mauvaises choses.

— Je t’ai vomi dessus puis engueulé. Tu es sûr qu’il n’y a vraiment rien à changer ? finis-je par plaisanter.

— Oui, répondit-il simplement. Je t’aime comme tu es. J’aime que tu dises tout ce qui te passe par la tête. Que tu n’essaies pas de jouer avec moi ou de m’utiliser. Tu es… simplement toi. Je t’adore.

Je restai sans voix.

— Merci.

— Je t’en prie. Je suis là pour ça.

— Moi aussi, je t’adore.

Ses lèvres effleurèrent ma nuque. Des frissons me parcoururent tout le corps.

— C’est vrai ?

— Oui. Vraiment.

— Merci, bébé.

Il fallut un long moment pour que sa respiration s’apaise. Ses membres s’alourdirent et il s’endormit contre mon dos. J’avais des fourmillements dans le pied mais ça n’avait pas d’importance.

C’était la première fois que je dormais avec quelqu’un, excepté celles où j’avais platoniquement partagé mon lit avec Lauren. Apparemment, je ne ferais rien d’autre que dormir, aujourd’hui…

Et, en toute honnêteté, ça faisait du bien d’être allongée à côté de lui.

Comme une évidence.

8

— Salut.

Sept heures plus tard, David descendit l’escalier, une serviette autour de la taille. Il avait peigné ses cheveux mouillés en arrière et ses tatouages s’affichaient merveilleusement, dessinant son torse fin et ses bras musclés. Il y avait beaucoup de peau nue. Cet homme était un régal pour les yeux. Je dus faire un effort surhumain pour garder ma langue dans ma bouche. Mais effacer ce sourire béat de mon visage était au-delà de mes capacités. J’avais prévu de la jouer décontractée pour ne pas l’effrayer.

Raté.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il.

— Pas grand-chose. Il y a eu une livraison pour toi.

Je désignai les sacs et les cartons qui attendaient près de la porte. Toute la journée, j’avais réfléchi

à notre situation. La seule chose dont j’étais sûre à présent, c’était que je ne voulais pas le quitter. Je ne voulais pas signer ces papiers d’annulation. Pas encore. Cette seule idée me donnait envie de vomir de nouveau. Je voulais David. Être avec lui. Il me fallait un nouveau plan.

Mon pouce faisait des allers-retours sur ma lèvre inférieure. Plus tôt, j’avais fait une longue promenade sur la plage, observé les vagues se briser sur le rivage, en me repassant ce baiser. Encore et encore, je l’avais rejoué en pensée. Idem pour nos conversations. En fait, j’avais disséqué chaque moment passé ensemble, exploré chaque nuance. Chaque moment que je me rappelais, du moins, et

Dieu sait si j’essayais de me souvenir de tout.

— Une livraison ?

Il s’accroupit à côté du colis le plus proche et se mit à déchirer l’emballage. Je détournai les yeux pour ne pas voir ce qui se cachait sous sa serviette, malgré ma curiosité.

— Je peux utiliser ton téléphone ?

— Ev, tu n’as pas besoin de demander. Fais comme chez toi.

— Merci.

Lauren et mes parents devaient être morts d’inquiétude. Il était temps d’affronter les répercussions de la photo scandaleuse. Je gémis intérieurement.

— Celui-ci est pour toi.

Il me tendit un paquet fermé par une ficelle, puis un sac d’une marque dont je n’avais jamais entendu parler.

— Ah, celui-là aussi, j’ai l’impression.

— Vraiment ?

— Oui, j’ai demandé à Martha de nous commander quelques trucs.

— Oh.

— « Oh » ? Non, objecta David en secouant la tête, puis il s’agenouilla devant moi et déchira le paquet brun dans mes mains. Pas de « oh ». Il nous faut des vêtements. Tout simplement.

— C’est très gentil, David, mais je n’en ai pas besoin.

Il ne m’écoutait pas mais tenait une robe rouge de la même longueur que celles que portaient ces filles lors de la soirée chez lui.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Pas question que tu portes ça.

Il jeta la robe de créateur qui atterrit sur le sac à mes pieds.

— David, tu ne peux pas la jeter par terre comme ça.

— Bien sûr que si. Tiens, regarde ça, c’est un peu mieux.

Un débardeur noir arriva sur mes genoux. Au moins, il avait l’air d’être ajusté. La minirobe rouge

était taille 36. La bonne blague. Ou plutôt une mauvaise blague de la part de Martha.

Une étiquette dépassait du débardeur. Le prix. Merde. Je n’en croyais pas mes yeux.

— Waouh. Je pourrais presque payer mon loyer avec ce haut.

Au lieu de me répondre, il me lança un jean noir skinny.

— Tiens, ça c’est pas mal aussi.

Je mis le jean de côté.

— C’est un débardeur en coton. Comment peut-il coûter deux cents dollars ?

— Qu’est-ce que tu penses de ça ?

Un bout de tissu en soie dépassait de sa main.

— Jolie, non ?

— Il est cousue de fils d’or, c’est ça ?

— De quoi est-ce que tu parles ? me demanda-t-il en examinant la robe. Merde, c’est dos nu. Tout le monde va voir tes fesses.

Elle rejoignit la robe rouge sur le sol. Ça me démangeait de venir à leur secours, de les plier soigneusement avant de les ranger. Mais David déchirait déjà le colis suivant.

— Qu’est-ce que tu disais ?

— Je parlais du prix de ce haut.

— Oh, non. Nous n’allons pas parler du prix de ce haut car nous ne discutons pas d’argent. C’est un problème pour toi et je préfère éviter le sujet.

Apparut ensuite une minijupe en jean.

— Mais à quoi pensait Martha lorsqu’elle t’a commandé ces trucs ?

— À sa décharge, tu as toujours des nanas en bikini pendues à ton cou. En comparaison, la robe dos nu est plutôt sage.

— Toi, c’est différent. Tu es mon amie, n’est-ce pas ?

— Oui.

Le ton de ma voix n’était pas totalement convaincant.

Son front se plissa de mépris.

— Merde, regarde la longueur de ce truc. Je ne pourrais même pas dire si c’est censé être une jupe ou une ceinture.

J’éclatai de rire et il me jeta un regard affligé, ses grands yeux bleus de chien battu remplis d’une extrême tristesse et de mécontentement. Visiblement, je l’avais blessé.

— Je suis désolée. Mais on aurait dit mon père.

Il flanqua la minijupe dans le sac. Au moins, elle n’était pas par terre.

— Ah oui ? Je devrais rencontrer ton père. Je suis sûr qu’on s’entendrait très bien.

— Tu veux rencontrer mon père ?

— Ça dépend. Est-ce qu’il me tirerait dessus ?

— Non…

Probablement pas.

Il me lança un regard interloqué et fouilla dans le carton suivant.

— C’est déjà mieux. Tiens.

Il me tendit deux T-shirts, un noir et un bleu.

— Tu n’es pas non plus obligé de m’habiller en bonne sœur, l’ami, dis-je, amusée par son comportement. C’est un peu hypocrite.

— Ce ne sont pas des vêtements de bonne sœur. Ils couvrent l’essentiel, c’est tout. Est-ce trop demander ?

Il me tendit un sac plein à craquer.

— Tiens.

— Tu avoueras quand même que c’est un tout petit peu hypocrite, non ?

— Ne jamais rien avouer. C’est la devise d’Adrian. Regarde dans le sac.

Je m’exécutai et il éclata de rire ; quelle qu’ait pu être mon expression, elle était apparemment hilarante.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demandai-je, les yeux écarquillés.

Ça aurait pu être un string si les fabricants avaient jugé bon d’investir dans un peu plus de tissu.

— Je t’habille comme une bonne sœur.

— La Perla, lus-je sur l’étiquette avant de la retourner pour regarder le prix.

— Merde, Ev ! Est-ce que tu veux bien arrêter, s’il te plaît ?

David se jeta sur moi et je me reculai, essayant de distinguer les chiffres sur l’étiquette, plus grande que le morceau de dentelle. Son immense main se referma sur la mienne, engloutissant le string.

— Arrête, merde !

Mon crâne heurta le rebord d’une marche et je grimaçai de douleur, mes yeux s’emplissant de larmes.

— Aïe !

— Ça va ?

Son corps s’étendit au-dessus du mien. Une main vint frotter doucement l’arrière de ma tête.

— Hmm, ouais.

L’odeur de son savon et de son shampoing était divine. Bon sang ! Mais il y avait quelque chose d’autre. Son eau de Cologne. Elle n’était pas capiteuse. Juste un léger parfum d’épices. Un souvenir remonta à la surface mais l’étiquette qui pendait devant mon visage m’en détourna momentanément.

— Trois cents dollars ?

— Ça les vaut.

— Merde alors ! Absolument pas.

Il attrapa le string du bout des doigts, un sourire malicieux sur le visage.

— Crois-moi, j’aurais payé dix fois ce montant. Sans rechigner.

— David, je pourrais acheter la même chose dix fois moins cher dans une boutique normale. C’est du délire.

— Non, impossible.

Il fit basculer son poids sur son coude posé sur la marche à côté de ma tête et se mit à lire l’étiquette.

— Vois-tu, cette dentelle raffinée est faite main par des artisans locaux d’une petite région du nord de l’Italie réputée pour ce savoir-faire. C’est fait à partir de la plus fine des soies. Tu ne peux pas acheter ça chez H&M, bébé.

— J’imagine que non.

Il émit un petit bruit de satisfaction et me regarda avec des yeux doux et brumeux. Puis son sourire s’effaça. Il recula et froissa le string dans sa main.

— Bref.

— Attends.

Mes doigts entourèrent ses biceps, le retenant.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il d’une voix dure.

— Laisse-moi simplement…

Je levai mon visage vers son cou. L’odeur y était plus forte. J’inspirai profondément, me laissant enivrer. Je fermai les yeux et laissai affluer les souvenirs.

— Evie ?

Les muscles de ses bras se bandèrent et durcirent.

— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée.

— Nous étions dans les gondoles du Venitian. Tu m’as dit que tu ne savais pas nager, que je devrais te sauver si nous chavirions.

Sa pomme d’Adam tressaillit.

— Ouais.

— J’avais peur pour toi.

— Je sais. Tu t’es accrochée si fort à moi que je pouvais à peine respirer.

Je me reculai pour voir son visage.

— Pourquoi crois-tu que nous sommes restés si longtemps sur ces gondoles ? demanda-t-il. Tu

étais pratiquement assise sur mes genoux.

— Tu sais nager ?

Il rit doucement.

— Évidemment que je sais nager. De toute façon, je ne crois pas que l’eau ait été si profonde.

— C’était une ruse. Tu es fourbe, David Ferris.

— Et toi, tu es une petite marrante, Evie Thomas.

Son visage se détendit et ses yeux se radoucirent.

— Tu t’es souvenue de quelque chose.

— Oui.

— C’est génial. Autre chose ?

Je lui adressai un petit sourire triste.

— Non, désolée.

Il détourna le regard, déçu, je crois, mais essayant de ne pas le montrer.

— David ?

— Mmm ?

Je me penchai en avant pour presser mes lèvres contre les siennes. Je voulais l’embrasser, j’en avais besoin. Il se recula de nouveau. Mes espoirs s’écroulèrent.

— Pardon, je suis désolée.

— Ev. Qu’est-ce que tu fais ?

— Je t’embrasse ?

Il ne répondit rien. Mâchoire serrée, il détourna le regard.

— Tu as le droit de m’embrasser, de me faire des câlins et de m’offrir de la lingerie hors de prix, mais moi je n’ai pas le droit de t’embrasser ?

Mes mains se coulèrent vers les siennes et il les serra. Au moins ne me rejetait-il pas totalement.

— Pourquoi veux-tu m’embrasser ? demanda-t-il d’une voix grave.

J’observai un instant nos doigts entrelacés.

— David, je ne me souviendrai probablement jamais de tout ce qui s’est passé à Vegas. Mais je pensais que, peut-être, nous pourrions créer nos propres souvenirs ce week-end. Des souvenirs que nous pourrions partager.

— Juste ce week-end ?

Mon cœur débordait.

— Non. Je ne sais pas. C’est juste que… j’ai l’impression qu’il est censé y avoir plus entre nous.

— Plus que de l’amitié ? demanda-t-il en me regardant intensément.

— Oui. Je t’aime beaucoup. Tu es gentil, doux, beau et j’adore nos discussions. Quand on ne se dispute pas à propos de Vegas. J’ai l’impression que…

— Que quoi ?

— Que ce week-end est une seconde chance. Et je ne veux pas la laisser passer. Je pense que sinon je le regretterai très longtemps.

Il hocha puis pencha la tête.

— Alors, quel est ton plan ? M’embrasser et voir ce qui se passe ?

— Mon plan ?

— Je sais tout de toi et de tes plans. Tu m’as raconté combien tu étais maniaque.

— Je t’ai raconté ça ?

Je n’aurais pas dû.

— Ouais. Tu m’as surtout parlé de ton grand projet. Tu sais… terminer la fac, puis passer trois à

cinq ans à bosser dans un petit cabinet avant de gravir les échelons dans un cabinet plus prestigieux et de monter ta propre boîte de conseil à l’âge de trente-cinq ans. Et dans la foulée, te marier et faire 2,4 mômes.

Ma gorge devint soudain très sèche, aride même.

— J’ai vraiment été très bavarde cette nuit-là.

— Mmm. Mais ce qui était réellement intéressant c’est que tu n’en parlais pas comme d’une bonne chose, mais comme d’une cage dont tu secouais les barreaux.

Je ne trouvai rien à répondre.

— Alors, dis-moi, ajouta-t-il doucement d’un ton moqueur. Quel est le programme, ici, Ev ?

Comment comptais-tu t’y prendre pour me convaincre ?

— Oh. Eh bien, je comptais, euh… Je comptais te séduire, je suppose. Et voir ce qui allait se passer.

Oui…

— Comment ? En te plaignant que je t’offre des trucs ?

— Non. Ça, c’était juste un bonus. Ne me remercie pas.

Il serra les lèvres mais j’aperçus un sourire.

— O.K., très bien. Vas-y, montre-moi comment tu t’y prends.

— Comment je m’y prends ?

— Tes techniques de séduction. Allez, on perd du temps, là.

J’hésitai et, impatient, il fit claquer sa langue.

— Je ne porte qu’une serviette, bébé. C’est si difficile que ça ?

— O.K., O.K.

Je serrai ses doigts, refusant de le lâcher.

— Alors, David…

— Oui, Evie ?

— Je me disais que peut-être…

— Hmm ?

Il m’impressionnait tellement que je lui sortis la première chose qui me vint à l’esprit. La seule qui avait déjà fait ses preuves.

— Je pense que tu es un gars vraiment adorable et je me demandais si tu aurais envie de monter dans ma chambre pour faire l’amour et passer un peu de temps tous les deux. Enfin, si ça t’intéresse…

Son regard s’assombrit, triste et accusateur. Il s’écarta de nouveau.

— Tu te fiches de moi, là.

— Non.

Je glissai ma main autour de sa nuque, sous ses cheveux humides, essayant de l’attirer de nouveau à

moi.

— Non, je suis très, très sérieuse.

Mâchoire serrée, il me regarda.

— Ce matin, dans la voiture, tu m’as demandé si j’avais peur de toi, continuai-je. La réponse est oui. Tu me fous une trouille bleue. Je ne sais pas ce que je fais ici. Mais je ne supporte pas l’idée de te perdre.

Il scruta mon visage mais resta silencieux. Il allait m’envoyer promener, je le savais. J’avais trop demandé, je l’avais poussé à bout. Il allait me quitter, et qui pourrait lui en vouloir après tout ça ?

— Ça ne fait rien, dis-je, ramassant ce qui me restait de fierté sur le sol.

— Tu es plutôt terrifiante, toi aussi, soupira-t-il.

— Moi ?

— Oui, toi. Et efface ce petit sourire de ton visage, tu veux ?

— Désolée.

Il inclina la tête et m’embrassa de ses lèvres douces et fermes. Je fermai les yeux et ouvris la bouche. Son odeur me fit chavirer. Le goût mentholé de son dentifrice et sa langue contre la mienne… C’était au-delà de la perfection. Il me plaqua contre l’escalier. La bosse à l’arrière de mon crâne me lança en signe de protestation lorsqu’il toucha de nouveau les marches. Je tressaillis mais continuai de l’embrasser. David posa ses mains derrière ma tête, la protégeant d’un nouveau coup.

Le poids de son corps me clouait sur place, non que jevoulusse m’échapper. Le bord des marches s’enfonçait dans mon dos mais je m’en fichais éperdument. J’aurais pu rester allongée là, son corps sur le mien, pendant des heures, l’odeur de sa peau m’enivrant. Ses hanches maintenaient mes jambes grandes ouvertes. S’il n’y avait pas eu mon jean et sa serviette, les choses seraient très vite devenues intéressantes. Mon Dieu, comme je haïssais le coton à cet instant précis.

À aucun moment nous ne cessâmes de nous embrasser. Mes jambes enroulées autour de sa taille, mes mains autour de ses épaules. Je n’avais jamais rien ressenti d’aussi bon. Mon désir augmentait et m’enflammait, se répandant en moi. Mes jambes se resserrèrent autour de lui. Tu parles d’une frustration ! Sa bouche descendit vers ma mâchoire et mon cou. Il me mordilla, réveillant des points sensibles sous mon oreille et au creux de mon cou. Des points dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Cet homme était magique. Il connaissait des choses qui m’étaient inconnues. Où il les avait apprises n’avait pas d’importance. Pas en cet instant.

— Debout, dit-il d’une voix rauque.

Il se releva doucement, une main sous mes fesses, l’autre protégeant toujours l’arrière de ma tête.

— David…

Il se recula juste assez pour me regarder dans les yeux. Ses pupilles étaient immenses, avalant presque ses iris bleu ciel.

— Je ne te laisserai pas tomber. Jamais.

Je pris une profonde inspiration.

— O.K.

— Tu me fais confiance ?

— Oui.

— Bien.

Sa main glissa le long de mon dos.

— Maintenant, mets tes bras autour de mon cou.

Je m’exécutai et recouvrai instantanément l’équilibre. Les mains de David m’empoignèrent les fesses et je croisai mes pieds derrière son dos. Son visage ne montrait aucun signe de douleur. Peut-

être était-il assez fort pour me porter, après tout.

— Et voilà. (Il sourit et m’embrassa le menton.) Tout va bien ?

Je hochai la tête, sans oser parler.

— Lit ?

— OUI.

— Embrasse-moi.

Je m’exécutai sans me faire prier, ajustant ma bouche à la sienne. Glissant ma langue entre ses lèvres et me perdant en lui une fois de plus. Il poussa un gémissement, ses mains me tenant fort contre lui.

Ce fut alors que la sonnette retentit, émettant un son lugubre qui résonna dans mon cœur et mon entrejambe.

— Nooon.

— Putain, c’est pas vrai !

Le visage de David se contracta et il jeta un regard torve aux grandes doubles portes. Au moins, il partageait mon sentiment. Je grognai et le serrai fort contre moi. Ça aurait pu être drôle si ça n’avait pas été si douloureux.

Une main se glissa sous mon débardeur pour caresser ma peau nue.

— À croire que l’univers est contre nous, grommela-t-il.

— Fais-les partir, s’il te plaît.

Il gloussa et me serra plus fort contre lui.

— Ça fait mal.

Il m’embrassa dans le cou.

— Laisse-moi aller ouvrir et me débarrasser d’eux, ensuite je m’occuperai de toi, O.K. ?

— Ta serviette est par terre.

— C’est fâcheux. Allez, descends.

Je desserrai mon étreinte à contrecœur et posai mes pieds sur la terre ferme. La sonnette retentit de nouveau. David attrapa un jean noir du sac et l’enfila rapidement. J’aperçus un bout de fesse bien ferme. Garder mes yeux dans ma poche fut peut-être la chose la plus difficile que j’aie jamais eu à

faire.

— Reste ici au cas où ce seraient des journalistes.

Il regarda dans le petit écran encastré à côté de la porte.

— Ah, mince.

— La presse ?

— Non, pire. De vieux amis qui apportent de la nourriture.

Il me jeta un petit coup d’œil.

— Si ça peut te consoler, je suis frustré moi aussi.

— Mais…

— Ce sera encore meilleur après. Promis, dit-il avant d’ouvrir la porte, une main tirant sur son T- shirt pour essayer de cacher le renflement sous son jean.

— Tyler. Pam. Content de vous voir !

J’allais le tuer. Lentement. L’étrangler avec le string hors de prix. Une mort digne d’une rock star.

Un couple de l’âge de mes parents entra, les bras chargés de casseroles et de bouteilles de vin.

L’homme, Tyler, était grand, mince et couvert de tatouages. Pam semblait avoir du sang amérindien.

De magnifiques cheveux longs et noirs lui tombaient dans le dos en une natte aussi épaisse que mon poignet. Ils souriaient largement et me lancèrent des regards curieux. Lorsqu’ils aperçurent la lingerie et les vêtements éparpillés sur le sol, je piquai un fard. Ils durent croire que nous étions sur le point d’entreprendre une orgie à deux. Ce qui était le cas, mais quand même.

— Quoi de neuf ? rugit Tyler avec un accent australien en serrant David avec un bras à cause du plat qu’il tenait dans l’autre. Et ce doit être Ev, je présume. Je l’ai appris en lisant les magazines.

Sérieux, Dave ?

Il lança à mon mari un regard sévère, un sourcil arqué.

— Pam était furax.

— Désolé. C’était… c’était inattendu.

David embrassa Pam sur la joue et la délesta d’une cocotte et d’un sac de courses. Elle lui tapota la tête d’une façon maternelle.

— Fais les présentations, ordonna-t-elle.

— Ev, je te présente Pam et Tyler, de vieux amis. Ce sont eux qui s’occupent de la maison pour moi.

Il avait l’air détendu. Son sourire était franc et ses yeux brillants. Je ne l’avais jamais vu si heureux.

Une bouffée de jalousie m’envahit.

— Bonjour, dis-je en tendant la main.

Mais Tyler me serra dans ses bras.

— Elle est tellement jolie. Elle est jolie, hein, chérie ?

Il s’écarta et Pam s’approcha, un sourire chaleureux sur le visage.

Je me comportais comme une idiote. C’étaient des gens charmants. J’aurais dû me montrer profondément reconnaissante que toutes les femmes que connaissait David ne frottent pas leur poitrine contre lui. Maudites soient mes hormones en ébullition de me rendre si revêche.

— Elle est ravissante. Bonjour, Ev. Je suis Pam.

Ses yeux s’embuèrent. Elle avait l’air sur le point de fondre en larmes. Soudain, elle m’attrapa les mains et serra mes doigts.

— Je suis si heureuse qu’il ait enfin trouvé une fille bien.

— Oh, merci.

Mon visage s’empourpra. David me fit une petite grimace.

— O.K., ça suffit, intervint Tyler. Laissons ces tourtereaux tranquilles. Nous reviendrons une autre fois.

David fit un pas sur le côté, le sac et la casserole à la main. Lorsqu’il s’aperçut que je le regardais, il me fit un clin d’œil.

— Il faudra que je te montre ce qu’on a fait en bas, un de ces quatre, dit Tyler. Vous restez longtemps ?

— On ne sait pas encore, répondit David en m’interrogeant du regard.

Pam se cramponnait toujours à mes mains.

— J’ai fait des enchiladas au poulet et du riz. Tu aimes la cuisine mexicaine ? C’est ce que David préfère. Mais j’aurais dû me renseigner sur tes goûts. Tu es peut-être végétarienne, ajouta-t-elle d’un air inquiet.

— Non, non. J’adore la cuisine mexicaine, répondis-je en serrant à mon tour ses doigts, mais pas aussi fort. Merci beaucoup.

— Ouf !

Elle sourit.

— Chérie, appela Tyler.

— J’arrive.

Elle me tapota la main.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit pendant votre séjour, passez-moi un coup de fil. O.K. ?

David resta silencieux. Visiblement, il ne tenait qu’à moi qu’ils restent ou qu’ils partent. Mon corps vibrait toujours de désir. Et puis, nous semblions mieux nous entendre lorsque nous étions seuls. Je ne voulais pas le partager car j’étais frivole et j’avais envie de sexe. Je le voulais pour moi toute seule.

Mais je devais me faire violence. Et si l’attente faisait croître le désir, eh bien, peut-être devais-je me résoudre au choix le plus raisonnable.

— Restez, bredouillai-je. Dînez avec nous. Il y en a tellement. On n’arrivera jamais à tout finir.

David me regarda, un sourire approbateur sur le visage. On aurait presque dit un petit garçon qui essaierait de contenir son excitation. Comme si je venais de lui annoncer que son anniversaire était avancé. Qui que soient ces gens, ils étaient importants pour lui. J’avais l’impression que je venais de réussir à un test.

Pam soupira.

— Tyler a raison, vous êtes de jeunes mariés.

— Restez, je vous en prie, répétai-je.

Elle interrogea du regard son mari qui haussa les épaules mais sourit, visiblement ravi.

Pam battit des mains de joie.

— À table !

9

Alors que le soleil se levait, des mains chaudes soulevèrent mon débardeur. Suivirent des baisers brûlants dans mon dos, provoquant un frisson le long de ma colonne vertébrale. Malgré l’heure très matinale, ma peau se hérissa immédiatement.

— Ev, bébé, retourne-toi, chuchota David à mon oreille.

— Quelle heure est-il ?

Après dîner, nous étions tous descendus au studio d’enregistrement pour « jeter un coup d’œil ». À

minuit, Pam était partie en disant à Tyler de l’appeler lorsqu’ils auraient terminé mais chacun savait que ce ne serait pas pour tout de suite étant donné qu’ils venaient d’ouvrir une bouteille de bourbon.

Je m’étais étendue sur le grand canapé tandis que David et Tyler faisaient les fous, évoluant entre la salle de commandes et le studio. Je voulais être proche de David, l’écouter jouer de la guitare et chanter. Il avait une voix magnifique. J’étais émerveillée par ce qu’il pouvait faire avec une guitare dans les mains. Ses yeux s’évadaient et il semblait ailleurs. Comme si plus rien d’autre n’existait. Par moments, je m’étais même sentie un peu seule, allongée là à le regarder. Puis la chanson se terminait et il secouait la tête, étirait ses doigts et revenait sur terre. Son regard me trouvait et il me souriait. Il

était de retour.

J’avais fini par m’assoupir. Je n’ai aucune idée de la manière dont j’avais atterri au lit. David avait dû me porter. Une chose était certaine : ça sentait l’alcool.

— Il est presque 5 heures. Retourne-toi.

— Fatiguée, marmonnai-je sans bouger.

Le matelas plia lorsqu’il se mit à califourchon sur moi et passa un bras de chaque côté de ma tête, m’enveloppant.

— Devine quoi ?

— Quoi ?

Il écarta doucement les cheveux de mon visage avant de me lécher l’oreille. Je me tortillai.

— J’ai écrit deux chansons, annonça-t-il d’une voix un peu empâtée.

— Mmm.

Je souris sans ouvrir les yeux. Avec un peu de chance, il prendrait cela comme un soutien de ma part. C’était le mieux que je pouvais faire avec moins de quatre heures de sommeil. Ce n’était pas dans mes gènes.

— C’est bien.

— Non, tu ne comprends pas. Je n’avais plus rien écrit depuis deux ans. C’est incroyable.

Il enfouit son nez dans mon cou.

— Et elles parlent de toi.

— Tes chansons ? demandai-je, stupéfaite et toujours un peu endormie. Vraiment ?

— Ouais, je…

Il respira profondément et me mordit l’épaule, m’obligeant à ouvrir grands les yeux.

— Hé !

Il se pencha en avant pour que je voie son visage, ses cheveux bruns tombant sur ses épaules.

— Te voilà enfin. Donc, je pense à toi et, soudain, j’ai quelque chose à dire. Je n’avais rien eu envie de dire depuis longtemps. Je n’en avais rien à foutre. Tout m’était égal. Mais tu as changé les choses.

Tu m’as guéri.

— David, je suis ravie que tu aies retrouvé ton mojo mais tu es incroyablement talentueux. Tu n’étais pas malade. Tu avais peut-être simplement besoin d’une pause.

— Non. (Il fronça les sourcils.) Tourne-toi. Je ne peux pas te parler comme ça.

Comme j’hésitais, il me donna une petite claque sur une fesse. La fesse non tatouée, heureusement pour lui.

— Allez, bébé.

— Ça suffit avec les morsures et les fessées !

— Alors tourne-toi, grommela-t-il.

— O.K., O.K.

Il me libéra et je m’assis, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Il était torse nu et me regardait, seulement vêtu d’un jean. Comment diable faisait-il pour toujours perdre son T-shirt ? La vue de son torse nu me donna l’eau à la bouche. Celle de son jean me fit perdre la tête. Personne ne portait le jean comme David. Et l’avoir aperçu sans pantalon ne faisait qu’empirer les choses. Mon imagination m’emporta dans une folie sexuelle enragée. Mais d’où sortaient les images qui défilaient dans ma tête ? Elles étaient étonnamment crues et précises. Et j’étais presque sûre de ne pas être assez souple pour en réaliser la plupart.

Tout l’oxygène quitta la pièce. J’avais envie de lui. Tout entier. Le bon, le mauvais, et ce qu’il y avait entre les deux. Je le désirais comme je n’avais jamais rien désiré dans ma vie.

Mais pas alors qu’il avait bu. Nous étions déjà passés par là, avions commis cette erreur. Je ne savais pas très bien ce qui se passait entre nous mais je n’avais pas envie de tout gâcher.

Donc voilà. Pas de sexe. Dommage.

Il fallait que j’arrête de le regarder. Je pris une profonde inspiration et étudiai mes genoux. Mes genoux nus. Lorsque je m’étais couchée, je portais un jean. À présent, je n’avais que ma culotte et mon débardeur. Mon soutien-gorge avait lui aussi mystérieusement disparu.

— Où sont passés mes vêtements ?

— Ils sont partis, répondit-il, très sérieusement.

— Tu les as pris ?

Il haussa les épaules.

— Tu n’aurais pas bien dormi avec.

— Comment as-tu réussi à m’enlever mon soutien-gorge sans me réveiller ?

Il eut un sourire espiègle.

— Je n’ai rien fait de plus. Promis. Je l’ai simplement… retiré pour des raisons de sécurité. C’est dangereux, les armatures.

— Bien sûr.

— Je n’ai même pas regardé.

Je plissai les yeux.

— C’est faux, avoua-t-il. J’ai regardé. Mais on est toujours mariés alors j’ai le droit.

— Vraiment, hein ?

Il était presque impossible de se fâcher contre lui lorsqu’il me regardait comme ça. Mes stupides hormones s’affolèrent.

Pas de sexe !

— Qu’est-ce que tu fais de l’autre côté du lit ? Ça ne va pas le faire, dit-il, totalement inconscient de mes hormones en ébullition.

Plus vite que je ne l’aurais cru possible vu la quantité d’alcool ingurgitée, il m’attrapa par les pieds et tira. Mon dos heurta le matelas et ma tête rebondit sur l’oreiller. David s’étendit sur moi avant que je ne puisse tenter d’autres manœuvres dilatoires. Son poids me pressa délicieusement sur le matelas.

Dire non dans ces conditions était beaucoup demander.

— Je ne crois pas qu’on devrait coucher ensemble maintenant, laissai-je échapper.

Le coin de sa bouche s’étira.

— Détends-toi. On ne va pas baiser tout de suite.

— Ah non ?

Merde, je venais de geindre. Pathétique.

— Non. Quand on le fera pour la première fois, on n’aura bu ni l’un ni l’autre. Tu peux me faire confiance là-dessus. Je ne tiens pas à me réveiller de nouveau en te retrouvant en train de flipper parce que tu ne te souviens pas ou que tu as changé d’avis. J’en ai marre d’être le connard, dans l’histoire.

— Je n’ai jamais pensé que tu étais un connard, David.

Enfin, pas exactement. Un idiot, peut-être, un voleur de soutif, sans aucun doute, mais pas un connard.

— Ah non ?

— Non.

— Pas même à Vegas lorsque je me suis mis à te traiter de tous les noms et à claquer les portes ?

Il plongea les mains dans mes cheveux et massa mon cuir chevelu. Impossible de ne pas rechercher son contact comme un chaton ronronnant. Ses mains étaient magiques. Avec lui, les matins étaient supportables. Même si 5 heures était quand même un peu abusé.

— Ce n’était un bon matin pour personne, dis-je.

— Et à Los Angeles, avec cette nana pendue à mon cou ?

— C’était fait exprès ?

Il ferma un œil.

— Peut-être avais-je besoin d’une armure.

Je ne sus pas quoi dire. Au début.

— Tu peux avoir qui tu veux à ton cou, ça ne me regarde pas.

Son sourire reflétait son immense autosatisfaction.

— Tu étais jalouse.

— On est obligés de parler de ça maintenant ?

Agacée, je frappai son torse musclé.

— David ?

— Ça te fait mal de l’admettre, hein ?

Silence.

— Hé, je n’ai pas pu me résoudre à la toucher. Pas alors que tu étais là.

— Vraiment ?

Je me calmai d’un seul coup. Les battements de mon cœur ralentirent.

— Je me suis demandé ce qui s’était passé. Tu es revenu si vite.

Il poussa un grognement et se rapprocha.

— Te voir avec Jimmy…

— Il ne se passait rien. Je te le jure.

— Oui, je sais. Je suis désolé. J’ai dépassé les bornes.

Mes coups se changèrent en caresses. Étrange, hein ? Mes mains glissèrent vers ses épaules, autour de son cou pour jouer avec ses cheveux. Je voulais simplement sentir la chaleur de sa peau et le garder près de moi. De vraies montagnes russes émotionnelles : j’étais passée de ronchon privée de sommeil à admiratrice remplie d’adoration en moins de huit secondes.

— C’est génial que tu aies écrit des chansons.

— Mmm. Et quand je t’ai laissé seule avec Adrian et les avocats ? Tu étais en colère contre moi ?

Je soupirai.

— Tu as gagné. Je dois reconnaître avoir été un peu contrariée à ce moment-là.

Il hocha lentement la tête, ses yeux ne quittaient pas les miens.

— Lorsque je suis revenu et qu’ils m’ont raconté ce qui s’était passé, que tu étais partie avec Mal, j’ai pété les plombs. J’ai bousillé ma guitare préférée, je l’ai utilisée pour démolir sa batterie. Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai fait ça. J’étais tellement en colère, jaloux, et furieux contre moi-même.

Je sentis mon visage se plisser, incrédule.

— Tu as fait ça ?

— Oui.

— Pourquoi tu me racontes ça maintenant, David ?

— Je ne veux pas que tu l’apprennes par quelqu’un d’autre.

Il déglutit, faisant bouger sa pomme d’Adam.

— Écoute, je ne suis pas comme ça, Ev. Ça n’arrivera plus, je te le promets. C’est juste que… je n’ai pas l’habitude de tout ça. Je n’ai jamais ressenti ça. Toute cette histoire me dépasse. Je ne sais pas comment l’expliquer. Tu comprends ?

Il ne se souviendrait peut-être plus de rien plus tard. Mais, pour le moment, il avait l’air si sincère que j’en eus mal pour lui. Je regardai ses yeux injectés de sang et souris.

— Je crois, oui. Ça n’arrivera plus, c’est sûr ?

— Oui. Je te le jure, affirma-t-il, avec un soulagement palpable dans la voix. Tout va bien entre nous ?

— Oui. Est-ce que tu me joueras ces chansons ? J’adorerais les entendre.

— Elles ne sont pas encore terminées. Quand ce sera le cas, je te les jouerai. Je veux qu’elles soient parfaites.

— O.K.

Il avait écrit des chansons sur moi. C’était incroyable. À moins qu’elles ne soient peu flatteuses, auquel cas il faudrait que nous ayons une petite discussion.

— Elles ne disent pas à quel point je t’agace parfois, n’est-ce pas ?

— Un peu.

— Quoi ? m’écriai-je.

— Fais-moi confiance.

— Tu dis vraiment que je suis une emmerdeuse dans ces chansons ?

— Pas en ces termes, non.

Il gloussa, sa bonne humeur retrouvée.

— Tu ne veux quand même pas que je mente et que j’affirme que tout n’est que licornes et arcs-en- ciel, n’est-ce pas ?

— Peut-être. Les gens vont savoir que ces chansons parlent de moi. J’ai une réputation de fille adorable à protéger.

Il poussa un petit grognement.

— Evie, regarde-moi. Tu es une fille adorable. Je ne pense pas que quiconque puisse en douter.

— Tu es vraiment mignon quand tu mens.

— C’est nouveau, ça. Ce sont des chansons d’amour, bébé. L’amour n’est pas toujours facile et simple. Il peut être compliqué et douloureux. Ça n’en reste pas moins la chose la plus incroyable qui puisse arriver. Ça ne veut pas dire que je ne suis pas fou de toi.

— Tu l’es ? demandai-je d’une voix serrée par l’émotion.

— Évidemment.

— Moi aussi je suis folle de toi. Tu es beau, à l’intérieur comme à l’extérieur, David Ferris.

Il appuya son front contre le mien et ferma les yeux.

— Tu es si douce. Mais, tu vois, j’aime que tu saches mordre, aussi. Comme tu l’as fait à Vegas avec ces connards. J’aime ta gentillesse, que tu aies défendu cette fille. J’en arrive presque à aimer quand tu me fous en rogne. Mais pas tout le temps, hein. Merde, je recommence à dire n’importe quoi…

— Ça ne fait rien, murmurai-je. J’aime quand tu racontes n’importe quoi.

— Alors tu ne m’en veux pas d’avoir perdu mon sang-froid ?

— Non, David, je ne t’en veux pas.

Sans un mot, il détacha son corps du mien et se coucha à côté de moi. Il m’enlaça, un bras sous moi et l’autre sur ma hanche.

— Ev ?

— Mmm ?

— Enlève ton haut. Je veux être peau contre peau. S’il te plaît ? Rien de plus, promis.

— D’accord.

Je me redressai et fis passer mon débardeur par-dessus ma tête avant de revenir me blottir contre lui. Être torse nu était très agréable. Il cala ma tête sous son menton et la sensation de son corps chaud

était parfaite, excitante et rassurante à la fois. Chaque centimètre de ma peau semblait prendre vie.

Être comme ça avec lui apaisait ma violente tempête intérieure. Pas une fois je ne pensai à mon ventre, mes hanches, ou à toutes ces conneries.

Peu importait l’odeur persistante d’alcool sur sa peau, je voulais simplement être près de lui.

— J’aime dormir avec toi, dit-il en me caressant le dos. Je ne pensais pas pouvoir un jour dormir avec quelqu’un dans mon lit, mais avec toi, c’est agréable.

— Tu n’as jamais dormi avec quelqu’un avant ?

— Pas depuis très longtemps. J’ai besoin de mon espace.

Ses doigts jouèrent avec l’élastique de mon shorty, me chatouillant.

— C’est de la torture, mais une torture agréable.

Pendant quelques minutes, tout devint silencieux et je pensai qu’il s’était peut-être endormi. Mais ce n’était pas le cas.

— Parle-moi. J’aime entendre ta voix.

— D’accord. J’ai passé un bon moment avec Pam, elle est adorable.

— Oui.

Ses doigts allaient et revenaient le long de ma colonne vertébrale.

— Ce sont des gens bien.

— C’était vraiment gentil de leur part de nous apporter à dîner.

Je ne savais pas trop quoi dire. Je n’étais pas encore prête à avouer que j’avais beaucoup pensé à ce qu’il avait dit au sujet de mon avenir d’architecte. Que j’avais commencé à remettre en question le

Plan Tout-Puissant. Dire que j’avais peur d’avoir gâché les choses entre nous ne semblait pas opportun non plus. Peut-être que les dieux écoutaient et allaient me le faire payer à la première occasion. Pourvu que non. Je choisis alors de raconter des banalités.

— J’adore le bruit de l’océan.

— Mmm, acquiesça-t-il. Bébé, je ne veux pas signer ces papiers lundi.

Je me figeai, le cœur battant la chamade.

— Vraiment ?

— Non.

Ses doigts caressèrent ma poitrine et je dus me souvenir de respirer. Il ne semblait même pas se rendre compte de son geste, griffonnant ma peau comme il l’aurait fait sur du papier. Ses bras se resserrèrent autour de moi.

— Ça peut attendre. On peut passer du temps tous les deux, voir comment les choses évoluent.

L’espoir jaillit en moi, chaud et excitant.

— David, tu le penses vraiment ?

— Oui. (Il soupira.) Je sais que j’ai bu. Mais j’y ai beaucoup réfléchi. Je… putain, j’ai même eu du mal à ne pas te voir ces dernières heures, mais tu avais l’air d’avoir besoin de sommeil. Je ne veux pas qu’on signe ces documents.

Je fermai les yeux et adressai une prière silencieuse.

— Alors nous ne le ferons pas.

— Tu es sûre ?

— Oui.

Il me serra fort contre lui.

— Tant mieux.

— Tout va bien se passer, déclarai-je, comblée.

Le soulagement m’étourdit. Si je n’avais pas été allongée, je serais tombée par terre. Soudain, il renifla son épaule et ses aisselles.

— Merde, je pue le bourbon. Je vais prendre une douche.

Il me donna un petit baiser et roula hors du lit.

— Jette-moi du lit la prochaine fois que j’essaie de me coucher en empestant comme ça. Ne me laisse pas me pelotonner contre toi.

J’adorais qu’il envisage pour nous un avenir commun. À tel point que je me fichais qu’il sente si mauvais.

Le véritable amour.

10

La sonnette de la porte d’entrée retentit juste après10 heures. David, qui dormait contre mon dos, ne se réveilla pas le moins du monde. Avec quelques heures de sommeil en plus, je me sentais presque humaine. Je dégageai son bras en essayant de ne pas le déranger. J’enfilai mon débardeur et mon jean noir et dévalai l’escalier, faisant de mon mieux pour ne pas me briser le cou. Ce devait sûrement être encore des livraisons.

— Petite mariée ! Laisse-moi entrer, beuglait Mal de l’autre côté de la porte.

S’ensuivit une démonstration de percussion impressionnante lorsqu’il tapa contre le bois massif.

Incontestablement le batteur.

— Ev !

J’ouvris la porte et Mal entra en trombe, suivi par un Tyler au ralenti. Étant donné qu’il avait bu et joué de la musique avec David jusqu’au petit matin, son état ne m’étonna pas vraiment. Le pauvre homme avait visiblement une gueule de bois épouvantable. Ses cernes dus au manque de sommeil lui faisaient deux yeux au beurre noir. Une boisson énergisante était collée à ses lèvres.

— Mal, mais qu’est-ce que tu fais ici ?

J’arrêtai de me frotter les yeux. Piqûre de rappel : je n’étais pas chez moi.

— Désolée, c’était impoli de ma part. Je suis simplement étonnée de te voir. Salut, Tyler.

J’avais espéré avoir mon mari pour moi toute seule aujourd’hui mais ça semblait mal parti.

Mal laissa tomber mon sac à dos à mes pieds. Il était tellement occupé à regarder autour de lui qu’il ne semblait même pas avoir entendu ma question, impolie ou non.

— David dort encore, dis-je avant de fouiller dans mon sac.

Oh, mes affaires. Mes merveilleuses affaires. Mon sac à main ! Mon portable ! Il y avait de nombreux messages de Lauren et quelques-uns de mon père. J’ignorais qu’il savait envoyer des textos.

— Merci de me l’avoir rapporté.

— David m’a téléphoné à 4 heures du matin pour m’annoncer qu’il avait écrit de nouvelles chansons. Je me suis dit que j’allais venir voir ça et que tu pourrais avoir besoin de tes fringues.

Les mains sur les hanches, Mal contemplait la splendeur de la nature par la baie vitrée.

— Putain, mais regarde-moi cette vue !

— Pas mal, hein ? fit Tyler. Attends de voir le studio.

Mal mit ses mains en coupe autour de sa bouche.

— Hé, la rock star. Ramène tes fesses ici !

— Bonjour mon chou, dit Pam en faisant tournoyer un trousseau de clés autour de son doigt. J’ai essayé de les persuader d’attendre encore quelques heures mais, comme tu peux le voir, j’ai échoué.

Désolée.

— Ne t’inquiète pas, répondis-je.

Je ne suis pas très tactile d’habitude. Chez moi, on ne s’embrasse pas beaucoup. Mais Pam était si gentille que je lui rendis son étreinte dès qu’elle passa ses bras autour de moi.

La veille, nous avions parlé des heures durant dans le studio d’enregistrement. Ça avait été très instructif. Mariée à un célèbre producteur, elle connaissait ce mode de vie depuis plus de vingt ans.

Les tournées, les enregistrements, les groupies… elle avait connu tout le cirque rock’n’roll. C’est à

l’occasion d’un festival que Tyler et elle étaient tombés amoureux de Monterey, avec son littoral découpé et sa vue imprenable sur l’océan.

— Les meubles du salon et d’autres lits devraient bientôt arriver. Mal, Tyler, aidez-moi à déplacer les cartons. On va les empiler contre la cheminée.

Soudain, elle s’arrêta et m’adressa un sourire circonspect.

— Stop. C’est toi la maîtresse de maison. C’est toi qui donnes les ordres ici.

— Oh, contre la cheminée, c’est parfait, merci.

— Vous l’avez entendue, les garçons. Allez, on se bouge.

Tyler ronchonna mais posa sa canette et se dirigea vers un carton, traînant des pieds tel un zombie.

— Attendez.

Mal fit claquer ses lèvres à notre attention, à Pam et moi.

— Je n’ai pas encore eu mes câlins du matin.

Brusquement, il attrapa Pam, la souleva et la fit tournoyer jusqu’à ce qu’elle éclate de rire. Les bras ouverts, il se dirigea ensuite vers moi.

— Viens voir papa, petite marmotte.

Je tendis une main pour l’arrêter, en riant.

— C’est limite malsain, Mal.

— Laisse-la tranquille, intervint David du haut de l’escalier, en bâillant et en se frottant les yeux.

Il ne portait toujours que son jean. C’était ma kryptonite. J’oubliai sur-le-champ toutes mes bonnes résolutions. Mes jambes se mirent à flageoler. Je détestais ça.

Étions-nous mariés ou pas, aujourd’hui ? Il avait beaucoup bu la nuit dernière. Les gens ivres et les promesses ne faisaient pas bon ménage – nous l’avions tous deux appris à nos dépens. J’espérais simplement qu’il se souvenait de notre conversation et n’avait pas changé d’avis.

— Qu’est-ce que tu fous ici ? gronda David.

— Je suis venu écouter tes nouvelles chansons, mec. Ça te pose un problème ?

Mal le dévisagea d’un air de défi, mâchoires serrées.

— Mais je devrais plutôt te foutre une branlée. Putain, mec, c’était ma batterie préférée !

David descendit les marches d’un pas raide.

— J’ai dit que j’étais désolé. Je le pensais vraiment.

— Peut-être bien. Mais il est quand même temps de payer, espèce de connard.

Un court instant, David resta silencieux. Son visage se tendit mais il y avait un air de résignation dans ses yeux fatigués.

— Très bien. Comment ?

— Ça va faire mal. Très mal.

— Plus mal que de voir ta tronche alors qu’Ev et moi passons du temps tous les deux ?

Mal eut vraiment l’air penaud.

David s’arrêta au pied de l’escalier, dans l’expectative.

— Tu veux qu’on aille régler ça dehors ?

Pam et Tyler restèrent silencieux, simples spectateurs. J’eus le sentiment que ce n’était pas la première fois que ces deux-là s’affrontaient. Ah, les hommes… Mais je restai près de Mal, en alerte.

S’il faisait un pas vers David, je lui sauterais dessus, je lui tirerais les cheveux, n’importe quoi. Je ne savais pas comment, mais je l’arrêterais.

Mal le toisa.

— Je ne vais pas me battre avec toi. Je ne voudrais pas me faire mal aux mains alors qu’on a du pain sur la planche.

— Alors quoi ?

— Tu as déjà détruit ta guitare préférée. Donc il va falloir trouver autre chose.

Il se frotta les mains.

— Quelque chose que l’argent ne peut acheter.

— Quoi ? demanda David, soudain méfiant.

— Salut, Ev.

Mal sourit et passa un bras autour de mes épaules, me serrant contre lui.

— Hé ! protestai-je.

Soudain, sa bouche couvrit la mienne sans y avoir été invitée. David cria pour protester. Un bras passé dans mon dos, Mal me renversa en arrière et m’embrassa brutalement, meurtrissant mes lèvres.

Je m’accrochai à ses épaules de peur de tomber. Lorsqu’il essaya de fourrer sa langue dans ma bouche, je n’hésitai cependant pas à le mordre.

L’idiot hurla.

Bien fait.

Aussi rapidement qu’il m’avait inclinée, il me redressa. Ma tête me tournait. Je posai une main contre le mur pour m’empêcher de m’étaler de tout mon long. Je me frottai la bouche, essayant de me débarrasser de son goût, tandis que Mal me lançait un regard blessé.

— Merde ! Ça fait mal.

Il se toucha prudemment la langue pour constater les dégâts.

— Je saigne !

— Tant mieux.

Pam et Tyler gloussèrent, très amusés.

Des bras m’enlacèrent par-derrière et David murmura à mon oreille :

— Bien joué.

— Tu savais qu’il allait faire ça ? demandai-je, soudain très énervée.

— Bien sûr que non ! (Il frotta son visage contre ma tête, ébouriffant mes cheveux.) Je n’ai aucune envie que quelqu’un d’autre te touche.

Bonne réponse. Ma colère fondit comme neige au soleil. Je posai mes mains sur les siennes et il me serra plus fort.

— Tu veux que je lui casse la gueule ? Tu n’as qu’un mot à dire.

Je fis semblant d’y réfléchir tandis que Mal nous observait avec intérêt. Nous semblions beaucoup plus proches que nous ne l’avions été à Los Angeles. Mais ça ne regardait personne. Ni ses amis, ni la presse, ni personne.

— Non, répondis-je doucement, des papillons dans l’estomac. Je crois qu’il ne vaut mieux pas.La puissance de mes sentiments m’effrayait.

David me fit pivoter et je me blottis contre lui, passant mes bras autour de sa taille. Ça semblait

évident. L’odeur de sa peau m’enivrait. J’aurais pu rester là à le respirer pendant des heures. Nous avions l’air d’un vrai couple, mais je n’avais plus confiance dans mon jugement, si ça m’était même déjà arrivé.

— Malcolm se joint à vous pour votre lune de miel ? demanda Pam d’une voix incrédule.

David gloussa.

— Ce n’est pas notre lune de miel. Si on part en voyage de noces, ce sera loin de tout. Et il ne sera pas là, sois-en sûre.

— Si ?

J’adorais Pam.

— Quand, corrigea-t-il en me serrant fort.

— Tout cela est vraiment très attendrissant, mais je suis venu pour faire de la musique, intervint

Mal.

— Alors tu vas devoir patienter, rétorqua David. Ev et moi avons des projets pour ce matin.

— Ça fait deux ans que j’attends que tu nous pondes quelque chose !

— Pauvre chéri. Tu peux bien attendre quelques heures de plus.

David me prit par la main et m’entraîna vers l’escalier. L’excitation m’envahit. Il m’avait choisie, moi, et c’était un sentiment merveilleux.

— Ev, je suis désolé de t’avoir embrassée de force, déclara Mal, accroupi à côté d’un des cartons.

— Tu es pardonné, répondis-je, magnanime, alors que nous arrivions en haut des marches.

— Tu vas t’excuser de m’avoir mordu ?

— Nan.

— Ce n’est pas très gentil.

David ricana sous cape.

— O.K. Messieurs, nous avons des cartons à déplacer, entendis-je déclarer Pam.

David nous brusqua dans le couloir et ferma la porte de la chambre à clé derrière nous.

— Tu as remis tes vêtements, remarqua-t-il. Retire-les.

Sans attendre, il attrapa le bord de mon débardeur qu’il fit passer par-dessus ma tête et mes bras tendus.

— Je m’étais dit qu’ouvrir la porte à moitié nue n’était peut-être pas l’idéal.

— Tu marques un point, murmura-t-il en m’attirant contre lui et en me plaquant contre la porte. Tu avais l’air inquiète tout à l’heure. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Rien du tout.

— Evie.

Quelque chose dans la façon dont il avait prononcé mon prénom eut raison de moi. Ajouté au fait qu’il m’acculait, pressant son corps contre le mien. Je posai mes mains à plat sur sa poitrine musclée.

Pas pour le repousser, mais simplement parce que j’avais besoin de le toucher.

— Je me demandais… Après notre discussion de ce matin, lorsqu’on a… euh… évoqué la signature des papiers lundi.

— Oui, et ? demanda-t-il en me regardant droit dans les yeux.

Impossible de me défiler.

— Eh bien, je me demandais si tu n’avais pas changé d’avis. Tu avais beaucoup bu.

— Je n’ai pas changé d’avis.

Son bassin se colla au mien et ses mains effleurèrent mes hanches.

— Et toi ?

— Non plus.

— Tant mieux.

Ses mains chaudes entourèrent ma poitrine et je perdis toute capacité à réfléchir.

— Ça ne te dérange pas ? demanda-t-il en jetant un regard sans équivoque en direction de ses mains.

Je secouai la tête. J’avais visiblement perdu la parole en même temps que la raison.

— Bon, voilà le programme. Parce que je sais combien tu aimes les programmes. Nous allons rester dans cette chambre jusqu’à ce que nous soyons tous les deux convaincus d’être sur la même longueur d’ondes concernant notre avenir. D’accord ?

Je hochai la tête. Ce programme avait mon soutien le plus total.

— Bien.

Il posa la paume d’une de ses mains entre mes seins, bien à plat contre ma poitrine.

— Ton cœur bat vite.

— David ?

— Hmm ?

Non, décidemment, rien ne venait. Je choisis alors de recouvrir sa main de la mienne, la maintenant contre mon cœur. Il sourit.

— On dirait une reconstitution de la nuit où on s’est mariés. On était assis sur le lit de ta chambre d’hôtel. Tu étais à califourchon sur moi.

— Ah bon ?

— Ouais.

Il me conduisit vers le lit et s’assit au bord.

— Viens là.

Je grimpai sur ses genoux, mes jambes enroulées autour de lui.

— Comme ça ?

— Parfait.

Ses mains enserrèrent ma taille.

— Tu as refusé d’aller dans ma suite au Bellagio. Tu as dit que j’étais trop loin de la réalité et que j’avais besoin de voir comment vivaient les petites gens.

Je gémis, gênée.

— Ça ne me semble pas le moins du monde arrogant…

Sa bouche s’infléchit en un petit sourire.

— C’était amusant. Mais surtout, tu avais raison.

— Ne me dis pas ça trop souvent ou je vais finir par le croire.

— Arrête de plaisanter, bébé. Je suis sérieux. J’avais besoin d’une bonne dose de réalité. De quelqu’un qui sache me dire non de temps en temps. C’est ce qu’on fait. On se pousse hors de nos zones de confort.

Ça se tenait.

— Je pense que tu as raison… Mais est-ce que c’est suffisant ?

Il posa de nouveau sa main sur mon cœur et colla le bout de son nez contre le mien.

— Tu sens ce qu’on est en train de faire en ce moment ? On construit quelque chose.

— Oui.

Je la ressentais, cette connexion entre nous, ce besoin irrésistible d’être avec lui. Rien d’autre ne comptait. Bien sûr, il y avait le côté animal, la façon dont mon corps s’embrasait à son contact. Son odeur chaude et merveilleuse lorsqu’il se réveillait le matin. Mais je voulais plus de lui. Je voulais entendre sa voix, l’écouter parler de tout et de rien.

Je me sentais comme illuminée au plus profond de moi. Comme si un puissant mélange d’hormones déferlait en moi à la vitesse de la lumière. Son autre main entoura ma nuque, attirant ma bouche vers la sienne. Son baiser jeta du kérosène sur mon feu intérieur. Il glissa sa langue dans ma bouche pour caresser la mienne, avant de titiller mes dents et mes lèvres. Je n’avais jamais rien ressenti d’aussi bon. Ses doigts caressèrent ma poitrine, me procurant des sensations merveilleuses qui me laissèrent pantelante. Mon Dieu, la chaleur de son torse nu… Je me cambrai pour pousser mes seins vers ses mains. J’en voulais plus. Sa main se dirigea ensuite vers mon dos, me pressant contre lui. Il était dur. Je le sentais à travers nos deux jeans. La pression que cela provoqua entre mes jambes

était divine. Extraordinaire.

— C’est ça…, murmura-t-il alors que je basculai mes hanches contre lui.

Nos baisers étaient ardents, avides. Sa bouche chaude caressait ma mâchoire, mon menton, mon cou. Il me suçota la nuque et tout en moi se contracta.

— David…

Il s’écarta pour me regarder, les pupilles dilatées. Aussi excité que moi. Merci mon Dieu, je n’étais pas la seule hors d’haleine. Un doigt traça lentement un chemin entre mes seins jusqu’à la ceinture de mon jean.

— Tu sais ce qui s’est passé ensuite.

Sa main glissa plus bas.

— Dis-le, Ev.

Comme j’hésitais, il se pencha vers moi et me mordilla le cou.

— Allez. Dis-le-moi.

Jamais une morsure ne m’avait fait autant d’effet, en pensée comme en action. Non pas qu’il y ait eu beaucoup d’action dans ma vie. Mais la sensation des dents de David contre ma peau me fit chavirer. Je fermai les yeux. Un peu à cause de la morsure et beaucoup parce que j’avais à prononcer les mots qu’il voulait entendre.

— Je ne l’ai fait qu’une fois.

— Tu es nerveuse. Ne sois pas nerveuse.

Il m’embrassa là où il venait de me mordre.

— Marions-nous, ajouta-t-il.

Mes paupières s’ouvrirent et je laissai échapper un petit rire de surprise.

— Je parie que ce n’est pas ce que tu as dit l’autre nuit.

— J’ai peut-être en effet été un peu inquiet par ton manque d’expérience. Et ça a peut-être été un sujet de tension.

Il me fit un petit sourire et embrassa le coin de ma bouche.

— Mais tout s’est bien terminé.

— Un sujet de tension ? Dis-moi ce qui s’est passé.

— On a décidé de se marier. Allonge-toi sur le lit.

Il m’attrapa les hanches, m’aida à descendre de ses genoux jusqu’au matelas. Mes mains glissèrent sur les draps frais. Je m’allongeai sur le dos, il retira rapidement mon jean avant de le jeter par terre.

Le lit ploya sous moi lorsqu’il s’agenouilla entre mes jambes. Je me sentais prête à imploser, mon cœur martelant ma poitrine, mais lui semblait parfaitement calme et maître de lui. Évidemment, il avait fait ça des dizaines de fois.

Probablement plus, avec les groupies et tout le reste. Des centaines ? Peut-être même des milliers ?

Je ne voulais vraiment pas y penser.

Il leva les yeux pour rencontrer les miens tandis qu’il passait les doigts sous ma culotte. Lentement, il me débarrassa du reste de mes vêtements. Je ressentis le besoin irrésistible de me couvrir et serrai le drap, frottant le tissu entre mes doigts.

Il retira son jean. Il n’y avait plus que le bruissement de ses vêtements. Il se déshabilla sans jamais cesser de me regarder sauf lorsqu’il se tourna vers la table de nuit pour en sortir un préservatif qu’il glissa discrètement sous l’oreiller.

Nu, David défiait toute description. « Beau » ne lui rendait pas justice. Il avait un corps magnifique mais il ne me laissa pas beaucoup de temps pour l’admirer.

Il remonta sur le lit et s’allongea à côté de moi, prenant appui sur un coude. Il me caressa la hanche.

Ses cheveux bruns masquaient son visage. Je voulais le voir. Il se pencha vers moi, m’embrassant, avec douceur cette fois, les lèvres et le visage. Ses cheveux effleurèrent ma peau.

— Où en étions-nous ? susurra-t-il.

— Nous venions de décider de nous marier.

— Ça, c’est parce que je viens d’avoir la meilleure nuit de ma vie. Pour la première fois depuis longtemps, je ne me suis pas senti seul. La simple idée de ne pas t’avoir à mon côté chaque nuit…

Sa bouche descendit vers mon cou.

— Je ne pouvais pas te laisser partir. Surtout après avoir appris que tu n’avais couché qu’avec un mec.

— Je croyais que ça t’avait dérangé ?

— Un peu, répondit-il en m’embrassant le menton. Mais tu étais visiblement prête à retenter l’expérience. Si j’avais été assez stupide pour te laisser partir, tu aurais pu rencontrer quelqu’un d’autre. Je ne supportais pas l’idée que tu baises avec un autre que moi.

— Oh.

— « Oh », exactement, acquiesça-t-il. En parlant de ça, pas de doutes à propos de ce que nous sommes sur le point de faire ?

— Aucun.

Beaucoup de nervosité mais pas de doutes.

La main sur ma hanche remonta vers mon ventre. Elle décrivit des cercles autour de mon nombril avant de plonger plus bas, me faisant frissonner.

— Tu es si belle, souffla-t-il. Et quand je t’ai mise au défi de renoncer à ton plan et de t’enfuir avec moi, tu as dit oui.

— Vraiment ?

— Vraiment.

— Merci mon Dieu.

Ses doigts caressèrent le haut de mon sexe avant de se diriger vers les muscles de mes cuisses bien serrées. Si je voulais que ça aille plus loin, j’allais devoir écarter les jambes. Je le savais. Bien sûr que je le savais. Mais le souvenir de la douleur de la dernière fois me faisait hésiter. Mes orteils

étaient recroquevillés et une crampe au mollet menaçait de se déclarer à cause de toute cette tension.

Ridicule. Tommy Byrnes était un connard sans délicatesse. Pas David.

— On peut y aller aussi doucement que tu le souhaites, me rassura-t-il comme lisant dans mes pensées. Fais-moi confiance, Ev.

Sa main chaude caressa ma cuisse tandis que sa langue explorait ma nuque. C’était merveilleux mais ça ne me suffisait pas.

— S’il te plaît…

Je tournai mon visage vers lui, cherchant sa bouche. Il plaqua ses lèvres contre les miennes, et toutes mes inquiétudes s’envolèrent. Embrasser David guérissait tous les maux. À son contact, la sensation de son corps contre le mien, le nœud de tension en moi se changea en quelque chose de doux. Un de mes bras était coincé sous moi mais je fis bon usage de l’autre, touchant toutes les parties de son corps auxquelles j’avais accès.

Lorsque je suçotai sa langue, il gémit et ma confiance grimpa en flèche. Sa main se glissa entre mes jambes. La simple pression de sa paume me fit voir des étoiles. J’interrompis notre baiser, haletante. Il me toucha, doucement d’abord, me laissant m’habituer à lui. Les choses que ses doigts pouvaient faire…

— Elvis ne pouvait pas être des nôtres, aujourd’hui.

— Quoi ? demandai-je, perplexe.

Il s’arrêta et mit deux doigts dans sa bouche, pour les humidifier ou me goûter, je ne savais pas.

Aucune importance. Il reposa aussitôt ses mains sur moi.

— Je n’avais envie de partager ça avec personne.

Il introduisit doucement le bout de son doigt en moi. Le retira avant de recommencer. Ce n’était pas aussi agréable que ses caresses mais ça ne faisait pas mal. Pas encore.

— Donc, pas d’Elvis. Je vais devoir poser moi-même les questions.

Je fronçai les sourcils, incapable de me concentrer sur ce qu’il était en train de dire. La recherche du plaisir dominait mon esprit. Peut-être parlait-il durant les préliminaires. S’il le voulait, j’étais plus que disposée à l’écouter plus tard.

Son regard s’attarda sur mes seins puis il en prit un dans sa bouche. Mon dos s’arqua, faisant pénétrer un peu plus ses doigts en moi. Il me caressa entre les jambes et le plaisir augmenta. Je frissonnai délicieusement. Lorsque je me touchais, c’était agréable, mais lorsque lui me touchait, c’était incroyable. Je savais qu’il était très doué à la guitare, mais là résidait son véritable talent.

— Mon Dieu, David.

Je me cambrai contre lui lorsqu’il passa à mon autre sein. Il introduisit un deuxième doigt en moi, un peu douloureux mais rien que je ne pouvais supporter. Pas tant qu’il laissait sa bouche sur moi et

était aux petits soins pour mes seins. Son pouce s’attarda sur un point sensible et mes yeux se révulsèrent. J’étais tout près. Le plaisir qui montait en moi était stupéfiant. Renversant. Mon corps allait bientôt exploser.

S’il arrêtait, j’allais pleurer. Pleurer et supplier. Et peut-être tuer.

Heureusement, il n’arrêta pas.

Je jouis en gémissant, chacun de mes muscles crispés. C’était presque trop. Presque. Je flottais, mon corps sans énergie, rassasié pour toujours. Ou au moins jusqu’à la prochaine fois.

Lorsque je rouvris les yeux, il attendait. Il déchira le préservatif avec ses dents avant de le dérouler sur son sexe. J’avais à peine repris mes esprits qu’il s’étendit sur moi.

— C’était bon ? demanda-t-il avec un sourire de satisfaction.

Je ne fus capable que d’un vague hochement de tête.

Il fit peser la majeure partie de son poids sur ses coudes, son corps me pressant contre le lit. J’avais remarqué qu’il aimait utiliser sa taille à notre avantage à tous les deux. Il n’y avait rien d’ennuyeux ou d’étouffant dans cette position. Je ne sais pas pourquoi je m’étais imaginé ça. À l’arrière de la voiture des parents de Tommy Byrnes, j’avais été à l’étroit et mal à l’aise, mais être sous David, sentir la chaleur de sa peau contre la mienne, c’était parfait. Et il n’y avait aucun doute quant à son envie.

J’attendis qu’il entre en moi.

Toujours rien.

Il effleura mes lèvres avec les siennes.

— Acceptez-vous, Evie Jennifer Thomas, de rester mariée à moi, David Vincent Ferris ?

Oh, voilà donc le Elvis dont il parlait. Celui qui nous avait mariés. Je repoussai ses cheveux, j’avais besoin de voir ses yeux. J’aurais dû lui demander de les attacher. Impossible de savoir s’il était sérieux.

— Tu veux vraiment faire ça maintenant ? demandai-je, un peu déconcertée.

Ça, je ne l’avais pas vu venir.

— Absolument. Nous allons renouveler nos vœux, et tout de suite.

— Oui ?

Il inclina la tête, les yeux plissés et l’air visiblement peiné.

— « Oui » ? Tu n’es pas sûre ?

— Non. Enfin je veux dire, si.

Je réitérai, plus clairement.

— Oui. J’en suis sûre. Vraiment.

— Putain, merci mon Dieu.

Sa main fouilla sous l’oreiller et ressortit avec une bague, ma bague, entre les doigts.

— Ta main.

Je la lui tendis et il glissa l’anneau à mon doigt. Je souris à m’en faire mal aux joues.

— Tu as dit oui, toi aussi ?

— Oui.

Il m’embrassa avec force. Sa main glissa de nouveau sur ma hanche, mon ventre, puis entre mes jambes. C’était encore sensible et mouillé. Ses baisers avides et la façon dont il me touchait m’assurèrent que ça ne le gênait pas, bien au contraire.

Il s’étendit sur moi et frotta son érection contre mon sexe. On y était. Et soudain, merde, impossible de me détendre. Le souvenir de la douleur de la dernière fois me frappa de plein fouet. Peu importait combien j’étais mouillée si mes muscles ne se décrispaient pas. Je haletai, mes cuisses serrant ses hanches. Son sexe était dur et gros, et ça faisait mal.

— Regarde-moi.

Le bleu de ses yeux s’était assombri, sa mâchoire serrée. Sa peau moite luisait dans la pénombre.

— Hé…

— Hé…, répondis-je dans un murmure.

— Embrasse-moi.

Il se pencha et je l’embrassai, ma langue avide explorant sa bouche. Doucement, il bascula contre moi, s’enfonçant plus profondément en moi. La pulpe de son pouce décrivit des cercles autour de mon clitoris, neutralisant la douleur. Celle-ci s’atténua, s’approchant plus d’une légère gêne avec une pointe de plaisir. Pas de problème. Ça, je pouvais le supporter.

Ses mains remontèrent de mes cuisses à mes fesses. Il m’attira contre lui, s’enfonça encore un peu plus et me pénétra lentement jusqu’à être totalement enfoui en moi. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas assez de place en moi pour lui.

— Tout va bien, murmura-t-il.

Facile à dire pour lui.

Merde.

Nous demeurâmes immobiles, nos corps enlacés. Mes bras étaient si serrés autour de sa tête que je ne savais pas comment il pouvait respirer. Il arriva quand même à tourner son visage pour embrasser mon cou et lécher la sueur sur ma peau. Puis il remonta vers ma mâchoire et ma bouche. Je relâchai un peu mon étreinte.

— C’est ça. Essaie de te détendre.

Je hochai la tête de manière saccadée.

— Tu es si belle, et c’est si bon d’être en toi.

Sa main robuste caressait ma poitrine, ses doigts étreignaient mes hanches. Mes muscles se détendirent progressivement alors que mon corps s’habituait à sa présence. Chaque fois qu’il me touchait et me susurrait des mots doux, la douleur s’estompait un peu plus.

— C’est bon, finis-je par dire, les mains sur ses biceps. Tout va bien.

— Non, c’est plus que bon. C’est extraordinaire.

Je lui fis un sourire béat. Il savait vraiment parler aux femmes.

— Ça veut dire que je peux bouger ? demanda-t-il.

— Oui.

Il s’enfonça lentement en moi, puis de plus en plus vite alors que mon corps s’habituait peu à peu à

lui. Nous étions vraiment en train de faire la chose. Impossible d’être plus proche physiquement.

J’étais tellement heureuse que ce soit lui. Lui, et pas un autre.

Tommy avait duré deux secondes. Assez de temps pour déchirer mon hymen et me faire mal.

David, lui, me touchait, m’embrassait, prenait son temps. Peu à peu, la douce chaleur, cette sensation de pression qui montait en moi, m’envahit de nouveau. Il était doux, tendre, me nourrissant de longs baisers humides. Il allait et venait voluptueusement en moi. Il me regardait intensément, jaugeant ma réaction à chacun de ses gestes.

Je finis par me cramponner à lui en jouissant fort. C’était comme si les feux d’artifice du 4 Juillet explosaient en moi, chauds, brillants et parfaits. Je bégayai son nom et il s’enfonça une dernière fois en moi. Il poussa un long râle et tout son corps trembla. Il enfouit son visage dans mon cou, son souffle réchauffant ma peau.

Nous l’avions fait.

Waouh.

Ça faisait un peu mal. Les gens avaient raison sur ce point-là. Mais rien à voir avec la dernière fois.

Il se retira doucement et s’écroula sur le lit à côté de moi.

— On l’a fait, murmurai-je.

Il ouvrit les yeux. Sa poitrine était toujours haletante. Après un moment, il roula sur le côté pour me faire face. Il n’existait pas d’homme plus merveilleux. Ça, j’en étais convaincue.

— Oh oui. Ça va ?

— Oui.

Je me rapprochai, recherchant la chaleur de son corps. Il passa un bras par-dessus ma taille, m’attirant à lui. Me faisant savoir que j’étais désirée. Nos visages n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.

— C’était tellement mieux que ma première fois. Je crois que j’aime le sexe, finalement.

— Tu ne peux pas savoir à quel point je suis soulagé d’entendre ça.

— Tu étais nerveux ?

Il rit doucement en se rapprochant un peu plus.

— Pas autant que toi. Je suis heureux que tu aies aimé.

— J’ai adoré. Tu as décidément de nombreux talents.

Il sourit, non sans une certaine fierté.

— Tu ne vas pas prendre la grosse tête maintenant, j’espère.

— Je n’oserais pas. Je vous fais confiance pour m’aider à garder les pieds sur terre, madame

Ferris.

— Madame Ferris…, répétai-je sans cacher mon émerveillement.

— Mmm.

Ses doigts caressèrent mon visage. J’attrapai sa main nue pour l’examiner.

— Tu n’as pas d’alliance.

— Non, en effet. Il va falloir y remédier.

— Tout à fait.

Il sourit.

— Bonjour, madame Ferris.

— Bonjour, monsieur Ferris.

Il n’y avait pas assez de place en moi pour tous les sentiments qu’il m’inspirait.

Loin de là.

11

Nous passâmes l’après-midi dans le studio d’enregistrement avec Tyler et Mal. Lorsque David ne jouait pas, il me prenait sur ses genoux. Lorsqu’il était occupé à la guitare, je l’écoutais, éperdue d’admiration devant son talent. Il ne chanta pas, aussi n’en appris-je pas plus sur les paroles. Mais la musique était magnifique, brute. Mal, visiblement ravi de ces nouvelles compositions, bougeait la tête en rythme.

Tyler, un sourire radieux aux lèvres, manipulait la console dernier cri.

— Rejoue ce lick, Dave.

Mon mari hocha la tête et ses doigts remuèrent sur les cordes, créant de la magie.

Pendant que David et moi étions occupés à l’étage, Pam avait commencé à déballer les cartons. Je lui proposai un coup de main en début de soirée. Qu’elle me le demande ou non, ce n’était pas juste de la laisser faire ça toute seule. De plus, cela satisfaisait mon besoin d’organisation. Je me faufilais de temps en temps au sous-sol pour voler quelques baisers à David avant de remonter l’aider. Les hommes, eux, restèrent plongés dans la musique. Ils venaient parfois chercher à boire et à manger mais ne s’attardaient pas.

— C’est toujours comme ça lorsqu’ils enregistrent. Ils perdent toute notion du temps, trop pris par la musique. Tu n’imagines pas le nombre de dîners que Tyler a ratés simplement parce qu’il avait oublié ! me dit Pam en déballant le dernier carton. C’est leur boulot mais aussi leur premier amour, continua-t-elle en époussetant un bol d’inspiration asiatique. Tu sais, comme cette ex-copine qui reste dans les parages et appelle ivre à n’importe quelle heure du jour et de la nuit en leur demandant de rappliquer.

Je ris.

— Comment fais-tu pour supporter de ne jamais passer en premier ?

— C’est une question d’équilibre. La musique est une partie d’eux que tu dois accepter, mon chou.

Vouloir la combattre serait voué à l’échec. As-tu déjà été vraiment passionnée par quelque chose ?

— Non, répondis-je en toute honnêteté en examinant un étrange instrument à cordes. J’aime la fac.

J’aime être serveuse, c’est un job super. J’aime vraiment les gens. Mais je ne me vois pas servir du café toute ma vie. (Je m’arrêtai, en grimaçant.) Mon Dieu, on dirait mon père. Oublie ce que je viens de dire.

— Tu peux très bien servir du café toute ta vie, si c’est ce que tu veux. Mais ça peut prendre du temps de trouver ce qui te plaît vraiment. Il n’y a pas le feu. Moi, je suis photographe dans l’âme.

— C’est génial.

Pam sourit mais son regard se fit rêveur.

— C’est comme ça que Tyler et moi nous sommes rencontrés. J’étais partie quelques jours en tournée avec le groupe dont il faisait partie à l’époque. J’ai fini par les suivre en Europe. Nous nous sommes mariés à Venise à la fin de la tournée et nous ne nous sommes plus jamais quittés.

— C’est une histoire formidable.

— Ouais, soupira Pam. C’était une période formidable.

— Tu as étudié la photo ?

— Non, c’est mon père qui m’a tout appris. Il travaillait pour National Geographic. Il m’a mis un appareil dans les mains quand j’avais six ans et j’ai refusé de le lui rendre. Le lendemain, il m’en achetait un d’occasion. Je l’emportais partout. Tout ce que je voyais, c’était à travers son objectif.

Enfin, tu vois ce que je veux dire… Le monde prenait sens lorsque je le regardais de cette façon. Il paraissait plus beau, plus vivant.

Elle sortit quelques livres d’un carton et les posa sur une étagère agencée dans le mur. Nous l’avions déjà remplie à moitié avec divers livres et bibelots.

— Tu sais, David est sorti avec beaucoup de filles ces dernières années. Mais, avec toi, il est différent. Je ne sais pas… La façon qu’il a de te regarder, je trouve ça adorable. C’est la première fois en six ans qu’il amène quelqu’un ici.

— Pourquoi cet endroit est-il resté inhabité si longtemps ?

Le sourire de Pam disparut et elle évita mon regard.

— Il voulait que cette maison devienne son refuge, mais les choses ont changé. Le groupe commençait à avoir beaucoup de succès. J’imagine que les choses sont devenues compliquées. Il te l’expliquera mieux que moi.

— D’accord, répondis-je, intriguée.

Elle s’accroupit de nouveau et regarda autour d’elle.

— Assez travaillé ! Nous n’avons pas arrêté de la journée. Je crois que nous avons mérité une pause.

— Je suis d’accord !

Près de la moitié des cartons étaient ouverts. Les objets qui n’avaient pas encore trouvé leur place

étaient alignés le long d’un mur. On avait livré un immense canapé noir qui s’accordait parfaitement avec la maison et son propriétaire. Avec ces tapis, ces photos et ces instruments éparpillés, l’endroit commençait presque à ressembler à un véritable foyer. Je me demandai si David apprécierait. Je nous imaginais sans peine passer du temps ici tous les deux lorsque je n’aurais pas cours. Ou peut-être passerions-nous nos vacances en tournée. Notre avenir était une perspective éblouissante, pleine de promesses.

En attendant, je n’avais toujours pas rappelé Lauren. Ma culpabilité grandissait mais je n’avais pas très envie de devoir expliquer la situation ou d’avouer la profondeur des sentiments que j’éprouvais pour David.

— Allez viens, on va aller manger un morceau en bas de la rue. Le bar sert les meilleurs travers de porc que tu aies jamais mangés. Tyler les adore.

— Super idée. Je vais les prévenir qu’on sort. Il faut que je me change ?

Je portais mon jean noir, un débardeur et une paire de Converse. Les seules chaussures que j’avais pu trouver, parmi les achats de Martha, qui n’aient pas de talons vertigineux. Pour une fois, j’avais presque une dégaine rock’n’roll. Pam portait un jean, une chemise blanche et un gigantesque plastron turquoise autour du cou. Sur le papier, c’était simple, mais elle était absolument éblouissante.

— Tu es très bien. Ne t’inquiète pas, c’est très décontracté.

— O.K.

On entendait toujours de la musique qui montait du studio. Lorsque je descendis, la porte était fermée et la lumière rouge allumée. Je vis Tyler un casque autour du cou, affairé derrière la console.

Avec toute l’excitation de ces derniers jours, j’avais oublié de recharger mon portable. De toute façon, je n’avais pas le numéro de David et n’aurais pas pu lui envoyer de message. Je n’osai pas les déranger et préférai laisser un mot sur le plan de travail de la cuisine. Mais nous n’en avions pas pour longtemps. David ne remarquerait probablement même pas notre absence.

Le bar était un superbe restaurant traditionnel en bois avec un immense juke-box et trois tables de billard. Lorsque nous entrâmes, le personnel salua Pam. En revanche, personne ne sembla faire attention à moi. Quel soulagement ! L’endroit était bondé. Quel plaisir de se retrouver avec des gens, de me fondre dans la foule. Pam avait téléphoné mais notre commande n’était pas encore prête.

Apparemment, à la cuisine, on était aussi débordé qu’au bar. Nous prîmes un verre et nous installâmes pour attendre. C’était un endroit très agréable, bon enfant. On entendait beaucoup de rires et de la musique country s’échappait du juke-box. Mes doigts battirent la mesure.

— Viens danser, me dit-elle en m’attrapant la main pour m’entraîner sur la piste de danse.

Ça faisait du bien de se laisser aller. Après Sugarland, on passa du Miranda Lambert et je levai les bras, ondulant au son de la musique. Un type arriva derrière moi et posa les mains sur mes hanches mais recula d’un pas lorsque je secouai la tête avec un sourire. Il me sourit en retour et continua de danser, sans s’éloigner pour autant. Un homme fit virevolter Pam qui cria de joie. Ils semblaient bien se connaître.

Lorsque le type à côté de moi se rapprocha un peu plus près, je ne m’y opposai pas. Il garda ses mains près de lui et cela resta parfaitement amical. Je ne connaissais pas la chanson suivante mais elle avait un bon tempo et nous continuâmes à danser. La sueur perlait sur ma peau et mes cheveux me collaient au visage. Puis ils passèrent du Dierks Bentley. Depuis mes douze ans, j’avais un gros béguin pour lui, plus pour ses beaux cheveux blonds que pour sa musique, d’ailleurs. Mon amour pour lui était inavouable.

Le type n°1 s’en alla et un autre prit sa place, glissant un bras autour de ma taille en essayant de m’attirer à lui. Je posai mes mains contre son torse et le repoussai, lui adressant le même sourire et petit mouvement de tête qui avait marché avec le précédent. Malgré son grand chapeau, il devait faire

à peu près ma taille mais il était très charpenté et empestait la cigarette.

— Non, merci. Désolée.

— Ne sois pas désolée, poupée, hurla-t-il dans mon oreille en me cognant le front avec son chapeau. Danse avec moi.

— Lâchez-moi.

Il sourit et ses mains vinrent violemment claquer mes fesses. Ce connard se mit ensuite à se frotter contre moi.

— Hé ! protestai-je en le repoussant violemment. Laissez-moi tranquille !

— Chérie…

L’obsédé se pencha pour m’embrasser, heurtant de nouveau mon nez avec son chapeau. C’est que

ça faisait mal, en plus ! Une bouffée de haine m’envahit. Si seulement je pouvais foutre un coup de genou dans l’entrejambe de cet abruti. Ou le faire pleurer sa mère. Une perspective qui me convenait

également.

J’enfonçai mon pied entre ses jambes, me rapprochant de mon objectif. Encore un peu…

— Laisse-la tranquille.

David apparut miraculeusement à côté de nous, la mâchoire tressautant. Oh, merde. Il avait l’air prêt à tuer.

— Attends ton tour, rétorqua le cow-boy en collant son bassin contre moi.

Mon Dieu, il était répugnant. J’allais peut-être vomir. Il l’aurait bien mérité.

David grogna. Puis il attrapa le chapeau du type et le balança à travers la foule. Les yeux du gars s’agrandirent comme des soucoupes et ses mains me lâchèrent.

Je reculai d’un pas, enfin libre.

— David…

Il me regarda et le cow-boy en profita pour lui décocher un coup. Son poing heurta la mâchoire de

David dont la tête partit en arrière. Il chancela. Le cow-boy plongea sur lui. Ils atterrirent violemment par terre au milieu de la piste de danse. Les poings volaient. Les pieds frappaient. J’arrivais à peine à

voir qui faisait quoi. Les gens formèrent un cercle autour d’eux pour les regarder mais personne ne faisait rien pour les arrêter. Du sang jaillit. Les deux hommes roulèrent au sol et David prit le dessus.

Puis, aussi vite, il perdit de nouveau l’avantage. Mon cœur battait dans mes oreilles. La violence était saisissante. Nathan avait l’habitude de se bagarrer après l’école et j’avais toujours détesté ça. Le sang, la poussière, la rage aveugle.

Mais je ne pouvais pas rester plantée là, tétanisée. Pas question.

Une main puissante m’attrapa le bras, m’arrêtant dans mon élan.

— Non, fit Mal.

Puis, lui et deux autres types intervinrent. Le soulagement m’envahit. Mal et Tyler empoignèrent

David tandis que les deux autres maîtrisaient l’imbécile au visage couvert de sang qui réclamait son chapeau à cor et à cri.

Ils sortirent David du bar de force mais il continua à donner des coups de pied dans les airs, essayant de revenir au combat. Il se débattait toujours jusqu’à ce qu’ils le jettent contre la grosse Jeep noire de Mal.

— Laisse tomber ! hurla Mal. C’est terminé.

David s’affala contre le véhicule. Du sang s’écoulait de sa narine. Même dans l’obscurité, son visage avait l’air enflé, déformé. Pas autant que l’autre type, mais quand même.

— Tu vas bien ? demandai-je en me rapprochant pour évaluer l’étendue des dégâts.

— Super, répondit-il les yeux rivés au sol. On y va.

Il se releva avec difficulté, fit le tour et ouvrit la portière côté passager avant de grimper dans la voiture. Pam et Tyler se dirigèrent vers leur voiture en marmonnant un au revoir. Sur les marches menant au bar, quelques badauds nous observaient. Un type tenait une batte de base-ball en l’air, comme s’il s’attendait que ça dégénère de nouveau.

— Ev. Monte dans la voiture, m’ordonna Mal en ouvrant la portière arrière. Allez, viens. Les flics pourraient débarquer. Ou pire.

Le pire étant les journalistes. Je le savais à présent. Cet incident allait faire les gros titres en moins de deux.

Je m’exécutai.

12

Nous étions à peine arrivés à la maison que Mal disparut. David monta d’un pas lourd l’escalier qui menait à notre chambre. Enfin, était-ce vraiment la nôtre ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais je le suivis. Une fois à l’intérieur, il se tourna pour me faire face, une expression féroce sur le visage :

ses sourcils étaient froncés et ses lèvres ne formaient plus qu’une ligne dure.

— Tu appelles ça nous donner une chance ?

Ah ouais, quand même. Je me léchai les lèvres, m’accordant un délai.

— J’appelle ça aller chercher de quoi manger. Il y avait du retard en cuisine, alors on a pris une bière. La musique nous plaisait et nous avons décidé de danser un peu. Rien de plus.

— Ce type était en train de te peloter.

— Et j’étais sur le point de lui balancer un coup dans les couilles.

— Tu es partie sans prévenir ! cria-t-il.

— Ne me hurle pas dessus, dis-je en m’efforçant de rester posée. Je t’ai laissé un mot dans la cuisine.

Il agita les mains dans les airs, essayant visiblement de recouvrer son calme.

— Je ne l’ai pas vu. Pourquoi tu n’es pas venue me le dire ?

— La lumière rouge était allumée. Vous étiez en train d’enregistrer et je n’ai pas voulu vous déranger. On ne s’absentait pas longtemps.

Le visage meurtri et furieux, il s’éloigna un peu avant de faire demi-tour. Faire les cent pas ne le calmait pas, apparemment. Mais, au moins, il essayait. Pas évident de gérer un tel tempérament.

— J’étais inquiet. Tu n’avais même pas pas ton portable avec toi, je l’ai retrouvé sur la table. Et

Pam ne répondait pas au sien.

— Je suis désolée.

Je tendis les mains, à court d’excuses.

— J’avais oublié de recharger mon téléphone. Ça arrive. Je ferai plus attention, à l’avenir. Mais,

David, tout va bien. J’ai quand même le droit de sortir de la maison.

— Merde. Je sais. Mais j’ai…

— Tu fais ce que tu aimes et c’est super.

— C’était une espèce de punition ? C’est ça ?

— Non ! Bien sûr que non.

Je soupirai. Sans bruit.

— Alors tu n’étais pas en train d’essayer de te faire draguer ?

— Je vais faire comme si tu n’avais pas dit ça.

Je n’excluais pas de le frapper. Je gardai mes poings serrés le long de mon corps, résistant à la tentation.

— Pourquoi l’as-tu laissé te toucher ?

— Tu n’y es pas du tout. Je lui ai demandé de se pousser ; il a refusé. Et tu es arrivé.

Je me frottai la bouche, sur le point de perdre patience.

— On tourne en rond, là. On devrait peut-être en reparler quand tu te seras calmé.

Les mains tremblantes, je me dirigeai vers la porte.

— Tu t’en vas ? Putain, c’est le comble ! s’exclama-t-il en se jetant sur le lit, puis un rire totalement dépourvu de joie s’échappa de sa bouche. Et moi qui croyais qu’on devait rester ensemble…

— Quoi ? Non. Je n’ai pas envie de me disputer avec toi, David. Je descends avant qu’on se dise des choses qu’on regretterait ensuite. C’est tout.

— Va-t’en, dit-il d’une voix dure. Je m’y attendais, de toute façon.

— C’est pas vrai ! grondai-je en me retournant vers lui.

L’envie de lui crier dessus, de donner un sens à tout ça, bouillonnait en moi.

— Est-ce que tu écoutes au moins ce que je te dis ? Tu m’écoutes ? Je ne te quitte pas. D’où ça sort,

ça ?

Il ne répondit pas et me fusillait toujours du regard. Non, décidément, ça n’avait aucun sens.

Je faillis tomber en me précipitant vers lui. Me casser la figure serait la cerise sur le gâteau. Je ne comprenais même plus pourquoi nous nous disputions.

— À qui tu me compares, là ? demandai-je, à présent aussi en colère que lui. Parce que je ne suis pas elle.

Il continua à me regarder fixement.

— Alors ?

Ses lèvres restèrent fermées ; ma frustration et ma colère grimpèrent en flèche. J’avais envie de l’attraper et de le secouer. Lui faire avouer quelque chose, n’importe quoi. Le pousser à me dire ce qui était réellement en jeu.

Je m’agenouillai sur le lit, lui faisant face.

— David, parle-moi !

Rien.

Génial.

Les jambes tremblantes, je reculai et essayai de descendre du matelas. Il m’attrapa les bras pour me retenir. Je tentai de me dégager. Nos membres entremêlés, nous dégringolâmes du lit et atterrîmes sur le sol. Son dos heurta le plancher. Immédiatement, il nous fit rouler et se mit à califourchon sur moi.

Mon cœur battait à cent à l’heure. Je le repoussai, le frappai et luttai avec toute la tristesse qu’il m’inspirait. Avant qu’il n’ait eu le temps de retrouver ses esprits, je roulai de nouveau, reprenant l’avantage. Il ne pouvait pas m’arrêter, ce salaud. La fuite était imminente.

Mais ça n’arriva pas.

David m’attrapa le visage à deux mains et écrasa violemment ses lèvres sur les miennes. J’ouvris la bouche et sa langue s’y glissa. Notre baiser était brutal et mouillé. Je ne pouvais plus respirer. Nous avions tous les deux du mal à gérer notre colère et aucun de nous ne s’abstint totalement de mordre.

Avec sa bouche meurtrie, il avait plus à perdre que moi. Bientôt, le goût métallique du sang envahit ma langue.

Il se recula avec un sifflement, du sang frais sur sa lèvre supérieure enflée.

— Merde.

Il m’attrapa les mains. Je ne lui rendis pas la tâche facile, me débattant de toutes mes forces. Mais il

était plus fort. Il les immobilisa au sol au-dessus de ma tête sans difficulté. La sensation de son

érection entre mes jambes était exquise, grisante. Et plus je me débattais, meilleur c’était. Une poussée d’adrénaline me parcourut, m’électrifiant. Je le voulais en moi. Ma peau picotait, hypersensible.

C’était du sexe en colère. O.K. Je ne pouvais me résoudre à lui faire mal, pas vraiment. Mais il y avait d’autres façons de m’affirmer dans cette situation. Lorsque sa bouche s’abattit de nouveau sur la mienne, je le mordis en signe d’avertissement.

Un sourire de dément se dessina sur son visage. Probablement identique au mien. Nous étions hors d’haleine. Aussi têtus l’un que l’autre. Sans un mot, il relâcha mes poignets et recula. Il m’attrapa par les hanches et me mit à quatre pattes. Des mains brutales arrachèrent le bouton et la fermeture Éclair de mon jean. Il tira dessus d’un coup sec ainsi que sur le string hors de prix, et colla son corps au mien.

Il me caressa les fesses. Des dents mordillèrent la peau sensible juste au-dessus de mon tatouage.

Une main se glissa en dessous pour entourer mon sexe. La pression de ses doigts contre moi me fit voir des étoiles. Lorsqu’ils commencèrent à me caresser, je ne pus retenir un gémissement. Il me mordit la fesse puis déposa des baisers le long de ma colonne vertébrale. Sa barbe de deux jours me piqua l’épaule.

L’absence de mots, le silence absolu hormis nos deux souffles rauques rendaient les choses plus intenses. Différentes.

Il introduisit un doigt en moi. Ce n’était pas assez, encore, par pitié. Il en glissa un deuxième, m’étirant un peu. Une fois, deux fois, il les fit lentement aller et venir en moi. Avide, je basculai mes hanches contre sa main. Puis me parvint le bruit du tiroir de la table de nuit alors qu’il cherchait un préservatif. Lorsqu’il retira ses doigts, le vide fut insoutenable. J’entendis sa fermeture Éclair qui se baissait, le bruissement des vêtements et le froissement du papier d’emballage. Puis il pressa son sexe contre moi, frôlant le mien. Il s’enfonça avec une lenteur exquise, m’emplissant jusqu’à ce qu’il ne reste rien d’autre que lui et moi. Il s’arrêta soudain, me laissant m’habituer.

Mais pas pour longtemps.

Ses mains agrippèrent mes hanches et il se mit à aller et venir. Chaque coup de rein un peu plus rapide et puissant que le précédent. Nos respirations haletantes et le claquement de sa peau contre la mienne avalèrent le silence. L’odeur du sexe emplissait l’air. J’allai à sa rencontre, lui rendant coup de rein pour coup de rein. Rien à voir avec nos doux ébats de la matinée. Aucun de nous n’était tendre.

Mon jean m’entravait aux genoux, me faisant glisser en avant un peu plus à chaque mouvement. Ses doigts s’enfoncèrent dans mes hanches pour me maintenir en place. Il caressa quelque chose en moi et je lâchai un hoquet de surprise. Encore et encore, il se concentra sur cet endroit jusqu’à m’en faire perdre la tête. La chaleur m’envahit, comme si un feu m’embrasait de l’intérieur. La sueur perlait sur ma peau. Je renversai la tête en arrière, fermai les yeux et m’agrippai au sol de toutes mes forces. Je criai son prénom, malgré moi. Mon corps ne m’appartenait plus. Je jouis en hurlant, submergée de sensations. Mon dos s’arqua, tous mes muscles se tendirent.

David continua, les mains glissant sur ma peau en sueur. Puis il jouit à son tour, en silence, et s’immobilisa en moi. Il posa sa tête contre mon dos et enroula ses bras autour de mon corps épanoui.

J’avais perdu tout équilibre. Lentement, je glissai au sol. S’il ne m’avait pas tenue, j’aurais fini face contre terre. Et je crois que je ne m’en serais même pas aperçue.

Il me souleva, me porta dans la salle de bains et m’assit sur le lavabo. Il retira le préservatif avant de faire couler un bain, une main sous le robinet pour vérifier la température. Il me déshabilla comme une enfant, retirant mes baskets, mes chaussettes, mon jean et ma culotte. Il fit passer mon T- shirt par-dessus ma tête et dégrafa mon soutien-gorge. Il se débarrassa de ses vêtements avec bien moins de soin. Je me sentis étrangement nue tout à coup. Il était si délicat avec moi. Il me manipulait comme si j’étais précieuse. Comme une poupée en porcelaine. Une poupée avec laquelle il pouvait coucher sauvagement à l’occasion. Il vérifia de nouveau la température de l’eau avant de me porter dans le bain.

Je me blottis contre lui. J’avais froid à présent et mes dents se mirent à claquer. Il me serra plus fort, posant sa joue contre la mienne.

— Excuse-moi si j’ai été trop brutal, finit-il par dire. Je ne voulais pas t’accuser comme ça. J’étais simplement… Merde. Je suis désolé.

— La brutalité ne m’a pas dérangée, mais le manque de confiance… Il va falloir que nous en discutions, un de ces jours.

Je posai ma tête contre son épaule en regardant ses yeux inquiets. Son menton tressauta lorsqu’il hocha la tête, tendu.

— Mais là, tout de suite, j’aimerais parler de Las Vegas, poursuivis-je.

Les bras qui m’entouraient se resserrèrent.

— Je t’écoute.

Je le regardai de nouveau, cherchant mes mots. Je ne voulais pas tout gâcher, quoi qu’il y ait entre nous.

Les liens du mariage, voilà ce qu’il y avait entre nous.

— On a progressé ces vingt-quatre dernières heures, commençai-je.

— Oui, c’est vrai.

Je regardai ma main, la bague étincelante. La taille du diamant ne comptait pas. Que David me l’ait passée au doigt, voilà ce qui importait.

— On a parlé de beaucoup de choses. On a couché ensemble et on s’est fait des promesses, des promesses importantes.

— Tu le regrettes ?

Ma main glissa autour de sa nuque.

— Non. Pas du tout. Mais si jamais tu te réveillais demain matin en ayant tout oublié ? Si tout ça avait disparu, comme si ça n’avait jamais existé, je serais furieuse contre toi.

Son front se plissa.

— Je te détesterais d’avoir oublié tout ça alors que ça représente tant pour moi, continuai-je.

Il se lécha les lèvres et ferma le robinet avec son pied. Sans le bruit de l’eau, la pièce devint soudain très silencieuse.

— Ouais, dit-il. J’étais en colère.

— Je ne te laisserai plus jamais tomber comme ça.

Dans mon dos, sa poitrine se souleva rapidement.

— O.K.

— Je sais que ça prend du temps d’apprendre à faire confiance à quelqu’un. Mais, en attendant, j’ai besoin que tu me laisses au moins le bénéfice du doute.

— Je sais.

Deux yeux bleus méfiants me regardaient.

Je me redressai et attrapai le gant de toilette sur le bord de la baignoire.

— Laisse-moi te nettoyer un peu.

Une bosse sombre sur sa mâchoire. Du sang coagulé sous son nez et autour de sa bouche. Il était dans un sale état. Sur ses côtes s’étalait une grosse marque rouge.

— Tu devrais voir un médecin.

— Rien de cassé.

Délicatement, j’essuyai les traces sur son visage. Le voir souffrir était atroce. Savoir que j’en étais la cause me prenait aux tripes.

— Dis-moi si j’appuie trop fort.

— Tu fais ça très bien.

— Je suis désolée que tu aies été blessé. Au bar, ce soir, et à Vegas. Je ne voulais pas te faire de mal.

Ses yeux s’adoucirent et ses mains m’effleurèrent.

— Je veux que tu rentres avec moi à Los Angeles. J’ai besoin de toi. Je sais que la fac va bientôt reprendre et qu’on va devoir trouver une solution. Mais, quoi qu’il arrive, je ne veux pas qu’on soit séparés.

— Ça n’arrivera pas.

— Promis ?

— Promis.

13

La lumière matinale me réveilla. Je roulai sur le côté et m’étirai. À côté de moi, profondément endormi, David était allongé sur le dos, un bras sur le visage. Jamais je ne m’étais sentie aussi bien. Il avait repoussé le drap pendant la nuit, m’offrant une vue imprenable. Alors comme ça, la gaule matinale n’était pas une invention. Tiens, tiens. Lauren avait raison sur ce point.

Me réveiller à côté de lui, l’alliance de nouveau à mon doigt, me fit sourire comme une imbécile.

Évidemment, se réveiller à côté d’un David à moitié nu aurait fait sourire n’importe qui. Mon entrejambe était encore un peu endolori à cause de nos prouesses de la nuit dernière, mais rien de très méchant. Pas suffisant pour me distraire de la vision de mon époux, en tout cas.

Je traînai encore un peu au lit, l’observant à loisir pour une fois. Il n’avait pas vraiment de nombril, il s’agissait plutôt d’une petite bosse suivie d’une fine traînée de poils bruns qui allait de son ventre plat à ça. Et c’était dur, gros et long.

« Ça » étant son pénis, évidemment.

Non, ça ne sonnait pas bien.

Sa bite. Ouais, beaucoup mieux.

La nuit dernière, sur son insistance, nous étions restés longtemps à nous prélasser dans le bain chaud. Nous avions simplement discuté. C’était très agréable. Jamais il n’avait évoqué la femme qui l’avait manifestement trompé et / ou quitté dans le passé. Mais j’avais senti son spectre, omniprésent.

Le temps finirait pas la reléguer aux oubliettes, j’en étais sûre.

Il embaumait légèrement le savon, un peu musqué, peut-être. Je n’avais jamais remarqué que la chaleur avait une odeur mais c’était ce qui se dégageait de David. La chaleur. Comme un rayon de soleil. Chaleur et réconfort.

Sous son bras, ses yeux étaient toujours fermés, Dieu merci. Sa poitrine se levait et s’abaissait de façon régulière. Je n’avais vraiment pas besoin qu’il me surprenne en train de renifler son entrejambe, si poétiques fussent mes pensées. Ça aurait été particulièrement embarrassant…

La peau semblait très lisse malgré les veines, et le gland se détachait distinctement. Il n’était pas circoncis. La curiosité eut raison de moi. Son corps nu à ma disposition me mettait dans tous mes

états. Je posai doucement la paume de ma main sur son érection matinale. La peau était douce et chaude. J’enroulai prudemment mes doigts autour de son sexe qui se contracta. Je sursautai de surprise.

David éclata de rire.

L’enfoiré.

La honte était une digue qui céda en moi. La chaleur me monta au visage.

— Pardon, dit-il en avançant une main vers moi. Mais tu aurais dû voir ta tête.

— C’est pas drôle.

— Bébé, tu n’imagines pas à quel point c’était drôle.

Il enroula ses doigts autour de mon poignet, m’attirant à lui.

— Viens par là. Oh, le bout de tes oreilles est tout rouge.

— C’est faux, marmonnai-je en m’allongeant sur son torse.

Il me caressa le dos sans cesser de ricaner.

— Ne laisse pas cet incident te traumatiser à vie, hein ? J’aime quand tu me touches.

Je levai les yeux au ciel.

— Tu sais, si tu joues avec ma bite, il y aura toujours une réaction. Je te le garantis.

— Je sais.

Le creux de son cou était pratique pour cacher mon visage brûlant.

— J’ai été surprise, c’est tout.

— Ça, c’est sûr.

Il me serra fort contre lui puis glissa une main sur mes fesses.

— Comment tu te sens ?

— Bien.

— Vraiment ?

— Un peu endolorie, avouai-je. Et très heureuse. Enfin avant que tu te moques de moi, en tout cas.

— Pauvre bébé. Laisse-moi regarder, dit-il en me faisant rouler sur le matelas jusqu’à être au- dessus de moi.

— Quoi ?

Il s’assit entre mes jambes, une main maintenant mes genoux ouverts. Il m’examina d’un œil expert.

— Ça n’a pas l’air trop enflé. Tu as juste un peu mal à l’intérieur, c’est ça ?

— Probablement.

J’essayai de relever mes jambes pour les refermer. Je doutais fortement que le fait de m’inspecter à

cet endroit arrange la couleur de mes oreilles.

— Il faut que je sois plus tendre avec toi.

— Je vais bien. Je ne suis pas en sucre.

— Mmm.

— Il faut bien plus qu’une partie de jambes en l’air sauvage à même le sol pour me perturber.

— Ah, vraiment ? Ne bouge pas, m’ordonna-t-il en s’agenouillant à l’autre bout du matelas.

Il se trouvait à présent entre mes jambes, face à mes parties intimes. J’avais entendu beaucoup de bien de ce truc-là, des choses qui firent redoubler mon embarras. Mais j’étais surtout curieuse.

Il effleura mon sexe du bout des lèvres ; son souffle chaud me fit immédiatement frissonner et les muscles de mon ventre se contractèrent.

Son regard rencontra le mien.

— Ça va ?

Impatiente, je hochai la tête rapidement.

— Mets l’autre oreiller derrière ta tête. Je veux que tu regardes.

Mon mari avait des idées de génie. J’obéis, m’installant de façon à pouvoir regarder malgré mes jambes tremblantes. Il embrassa l’intérieur de mes cuisses, d’abord l’une, puis l’autre. Tout en moi se concentra sur les sensations délicieuses qui m’envahissaient. Mon monde était un petit endroit parfait.

Rien n’existait en dehors de ce lit.

Il ferma les yeux mais les miens restèrent ouverts. Il embrassa doucement mon sexe puis traça le contour de mes lèvres du bout de la langue. Oh mon Dieu. La chaleur m’inonda de l’intérieur. Ses mains enroulées autour de mes cuisses, ses doigts caressant mon corps en décrivant de petits cercles.

Ses lèvres ne quittèrent jamais mon sexe. C’était exactement comme s’il m’embrassait là. Je me contorsionnai sous les assauts de sa bouche et de sa langue. Il agrippa plus fort mes cuisses, me maintenant fermement. Même la caresse de ses cheveux et le picotement de sa barbe naissante contre moi devenaient excitants. Je ne sais pas quand j’ai arrêté de regarder. Mes yeux se fermèrent lorsque le plaisir prit le dessus. C’était incroyable. Je ne voulais pas que ça s’arrête. Mais la tension en moi grandit jusqu’à ce qu’il me soit impossible de la contenir plus longtemps. Je jouis dans un cri, mon corps tendu des pieds à la tête. Tout en moi frissonnait. Il ne recula pas tant que je ne fus pas complètement immobile, tentant de reprendre mon souffle.

— Je suis pardonné pour m’être moqué de toi ? demanda-t-il en remontant le lit pour planter un baiser sur mon épaule.

— Bien sûr.

— Et pour le sexe sauvage par terre ?

— Mmm.

Le matelas s’affaissa lorsque David s’étendit sur moi. Sa bouche humide s’attarda sur la courbe de mes seins, la ligne de mes clavicules.

— J’ai adoré, dis-je d’une voix rauque.

Je rouvris peu à peu les yeux.

— Jouir te va bien, Evie. (Sa main caressa ma hanche et il me sourit.) Je le referai aussi souvent que tu le voudras. Tu n’as qu’à demander.

Je lui rendis son sourire. Un sourire peut-être un peu crispé. Parler de ce genre de choses était encore nouveau pour moi.

— Dis-moi que tu as aimé que je lèche ta jolie chatte.

— J’ai dit que j’avais adoré.

— Tu es gênée.

Ses sourcils se froncèrent. Ses yeux étincelaient de malice.

— Tu peux parler sexe sauvage sur le parquet mais pas cunnilingus, hein ? Dis « chatte ».

Je levai les yeux au ciel.

— Chatte.

— Encore. Pas comme l’animal.

— Chatte, chatte, chatte. Chatte, pas comme l’animal. Satisfait ?

J’éclatai de rire et fis glisser ma main sur son torse, puis vers son entrejambe.

— Puis-je faire quelque chose pour toi ?

Il arrêta ma main, la porta à ses lèvres et l’embrassa.

— Je vais attendre ce soir pour te faire l’amour de nouveau, si tu as moins mal.

— Alors comme ça, nous allons faire l’amour ce soir, monsieur Romantique ?

— Bien sûr, acquiesça-t-il en souriant, avant de descendre du lit. On fera l’amour et ensuite on baisera. Il faut qu’on prenne le temps d’explorer la différence. Ça va être marrant.

— O.K., dis-je rapidement.

Je n’étais pas stupide.

— Gentille fille.

Il me regarda intensément.

— Tu es si belle. Finalement, je ne vais peut-être pas pouvoir attendre jusqu’à ce soir.

— Ah non ?

— Non. Regarde-toi, allongée complètement nue sur mon lit. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau.

L’air affligé, il secoua la tête en dévorant mon corps des yeux. Mon mari était incroyablement bon pour mon ego. Mais, en même temps, il me faisait me sentir humble, reconnaissante.

— C’était complètement con de ma part de suggérer d’attendre, déclara-t-il en reculant d’un pas. Et tu sais combien je déteste être loin de toi. Tu viens m’aider dans la douche ? Tu as besoin de quelques travaux pratiques.

Je descendis du lit à mon tour.

— Ah, vraiment ?

— Oh que oui. Et tu sais combien je prends ton éducation au sérieux.

— Tu crains, me reprocha la voix métallique de Lauren dans le combiné.

Pam m’avait prévenue que le réseau ne passait pas partout.

— Je ne dis pas que je ne t’aime plus. Mais bon…

— Je sais. Je suis désolée, répondis-je en m’installant dans un coin du salon.

Les hommes répétaient en bas. Pam était sortie faire quelques courses en ville. J’avais pour ma part des coups de fil à passer. Des cartons à déballer. Des rêves de mariage heureux à élaborer.

— Bref. Raconte-moi tout, exigea-t-elle.

— Eh bien… on est toujours mariés.

Lauren hurla dans mon oreille. Il lui fallut quelques minutes pour se calmer.

— Merci mon Dieu ! J’espérais bien que les choses allaient s’arranger entre vous. Il est tellement sexy !

— En effet. Mais il est bien plus que ça. Il est merveilleux.

— Mais encore ?

— Je veux dire, vraiment merveilleux.

Elle éclata de rire.

— Tu as déjà utilisé « merveilleux ». Essaie un autre mot, Cendrillon. Donne à la fan en moi quelque chose à se mettre sous la dent.

— Arrête de fantasmer sur mon mari. C’est pas cool.

— Tu as six ans de retard pour ça. Je fantasmais déjà sur David Ferris bien avant que tu ne lui passes la bague au doigt.

— En fait, il n’a pas d’alliance.

— Ah non ? Tu devrais y remédier.

— Mmm.

J’observai l’océan par la fenêtre. Au loin, un oiseau décrivait de longs cercles dans le ciel.

— On est dans sa maison à Monterey. C’est très beau.

— Tu as quitté Los Angeles ?

— Ouais, entre les groupies, les avocats, les managers, et tout ça, c’était vraiment pas top.

— Les détails, poulette ! Allez !

Hésitante, je ramenai les genoux contre ma poitrine et tripotai la couture de mon jean. Je n’avais pas envie de discuter de notre vie privée dans le dos de David. Pas même avec Lauren. Les choses avaient changé. Plus exactement, notre mariage avait changé. Mais il y avait quand même des trucs que je pouvais partager.

— On aurait dit que les gens venaient d’une autre planète. Je ne me sentais pas à ma place. Mais tu aurais adoré leurs fêtes. Tous ces gens célèbres, c’était impressionnant.

— Je suis folle de jalousie. Qui était là ?

Je lui donnai quelques noms devant lesquels elle s’extasia.

— Mais Los Angeles ne me manque absolument pas. Tout se passe tellement bien ici. On a décidé

de prendre notre temps et de voir comment les choses évoluent.

— C’est tellement romantique. Dis-moi que tu t’es tapé ce bel étalon, s’il te plaît. Ne me déçois pas.

— Lauren…, soupirai-je.

— Oui ou non ?

J’hésitai et, comme prévu, elle se mit à hurler.

— OUI OU NON ?

— Oui. Ça te va ? Oui !

Cette fois, ses cris provoquèrent des dommages irréversibles sur mes tympans. Je n’entendais plus qu’un bourdonnement. Lorsqu’il cessa, quelqu’un marmonnait dans le fond. Un homme.

— Qui c’était ? demandai-je.

— Personne. Juste un ami.

— Un ami ou un petit ami ?

— Juste un ami. Attends, je change de pièce. Et on était en train de parler de toi, madame David

Ferris, femme du guitariste mondialement connu des Stage Dive.

— Un ami que je connais ? insistai-je, ma curiosité à présent totalement éveillée.

— Tu es au courant qu’il y a une photo de ton cul qui circule, n’est-ce pas ?

— Euh… ouais. Je suis au courant.

— C’est pas de bol ! Ah ah ! Mais, franchement, t’es pas mal dessus. Le mien aurait eu l’air deux fois moins beau. Je parie que tu te félicites d’être allée à la fac à pied et pas en voiture comme la paresseuse que je suis. Une sacrée nuit que t’as passée à Vegas, coquine.

— Parlons de ton ami plutôt que de mes fesses. Ou de Vegas.

— On peut aussi discuter de ta vie sexuelle. Parce qu’on parle de la mienne depuis quelques années maintenant, mais on n’a pas vraiment eu l’occasion d’évoquer la tienne, ma vieille, dit-elle d’une voix enjouée.

— Ev ! Tu veux quelque chose à boire ? cria Mal qui se dirigeait vers la cuisine.

— C’est qui ? demanda Lauren.

— Le batteur. Ils sont en train de répéter en bas dans le studio.

Elle suffoqua.

— Tout le groupe est là ?

— Non, juste Mal et un autre ami de David.

— Malcolm est là ? Il est super sexy mais c’est un vrai tombeur, eut-elle l’obligeance de m’informer. Tu devrais voir le nombre de nanas avec qui on le voit en photo.

— Tiens, petite mariée, me dit Mal en me tendant une bouteille glacée déjà décapsulée.

— Merci.

Il me fit un clin d’œil avant de repartir.

— Ce ne sont pas mes oignons, dis-je à Lauren.

Elle fit claquer sa langue.

— Tu n’es pas allée sur Internet pour te renseigner sur eux ? Tu ne sais pas du tout où tu mets les pieds, je me trompe ?

— Ce n’est pas correct de faire ça dans leur dos.

— La naïveté est sexy jusqu’à un certain point, chica.

— Rien à voir avec la naïveté, chica. Ça s’appelle respecter leur vie privée.

— Dont tu fais à présent partie.

— C’est important, l’intimité. Comment pourraient-ils me faire confiance si je les traquais sur le

Net ?

— Toi et tes excuses, soupira Lauren. Donc tu ne sais pas que, lors de leur première tournée, David n’avait que seize ans ? Ils ont fait la première partie d’un groupe à travers l’Asie et depuis ils passent leur temps sur la route ou dans des studios d’enregistrement. Drôle de vie, hein ?

— Ouais. Il a dit qu’il était prêt à lever le pied.

— Ça ne me surprend pas. Il y a des rumeurs qui courent sur la séparation du groupe. Essaie d’empêcher ça si tu peux, tu veux ? Et fais en sorte que ton petit mari se bouge le cul et compose très vite un nouvel album. Je compte sur toi.

— Pas de problème, répondis-je sans révéler que David m’avait écrit des chansons.

C’était personnel. Du moins pour le moment. La liste des choses que je ne pensais pas pouvoir partager avec Lauren s’allongeait de manière exponentielle.

— Je voulais que tu brises le cœur de ce garçon pour qu’il écrive un album comme San Pedro.

Mais j’ai comme l’impression que ce n’est plus à l’ordre du jour.

— Quelle intuition !

Elle gloussa.

— Tu sais qu’il y a une chanson sur la maison de Monterey sur cet album ?

— Ah bon ?

— Oh oui. House of Sand. Chanson d’amour épique. La petite amie de David depuis le lycée l’a trompé pendant qu’il était en tournée en Europe. Il avait vingt et un ans. Cette maison devait être leur petit nid d’amour.

— Arrête, Lauren. C’est… Merde, c’est personnel.

Mon cœur et mon cerveau s’emballèrent.

— Cette maison ?

— Ouais. Ils sont restés ensemble des années. David était dévasté. Et puis une connasse avec qui il avait couché a vendu leur histoire à la presse people. En plus, sa mère s’est tirée quand il avait douze ans. Attends-toi qu’il ait de gros problèmes avec les femmes.

— Non, arrête. Je suis sérieuse, dis-je, manquant d’étrangler le combiné. Il me parlera de tout ça lorsqu’il sera prêt. Ça me gêne.

— Ça s’appelle simplement être préparée. Je ne vois pas où est le problème.

— Lauren…

— O.K., O.K. J’arrête. Mais tu as quand même besoin de connaître certains détails. Des événements comme ceux-là laissent des cicatrices indélébiles.

Elle n’avait pas tort. Ces informations expliquaient les reproches de David concernant mon départ et la violence de ses réactions. Deux des femmes les plus importantes de sa vie l’avaient laissé tomber.

Mais apprendre son histoire de cette façon me mettait mal à l’aise. Lorsqu’il me ferait assez confiance pour tout me raconter, il le ferait. Je n’avais pas encore vraiment eu l’occasion de gagner cette confiance. On balance rarement ce genre d’informations très personnelles dès la première rencontre.

Ce devait être horrible de voir sa vie étalée sur Internet. Tu parles d’une vie privée ! Pas étonnant qu’il ait eut peur que je ne parle à la presse.

Je pris une gorgée de soda puis posai la bouteille fraîche contre ma joue.

— J’ai vraiment envie que ça marche.

— Je sais. Je l’entends dans ta voix… Tu l’aimes.

Je sursautai.

— Quoi ? Non. Tu dis n’importe quoi. Pas encore, en tout cas. Ça ne fait que quelques jours. J’ai l’air amoureuse ? Vraiment ?

— Le temps n’a rien à voir avec l’amour.

— Peut-être, concédai-je, inquiète.

— Écoute, Jimmy sort avec Liv Andrews. Si tu la rencontres, je veux à tout prix un autographe. J’ai adoré son dernier film.

— Jimmy n’est pas vraiment mon meilleur ami. Ça pourrait être gênant.

Elle renâcla.

— Très bien. Mais tu es amoureuse.

— Arrête un peu !

— Ben quoi ? Je trouve ça super.

Les murmures du mystérieux ami de Lauren interrompirent ma peur grandissante.

— Faut que j’y aille, annonça-t-elle. Tu me tiens au courant, O.K. ? Appelle-moi.

— Promis.

— Salut !

— Salut…

Mais elle avait déjà raccroché.

14

— Tu as l’air soucieuse.

David s’avança lentement derrière moi. Sa tête s’inclina, faisant tomber ses cheveux bruns sur son visage. Il les ramena derrière son oreille et se rapprocha.

— Pour quelle raison, hmm ?

J’avais préparé à dîner avec les moyens du bord. Dans le congélateur, j’avais trouvé de la pâte à

pizza que j’avais mise à décongeler avant de commencer à découper de quoi la garnir et faire griller du fromage, tout en repensant à ce que m’avait raconté Lauren. La maison ne semblait soudain plus si accueillante. Consciente à présent qu’elle avait été achetée pour une autre femme, mes impressions à

son égard avaient changé. Je me sentais de nouveau comme une intruse. Horrible mais vrai. Le sentiment d’insécurité, quelle plaie !

— Donne.

Il m’attrapa le poignet et porta ma main à sa bouche, léchant une traînée de sauce tomate sur mon doigt.

— Mmm. Délicieux.

Mon ventre se contracta aussitôt. Mon Dieu, sa bouche sur moi ce matin… Ses projets pour ce soir… Tout cela m’apparaissait comme un rêve, un magnifique rêve dont je ne voulais pas me réveiller. Je n’en avais d’ailleurs pas besoin. Tout allait bien se passer. Nous allions tout surmonter.

Nous étions de nouveau mariés, engagés. Il passa un bras autour de moi et se serra contre mon dos, ne laissant aucune place au doute entre nous.

— Comment ça se passe en bas ?

— Super bien. On a quatre chansons qui prennent joliment forme. Désolé d’avoir pris un peu de retard, répondit-il en plantant un baiser sur ma nuque, chassant mes mauvaises pensées. Mais maintenant, je suis tout à toi.

— Tant mieux.

— Tu fais une pizza ?

— Ouais.

— Je peux t’aider ? demanda-t-il sans cesser de me caresser le cou de ses lèvres.

Sa barbe me piquait légèrement la peau, une impression à la fois étrange et merveilleuse. Il me donnait des frissons. Jusqu’à ce qu’il s’arrête brusquement.

— Tu mets des brocolis dessus ?

— J’aime les pizzas aux légumes.

— Et des courgettes. Tiens donc ! dit-il d’une voix incrédule.

Il posa son menton sur mon épaule.

— Et alors ?

— Et également du bacon, de la saucisse, des champignons, des poivrons, des tomates, et trois sortes de fromages différentes.

Je pointai le couteau à découper en direction de ma superbe collection d’ingrédients.

— Attends de l’avoir goûtée. Ça va être la meilleure que tu aies jamais mangée.

— Je n’en doute pas. Laisse-moi t’aider.

Il me fit pivoter vers lui et se recula lorsque mon couteau manqua le frôler. Il m’attrapa par les hanches et me retourna de nouveau vers l’îlot central.

— Tu me tiens compagnie ?

— Bien sûr.

Il sortit du frigo une bière pour lui et un soda pour moi, étant donné que j’évitais toujours l’alcool.

Du salon nous parvinrent les voix de Tyler et de Mal.

— On retravaille demain ? cria Tyler.

— Désolé, mec. On doit retourner à Los Angeles, répondit David en se lavant les mains dans l’évier. Donne-moi quelques jours pour régler des trucs et après on s’y remet.

Tyler passa la tête par la porte et me fit un petit signe.

— Ça me va. Ça se présente pas mal pour l’instant, pas vrai ? Tu ramènes Ben et Jimmy avec toi la prochaine fois ?

David fronça les sourcils et ses yeux s’assombrirent.

— Ouais, on verra.

— Cool. Pammy m’attend dehors, je dois filer. C’est notre soirée rencard.

— Amusez-vous bien.

Je lui fis à mon tour un petit signe.

— Comme toujours, répondit Tyler avec un large sourire.

Mal entra en ricanant doucement.

— Soirée rencard, sans déconner… Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ? Les vieux sont super bizarres. Eh mec, tu peux pas mettre du brocoli sur une pizza.

— Si, parfaitement, répondit David en continuant à disposer des poivrons autour des brocolis.

— Non, insista Mal. Ça ne se fait pas.

— La ferme. Ev veut des brocolis sur sa pizza, donc on met des brocolis.

Une douce gorgée de soda bien frais coula dans ma gorge. Comme c’était agréable.

— Détends-toi, Mal. Les légumes sont tes amis.

— Tu mens, petite mariée.

Sa bouche s’étira en signe de dégoût et il sortit une bouteille de jus de fruits du frigo.

— Ne faites pas attention à moi. Je grignote juste un truc.

— Non, tu t’en vas. Ev et moi on a aussi une soirée rencard.

— Quoi ? Tu te fous de moi ! Et je suis censé aller où ?

David se contenta de hausser les épaules et dispersa du pepperoni au-dessus de ses créations.

— Oh, allez, Ev, tu vas me défendre sur ce coup-là, non ?

Mal me lança un regard pitoyable. Un mélange de tristesse et de détresse avec une touche de désespoir. Il alla même jusqu’à se pencher pour poser sa tête sur mon genou.

— Si je vais en ville, ils vont savoir qu’on est là.

— Tu as ta voiture, rétorqua David.

— On est au milieu de nulle part, geignit Mal. Ne le laisse pas me jeter dans la nature. Je vais me faire bouffer par des ours.

— Je ne suis pas certaine qu’il y ait des ours par ici.

— Arrête un peu tes conneries. Et retire ta tête de la jambe de ma femme.

Avec un grognement, il se redressa.

— Ta femme est mon amie. Elle ne te laissera pas me faire ça !

— Ah, vraiment ? (David me regarda puis se décomposa.) Putain, bébé. Non. Tu ne peux pas te faire avoir comme ça. C’est seulement pour une nuit.

Je fis une petite grimace.

— On pourrait peut-être remonter dans la chambre. Ou alors il pourrait rester en bas, quelque chose comme ça.

David se passa la main dans les cheveux. Le bleu sur sa pauvre joue… Il faudrait que je la soigne à

coups de baisers. Tandis qu’il dévisageait son ami, il fronça les sourcils façon James Dean.

— Arrête de lui faire cette tête pathétique. Un peu de dignité, bordel !

Il donna une petite claque à Mal sur l’arrière du crâne, faisant voler ses longs cheveux blonds sur son visage. Celui-ci fit un petit bond en arrière avant de battre en retraite.

— O.K. Je vais rester en bas. Je mangerai même ta maudite pizza aux brocolis.

— David…

J’attrapai son T-shirt et l’attirai à moi. Il se laissa faire et cessa de poursuivre Mal.

— C’était censé être notre soirée, dit-il.

— Je sais. Et ça le sera.

— Oui ! triompha Mal qui en profita pour disparaître. Je serai en bas. Crie quand le dîner sera prêt.

— Il a une fille dans chaque ville, me dit David en jetant un regard mauvais en direction de la porte.

Il n’y avait aucun risque qu’il dorme dans sa voiture. Tu t’es fait avoir.

— Peut-être. Mais je me serais inquiétée pour lui.

Je ramenai ses cheveux bruns derrière ses oreilles puis en suivis le chemin jusqu’à sa nuque, l’attirant encore un peu plus à moi. Ses clous d’oreilles étaient petits et en argent. Un crâne, un « x » et un minuscule diamant étincelant. Je ne les avais jamais remarqués.

Il dissimula le lobe de son oreille entre son pouce et son index.

— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il.

— Je regardai juste tes boucles d’oreilles. Elles signifient quelque chose de particulier ?

— Non, répondit-il avant de me donner un petit baiser sur la joue. Pourquoi avais-tu l’air soucieuse tout à l’heure ?

Il s’empara d’une poignée de champignons et les ajouta sur la pizza.

— Tu recommences.

Merde. J’hésitai et retournai toutes les excuses possibles dans ma tête. Je ne savais absolument pas comment il allait réagir en apprenant tout ce que Lauren m’avait raconté. Que penserait-il si je l’interrogeais à ce sujet ? Commencer une dispute ne m’enchantait pas. Mais mentir non plus. Au fond, ne rien dire revenait au même. Je le savais.

— J’ai parlé à mon amie Lauren aujourd’hui.

— Mmmm.

Je plaçai mes mains entre mes jambes et les serrai fort, retardant l’échéance.

— C’est une très grande fan.

— Ouais, c’est ce que tu m’as dit, déclara-t-il en me souriant. Ai-je le droit de la rencontrer ou est- ce chasse gardée, comme ton père ?

— Tu peux rencontrer mon père si tu veux.

— Je veux le rencontrer. Un de ces jours, on fera un petit voyage à Miami et je te présenterai le mien, O.K. ?

— J’aimerais beaucoup.

Je pris une profonde inspiration et me lançai :

— David, Lauren m’a raconté certaines choses. Et je n’ai pas envie d’avoir de secrets pour toi.

Mais je ne suis pas certaine que tu sois ravi d’apprendre ce qu’elle m’a dit.

Il tourna la tête, les yeux mi-clos.

— Des choses ?

— À ton sujet.

— Ah, je vois. (Il prit deux poignées de fromage gratiné qu’il émietta sur la pizza.) Tu n’as jamais cherché mon nom sur Wikipédia ou un truc dans le genre ?

— Non, répondis-je, horrifiée par cette idée.

Il poussa un petit grognement.

— Ce ne serait pas la fin du monde. Qu’est-ce que tu veux savoir, Ev ?

Je ne savais pas quoi dire. J’attrapai mon soda et en vidai la moitié d’une traite. Mauvaise idée : ça n’arrangea rien. Pire, cela me provoqua un léger mal de tête et des picotements au-dessus de l’arête de mon nez.

— Vas-y. Demande-moi tout ce que tu veux.

Il n’avait pas l’air content. La courbe coléreuse que formaient ses sourcils froncés me mit la puce à

l’oreille. Je ne crois pas avoir jamais rencontré quelqu’un avec un visage aussi expressif que David.

Ou alors, c’est qu’il me fascinait, voilà tout.

— D’accord. Quelle est ta couleur préférée ?

Il eut un petit rire moqueur.

— Ça ne fait pas partie des choses dont t’a parlé ton amie.

— Tu as dit que je pouvais te demander ce que je voulais, et je veux savoir quelle est ta couleur préférée.

— Le noir. Je sais, ce n’est pas vraiment une couleur. J’ai pas mal manqué l’école mais j’étais là ce jour-là. Et la tienne ?

— Le bleu.

Je le regardai ouvrir la porte du four gargantuesque. La plaque à pizza cliqueta contre la grille.

— Quelle est ta chanson préférée ?

— On reprend de zéro, hein ?

— On est mariés. J’ai pensé que ce pourrait être pas mal. On a en quelque sorte zappé l’étape «

apprendre à se connaître ».

— D’accord, allons-y.

Le coin de sa bouche s’étira et il me lança un regard qui m’indiqua qu’il rentrait dans mon jeu.

— J’ai des tonnes de chansons préférées. Mais Four Sticks de Led Zeppelin est un cran au-dessus.

La tienne est Need You Now de Lady Antebellum, la version chantée par un imitateur d’Elvis.

Malheureusement.

— Oh, arrête, j’étais complètement bourée. C’est pas juste.

— Mais vrai.

— Peut-être.

Si seulement je pouvais me souvenir de tout ça…

— Livre préféré ?

— J’aime les comics. Les trucs comme Hellblazer, Preacher.

Je pris une autre gorgée de soda, essayant de penser à une question géniale. Mais rien ne me venait

à l’esprit. J’étais nulle pour les rendez-vous.

— Attends, dit-il. Quel est le tien ?

— Jane Eyre. Et ton film préféré ? enchaînai-je.

— Evil Dead 2. Et toi ?

— Walk the Line.

— Celui sur l’homme en noir ? Pas mal. O.K.

Il frappa dans ses mains et les frotta l’une contre l’autre.

— À mon tour. Raconte-moi quelque chose d’horrible. Quelque chose que tu n’as jamais avoué à

qui que ce soit.

— Oh, bonne question.

Délicate, mais pertinente. Pourquoi n’avais-je pas pensé à une question de ce genre ?

Il sourit derrière sa bouteille de bière, très content de lui.

— Laisse-moi réfléchir…

— Ton temps est limité.

Je lui fis une grimace.

— C’est faux.

— Non, c’est vrai. Tu n’as pas le droit de réfléchir. Tu dois me raconter la première chose qui te passe par la tête. Ton petit secret honteux.

— Très bien, répondis-je en faisant la moue. Quand j’avais quinze ans, j’ai embrassé une fille,

Amanda Harper.

— Vraiment ?

— Oui.

Il se rapprocha de moi, l’air inquisiteur.

— Tu as aimé ?

— Non. Pas vraiment. Enfin, ça allait.

J’empoignai le bord du plan de travail et me penchai en avant.

— C’était la lesbienne de l’école et je voulais voir si j’en étais une, moi aussi.

— Il n’y avait qu’une lesbienne dans ton école ?

— Oh, je soupçonnais d’autres personnes, mais c’était la seule à avoir fait son coming out. Elle s’était autoproclamée ainsi.

— Tant mieux pour elle.

Ses mains se posèrent sur mes genoux, les écartèrent, et il se glissa entre eux.

— Pourquoi pensais-tu être lesbienne ?

— Pour être exacte, j’espérais être bi. Plus d’options. Parce que, franchement, les garçons à l’école

étaient…

— Étaient quoi ?

Il attrapa mes fesses et me hissa sur le plan de travail, m’attirant à lui. Impossible de résister.

— Ils ne m’intéressaient pas vraiment, j’imagine.

— Mais embrasser ton amie lesbienne Amanda ne t’a pas plu non plus ?

— Non.

Il fit claquer sa langue.

— Mince. C’est une bien triste histoire. Mais tu triches.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Tu étais censée me raconter quelque chose d’affreux. Embrasser une fille avec la langue n’est pas ce que j’appelle horrible.

— Je n’ai jamais dit qu’on avait mis la langue.

— C’est le cas ?

— Un peu. Quelques secondes, peut-être. Mais après je me suis mise à flipper et j’ai tout arrêté.

Il prit une nouvelle gorgée de bière.

— Tes oreilles sont encore toutes rouges.

— Tu m’étonnes.

J’éclatai de rire et baissai vivement la tête.

— Je n’ai pas triché. Je n’ai jamais parlé à personne de ce baiser. Je comptais l’emporter dans ma tombe. Tu devrais te sentir honoré d’une telle confiance.

— Ouais, mais me raconter quelque chose que je vais trouver très excitant, c’est de la triche. Tu devais me raconter quelque chose d’horrible. Les règles étaient très claires. Recommence et propose- moi quelque chose d’abominable, cette fois.

— Très excitant, hein ?

— La prochaine fois que je prendrai une douche, j’utiliserai sans aucun doute cette histoire.

Je me mordis la langue et détournai le regard. Des souvenirs de ce matin lorsque David m’avait savonné les mains avant de les poser sur lui assaillirent mon esprit. L’idée qu’il se masturbe en pensant à ma petite expérience adolescente… « Honorée » n’était pas le mot qui convenait. Mais je devais reconnaître que l’idée me plaisait beaucoup.

— N’oublie pas de me vieillir dans ce cas. Quinze ans, c’est un peu limite.

— Tu l’as juste embrassée.

— Et tu vas t’arrêter à ça, peut-être ? Tu vas respecter les faits et la légalité et ne pas nous imaginer aller plus loin, Amanda et moi ?

— Tu as gagné, je te vieillirai. Et je te rendrai terriblement dévergondée.

Il m’attira encore un peu plus à lui et je passai mes bras autour de lui.

— Allez, recommence, et fais-le bien cette fois.

— Ouais, ouais.

Il déposa un long baiser sur ma nuque.

— Tu n’as pas menti à propos d’Amanda, hein ?

— Non.

— Tant mieux. J’aime bien cette histoire. Tu devrais me la raconter plus souvent. Maintenant, vas-y.

Je tergiversai, hésitant à me livrer. David posa son front contre le mien en poussant un profond soupir.

— Raconte-moi quelque chose, n’importe quoi.

— Rien ne me vient.

— Tu parles !

— Je te jure, gémis-je.

En tout cas rien que j’avais envie de partager.

— Raconte-moi.

Je grognai et cognai très légèrement mon front contre le sien.

— David, s’il te plaît, tu es la dernière personne à qui j’ai envie de faire mauvaise impression.

Il se recula et plongea son regard dans le mien.

— Tu as peur de ce que je pourrais penser de toi ?

— Évidemment.

— Tu es honnête et gentille, bébé. Rien de ce que tu as pu faire ne peut être si horrible.

— Mais l’honnêteté n’est pas toujours bonne, répliquai-je. Bien des fois j’ai ouvert la bouche alors que je n’aurais pas dû. Donné aux gens le fond de ma pensée lorsque j’aurais dû me taire. J’agis d’abord et je réfléchis ensuite. Regarde ce qui s’est passé entre nous à Vegas. Je n’ai pas posé les bonnes questions. Et je le regretterai toute ma vie.

— À Vegas, c’était particulier.

Sa main frotta mon dos, rassurante.

— Ne t’inquiète pas.

— Tu m’as demandé ce que j’avais ressenti lorsque tu avais cette groupie pendue à ton cou, à Los

Angeles. Sur le moment, j’ai serré les dents. En vérité, si ça arrivait maintenant et qu’une nana te draguait, je crois que je péterais les plombs. Je ne réagirai pas toujours bien au battage médiatique qui t’entoure. Qu’est-ce qui se passera alors ?

Un petit bruit étranglé s’échappa de sa gorge.

— Je ne sais pas. Je vais devoir prendre conscience que tu es humaine ? Que parfois tu déconnes, comme tout le monde ?

Je ne répondis pas.

— Ça nous arrivera à tous les deux de déconner, Ev. C’est certain. On devra simplement être patient l’un envers l’autre.

Il posa un doigt sous mon menton, le relevant pour pouvoir m’embrasser.

— Maintenant, dis-moi ce que t’a raconté Lauren aujourd’hui.

Je le regardai fixement, prise au piège. Le contenu de mon estomac se souleva littéralement : je devais le lui dire. Je ne pouvais pas y échapper. Cependant, sa réaction m’inquiétait.

— Elle m’a dit que ta première petite amie t’avait trompé.

Il tiqua.

— Ouais. Ça arrive. On était ensemble depuis longtemps mais… j’étais toujours en studio ou sur la route. On tournait en Europe depuis huit ou neuf mois quand ça s’est produit. Les tournées bousillent beaucoup de couples. Les groupies et ce style de vie sont durs à supporter. Passer tout le temps au second plan ne doit pas non plus être une partie de plaisir.

Tu m’étonnes…

— Quand aura lieu ta prochaine tournée ?

Il secoua la tête.

— Aucune de prévue pour l’instant. Pas tant que le nouvel album ne sera pas terminé et, jusqu’à

présent, ça n’en prend pas vraiment le chemin.

— O.K. Comment ça marche ? Ce qui se passe sur la route reste sur la route, c’est ça ?

Le cadre de notre relation n’avait jamais vraiment été établi. Que représentait notre mariage, exactement ? Il voulait que nous restions ensemble mais je devais penser à la fac, à mon boulot, à ma vie. Peut-être que les bonnes épouses abandonnaient tout ça et partaient avec le groupe. Ou peut-être les épouses n’étaient-elles même pas conviées. Je n’en avais pas la moindre idée.

— Tu me demandes si j’ai l’intention de te tromper ?

— Je te demande comment on va faire fonctionner ce mariage.

— Je vois.

Il se pinça les lèvres entre le pouce et l’index.

— Eh bien, je pense qu’être fidèles serait un bon début. Faisons-en une règle, O.K. ? Quant au groupe et au reste, j’imagine qu’on avisera en temps voulu.

— C’est d’accord.

Sans un mot, il s’éloigna de moi et traversa la cage d’escalier.

— Mal ? cria David.

— Quoi ?

— Ferme la porte. Ne viens ici sous aucun prétexte. Pas tant que je ne te donne pas le feu vert. C’est compris ?

Il y eut un silence puis Mal cria à son tour :

— Et si jamais il y a le feu ?

— Brûle.

— Va te faire foutre.

La porte du bas claqua.

— Ferme à clé !

La réponse de Mal fut étouffée mais son ton énervé nous parvint très distinctement. Ces deux-là

ressemblaient plus à des frères que David et Jimmy. Jimmy était un crétin et l’une des nombreuses raisons pour lesquelles nous ne devrions jamais revenir à Los Angeles. Malheureusement, nous ne pourrions pas nous planquer à Monterey indéfiniment.

L’école, le groupe, la famille, les amis, blablabla.

David saisit le bord de son T-shirt et l’ôta.

— Règle numéro deux : si j’enlève mon T-shirt, tu dois faire pareil. Cette règle s’applique

également à ce genre de conversations. Je sais qu’on doit parler de tout ça. Mais rien ne nous interdit de rendre les choses plus agréables.

— Et c’est censé rendre les choses plus agréables ?

J’en doutais fort. Toute cette peau chaude et douce n’attendant que mes caresses, et mes doigts que cela démangeait… Garder ma langue dans ma bouche alors qu’il exhibait ses abdos mettait ma capacité de résistance à rude épreuve. Ce magnifique corps tatoué me rendait folle. Dieu que cet homme avait du pouvoir sur moi. Mais, attendez une petite minute, nous étions mariés. Moralement, je me devais de reluquer mon mari.

— Retire-le, m’ordonna-t-il en désignant du menton le vêtement incriminé.

La cage d’escalier demeurait calme et silencieuse. Aucun signe de vie.

— Il ne se montrera pas. Tu peux me croire.

Ses mains agrippèrent le bas de mon T-shirt et le firent passer délicatement par-dessus ma tête, défaisant ma queue-de-cheval au passage. Je pressai mes avant-bras contre ma poitrine pour l’empêcher de retirer mon soutien-gorge.

— Pourquoi je ne le garderais pas, juste au cas où… ?

— C’est contraire au règlement. Tu tiens vraiment à déjà transgresser les règles ? Ça ne te ressemble pas.

— David…

— Evie.

L’élastique de mon soutien-gorge se détendit lorsqu’il le dégrafa.

— J’ai besoin de voir tes seins nus, bébé. Tu ne peux pas savoir combien je les aime. Laisse-toi aller.

— Pourquoi serais-tu le seul à dicter toutes les règles ?

— Je n’en ai dicté qu’une. Ah, non, deux. Il y a aussi celle sur la fidélité.

Il tira sur mon soutien-gorge et je le laissai faire. Mais il pouvait toujours courir pour que je décroise les bras.

— Vas-y, à ton tour de fixer des règles, déclara-t-il en effleurant mes bras de ses doigts, faisant se dresser chaque petit poil.

— Essaierais-tu de me distraire avec cette interdiction de vêtements ?

— Pas du tout. Allez, à ton tour.

Mes mains restèrent coincées sous mon menton, recouvrant l’essentiel, juste au cas où.

— Pas de mensonges. Jamais.

— Ça marche.

Je hochai la tête, soulagée. Nous pourrions faire fonctionner ce mariage. Je le savais dans ma tête, dans mon cœur. Tout allait bien se passer.

— J’ai confiance en toi.

Il s’arrêta, me regarda.

— Merci.

J’attendis mais il n’ajouta rien.

— Et toi, tu me fais confiance ? demandai-je, brisant le silence.

À la seconde où ces mots quittèrent mes lèvres, je les regrettai aussitôt. Si je devais quémander sa confiance et sa tendresse, ça n’avait pas de sens. Pire encore, ça gâchait tout. Je le sentais, comme une plaie ouverte entre nous. Une blessure que j’avais causée. Il fallait vraiment que je choisisse ce moment pour me montrer impatiente ! Si on avait été en hiver je me serais enfoui la tête dans une congère.

Son regard se voila. J’avais ma réponse. Je frissonnai et j’eus soudain très envie de remettre mon

T-shirt, même si ça n’avait rien à voir avec le fait de l’avoir retiré.

— Laisse-moi du temps…

La frustration se lisait sur son visage. Il pinça les lèvres jusqu’à ce qu’elles blanchissent. Puis il me regarda dans les yeux. Quoi qu’il y vît, cela n’arrangea pas les choses.

— Merde.

— Ça va, je t’assure.

— Tu es en train de me mentir ?

— Non. Non. Tout va bien.

Pour toute réponse, il m’embrassa.

Impossible de lutter. Un désir brûlant m’envahit. Il plaça mes mains sur les siennes et mes inquiétudes s’envolèrent. Je posai nos doigts entremêlés sur ma poitrine. Nous gémîmes tous les deux. La chaleur de ses paumes contre moi me fit perdre la tête. L’alchimie entre nous gagnait à

chaque fois. Les sentiments finiraient par suivre un jour ou l’autre. Je me cambrai pour pousser mes seins contre ses mains, comme si la gravité m’attirait vers lui. Mais je voulais également sa bouche.

Je voulais ramper dans sa tête, entrer dans son esprit. Je voulais tout. Chacun de ses recoins les plus sombres. Chacune de ses pensées.

Nos lèvres se rencontrèrent à nouveau et il poussa un gémissement, ses mains malaxant mes seins.

Sa langue se glissa dans ma bouche et j’eus aussitôt terriblement envie de lui. Besoin de lui. Mon estomac se contracta et mes jambes s’enroulèrent autour de lui, le maintenant fermement. Qu’il essaie de s’échapper maintenant ! Je me battrais bec et ongles pour le garder. Ses doigts caressèrent mes tétons et en titillèrent les pointes tendues. Mes mains remontèrent sur ses avant-bras, ses épaules. Des baisers brûlants recouvrirent mon visage, ma mâchoire, ma nuque. À demi nus ou pas, je crois que je n’aurais même pas remarqué si la fanfare de mon lycée s’était mise à défiler à travers la pièce. Ils pouvaient ramener leurs bâtons de majorette et tout le tintouin. Plus rien d’autre n’avait d’importance.

Pas étonnant que les gens prennent le sexe tellement au sérieux. Le sexe embrouille l’esprit et s’empare du corps. C’était comme être perdu et retrouvé à la fois. Honnêtement, c’était même un peu effrayant.

— Tout ira bien, souffla-t-il en me mordillant le lobe de l’oreille et en frottant son érection contre moi.

Dieu bénisse la personne qui a eu l’idée de mettre une couture sur les jeans à cet endroit-là. Les lumières dansèrent devant mes yeux. Était-ce aussi bon pour lui ? Je voulais le rendre fou et lui donner raison de croire que tout irait bien entre nous.

— Bébé, j’ai simplement besoin d’un peu de temps, me glissa-t-il, son souffle chaud contre ma peau.

— À cause d’elle.

Pas de secrets.

— Ouais, dit-il d’une voix éteinte. À cause d’elle.

La vérité faisait mal.

— Evie, il n’y a que toi et moi ici. Je te le promets.

Sa bouche retrouva la mienne et il m’embrassa délicatement, comme si j’étais fragile. La fermeté

de ses lèvres… La chaleur m’envahit.

— Attends, dis-je en relâchant l’étreinte de mes jambes autour de lui.

Il me regarda, les yeux enfiévrés, brûlants de désir.

— Recule-toi. Je veux descendre.

— Vraiment ?

Sa ravissante bouche s’étira sur les côtés. Le devant de son jean était dans un état de détresse manifeste. Et ça, à cause de moi. Une danse de la victoire autour du plan de travail aurait peut-être été

exagérée mais, merde, comme c’était agréable ! Ce n’était pas elle qui lui faisait cet effet-là

aujourd’hui. C’était moi.

Il m’attrapa les hanches pour m’aider à descendre du plan de travail. Je ne tenais plus sur mes jambes. Il m’interrogea du regard.

— Il y a quelque chose que j’aimerais essayer, expliquai-je, les doigts tremblant d’appréhension et d’excitation.

Je commençai par me débattre avec le bouton de son jean avant de passer à sa braguette.

Ses mains attrapèrent mes poignets.

— Hé. Attends.

Je le regardai d’un air interrogateur. Il n’allait quand même pas me dire qu’il n’en avait pas envie !

Tous les mecs en avaient envie, enfin c’est ce qu’on m’avait dit. Il avait l’air perplexe, comme si j’étais une pièce qui ne voulait pas rentrer dans le puzzle. Honnêtement, je ne savais pas s’il allait m’arrêter ou m’encourager.

— Il y a un problème ? demandai-je, voyant qu’il ne disait rien.

Il retira lentement ses mains de mes poignets et les mit en l’air comme si je pointais un flingue sur lui.

— C’est vraiment ce que tu veux ?

— Oui, David. Pourquoi ? Tu ne veux pas de ma bouche sur toi ?

Un doux sourire étira ses lèvres.

— Tu n’as pas idée à quel point j’en ai envie. Mais c’est encore une première pour toi, n’est-ce pas ?

Je hochai la tête, les doigts jouant avec la ceinture de son jean, sans aller plus loin.

— Voilà pourquoi. Je veux que toutes tes premières fois soient parfaites. Même ça. Et je suis déjà

très excité à la simple idée de ce qui va suivre.

— Oh.

— Je n’ai pas arrêté de penser à toi aujourd’hui. Je foirais tout, incapable de me concentrer. Je ne sais même pas comment on a réussi à sortir quelque chose.

Il passa les doigts dans ses longs cheveux, dégageant son visage. Les mains croisées derrière la tête, il étira son torse musclé. Le bleu sur ses côtes, vestige de la bagarre dans le bar, n’était plus qu’une tache gris foncé, entravant sa perfection. Je me penchai pour l’embrasser à cet endroit. Jamais son regard ne se détacha de mes seins nus. Mes yeux, ma bouche, ma poitrine : il n’avait pas l’air de savoir ce qui le fascinait le plus.

Lentement, j’ouvris sa braguette, laissant apparaître son érection. Pas de sous-vêtements. Au moins, cette fois, je ne sursautai pas lorsque son sexe fit sa soudaine apparition. À deux mains, je lui retirai son jean, libérant sa bite, grande et fière. Comme ce matin, je caressai la peau douce, en appréciai la chaleur. Bizarrement, l’idée de l’appendice masculin ne m’avait jusqu’ici pas particulièrement excitée. À présent, j’étais très excitée, comme mes cuisses serrées pouvaient en attester.

Excitée et très possessive.

— Tu es à moi, murmurai-je en frottant délicatement mon pouce sur le bout de son sexe.

— Oh oui…

Au fil des années, j’avais lu assez de magazines féminins et entendu assez d’histoires de coucheries de Lauren pour savoir comment m’y prendre. Elle adorait donner des détails. Je me fis une note mentale de la remercier, en l’invitant à dîner dans un bon resto.

Je fis glisser ma main sur son sexe, puis massai son gland avec mon pouce, curieuse de voir ce qui allait se passer. C’était beaucoup plus facile sans toute cette mousse. Je n’eus pas à attendre longtemps.

Les muscles de son ventre tressaillirent, comme ce matin dans la douche. Je caressai sa peau douce et lisse et fis coulisser son sexe entre mes doigts. Une perle de liquide d’un blanc laiteux s’échappa.

— Ça veut dire que tu me rends fou, m’informa obligeamment David d’une voix gutturale. Juste au cas où tu te poserais la question.

J’eus un large sourire.

Il poussa un juron.

— J’ai l’impression qu’elle est plus grosse chaque fois que je la vois, remarquai-je.

Il eut un petit sourire en coin.

— Tu m’inspires.

Je le caressai de nouveau et sa poitrine se souleva avec effort.

— Evie, s’il te plaît…

Il était temps d’abréger ses souffrances. Je m’agenouillai, le sol désagréablement dur sous moi.

Quitte à se mettre à genoux devant quelqu’un, un léger inconfort semblait inévitable. Ça ajoutait à

l’ambiance, à l’expérience. Son odeur musquée était plus forte que ce matin. Je pris son pénis dans ma main et caressai sa hanche de mes lèvres.

Il me regardait toujours. J’avais vérifié pour être sûre. Ses yeux étaient immenses, sombres, et entièrement posés sur moi. Ses mains s’agrippaient au plan de travail comme s’il s’attendait qu’un tremblement de terre nous frappe à tout moment.

Lorsque j’entourai son sexe de mes lèvres, il poussa un gémissement. Mon manque d’expérience et sa taille m’empêchèrent de le prendre plus profondément mais ça n’eut pas l’air de le déranger. Le goût salé de sa peau, l’amertume de ce liquide, sa douce odeur et la sensation de son érection fusionnèrent en une expérience unique. Donner du plaisir à David était une chose merveilleuse.

Il gémit et ses hanches tressautèrent, l’enfonçant plus profondément dans ma bouche. Ma gorge se resserra de surprise et je fus prise d’un léger haut-le-cœur. Sa main, apaisante, caressa mes cheveux.

— Je suis désolé, bébé.

Je repris mes soins, le léchant, le pompant. J’essayai de trouver le meilleur moyen de le faire tenir dans ma bouche. Je voulais le faire vibrer. Faire une fellation était magnifique. Sa main se resserra dans mes cheveux, les tira un peu, et j’adorai ça. Tout ça. David ondula rapidement des hanches et sa bite tressauta contre ma langue, remplissant ma bouche avec ce goût salé et amer plus vite que je ne pouvais avaler.

Alors comme ça, ça pouvait être salissant… Aucune importance. J’avais un peu mal à la mâchoire.

Et alors ? Et j’aurais bien bu un petit verre d’eau. Mais sa réaction…

David se laissa tomber à genoux et me prit dans ses bras, pour mieux m’écraser contre lui. Mes côtes craquèrent. Je pressai mon visage contre son épaule et attendis qu’il se soit calmé pour réclamer mes applaudissements.

— Ça allait ? demandai-je, assez confiante quant à la réponse.

Ce qui est, selon moi, toujours le bon moment pour demander.

Il poussa un grognement.

C’était tout ? J’étais plutôt fière de moi et tout ce que j’obtenais, c’était un grognement ? Non, j’avais besoin de plus que ça. Je le voulais et le méritais.

— Tu es sûr ?

Il s’accroupit et me regarda. Il sembla ensuite chercher quelque chose. Le T-shirt qu’il avait abandonné par terre. Il m’essuya sous le menton, me nettoya. Super…

— Il y en a un peu sur ton épaule, lui dis-je en désignant la substance que j’avais malencontreusement transférée sur lui.

Il l’essuya également.

— Le sexe, ça peut être un peu salissant, déclara-t-il.

— Ça c’est sûr.

— Tu prends la pilule ?

— On ne peut pas tomber enceinte comme ça, David.

Le coin de sa bouche se contracta.

— Tu es mignonne. Tu prends la pilule ?

— Non, mais j’ai un implant dans le bras car mes règles sont irrégulières et donc…

Il m’arrêta avec un baiser passionné. Plutôt efficace. Une main tenait tendrement ma tête tandis qu’il m’allongeait par terre et s’étendait sur moi. Je remarquai à peine le carrelage dur et froid sous mon dos. Ça n’avait pas d’importance tant qu’il continuait à m’embrasser. Mes mains se cramponnèrent à

ses épaules, mes doigts glissant sur sa peau moite.

— Tes règles m’intéressent beaucoup, Ev. Je te le jure.

Il embrassa mes joues, mon front.

— Merci.

— Mais pour le moment, j’aimerais savoir si tu as envie de faire l’amour sans protection.

— Sans protection ?

— Je veux dire sans capote.

Ses mains encadrèrent mon visage tandis qu’il me regardait intensément.

— Je suis clean. J’ai fait le test. Je ne prends pas de drogue et, depuis ma rupture, je me suis toujours protégé. Mais c’est toi qui vois.

L’évocation de sa rupture me refroidit un peu, mais pas beaucoup, et pas longtemps. Impossible avec son corps sur le mien et l’odeur de sexe qui flottait dans l’air. Et celle de la pizza. Mais surtout celle de David. Il me donnait l’eau à la bouche, me fit oublier la nourriture. Réfléchir n’était pas facile

étant donné la situation. Je lui avais dit que j’avais confiance en lui, et c’était vrai.

— Bébé, réfléchis-y simplement. Il n’y a pas le feu. O.K. ?

— Je crois qu’on devrait le faire.

— Tu es sûre ?

Je hochai la tête.

Il expira profondément et m’embrassa de nouveau.

— Putain, ce que j’aime ta bouche.

Du bout de son doigt, il suivit le contour de mes lèvres encore un peu enflées.

— Tu as aimé ? C’était bon ?

— C’était parfait. Tu es parfaite. J’ai failli devenir fou rien qu’en sachant que c’était toi. Tu aurais pu me mordre que j’aurais trouvé ça super sexy. (Il éclata de rire puis se hâta d’ajouter : ) Mais évite.

— D’accord.

J’arquai la nuque et pressai mes lèvres sur les siennes, l’embrassant doucement et tendrement. Lui montrant ce qu’il représentait pour moi. Nous étions toujours étendus sur le sol de la cuisine lorsque la minuterie du four se déclencha, nous faisant sursauter. Puis le téléphone se mit à sonner.

— Et merde.

— Je m’occupe de la pizza, annonçai-je en me tortillant pour me dégager.

— Je vais répondre. Personne ne devrait avoir ce numéro.

J’enfilai la manique posée sur le plan de travail. De l’air chaud et la riche odeur de fromage fondu envahirent la pièce lorsque j’ouvris la porte du four. Mon estomac gargouilla. Peut-être avais-je faim, finalement. La pizza était légèrement brûlée sur les bords et la pointe de mes brocolis avait bruni.

Mais rien de bien méchant. Je la posai sur la gazinière froide avant d’éteindre le four.

En arrière-fond, David discutait à voix basse, debout devant la baie vitrée, les jambes écartées et les

épaules crispées, comme s’il se préparait à une attaque. Les gens heureux et détendus ne se tenaient pas comme ça. Dehors, le soleil se couchait. Les tons violets du soir projetaient des ombres sur sa peau.

— Ouais, ouais, Adrian. Je sais, dit-il.

L’appréhension raidit chacun de mes muscles. Non, pas maintenant, par pitié. Tout se passait si bien entre nous. Ne pouvaient-ils pas nous laisser tranquilles juste un tout petit peu plus longtemps ?

— À quelle heure est le vol ? demanda-t-il. Putain. Non, on sera là, détends-toi. Ouais, O.K. Salut.

Il se tourna vers moi, le combiné du téléphone à la main.

— Il se passe des trucs à Los Angeles. Il faut qu’on y retourne, Mal et moi. Adrian nous envoie un hélicoptère. Il faut qu’on se prépare.

Je lui adressai un sourire crispé.

— D’accord.

— Désolé de devoir écourter notre séjour. On reviendra bientôt, O.K. ?

— Absolument. Pas de problème.

C’était un mensonge, car nous rentrions à Los Angeles.

15

Le genou de David gigota durant tout le trajet vers Los Angeles. Lorsque je posai la main sur sa jambe, il se mit à jouer avec mon alliance, la faisant tourner autour de mon doigt. Apparemment, nous avions tous les deux la bougeotte.

Je n’étais jamais montée dans un hélicoptère. La vue était spectaculaire mais c’était bruyant et pas très confortable – je comprenais pourquoi les gens préféraient prendre l’avion. Des réverbères aux maisons en passant par les immenses tours flamboyantes, la ville scintillait. Tout avait changé. J’étais redevenue le petit paquet de nerfs en manque de sommeil que j’étais en quittant Portland, il n’y a pas si longtemps. Mal s’était affalé dans un coin et s’était endormi. Pas inquiet pour un sou. En même temps, il n’avait aucune raison de l’être. Il faisait partie du groupe, bien ancré dans la vie de David.

Nous atterrîmes un peu après 4 heures du matin. Sam le garde du corps nous attendait près de la zone d’atterrissage, la mine grave, très pro.

— Madame Ferris. Messieurs.

Il nous fit entrer dans un gros 4 × 4 noir garé à proximité.

— Directement à la maison, merci, Sam, annonça David.

Sa maison, pas la mienne. Je n’avais aucun bon souvenir à Los Angeles.

Nous fûmes ensuite bien installés dans le luxe, derrière des vitres teintées. Je m’enfonçai dans le siège confortable et fermai les yeux. J’étais stupéfaite d’être à la fois si fatiguée et si inquiète.

Au manoir, Martha attendait, appuyée contre la porte d’entrée, enveloppée dans un châle rouge manifestement hors de prix. L’assistante personnelle de David ne me revenait décidément pas. Mais j’étais bien déterminée à m’acclimater, cette fois-ci. David et moi étions ensemble. Elle allait devoir s’y faire. Ses cheveux noirs brillants et parfaitement coiffés flottaient sur ses épaules. De mon côté, j’avais sans aucun doute l’air de quelqu’un qui n’avait pas dormi depuis longtemps.

Sam ouvrit la portière du véhicule et me tendit la main. Je sentis les yeux de Martha braqués sur moi. David passa un bras autour de mes épaules et me serra contre lui. L’expression du visage de son assistante se durcit. Elle me lança un regard venimeux. Quelle qu’en fût la raison, j’étais trop fatiguée pour m’en préoccuper.

— Martie, gazouilla Mal en montant les marches pour glisser un bras autour de sa taille. Aide-moi

à trouver un petit déjeuner, ma belle.

— Tu sais très bien où est la cuisine, Mal.

Son ton sec n’empêcha pas Mal de l’entraîner avec lui. Les premiers pas de Martha se firent hésitants mais, très vite, elle se pavana, comme à son habitude, toujours en représentation. Mal nous avait libéré la voie. J’aurais pu lui baiser les pieds.

David ne prononça pas un mot tandis que nous montions l’escalier qui menait au premier étage, nos pas résonnant dans le silence. Alors que je me dirigeais vers la chambre blanche, celle dans laquelle j’avais dormi la dernière fois, il me conduisit vers la droite. Nous nous arrêtâmes devant des doubles portes et il sortit une clé de sa poche. Je lui lançai un regard interrogateur.

— Oui, j’ai des problèmes de confiance.

Il déverrouilla la porte.

À l’intérieur, la pièce était simple, loin des antiquités et de la décoration tape-à-l’œil du reste de la maison. Un lit immense avec des draps gris foncés. Un canapé assorti. Des tas de guitares. Une penderie ouverte qui regorgeait de vêtements. Et, surtout, beaucoup d’espace vide. De la place pour qu’il puisse respirer, probablement. Cette chambre paraissait différente du reste de la maison, moins clinquante, plus calme.

— Tu peux jeter un coup d’œil, si tu veux.

Sa main descendit le long de ma colonne vertébrale et s’arrêta juste au-dessus de la cambrure de mes fesses.

— C’est notre chambre, maintenant.

Pourvu qu’il n’ait pas l’intention de vivre ici définitivement. Enfin, je veux dire, il faudrait bien que je retourne à la fac un jour ou l’autre. Nous n’avions pas vraiment eu le temps de discuter de l’endroit où nous allions vivre. Mais la simple idée que Martha, Jimmy et Adrian soient présents en permanence m’angoissait. Merde. Je ne pouvais pas me laisser aller à penser comme ça. Le pessimisme allait m’engloutir. Ce qui comptait, c’était d’être avec David. Rester ensemble et faire marcher notre couple.

Quelle horreur, être forcée de vivre dans le luxe avec mon formidable mari. Pauvre chérie. J’avais besoin d’une bonne gifle et d’une tasse de café. Ou de douze heures de sommeil. L’un ou l’autre ferait des merveilles.

Il tira les rideaux, empêchant les premières lueurs de l’aube d’entrer.

— Tu as l’air crevée. Tu viens t’allonger avec moi ?

— C’est, mmm… Ouais, bonne idée. Je passe juste dans la salle de bains.

— O.K.

David commença à se déshabiller, posa sa veste en cuir sur le fauteuil et retira son T-shirt. La vitalité habituelle de mes hormones était portée disparue. Noyées par l’angoisse. Je me réfugiai dans la salle de bains, j’avais besoin d’une minute pour me ressaisir. Je fermai la porte et allumai les lumières. La pièce s’éclaira, m’aveuglant. Je tâtonnai les interrupteurs jusqu’à obtenir une douce luminosité. Beaucoup mieux.

Une immense baignoire blanche ronde, des murs en pierre grise et des parois en verre. En résumé, c’était somptueux. Un jour, je finirais probablement par m’habituer à tout ça, mais j’espérais que non.

Considérer que cela allait de soi serait affreux.

Un bain me ferait le plus grand bien. Mais je n’étais pas sûre de pouvoir y monter sans me casser la figure ni abîmer quelque chose. Pas dans l’état d’épuisement et de nerfs dans lequel je me trouvais.

Non, une longue douche chaude serait parfaite.

Je retirai mes baskets et mon jean, me déshabillant en un temps record. La cabine de douche aurait pu m’accueillir avec dix de mes amis. Je me plaçai sous son jet délicieux. Quel bonheur… La cascade d’eau chaude détendit mes muscles. J’adorais cette douche. Elle et moi devrions plus souvent passer du bon temps ensemble. À l’exception de David, et, de temps en temps, de Mal, c’était la meilleure chose dans cette maison.

Soudain, les bras de David m’entourèrent la taille, m’attirant à lui. Je ne l’avais même pas entendu entrer.

— Salut.

Je me retournai et me collai à lui, levant les bras pour les passer autour de son cou.

— Je crois que je suis amoureuse de ta douche.

— Tu me trompes avec la douche ? Putain, Evie, c’est cruel.

Il s’empara d’une savonnette et entreprit de me laver, frottant mon ventre, mes seins et, délicatement, entre mes jambes. Lorsque la mousse eut atteint un niveau critique, il la chassa avec de l’eau chaude. Ses mains vigoureuses glissaient sur ma peau, la ramenant à la vie. Mes hormones se réveillèrent à la puissance dix. Un bras puissant s’enroula autour de ma taille. Les doigts de son autre main s’attardèrent sur mon sexe, me caressant légèrement.

— Je sais que tu n’aimes pas être ici. Mais ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.

Ses lèvres effleurèrent mon oreille tandis que la pression montait inexorablement en moi. Je me sentis devenir chaude et liquide, comme l’eau. Mes cuisses tremblèrent. J’écartai les jambes pour l’accueillir.

— Je… je sais.

— C’est toi et moi contre le monde.

Je n’aurais pas pu effacer le sourire sur mon visage, même si je l’avais voulu.

— Mon adorable petite femme. Viens par ici.

Il me plaqua délicatement contre la paroi en verre. Le bout de ses doigts titillait les lèvres de mon sexe, faisant monter le désir. Dieu qu’il était doué pour ça.

— Ta chatte est la plus belle chose que j’aie jamais vue.

Mon estomac palpita de joie.

— Quoi que j’aie fait pour te mériter, je devrais le faire plus souvent.

Il eut un petit rire et sa bouche effleura mon cou avant de le lécher, m’arrachant un gémissement.

J’aurais juré que la pièce tournoyait. Ou alors c’était mon sang qui quittait ma tête pour affluer vers le sud. Mes hanches basculèrent vers lui de leur propre volonté. Mais il ne me laissa pas aller plus loin.

Il frotta son érection contre mes fesses et le bas de mon dos. Mon sexe se serra douloureusement de frustration.

— David.

— Mmm ?

J’essayai de me retourner mais sa main plaquée sur mon entrejambe m’en empêcha.

— Laisse-moi…

— Que je te laisse quoi ? Qu’est-ce que tu veux, bébé ? Dis-le-moi et tu l’auras.

— Je te veux toi.

— Tu m’as. Je suis tout à toi. Sens.

Il se pressa plus fort contre moi, me maintenant fermement.

— Mais…

— Maintenant, voyons ce qui se passe lorsque je caresse ton clitoris.

Légères comme des plumes, ses caresses, concentrées autour de ce point magique, firent monter mon désir encore et encore. Il savait exactement comment me rendre folle. Il l’avait prouvé plus d’une fois. Et la façon dont il se frottait contre moi me fit perdre les pédales. Mon corps savait ce dont il avait besoin et ce n’étaient pas ses doigts. Je voulais sentir de nouveau cette connexion avec lui.

— Attends, dis-je d’une voix perchée et avide.

— Quoi, bébé ?

— Je te veux en moi.

Il glissa un doigt en moi, massant un endroit sous mon clitoris qui me fit voir des étoiles. Mais ça ne me suffisait pas. Ce n’était pas drôle du tout. Ça aurait été vraiment dommage de devoir le tuer, mais il le cherchait.

— David. Je t’en prie.

— Ça ne te plaît pas ?

— J’ai envie de toi.

— Et j’ai envie de toi aussi. Je suis fou de toi.

— Mais…

— Et si je te faisais jouir avec le pommeau de douche ? Ça ne serait pas agréable, ça ?

Malgré mes genoux flageolants, je tapai du pied.

— Non !

Mon mari éclata alors de rire. Salaud…

— Je croyais que tu étais amoureuse de la douche, gloussa-t-il, très fier de lui.

Des larmes de frustration me montèrent aux yeux.

— Non.

— Tu es sûre ? Je suis quasi certain de te l’avoir entendu dire.

— Putain, David, c’est de toi que je suis amoureuse.

Il s’immobilisa totalement. Même le doigt glissé en moi cessa de bouger. Il n’y avait plus que le bruit de l’eau qui ruisselait. On aurait pu croire que ces mots auraient perdu de leur force. N’étions- nous pas déjà mariés ? N’avions-nous pas décidé de le rester ? étant donné notre folle situation, invoquer le mot en A aurait dû perdre son pouvoir mystique. Mais ce n’était pas le cas.

Tout changea.

Des mains puissantes me retournèrent et me soulevèrent, laissant mes pieds pendre en un équilibre précaire. Il me fallut une seconde pour me rappeler où j’étais et ce qui venait de se passer. J’enroulai mes jambes et mes bras autour de lui et me cramponnai. Son visage… Je n’avais jamais vu une expression si féroce et déterminée. Ça allait bien au-delà du simple désir et était plus proche… de l’amour, peut-être ?

Ses mains empoignèrent mes fesses ; il me souleva et me maintint contre lui. Lentement, il me pénétra. Cette fois, pas de douleur pour gâcher mon plaisir. Rien pour me détourner de la merveilleuse sensation de le sentir en moi. Je me tortillai, essayant de trouver une position plus confortable. Aussitôt, ses doigts se plantèrent dans mes fesses.

— Putain…, gémit-il.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Arrête… arrête de remuer.

Je retins ma respiration. Je voulais mémoriser chaque instant de cette expérience parfaite. Ne rien oublier.

Il me plaqua contre la paroi de douche et s’enfonça plus profondément en moi. Un bruit de surprise s’échappa de ma gorge.

— Doucement, murmura-t-il. Ça va ?

Je me sentais totalement remplie. C’était agréable. Enfin je crois. J’attendais de voir où cette nouvelle sensation allait m’emmener.

— Est-ce que tu vas bouger, maintenant ?

— Si tu es d’accord.

— Oui.

Les yeux rivés aux miens, il se retira, me laissant pantelante, avant de me pénétrer de nouveau.

Waouh. Mais il m’en fallait plus. Son bassin bascula vers moi et le plaisir continua de monter. Mon sang bouillonnait, déferlant en moi, brûlant sous ma peau. Je sentais ma bouche sur la sienne, je voulais plus. Je voulais tout. La douceur de ses lèvres et le savoir-faire de sa langue. Je le voulais tout entier. Personne n’embrassait comme David. Comme si m’embrasser surpassait tout le reste :

respirer, manger, dormir, ou tout ce qu’il comptait faire du reste de sa vie.

Mon dos heurta violemment la paroi en verre et nos dents s’entrechoquèrent. Il interrompit notre baiser et m’interrogea du regard sans cesser de bouger. Plus fort, plus vite, il s’enfonça en moi.

C’était meilleur à chaque fois. Il fallait que nous fassions cela tout le temps. Constamment. Rien d’autre ne comptait lorsque c’était comme ça entre nous. Toute inquiétude s’envolait.

C’était tellement bon. Il était tout ce dont j’avais besoin.

Puis il toucha un endroit en moi et tout mon corps se tendit. Mes muscles se contractèrent autour de lui et il s’enfonça plus profondément. Le monde sembla plonger dans l’obscurité. J’explosai en un million de morceaux merveilleux. Cela sembla durer des heures. Mon esprit quitta la stratosphère, j’en étais certaine. Tout étincelait. Si David ressentait la même chose, je ne sais pas comment il réussissait à rester sur ses pieds. Mais il me tenait fermement tandis que je me cramponnais à lui.

Après ce qui me sembla être une éternité, il me reposa à terre. Ses mains autour de ma taille, juste au cas où. Une fois certain que mes membres ne me trahiraient pas, il me retourna vers le jet d’eau.

D’une main délicate, il me nettoya entre les jambes. Au début, je ne compris pas ce qu’il voulait faire et essayai de reculer. Toucher cet endroit à ce moment-là ne me semblait pas une très bonne idée.

— Tout va bien. Fais-moi confiance.

Je restai immobile, tremblant malgré moi. Le monde semblait étrange, à la fois proche et pourtant si loin. La fatigue et le meilleur orgasme de ma vie avaient eu raison de moi.

Puis il coupa l’eau, sortit et attrapa deux serviettes. Il noua l’une autour de sa taille et me sécha avec l’autre.

— C’était bon, non ? demandai-je tandis qu’il s’occupait de moi.

Mon corps frissonnait toujours. Ça me semblait bon signe. Mon monde avait été pulvérisé et reconstruit en une sorte de sabbat amoureux étincelant et irréel. S’il me répondait que c’était pas mal, j’allais sans aucun doute le frapper.

— C’était incroyable, corrigea-t-il en retirant sa serviette pour la jeter sur le lavabo.

Même mon sourire était tremblant. Je le vis dans le miroir.

— Oui, c’était incroyable.

— Nous deux, ça l’est toujours.

Main dans la main, nous retournâmes dans la chambre. Pour une fois, je n’étais pas gênée d’être nue devant lui. Nous grimpâmes dans l’immense lit. J’aurais pu sombrer dans le coma tant j’étais

épuisée. Quel dommage de devoir fermer les yeux alors qu’il était là, en face de moi. Mon mari.

— Tu m’as insulté, dit-il, les yeux amusés.

— Ah, vraiment ?

Il posa une main sur ma cuisse, son pouce caressant ma hanche.

— Tu vas vraiment faire semblant de ne pas t’en souvenir ?

— Non. Je m’en souviens.

Même si je n’avais pas vraiment prévu de l’insulter, ni de lui déclarer mon amour d’ailleurs. Mais je l’avais dit. Je devenais une grande fille.

— J’ai dit que j’étais amoureuse de toi.

— Mmm. Les gens disent parfois des trucs dans le feu de l’action. Ça arrive.

Il m’offrait une échappatoire mais je ne pouvais la saisir. Je ne la saisirais pas, si séduisante fût- elle. Je n’allais certainement pas minimiser un tel moment.

— Je suis vraiment amoureuse de toi, dis-je, mal à l’aise.

De même lorsque je lui avais dit que j’avais confiance en lui, il allait me laisser encore une fois dans l’incertitude. Je le savais.

Son regard, patient et doux, se promena sur mon visage. C’était douloureux. Quelque chose en moi se cassa. À côté de l’amour, le saut en chute libre ou le combat d’ours semblaient plus raisonnables.

Mais il était trop tard pour s’inquiéter. Les mots avaient été prononcés. Si l’amour était réservé aux imbéciles, qu’il en soit ainsi. Au moins, je serais une imbécile honnête.

Il me caressa le visage du dos de la main.

— Tu m’as dit quelque chose de magnifique.

— David, ce n’est pas grave…

— Tu es tellement importante pour moi, me coupa-t-il. Je veux que tu le saches.

— Merci.

Aïe… Ce n’étaient pas exactement les mots que j’avais envie d’entendre après lui avoir déclaré que je l’aimais.

En appui sur un coude, il approcha ses lèvres des miennes et m’embrassa. Il caressa ma langue de la sienne et je chavirai. Il n’y avait plus de place pour l’inquiétude.

— J’ai encore envie de toi, murmura-t-il en s’agenouillant entre mes jambes.

Cette fois, nous fîmes l’amour. Il n’y avait pas d’autre mot pour ça. Il allait et venait en moi à son rythme, pressant sa joue contre la mienne, sa barbe de trois jours me picotant. Il chuchotait des secrets

à mon oreille. Il n’avait jamais ressenti ça pour personne. Il voulait rester auprès de moi pour toujours. La sueur coulait de son corps sur ma peau avant d’imprégner le drap. Il s’imprima en moi.

C’était le bonheur absolu. Doux, tendre et lent. Douloureusement lent vers la fin.

On aurait dit que ça ne s’arrêterait jamais. Si seulement…

16

Lorsqu’il découvrit les bleus sur le visage de David, Adrian piqua une crise. Il ne sembla pas non plus ravi de me revoir. Après m’avoir fusillée du regard, il me congédia dans un coin de l’immense loge. La sécurité gardait l’entrée, ne laissant pénétrer dans le sanctuaire que les VIP.

Le concert avait lieu dans la salle de réception de l’un des grands palaces de la ville. Beaucoup de lustres étincelants et du satin rouge, de grandes tables rondes où se pressaient des stars et l’aréopage de mannequins qui les accompagnait. Heureusement, je portais une robe bleue, la seule qui couvrait à

peu près tout, et une paire de chaussures à talons que Martha avait commandées. Kaetrin, alias Miss

Bikini, la « vieille » amie de David, se trouvait de l’autre côté de la pièce, arborant une robe rouge et un air renfrogné. Elle allait finir par avoir des rides si elle continuait. Heureusement, elle se lassa enfin de me faire la tête et s’en alla. Je ne pouvais pas lui en vouloir d’être en colère. Si j’avais perdu

David, je serais moi aussi dans tous mes états. Les femmes lui tournaient autour dans l’espoir d’attirer son attention. La façon dont il les ignorait me donnait envie de taper dans la main de quelqu’un. Tope là !

Aucun signe de Jimmy. Mal était assis, une superbe Asiatique sur un genou, une blonde à gros seins sur l’autre, bien trop occupé pour me parler. Je n’avais pas encore rencontré Ben, le quatrième membre du groupe.

— Hé, m’interpella David avant d’échanger mon verre de champagne intact par une bouteille d’eau.

Je me suis dit que tu préférerais ça. Tout va bien ?

— Merci. Oui, tout se passe très bien.

Quel homme parfait. Il savait que je ne m’étais pas encore totalement remise de Vegas pour me risquer à boire une goutte d’alcool. Il hocha la tête et tendit le verre de champagne à un serveur. Puis il commença à retirer sa veste en cuir. D’aucuns auraient mis un smoking, mais lui était fidèle à son jean et ses bottes. Sa seule concession pour l’occasion était une chemise noire à col boutonné.

— Tu devrais enfiler ça.

— Tu n’aimes pas ma robe ?

— Si, beaucoup. Mais la clim est un peu forte ici, répondit-il en posant sa veste sur mes épaules.

— Je ne trouve pas, non.

Il me fit un sourire en coin qui aurait fait fondre le cœur le plus endurci. Le mien n’avait aucune chance. Un bras de chaque côté de ma tête, il se pencha, occultant le reste de la pièce et tous ses occupants.

— Crois-moi, tu la trouves trop fraîche.

Son regard se dirigea vers ma poitrine et tout s’éclaira. Ma robe en mousseline était somptueuse mais très transparente. Et, manifestement, mon soutien-gorge n’arrangeait rien.

— Oh !

— Mmm. En plus, je suis censé discuter affaires avec Adrian, mais je n’y arrive pas. Je ne parviens pas à me concentrer car j’adore tes nichons.

— Formidable.

Je posai un bras sur ma poitrine aussi discrètement que possible.

— Ils sont tellement beaux et ils remplissent parfaitement mes mains. C’est comme s’ils étaient faits pour elles, tu vois ?

— David…, le grondai-je gentiment en souriant comme l’imbécile heureuse et excitée que j’étais.

— Parfois, il y a comme ce demi-sourire sur ton visage. Et je me demande à quoi tu penses, là-bas dans ton coin.

— À rien de particulier, j’observe, c’est tout. J’ai hâte de te voir jouer.

— Ah, vraiment ?

— Évidemment ! Je meurs d’impatience.

Il déposa un léger baiser sur mes lèvres.

— Dès que j’ai fini, on s’en va, hein ? On ira quelque part, rien que toi et moi. On fera ce que tu veux. Faire un tour en voiture ou aller manger un morceau, par exemple.

— Rien que nous deux ?

— Absolument. Tout ce que tu voudras.

— Les deux propositions me plaisent.

Son regard plongea de nouveau vers ma poitrine.

— Tu as encore un peu froid. Je pourrais te réchauffer. Qu’est-ce que tu dirais si je te pelotais en public ?

— Certainement pas.

Je me tournai pour prendre une gorgée d’eau. Clim ou pas, il fallait que je me calme.

— Ouais, c’est bien ce que je pensais. Allez, viens. De beaux seins impliquent de belles responsabilités.

J’éclatai de rire et il me prit par la main, me faisant traverser la foule des fêtards. Il ne s’arrêta pour personne.

Au fond de la loge se trouvait une petite pièce avec un présentoir pour vêtements et du maquillage

éparpillé. Des miroirs aux murs, un énorme bouquet de fleurs et un canapé dans lequel un Jimmy en costume très élégant était assis les jambes écartées, une femme à ses genoux. Entre les cuisses de

Jimmy, sa tête faisait des allers-retours. Pas besoin d’être un génie pour comprendre à quoi ils étaient occupés. Le rouge de sa robe me donna un indice sur son identité même si j’aurais pu vivre une longue et heureuse vie sans jamais le savoir. Les cheveux noirs de Kaetrin étaient fermement enroulés dans le poing de Jimmy. Dans son autre main, il tenait une bouteille de whisky. Sur la table basse, deux lignes de poudre blanche et une petite paille en argent.

Merde. C’était donc ça, le mode de vie rock’n’roll ? Soudain, j’eus les paumes moites. Mais ce n’était pas le style de David. Ça ne lui ressemblait pas. Je le savais.

— Ev, dit Jimmy d’une voix rauque, un sourire malsain aux lèvres. Tu es très en beauté, chérie.

Je refermai la bouche d’un coup sec.

— On s’en va, affirma David, blême, avant de m’empoigner les épaules, m’éloignant de cette scène.

— Alors, Dave, on ne dit pas bonjour à Kaetrin ? Pas très sympa. Je croyais que vous étiez de bons amis.

— Va te faire foutre, Jimmy.

Derrière nous, Jimmy poussa un long et bruyant gémissement alors que le spectacle sur le canapé

atteignait sa conclusion logique. David claqua la porte. La fête battait son plein : la sono déversait de la musique, les verres s’entrechoquaient et les conversations s’animaient.

David regardait dans le vague, indifférent à tout ce qui l’entourait. Son visage était tendu.

— David ?

— Cinq minutes, cria Adrian en tapant des mains en l’air. En piste. On y va !

David cligna rapidement des paupières, comme s’il sortait d’un mauvais rêve.

Dans la pièce, l’atmosphère se chargea soudain d’électricité.

La foule applaudit et Jimmy sortit d’un pas mal assuré, Kaetrin sur ses talons. Il y eut de nouvelles acclamations et des cris d’encouragement, ainsi que quelques rires entendus à la réapparition du couple.

— C’est parti ! hurla Jimmy qui serra des mains et tapa dans le dos des gens en traversant la pièce.

Allez, viens, Davie.

Les épaules de mon mari se relevèrent.

— Martha.

La jeune femme s’approcha d’un pas nonchalant, un masque inexpressif sur le visage.

— Que puis-je faire pour toi ?

— Veille sur Ev pendant que je suis sur scène.

— Bien sûr.

— Je dois y aller, mais je reviens vite, me dit-il.

— Mais oui, vas-y.

Il déposa un dernier baiser sur mon front et s’en alla, les épaules rentrées, comme pour se protéger. J’eus soudain l’envie irrépressible de lui courir après. L’arrêter. Faire quelque chose. Mal le rejoignit à la porte et passa un bras autour de son cou. David ne se retourna pas. La foule les suivit et je restai seule à regarder l’exode. Il avait raison, il faisait froid dans cette pièce. Je resserrai sa veste autour de moi, laissant son odeur m’apaiser. Tout allait bien. Si je continuais à me répéter ça, tôt ou tard, ça deviendrait vrai. Même ce qui m’échappait encore finirait par s’éclairer. Il fallait que j’aie la foi. Oh et puis merde, j’avais la foi. Mais mon sourire avait disparu.

Martha m’observait, son expression impeccable inaltérée. Au bout d’un moment, ses lèvres rouges s’entrouvrirent.

— Je connais David depuis très longtemps.

— C’est bien, répondis-je, refusant de me laisser intimider par son regard glacial.

— Oui. Il est très talentueux et déterminé. C’est ce qui le rend si intense, si passionné.

Je restai silencieuse.

— Parfois, il se laisse emporter. Ça ne veut rien dire, ajouta-t-elle en regardant ostensiblement ma bague.

D’un mouvement gracieux, elle glissa ses cheveux noirs derrière son oreille. Au-dessus d’un superbe pendant de pierres rouges se trouvait un petit diamant étincelant. Il était minuscule et ne collait pas aux goûts de luxe de Martha.

— Lorsque tu seras prête, je te montrerai d’où tu peux regarder le concert.

La sensation de vertige qui avait commencé lorsque David s’était éloigné de moi s’accentua. À côté

de moi, Martha attendait patiemment, sans dire un mot, ce dont je lui fus reconnaissante. Elle en avait déjà dit plus qu’assez. Sur son autre oreille, seul l’amas de pierres rouges était à présent visible. Était- il possible que ce soit la jumelle de la boucle d’oreille de David ? Non. Ça n’avait aucun sens.

Des tas de gens portaient de minuscules solitaires en boucles d’oreilles. Même les millionnaires.

Je ravalai mes larmes et lui adressai un sourire forcé.

— On y va ?

Le concert fut incroyable. Martha m’emmena sur le côté de la scène, derrière les rideaux, mais j’avais quand même l’impression d’être au cœur de l’action. La musique vibrait dans ma poitrine, faisant accélérer mon cœur. Mes inquiétudes s’envolèrent momentanément. Il fallait que nous discutions, lui et moi. J’avais été d’accord pour attendre qu’il soit prêt à se confier mais mes questions me taraudaient à présent. Nous avions besoin d’honnêteté.

Une guitare dans les mains, David était un dieu. Pas étonnant que les gens l’idolâtrent. Ses doigts se déplaçaient sur les cordes de sa guitare électrique avec une précision absolue ; sa concentration était totale. Les muscles tendus de ses avant-bras donnaient vie à ses tatouages. J’étais en admiration, bouche bée. Il n’était pas seul sur scène mais il me fascinait. Je n’avais vu que son côté intime, l’homme qu’il était lorsqu’il se trouvait avec moi. Là, on aurait dit quelqu’un de totalement différent.

Un inconnu. Mon mari avait cédé sa place au guitariste. À la rock star. C’était même un peu intimidant. À ce moment précis, sa passion prit pour moi tout son sens. Son talent était un don du ciel.

Ils jouèrent cinq chansons puis on annonça qu’un autre artiste célèbre allait monter sur scène. Les quatre membres du groupe sortirent de l’autre côté. Martha avait disparu. Je ne la regrettai pas, tant pis si les coulisses étaient un dédale de couloirs et de loges. Cette femme était un monstre. J’étais bien mieux seule.

Je repris le chemin inverse à petits pas car mes satanées chaussures me torturaient les pieds. J’avais des tas d’ampoules là où passait la bride, m’écorchant la peau. Mais aucune importance, cela ne ternirait pas ma joie. Je repensai à la musique, à la façon dont David semblait absorbé par son jeu, à

la fois transporté et transformé…

Je souris et jurai doucement, ignorant mes pauvres pieds, me frayant un chemin parmi les roadies, les techniciens, les maquilleuses et autres parasites.

— Petite mariée !

Mal claqua une bise bruyante sur ma joue.

— Je vais en boîte. Vous venez ou vous préférez rentrer dans votre petit nid d’amour ?

— Je ne sais pas. Je vais voir avec David. C’était incroyable, au fait. Vous étiez super !

— Content que tu aies aimé. Mais ne dis pas à David que c’était moi la star. Il est susceptible à ce sujet.

— Bouche cousue.

Il éclata de rire.

— Il est mieux depuis qu’il est avec toi, tu sais ? Les artistes ont une fâcheuse tendance à se regarder le nombril. Je l’ai plus vu sourire ces derniers jours que ces cinq dernières années. Tu lui fais du bien.

— Vraiment ?

— Vraiment, répéta Mal en souriant. Dis-lui que je vais au Charlotte. Peut-être à tout à l’heure.

— Ça marche.

Il s’en alla et je me dirigeai vers la loge du groupe en fendant la foule toujours plus nombreuse. À

l’intérieur, cependant, c’était plutôt calme. Lorsque je passai dans le couloir, Jimmy et Adrian étaient en grande conversation. Je n’allais certainement pas m’arrêter. Sam et un autre garde du corps me firent un signe de la tête lorsque je les croisai.

La porte de la petite pièce dans laquelle j’avais surpris Jimmy plus tôt était entrouverte. La voix de

David me parvint distinctement, malgré le bruit extérieur. C’était comme si j’étais à présent branchée sur sa fréquence à un niveau cosmique. Effrayant mais exaltant à la fois. J’avais hâte de sortir d’ici avec lui. Pour rejoindre Mal ou partir tous les deux. Peu m’importait, du moment que nous étions ensemble.

Je voulais simplement être avec lui.

Le son de la voix de Martha entacha mon bonheur.

— Non ! déclara une voix derrière moi, m’immobilisant sur le seuil de la porte.

Je me retournai et tombai nez à nez avec le quatrième membre du groupe : Ben. Je me souvenais de lui à présent, je l’avais vu lors d’un concert auquel Lauren m’avait traînée des années auparavant. Il jouait de la basse et aurait fait passer Sam le garde du corps pour un chaton en peluche. Des cheveux bruns courts et un cou de taureau. Étrangement attirant, façon serial killer. Ou alors c’était la manière dont il me regardait : yeux bleus d’acier et mâchoire serrée. Encore un toxico, peut-être. Il ne m’inspirait pas confiance.

— Laisse-les régler ça, dit-il à voix basse, le regard rivé sur la porte entrouverte. Tu n’imagines pas à quel point ils s’aimaient.

— Quoi ?

Je me décalai légèrement. Il le remarqua et fit un pas de côté pour se rapprocher de la porte et m’en

éloigner. Il me toisa, son bras puissant me barrant le passage.

— Mal dit que tu es une chic fille, et je n’en doute pas. Mais c’est ma sœur. David et elle ont toujours été fous l’un de l’autre.

— Je ne comprends pas, répondis-je en tressaillant.

— Je sais.

— Pousse-toi, Ben.

— Je suis désolé. Je ne peux pas.

Mais il n’eut pas à le faire. Je soutins son regard, m’assurant de capter totalement son attention.

Puis je reportai mon poids sur l’un de mes talons de prostituée, utilisant l’autre pour ouvrir la porte d’un coup de pied.

David était debout, le dos à demi tourné vers nous, les mains de Martha glissées dans ses cheveux.

Leurs bouches écrasées l’une contre l’autre. C’était un baiser sauvage, laid. Ou peut-être était-ce simplement l’impression que cela donnait de l’extérieur.

Je ne ressentis rien. Assister à cette scène aurait dû m’anéantir, mais ce n’était pas le cas. J’eus seulement l’impression d’être minuscule et de m’éteindre de l’intérieur. Cela semblait étrangement inévitable. Tous les indices avaient été là. Comment avais-je pu être aveugle à ce point ? Penser que tout irait bien ?

Un bruit s’échappa de ma gorge et David interrompit leur étreinte. Il me regarda par-dessus son

épaule.

— Ev, dit-il, le visage fermé et les yeux brillants.

Mon cœur avait dû lâcher. Le sang ne circulait plus. On aurait dit que mes mains et mes pieds s’étaient transformés en glace. Je secouai la tête. Je n’avais pas de mots. Je reculai d’un pas et il tendit une main dans ma direction.

— Ne t’en va pas, dit-il.

— David.

Martha lui fit un sourire dangereux. Aucun autre mot pour le décrire. Elle posa une main sur son bras comme si elle pouvait y planter ses ongles à tout moment. Ce qui était probablement vrai.

David fit un pas vers moi. Je reculai, chancelant sur mes talons. Il s’arrêta et me regarda comme si j’étais une inconnue.

— Bébé, ce n’est rien.

Il tendit de nouveau la main. Je gardai les bras contre ma poitrine comme pour me protéger du danger. Trop tard.

— C’était elle ? Ton amour de jeunesse ?

Sa mâchoire tressauta.

— C’était il y a une éternité. Ça n’a aucune importance.

— Mon Dieu, David…

— Ça n’a rien à voir avec nous.

Plus il parlait, plus je me glaçais. Je fis de mon mieux pour ne pas prêter attention à Ben et Martha plantés dans un coin.

David jura.

— Allez viens, sortons d’ici.

Je secouai lentement la tête. Il m’attrapa le bras, m’empêchant de reculer davantage.

— Bon sang, Evie, qu’est-ce que tu fais ?

— Non, David, qu’est-ce que, toi, tu fais ? Qu’est-ce que tu as fait ?

— Rien, répondit-il, les dents serrées. Je n’ai absolument rien fait. Tu as dit que tu me faisais confiance.

— Pourquoi portez-vous tous les deux la même boucle d’oreille, alors, si ce n’est rien ?

Il porta la main à son oreille, couvrant l’objet incriminé.

— Ce n’est pas ce que tu crois.

— Pourquoi travaille-t-elle encore pour toi ?

— Tu as dit que tu me faisais confiance, répéta-t-il.

— Pourquoi as-tu gardé la maison de Monterey toutes ces années ?

— Non, lança-t-il.

Je le regardai, incrédule.

— Non ? C’est tout ? Ça ne suffit pas. Je n’étais pas censée vous surprendre, c’est ça ?

— Tu ne comprends pas.

— Alors explique-moi, suppliai-je.

Son regard me traversa, comme si j’étais invisible. Mes questions restèrent sans réponses.

— Tu ne peux pas, c’est ça ?

Je fis de nouveau un pas en arrière et son visage se transforma. Il serra les poings, fou furieux.

— Tu n’as pas intérêt à me quitter. Tu m’avais promis !

Je ne connaissais absolument pas cet homme. Pétrifiée, je le regardai, laissant sa colère déferler sur moi.

— Si tu sors de cette pièce, c’est terminé. Ne t’avise pas de revenir.

— Très bien.

— Je ne plaisante pas. Tu ne seras plus rien pour moi.

Derrière moi, Ben ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Sage décision.

— Evie ! rugit David.

Je retirai ces satanées chaussures et c’est pieds nus que je me préparai à ma grande sortie. Autant

être à l’aise. En temps normal, je n’aurais jamais porté de talons comme ça. Et il n’y avait rien de mal

à la normalité. Je m’enveloppai dans le normal comme dans un cocon qui me protégeait de tout. Il me restait toujours mon job au café, mes cours à la fac. J’avais une vie qui m’attendait.

Derrière moi, une porte claqua. De l’autre côté, quelqu’un tapa dessus. Le bruit des cris était

étouffé.

À l’extérieur de la loge, Jimmy et Adrian étaient toujours en grande conversation. Par cela, j’entends qu’Adrian parlait et que Jimmy regardait le plafond en souriant comme un cinglé. Même une fusée n’aurait pas pu l’atteindre, tellement il avait l’air perché.

— Excusez-moi, les interrompis-je.

Adrian se retourna et fronça les sourcils, l’éclat de ses dents blanches arrivant un instant trop tard.

— Evie, ma chérie, je suis en plein milieu d’une conversation là…

— J’aimerais rentrer à Portland. Tout de suite.

— Vraiment ? Très bien.

Il se frotta les mains. Ah, là, je lui avais fait plaisir. Pour une fois, son sourire éclatant était sincère.

Et dire qu’il s’était contenu tout ce temps…

— Sam ! hurla-t-il.

Le garde du corps apparut, fendant la foule avec aisance.

— Madame Ferris.

— Mlle Thomas, rectifia Adrian. Sam, voudriez-vous vous assurer qu’elle rentre chez elle en toute sécurité, s’il vous plaît ?

Ce dernier ne se départit pas de son expression polie et professionnelle.

— Oui, monsieur. Bien sûr.

— Excellent.

Jimmy éclata de rire, de gros éclats de rire qui secouèrent tout son corps. Puis il se mit à glousser.

Le son rappelait vaguement la méchante sorcière de l’Ouest du Magicien d’Oz. Enfin si elle avait été

sous crack ou cocaïne ou quoi que Jimmy se soit mis dans le nez, évidemment.

Ces gens-là, je ne les comprenais décidément pas.

Ce n’était pas mon monde. Ça ne l’avait jamais été.

— Par ici.

Sam posa doucement une main au creux de mes reins, ce qui suffit à me faire avancer. Il était temps de rentrer à la maison, de me réveiller de ce rêve trop-beau-pour-être-vrai qui s’était transformé en ce cauchemar pervers.

Le rire s’intensifia, résonnant dans mes oreilles, puis s’arrêta brusquement. Je me retournai et aperçus Jimmy s’effondrer par terre, son élégant costume à présent tout froissé. Une femme eut un hoquet de surprise. Une autre gloussa et leva les yeux au ciel.

— Putain de merde, grommela Adrian en s’agenouillant à côté de l’homme inconscient avant de lui donner des gifles. Jimmy. Jimmy !

Des gardes du corps baraqués apparurent et entourèrent le chanteur, le dissimulant à ma vue.

— Pas encore ! fulminait Adrian. Allez chercher un médecin ! Merde, Jimmy.

— Madame Ferris ? fit Sam.

— Est-ce qu’il va bien ?

Il jeta un regard dédaigneux en direction de la scène.

— Il s’est probablement simplement évanoui. Ça arrive souvent en ce moment. Vous êtes prête à

partir ?

— Emmenez-moi loin d’ici, Sam. S’il vous plaît.

J’étais de retour à Portland avant le lever du soleil. Je n’avais pas pleuré durant le trajet. C’était comme si mon cerveau avait diagnostiqué l’urgence et cautérisé mes émotions. Je ne ressentais plus rien. J’étais vidée, paralysée. Avant de nous rendre à l’aéroport, nous avions fait un détour pour que

Sam récupère mes affaires. Il me mit dans un jet direction Portland, m’en fit sortir, et me ramena chez moi.

Il insista pour porter mon sac, tout comme il insista pour m’appeler par mon nom d’épouse.

L’homme lançait les meilleurs regards en biais, subtils et inquiets, que j’aie jamais vus de ma vie.

Mais il resta silencieux, ce dont je lui fus immensément reconnaissante.

Je montai comme un zombie les marches de l’immeuble où Lauren et moi vivions. Le couloir sentait l’ail, cadeau de Mme Lucia du rez-de-chaussée, qui passait sa vie à cuisiner. Un papier peint vert qui se décollait et un parquet usé et taché. Heureusement que j’avais enfilé mes Converse sinon mes pieds auraient été plein d’échardes. Rien à voir avec le sol de la maison de David dans lequel on pouvait presque se mirer.

Merde. Je n’avais aucune envie de penser à lui. Tous ces souvenirs appartenaient à une boîte enfouie au fond de mon esprit. Et plus jamais ils ne verraient la lumière du jour.

Ma clé rentrait toujours dans la serrure, ce qui me rassura. J’avais l’impression d’être partie depuis des années. Alors que ça ne faisait même pas une semaine. J’étais partie tôt le jeudi matin, et nous

étions mardi. Moins de six jours. C’était dément. Tout paraissait différent. J’ouvris doucement la porte car il était encore tôt. Lauren devait probablement dormir. Ou peut-être pas. J’entendais des rires.

Elle était, en réalité, allongée sur la petite table sur laquelle nous prenions notre petit déjeuner et gloussait tandis qu’un type enfouissait sa tête sous l’un des vieux T-shirts informes dans lesquels elle dormait. Il la chatouillait et Lauren se tortillait en poussant des petits cris. Heureusement, le type en question portait encore son pantalon. Ils ne remarquèrent même pas notre arrivée.

Sam étudia le mur du fond, évitant la scène. Pauvre homme, les choses dont il avait dû être témoin durant toutes ces années…

— Salut, lançai-je. Hum, Lauren ?

Elle poussa un cri et se redressa, enroulant le type dans son T-shirt dont il essayait de se libérer en se débattant. Si elle l’étranglait accidentellement, au moins partirait-il heureux, vu le spectacle.

— Ev, fit-elle, pantelante. Tu es revenue.

Le type finit par dégager son visage.

— Nathan ? m’exclamai-je, stupéfaite.

Je penchai la tête et plissai les yeux, pour être sûre.

— Salut, dit mon frère en levant une main tandis que de l’autre il tirait sur le T-shirt de Lauren. Ça va ?

— Très bien, ouais. Sam, voici mon amie Lauren et mon frère Nate. Les gars, je vous présente

Sam.

Ce dernier hocha poliment la tête et posa mon sac.

— Puis-je faire autre chose pour vous, madame Ferris ?

— Non, Sam. Merci de m’avoir ramenée.

— Mais je vous en prie.

Son regard se dirigea vers la porte, avant de se reposer sur moi, une petite ride entre ses sourcils.

Je n’en étais pas sûre, mais je crois que c’était ce que Sam avait de plus proche d’un froncement de sourcils. Les expressions de son visage semblaient limitées. Maîtrisées, pour être plus juste. Il s’approcha de moi et me tapota le dos d’un air guindé. Puis il s’en alla en refermant la porte derrière lui.

Mes yeux me brûlaient, menaçant de s’emplir de larmes. Je clignai des paupières comme une folle pour les retenir. Merde, sa gentillesse avait failli fendre ma carapace. Je ne pouvais pas encore me le permettre.

— Alors, vous deux ?

— On est ensemble, oui, répondit Lauren en tendant la main à côté d’elle.

Nate s’en saisit et la serra fort. Pour être honnête, ils allaient bien ensemble. Mais, sans déconner, à

quel point les choses pouvaient-elles devenir encore plus bizarres ? Mon monde avait changé. Tout semblait différent, même si le petit appartement avait l’air identique. Les choses étaient plus ou moins comme je les y avais laissées. La collection de chats en porcelaine de Lauren se trouvait toujours sur l’étagère, à prendre la poussière. Notre mobilier bon marché ou d’occasion et nos murs turquoise n’avaient pas bougé. Mais je crus que plus jamais je n’utiliserais cette table, étant donné la scène dont je venais d’être témoin. Dieu seul savait ce qu’ils avaient pu y faire d’autre.

J’étirai mes doigts pour essayer de faire revenir la vie dans mes membres engourdis.

— Je croyais que vous vous détestiez, tous les deux ?

— C’était le cas, confirma Lauren. Mais… plus maintenant. C’est une histoire vraiment très simple, en fait. C’est juste arrivé, comme ça, pendant ton absence.

— Eh ben…

— Jolie robe, lança-t-elle en m’examinant.

— Merci.

— Valentino ?

Je lissai le tissu bleu contre mon ventre.

— Je ne sais pas.

— C’est un vrai parti pris de la porter avec des baskets, déclara-t-elle avant de lancer un regard à

Nate.

Apparemment, ils pratiquaient déjà la communication silencieuse car il s’éloigna sur la pointe des pieds en direction de la chambre. Intéressant…

Ma meilleure amie et mon frère. Et elle ne m’en avait même pas parlé. En même temps, il y avait des tas de trucs que je ne lui avais pas confiés non plus. Peut-être n’avions-nous plus l’âge de nous dire absolument tout. Quelle tristesse…

Je passai les bras autour de moi pour me réchauffer.

Lauren s’approcha et me prit la main.

— Ma puce, qu’est-ce qui s’est passé ?

Je secouai la tête, évitant ses questions.

— Je ne peux pas. Pas encore.

Je m’appuyai contre le mur et elle me rejoignit.

— J’ai de la glace.

— À quoi ?

— Triple chocolat. J’avais prévu de torturer sexuellement ton frère avec.

Mon vague intérêt pour la glace s’envola aussitôt. Je me frottai le visage avec les mains.

— Lauren, si tu m’aimes, ne redis plus jamais un truc comme ça devant moi.

— Désolée.

Elle m’arracha presque un sourire. Presque.

— Nate te rend heureuse, on dirait ?

— Ouais, vraiment. C’est comme si… je ne sais pas, comme si on était connectés. Depuis le soir où

il est venu me chercher chez tes parents, on ne s’est plus quittés. Il n’est plus en colère comme il l’était au lycée. Il n’enchaîne plus les conquêtes. Il s’est calmé et a grandi. Merde, de nous deux, c’est le plus sensible.

Elle eut une petite moue.

— Mais l’époque où nous partagions le moindre minuscule détail de nos vies est vraiment terminée, n’est-ce pas ?

— Je suppose que oui.

— Dommage… Mais il nous restera toujours nos ragots de collégiennes.

— Ouais.

Je réussis à esquisser un sourire.

— Je suis désolée que les choses aient mal tourné. Enfin, j’imagine, vu la tête que tu tires alors que tu portes une robe absolument sublime.

Elle la dévora des yeux.

— Elle est à toi si tu veux.

Elle pouvait même prendre tout le reste. Je ne voulais plus jamais les toucher. La veste de David que je portais lorsque je m’étais enfuie avec Sam, la bague enfouie dans ma poche. Sam s’assurerait de la rendre à son propriétaire. Sans elle, ma main semblait nue, plus légère. Légèreté et liberté

devraient aller de pair, mais ce n’était pas le cas. J’avais un énorme poids en moi. Cela faisait des heures que je me traînais comme une âme en peine. Dans l’avion. En sortant de l’avion. Dans la voiture. Les escaliers. Ni le temps ni la distance n’y avaient rien fait.

— J’aimerais te prendre dans mes bras mais tu émets le signal « ne me touchez pas », dit-elle, les mains sur ses hanches étroites.

— Désolée.

Le sourire que je lui adressai était tordu et horrible. Je le sentais.

— Plus tard ?

— Quand, plus tard ? Parce que honnêtement tu as l’air d’en avoir terriblement besoin.

Cette fois, je ne pus retenir mes larmes. Elles se mirent à couler et, une fois les vannes ouvertes, impossible de les arrêter. Je les essuyai, en vain, puis renonçai et couvris mon visage de mes mains.

— Fait chier…

Lauren me prit dans ses bras et me serra fort.

— Laisse-toi aller.

Cette fois, je ne me fis pas prier.

17

Vingt-huit jours plus tard

La femme prenait un temps fou pour commander. Penchée au-dessus du comptoir, ses yeux ne cessaient d’aller et venir entre le menu et moi. Je connaissais ce regard. Je le redoutais. J’adorais travailler ici, entre l’arôme des grains de café et le doux bourdonnement de la musique et des conversations. J’aimais l’esprit de camaraderie qui régnait derrière le comptoir, sans compter que travailler m’occupait les mains et l’esprit. Bizarrement, être serveuse m’apaisait. J’étais douée pour

ça. Ça changeait de mes études où je bataillais sans cesse. Si tout s’écroulait, je pourrais toujours me rabattre sur le café. C’était la version moderne de la dactylographie. La ville de Portland fonctionnait

à coups de grains de café et de brasseries. Le café et la bière étaient dans nos gènes.

Mais ces derniers temps, j’avais beaucoup de mal à supporter certains clients.

— J’ai l’impression de vous connaître, commença-t-elle, comme ils le faisaient tous. On ne vous voyait pas partout sur Internet, à un moment ? Une histoire en rapport avec David Ferris ?

Au moins, je ne sursautais plus en entendant son nom. Et ça faisait des jours que je n’avais pas ressenti le besoin de vomir. Car, finalement, je n’étais pas enceinte, simplement en instance de divorce.

Après les premiers jours passés cachée au fond de mon lit à verser toutes les larmes de mon corps, j’avais pris tous les services possibles au café pour me maintenir occupée. Je ne pouvais quand même pas le pleurer indéfiniment. Dommage que mon cœur, lui, n’en soit pas convaincu. Chaque nuit, lorsque je fermais les yeux, je rêvais de David. Je devais le chasser de mon esprit un millier de fois par jour.

Lorsque j’avais fini par refaire surface, les derniers paparazzis obstinés étaient déja retournés à

Los Angeles. Apparemment, Jimmy avait fini en cure de désintoxication. Lauren avait beau changer de chaîne chaque fois que j’entrais dans la pièce, ça ne m’avait pas empêchée d’apprendre ce qui se passait. Partout, on ne parlait que de Stage Dive. Quelqu’un m’avait même demandé de signer une photo de David entrant dans la clinique, la tête baissée et les mains dans les poches. Il avait l’air si seul. À plusieurs reprises, je faillis l’appeler. Simplement pour lui demander si ça allait. Simplement pour entendre sa voix. Complètement stupide, non ? Et si j’appelais et que Martha répondait ?

Quoi qu’il en soit, la descente aux enfers de Jimmy était bien plus intéressante que moi. Ces jours- ci, mon nom n’avait été que très peu mentionné dans la presse.

Mais ces gens, ces clients, me rendaient folle. En dehors du boulot, je m’étais complètement renfermée. C’était dû au fait que mon frère vivait pratiquement avec nous, maintenant. Les amoureux sont écœurants. C’est un fait scientifiquement prouvé. Les clients, avec leurs petits yeux de fouine qui brillaient, ne valaient pas beaucoup mieux.

— Vous devez faire erreur, répondis-je à la curieuse.

— Je ne crois pas, non, rétorqua-t-elle avec un air de sainte-nitouche.

Dix dollars qu’elle était à deux doigts de me demander un autographe. Ce ne serait que la huitième fois aujourd’hui… Certains proposaient même de me ramener chez eux pour avoir des relations sexuelles parce que, vous voyez, l’ex d’une rock star… Mon vagin avait manifestement quelque chose de spécial. Je me demandais parfois s’ils pensaient qu’il y avait une petite plaque qui indiquait que

David Ferris était passé par là.

Mais cette nana-là n’était pas simplement là pour m’observer. Non, elle voulait son autographe.

— Écoutez, insista-t-elle d’un air enjôleur. Je ne vous demanderais pas ça si je n’étais pas une fan absolue.

— Désolée, je ne peux pas vous aider. De plus, nous sommes sur le point de fermer. Voulez-vous encore commander quelque chose ? demandai-je, un charmant sourire plaqué sur le visage.

Sam aurait été fier de ce sourire, si faux soit-il. Mais mes yeux, eux, trahirent la vérité. Que j’étais au bout du rouleau et que je n’en avais plus rien à foutre de rien. Surtout lorsqu’il s’agissait de David

Ferris.

— Pouvez-vous au moins me dire si le groupe va vraiment se séparer ? Allez ! Tout le monde ne parle plus que de ça.

— Je n’en ai aucune idée. Vous commandez quelque chose ou pas ?

Cette attitude entraînait généralement la colère ou les larmes. Elle opta pour la colère. Un choix judicieux car les larmes m’irritaient au plus haut point. Que ce soient les miennes ou celles des autres.

Même si tout le monde savait que j’avais été larguée, ils s’imaginaient malgré tout que j’avais encore des liens. Ou du moins l’espéraient-ils.

Elle eut un petit rire forcé.

— Pas besoin d’être aussi désagréable. Ça vous aurait vraiment tuée de me répondre ?

— Partez, intervint Ruby, mon adorable patronne. Tout de suite. Sortez !

Bouche bée, la femme n’en revenait pas.

— Je vous demande pardon ?

— Amanda, appelle les flics.

Ruby se posta à côté de moi.

— Ça marche, boss.

Amanda dégaina son portable et composa le numéro en jetant un regard mauvais à la femme. Après avoir été la seule lesbienne de mon lycée, elle faisait à présent des études de théâtre. Ces affrontements illuminaient sa journée. S’ils me sapaient le moral, Amanda, elle, en tirait toute sa force. Une force sombre et malveillante, certes, mais elle s’en délectait.

— Oui, nous avons ici une fausse blonde avec un bronzage foireux qui nous cherche des noises, monsieur l’agent. Je suis quasi sûre de l’avoir vue la semaine dernière à une fête d’une confrérie d’étudiants en train de boire avec des mineurs. Je ne préfère pas vous dire ce qui s’est passé ensuite mais la vidéo est disponible sur YouTube pour votre plus grand plaisir, si vous avez plus de dix-huit ans.

— Pas étonnant qu’il t’ait larguée. J’ai vu la photo, ton cul est aussi gros que le Texas, me lança la femme avant de partir précipitamment.

— Tu es vraiment obligée de les provoquer ? demandai-je.

Amanda fit claquer sa langue.

— Oh, ça va. C’est elle qui a commencé.

J’avais entendu pire que les propos de cette nana. Bien pire. J’avais déjà changé d’adresse e-mail à

plusieurs reprises afin d’arrêter l’afflux de messages d’insultes. Et fermé mon compte Facebook quelques jours plus tôt.

Je jetai tout de même un coup d’œil à mes fesses, pour être sûre. C’était limite, mais j’aurais mis ma main à couper que le Texas était quand même un peu plus grand.

— D’après ce que j’ai vu, tu te nourris uniquement de pastilles à la menthe et de cafés au lait. Tu n’as pas à t’inquiéter pour ton cul.

Dieu merci, Amanda m’avait pardonné depuis longtemps ce baiser raté au lycée. J’avais beaucoup de chance d’avoir des amis comme ça. Sans eux, je ne sais vraiment pas comment j’aurais survécu à

ce dernier mois.

— Je mange.

— Vraiment ? Et à qui appartient ce jean ?

Je me mis à nettoyer la machine à café car l’heure de la fermeture approchait réellement. Et

également pour éviter le sujet. Pour être honnête, être trompée et humiliée par l’enfant chéri du rock valait tous les régimes. Mais je ne le recommanderais à personne. Je dormais à peine et étais tout le temps fatiguée. J’étais au bord de la dépression. À l’intérieur comme à l’extérieur, je ne me reconnaissais pas. Les moments passés avec David, la façon dont il avait changé ma vie étaient un tourment perpétuel, une démangeaison que je ne pouvais gratter. Je n’en avais ni la force ni la volonté.

— Lauren ne le porte pas. Elle dit que c’est la mauvaise teinte et que les poches arrière lui font de grosses fesses. Apparemment, l’emplacement des poches arrière est primordial.

— Et depuis quand tu portes les vêtements de cette anorexique ?

— Ne l’appelle pas comme ça.

Amanda leva les yeux au ciel.

— Pour elle, c’est un compliment.

Pas faux.

— Enfin bref, j’aime beaucoup ce jean. Tu nettoies les tables ou tu veux que je le fasse ?

Elle soupira.

— Jo et moi voudrions te remercier de nous avoir aidées à déménager le week-end dernier. Alors ce soir, on te sort. On va boire et danser !

— Oh.

L’alcool et moi avions déjà très mauvaise réputation.

— Je ne sais pas…

— Moi, je sais.

— J’avais prévu de…

— Non, c’est faux. C’est pour ça que j’ai attendu la dernière minute pour te l’annoncer. Je savais que tu essaierais de te défiler. (Ses yeux sombres ne souffraient aucune excuse.) Ruby, j’emmène notre petite Evie faire une virée en ville.

— Bonne idée, répondit cette dernière de la cuisine. Sors-la d’ici. Je finirai de nettoyer.

Mon charmant sourire étudié s’effaça de mon visage.

— Mais…

— Et voilà le retour des yeux tristes, soupira Ruby en me confisquant mon chiffon. Je ne peux plus les supporter. Je t’en supplie, sors et amuse-toi.

— Je suis si rabat-joie que ça ? demandai-je, soudain inquiète.

Je pensais sincèrement faire bonne figure. Mais leurs visages m’indiquaient le contraire.

— Non. Tu es une jeune femme de vingt et un ans, tout ce qu’il y a de plus normale, qui sort d’une rupture. Il faut que tu te remettes en selle.

Ruby était une future mariée d’à peine trente ans.

— Fais-moi confiance. Je parle d’expérience. Allez, file.

— Ou bien, renchérit Amanda en agitant un doigt dans ma direction, tu peux rentrer chez toi et regarder Walk the Line pour la huit centième fois tout en écoutant ton frère et ta meilleure amie s’envoyer en l’air dans la pièce voisine.

Présenté comme ça…

— Allons-y.

— Je veux être bi, annonçai-je.

Une fille se devait d’avoir des buts dans la vie. Je repoussai ma chaise et me levai.

— Venez danser. J’adore cette chanson !

— Tu aimes toutes les chansons qui ne sont pas du groupe dont on ne doit pas prononcer le nom, rit Amanda en me suivant à travers la foule.

Jo, sa petite amie, se contenta de secouer la tête. La vodka était très probablement une aussi mauvaise idée que la tequila, mais je me sentais plus détendue, plus libre. Ça faisait du bien de sortir et, à jeun, ces trois verres avaient visiblement fait leur effet. Je soupçonnais même Amanda de m’avoir commandé un double. Quel bonheur de danser, rire et se laisser aller. De toutes les tactiques pour se remettre d’une rupture que j’avais essayées, s’occuper l’esprit était la meilleure. Mais bien s’habiller pour aller boire et danser n’était pas mal non plus.

Je glissai mes cheveux derrière mes oreilles car ma queue-de-cheval s’était à nouveau défaite.

Parfaite métaphore de ma vie. Depuis que j’étais revenue de Los Angeles, rien ne fonctionnait. Rien ne durait. L’amour était un mensonge et le rock craignait. Blablabla. Il était temps de reprendre un verre.

De plus, j’étais sur le point d’aborder un point important.

— Je suis sérieuse, insistai-je. Je vais devenir bi. C’est mon nouveau plan.

— Je trouve ça super, cria Jo qui dansait à côté de moi.

Elle travaillait également au café, c’était comme ça qu’elle et Amanda s’étaient rencontrées. Elle avait de longs cheveux bleus que tout le monde lui enviait.

Amanda leva les yeux au ciel.

— Tu n’es pas bi. Chérie, ne l’encourage pas.

Jo se fendit d’un large sourire faussement innocent.

— La semaine dernière, elle voulait devenir lesbienne. Et avant, elle parlait de monastère. Je trouve que c’est un grand pas pour aller de l’avant et pardonner à tout être humain doté d’un pénis.

— Je vais de l’avant, affirmai-je.

— C’est pour ça que vous avez parlé de lui pendant les quatre dernières heures ?

Amanda sourit et passa ses bras autour des épaules de Jo.

— On ne parlait pas de lui. On l’insultait. Comment dit-on « espèce de sale mouton pervers dégueulasse » en allemand, déjà ? demandai-je en me penchant pour être entendue par-dessus la musique. C’est ma préférée.

Jo et Amanda dansaient à présent collées-serrées et je m’éloignai. Je n’avais pas peur d’être seule.

J’étais remontée à bloc, façon girl power. Qu’il aille se faire foutre. Bien comme il faut.

La musique se mua en un long rythme continu et du moment que je continuais à bouger tout allait bien. La sueur perlait sur ma nuque et j’ouvris un autre bouton de ma robe, accentuant mon décolleté.

Je ne prêtai pas attention aux gens qui dansaient autour de moi. Je fermai les yeux, bien à l’abri dans mon petit monde. Quel bonheur d’être pompette !

Pour je ne sais quelle raison, les mains qui glissèrent le long de mes hanches ne me dérangèrent pas, même si elles n’y avaient pas été invitées. Elles n’allèrent pas plus loin, sans autre sollicitation.

Leur propriétaire dansait derrière moi, laissant une distance raisonnable entre nous. C’était agréable.

Peut-être la musique m’avait-elle hypnotisée. Ou peut-être me sentais-je seule, car je n’offris aucune résistance. Au lieu de ça, je me laissai aller contre lui. Tout le long de la chanson suivante, nous restâmes comme ça, collés, en nous balançant. Le rythme ralentit et je levai les bras, croisant les mains derrière sa nuque. Après un mois à éviter presque tout contact humain, mon corps s’éveillait.

Les doux cheveux courts à la base de son cou caressaient mes doigts. Et, en dessous, une peau douce et chaude.

Dieu que c’était bon. Je ne m’étais pas rendu compte combien j’avais besoin de toucher et d’être touchée.

Je posai ma tête contre lui et il me chuchota quelque chose. Si doucement que je ne le compris pas.

Les doux poils sur sa joue et sa mâchoire picotaient légèrement mon visage. Les mains glissèrent sur mes côtes, mes bras. Des doigts calleux me caressèrent doucement les bras. Son corps était massif, fort, mais ses gestes restaient légers, retenus. Je n’étais pas disponible. Mon cœur était trop blessé

pour ça, mon esprit trop méfiant. Cependant, je n’arrivais pas à me résoudre à m’éloigner de lui.

J’étais trop bien.

— Evie, murmura-t-il, ses lèvres taquinant mon oreille.

Mon souffle se coupa et mes paupières s’ouvrirent d’un seul coup. Je me retournai pour découvrir

David qui me regardait intensément. Il avait coupé ses cheveux. Un peu longs au-dessus mais coupés court sur les côtés. Il ferait probablement un parfait Elvis, si l’envie lui en prenait. Une légère barbe sombre recouvrait le bas de son visage.

— Tu… tu es là, bégayai-je.

Ma langue me semblait épaisse et inutile dans ma bouche sèche. Mon Dieu, c’était vraiment lui. Ici,

à Portland. En chair et en os.

— Oui.

Ses yeux bleus étincelaient. Il n’ajouta rien de plus. Autour de nous, la musique continuait de jouer, les gens de danser. Le monde ne s’était arrêté que pour moi.

— Pourquoi ?

— Ev ?

Amanda posa une main sur mon bras et je sursautai. Le charme était rompu. Elle lança un bref regard à David et son visage se plissa de dégoût.

— Qu’est-ce qu’il fout ici ?

— C’est bon, murmurai-je.

Son regard passa de David à moi. Elle n’avait pas l’air vraiment convaincue. Comment lui en vouloir ?

— Amanda. S’il te plaît.

Je serrai ses doigts et hochai la tête. Au bout de quelques instants, elle finit par rejoindre Jo qui observait David d’un air franchement incrédule. Des étoiles dans les yeux. Le nouveau look de David faisait un parfait déguisement. À moins de savoir qui chercher, naturellement.

Je me fendis un passage à travers la foule. Foutre le camp d’ici, et vite. Je savais qu’il allait me suivre. Évidemment qu’il allait me suivre. Il n’était pas là par hasard, même si je ne savais pas comment diable il m’avait trouvée. Il fallait que je m’éloigne de la chaleur et du bruit pour remettre de l’ordre dans mes idées. Je traversai le couloir, dépassai les toilettes. Voilà ce que je cherchais : une grande porte noire ouvrait sur une ruelle sombre. De l’air frais. Quelques étoiles audacieuses brillaient au-dessus de ma tête, mais sinon, il faisait noir et humide. C’était sale, sordide, abominable.

L’endroit idéal.

Bon, O.K., j’en faisais peut-être un peu trop.

La porte claqua derrière David. Il me faisait face, les mains sur les hanches. Il ouvrit la bouche pour parler et puis non, pas un mot.

— David, qu’est-ce que tu fais ici ? lançai-je d’un ton sec.

— Il faut qu’on parle.

— Absolument pas.

Il se frotta la bouche.

— S’il te plaît. J’ai des choses à te dire.

— Trop tard.

Le regarder ravivait la douleur. Comme des plaies qui ne demandaient qu’à refaire surface. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de le regarder. Une partie de moi désirait le voir, l’entendre. Ma tête et mon cœur étaient en miettes. Lui non plus n’avait pas l’air au mieux de sa forme. Il paraissait fatigué.

Il avait des cernes sous les yeux et semblait un peu pâle. Il ne portait plus ses boucles d’oreilles. Non pas que ça m’intéressait.

Il m’adressa un regard où se lisait le désespoir.

— Jimmy est entré en cure de désintox et j’ai dû régler quelques trucs. On a dû faire une thérapie tous ensemble, ça fait partie de son traitement. C’est pour ça que je n’ai pas pu venir tout de suite.

— Je suis désolée pour Jimmy.

Il hocha la tête.

— Merci. Il va beaucoup mieux.

— Bien. Tant mieux.

Nouveau hochement de tête.

— Ev, à propos de Martha…

— Holà ! (Je levai une main et le forçai à reculer.) Arrête.

Sa bouche s’affaissa.

— Il faut qu’on parle.

— Vraiment ?

— Oui.

— Alors comme ça, maintenant, tu es prêt ? Va te faire foutre, David. Ça fait un mois. Vingt-huit jours sans un mot. Je suis désolée pour ton frère, mais c’est non.

— Je voulais être sûr de venir à Portland pour les bonnes raisons.

— Je ne sais même pas ce que ça veut dire.

— Ev…

— Non.

Je secouai la tête, animée par la douleur et la colère. Je le poussai un peu plus fort, le faisant reculer d’un pas. Il touchait le mur à présent mais ça ne m’arrêta pas.

Je m’apprêtais à réitérer mon geste mais il m’attrapa les mains.

— Calme-toi.

— Non !

Ses mains encerclèrent mes poignets. Il grinça si fort des dents qu’il était étonnant qu’il ne se soit rien cassé.

— Non, quoi ? Non, on ne discute pas maintenant ? Explique-moi. Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire : non à tout ce qui te concerne.

Mes paroles résonnèrent dans la ruelle étroite, rebondirent sur les bâtiments, jusqu’à s’évanouir dans le ciel indifférent de la nuit.

— C’est fini entre nous, tu te rappelles ? Tu en as terminé avec moi. Je ne suis rien pour toi. Tu l’as dit toi-même.

— J’ai eu tort. Merde, Ev. Calme-toi. Écoute-moi.

— Lâche-moi.

— Je suis désolé. Mais ce n’est pas ce que tu crois.

À court d’options, je l’affrontai.

— Tu n’as pas le droit de te pointer ici, maintenant. Tu m’as menti. Tu m’as trompée.

— Bébé…

— Comment oses-tu m’appeler comme ça ? hurlai-je.

— Je suis désolé.

Son regard parcourut mon visage, essayant peut-être de trouver un sens à ma réaction.

— Je suis désolé.

— Stop.

— Je suis désolé. Je suis désolé, répétait-il encore et encore, psalmodiant les mots les plus creux du monde.

Il fallait que ça s’arrête. Que je l’arrête avant qu’il ne me rende cinglée. Je plaquai ma bouche contre la sienne, mettant un terme à son inutile litanie. Il gémit et m’embrassa sauvagement à son tour, meurtrissant mes lèvres. La douleur aidait. J’enfonçai ma langue dans sa bouche, prenant ce qui était censé m’appartenir. En ce moment, je le détestais et je l’aimais. Il ne semblait pas y avoir de différence.

Je passai les mains autour de son cou. Il nous retourna et plaqua mon dos contre le mur de brique rugueux. Son contact me brûlait la peau. C’était arrivé tellement vite que je n’eus pas le temps de réfléchir à ce que nous étions en train de faire. Il releva ma robe et arracha ma culotte. La fraîcheur de la nuit et la chaleur de ses paumes s’immiscèrent entre mes cuisses.

— Tu m’as tellement manqué, grogna-t-il.

— David…

Il baissa sa braguette et son jean puis remonta mes jambes à hauteur de ses hanches. Mes mains agrippèrent sa nuque, comme si j’essayais de lui grimper dessus. Je ne réfléchissais pas, seulement mue par le désir d’être physiquement aussi proche de lui que possible. Il me mordit la lèvre avant d’écraser sa bouche sur la mienne. Il frotta son érection contre moi avant de me pénétrer. La sensation de son sexe en moi me fit tourner la tête. Il passa son autre main sous mes fesses pour me soulever et s’enfonça plus profondément en moi, m’arrachant un gémissement. J’enroulai mes jambes autour de lui et le serrai fort. Il me pilonna sans merci. La brutalité collait à notre humeur. Mes ongles lui griffaient la nuque, mes talons frappaient son cul. Il me mordit le cou. La douleur était exquise.

— Plus fort, haletai-je.

— Putain, oui.

La brique dure m’éraflait le dos et faisait remonter ma robe. La violence de ses coups de rein me coupa le souffle. Je m’accrochai à lui, essayant de savourer les sensations qui m’envahissaient, le plaisir qui montait en moi. C’était trop et pas assez à la fois. La simple idée que ce puisse être la dernière fois me donna envie de pleurer, mais je n’avais plus de larmes. Ses doigts s’enfoncèrent dans mes fesses. La tension en moi s’intensifia. Il changea légèrement d’angle, toucha mon clitoris, et je jouis bruyamment, mes bras autour de sa tête, ma joue contre la sienne. Sa barbe effleura mon visage et tout mon corps frissonna.

— Evie, grogna-t-il avec une dernière poussée, se déversant en moi.

Chaque muscle de mon corps se liquéfia. Je ne pouvais rien faire d’autre que m’accrocher à lui.

— Tout va bien, bébé.

Il pressa ses lèvres contre mon visage humide.

— Tout va bien se passer, je te le promets. Je vais réparer ça.

— R-repose-moi.

Ses épaules montaient et redescendaient au rythme de sa respiration haletante et il me reposa au sol.

Je baissai rapidement le bas de ma robe pour me rendre présentable. Comme si c’était même possible.

Cette situation était hors de contrôle. Il remonta nonchalamment son jean. J’évitais son regard. Une ruelle. Bordel.

— Ça va ?

Ses doigts caressèrent mon visage et arrangèrent mes cheveux. Jusqu’à ce que je pose une main sur sa poitrine pour l’obliger à reculer. Enfin, pas tout à fait. Il décida de me donner de l’espace.

— Je… euh… (Je me léchai les lèvres et essayai de nouveau.) Je dois rentrer.

— Viens. Je vais nous trouver un taxi.

— Non. Je suis désolée. Je sais que c’est moi qui ai commencé, mais…, déclarai-je en secouant la tête. C’était un adieu.

— Tu parles ! N’essaie pas de me faire croire ça.

Il glissa un doigt sous mon menton pour me forcer à le regarder.

— Ce n’est pas fini entre nous, tu m’entends ? Absolument pas. Nouveau programme : je ne quitterai pas Portland tant que nous n’aurons pas éclairci tout ça. Je te le promets.

— Pas ce soir.

— Non. Pas ce soir. Demain, alors ?

J’ouvris la bouche mais rien n’en sortit. Je ne savais pas ce que j’avais eu l’intention de dire. Mes ongles s’enfoncèrent dans mes côtes à travers mon vêtement. Ces derniers temps, j’étais incapable de savoir ce que je désirais réellement. Arrêter de souffrir serait déjà pas mal. Éradiquer de ma tête et de mon cœur tout souvenir de lui. Pouvoir respirer normalement de nouveau.

— Demain, répéta-t-il.

— Je ne sais pas.

Je me sentais si fatiguée. J’aurais pu dormir pendant un an. Mes épaules s’affaissèrent et mon cerveau s’enraya.

Il me regarda passionnément.

— O.K.

Ce qui allait ensuite se passer entre nous, je n’en avais aucune idée. Mais je hochai la tête comme si quelque chose avait été convenu.

— Bien, déclara-t-il en prenant une profonde inspiration.

Mes muscles tremblaient toujours. Du sperme coula à l’intérieur de ma cuisse. Merde. Nous avions déjà eu cette discussion, mais les choses étaient alors différentes.

— David, as-tu eu des rapports non protégés ce mois-ci ?

— Tu n’as aucun souci à te faire.

— Bien.

Il fit un pas vers moi.

— En ce qui me concerne, nous sommes toujours mariés. Alors non, Evie, je ne t’ai pas trompée à

tort et à travers.

Je ne savais pas quoi répondre. Mes genoux vacillèrent. Sûrement à cause des récents événements.

Le soulagement d’apprendre qu’il ne s’était pas vengé en couchant avec des groupies devait y être pour quelque chose, j’imagine. Je n’avais même pas envie de penser à Martha, ce monstre marin tentaculaire des profondeurs.

Le sexe était tellement compliqué. Mais l’amour était encore pire, et de loin.

L’un de nous devait partir. Il ne fit aucun geste alors je m’en allai, me précipitant à l’intérieur du club pour retrouver Amanda et Jo. J’avais besoin de nouveaux sous-vêtements et d’une greffe du cœur. Il fallait que je rentre chez moi. Il me suivit, ouvrit la porte. Le bourdonnement de la musique résonnait dans la nuit.

Je me précipitai dans les toilettes des filles et m’enfermai dans une cabine pour me nettoyer.

Lorsque j’en ressortis pour me laver les mains, je n’osai pas me regarder dans le miroir. La lumière dure des néons ne m’épargna pas. Mes longs cheveux blonds n’étaient plus qu’une masse désordonnée, mes yeux écarquillés et battus. J’avais l’air terrifiée. Et un gigantesque suçon apparaissait sur mon cou. Merde.

Deux filles entrèrent en gloussant et en coulant des regards pleins d’envie derrière leurs épaules.

Avant que la porte ne se referme, j’aperçus David qui m’attendait, appuyé contre le mur opposé, les yeux rivés sur ses bottes. Le bavardage excité des filles sonnait faux. Mais elles ne prononcèrent pas son nom. Son déguisement tenait la route. Les bras serrés autour de moi, je sortis le retrouver.

— Prête ? demanda-t-il en se redressant.

— Ouais.

Nous partîmes à la recherche d’Amanda et de Jo, en évitant les danseurs et les gens ivres. Elles se trouvaient au bord de la piste de danse en train de discuter. Amanda semblait franchement mécontente.

Elle me dévisagea, un sourcil arqué.

— Tu te fous de moi ?

— Merci pour cette soirée, les filles. Mais je vais rentrer, annonçai-je, feignant de ne pas voir son regard chargé de sous-entendus.

— Avec lui ? demanda-t-elle en désignant du menton David, caché derrière mon épaule.

Jo s’avança et me prit dans ses bras.

— Ne fais pas attention à elle. Écoute ton cœur.

— Merci.

Amanda leva les yeux au ciel mais me serra à son tour dans ses bras.

— Il t’a fait tellement de mal.

— Je sais. (Mes yeux s’emplirent de larmes.) Merci de m’avoir invitée ce soir.

J’aurais mis ma main au feu qu’Amanda était en train de fusiller David du regard. J’eus presque de la peine pour lui. Presque.

Nous quittâmes la boîte alors que les enceintes diffusaient une de ses chansons. De nombreuses personnes s’écrièrent : « Stage Dive ! » La voix de Jimmy susurra les paroles : « Damn I hate these last days of love, cherry lips and long goodbyes… »

David baissa la tête et nous sortîmes en hâte. Dehors, la chanson n’était plus qu’une pulsation lointaine de basse et de batterie. Je jetai de rapides regards en biais pour vérifier qu’il était vraiment là et non un produit de mon imagination. Combien de fois avais-je rêvé qu’il vienne me retrouver ?

Et, chaque fois, je m’étais réveillée seule, le visage baigné de larmes. Il était là à présent, et je ne pouvais pas prendre le risque de souffrir à nouveau. Je n’étais pas certaine de m’en sortir une deuxième fois. Mon cœur n’y résisterait peut-être pas. Alors je fis de mon mieux pour garder ma bouche et mon esprit fermés.

Il était encore relativement tôt et les rues étaient quasi désertes. Je levai la main et un taxi s’arrêta presque tout de suite. David m’ouvrit la portière. Je montai à l’intérieur sans un mot.

— Je te raccompagne.

Il se glissa à côté de moi et, surprise, je me décalai sur la banquette.

— Tu n’as pas besoin de…

— Si. O.K. ? J’en ai besoin, alors ne…

— D’accord.

— On va où ? demanda le chauffeur en nous lançant un regard indifférent dans le rétroviseur.

Encore un couple qui se disputait sur son siège arrière. J’étais sûre qu’il en voyait des dizaines chaque soir.

David débita mon adresse sans hésiter. Le taxi s’engagea dans le flot des voitures. Il avait très bien pu obtenir mon adresse par Sam, quant au reste…

— Lauren, soupirai-je en m’enfonçant dans mon siège. Évidemment. Voilà comment tu m’as trouvée.

Son visage se crispa.

— Je lui ai parlé tout à l’heure. Ne lui en veux pas. J’ai eu beaucoup de mal à la convaincre.

— Ouais, bien sûr.

— Je suis sérieux. Elle m’a passé un savon pour avoir tout gâché et m’a hurlé dessus pendant une demi-heure. Ne lui en veux pas, s’il te plaît.

Je serrai les dents et regardai par la fenêtre. Ses doigts effleurèrent les miens. Je retirai ma main.

— J’ai le droit de te prendre toi, mais pas ta main ? murmura-t-il, son visage triste dans la faible lueur des voitures et des réverbères.

J’étais sur le point de lui dire que ça avait été un accident. Que ce qui s’était passé entre nous était une erreur. Mais je ne pouvais pas. Je savais combien ça lui aurait fait mal. Nos regards se croisèrent ;

ma bouche resta ouverte, muette.

— Putain, tu m’as tellement manqué, dit-il. Tu n’imagines même pas.

— Arrête.

Il se tut mais ne détourna pas les yeux. Je restai assise là, prisonnière de son regard. Il semblait si différent avec ses cheveux courts et sa petite barbe. Familier et inconnu à la fois. Le trajet jusqu’à

chez moi n’était pas long mais il sembla durer une éternité. Le taxi s’arrêta devant mon vieil immeuble et le chauffeur me lança un regard impatient par-dessus son épaule.

J’ouvris la portière mais mon pied resta en suspens au-dessus du trottoir.

— Je pensais sincèrement ne plus jamais te revoir.

— Hé, fit-il en allongeant le bras, mais ses doigts se tendirent vers moi sans m’atteindre. Tu vas me revoir encore. Demain.

Je ne savais pas quoi dire.

— Demain, répéta-t-il d’une voix décidée.

— Je ne sais pas si ça changera quelque chose.

Il se frotta le menton en inspirant brusquement.

— Je sais que j’ai déconné mais je vais arranger ça. Ne prends pas encore de décision, O.K. ?

Accorde-moi au moins ça.

Je hochai rapidement la tête et m’engouffrai à l’intérieur de l’immeuble d’un pas mal assuré. Une fois la porte fermée, le taxi s’en alla, ses feux arrière disparurent à travers le verre dépoli de la porte d’entrée.

Et maintenant, qu’étais-je censée faire ?

18

J’étais en retard pour aller travailler. Je m’agitais dans tous les sens pour essayer de me préparer.

Je me précipitai dans la salle de bains, sautai dans la douche. Je me frottai le visage pour me débarrasser des vestiges du maquillage de la veille. Avec ma chance, j’allais avoir des boutons, pour couronner le tout. La nuit dernière était une espèce de rêve étrange. Mais j’étais de retour dans la vie normale. Le boulot, la fac, les amis. Mes perspectives pour l’avenir. Voilà ce qui comptait. Et, si je continuais à me le répéter, cela finirait par devenir vrai.

En dehors du T-shirt officiel du café, Ruby ne se préoccupait pas de notre tenue. Elle était plutôt du genre alternatif. Elle voulait être poète mais avait hérité du café-restaurant de sa tante dans Pearl

District. L’urbanisation avait fait flamber les prix et Ruby était très vite devenue une femme d’affaires fortunée. À présent, elle écrivait ses poèmes sur les murs du café. Je ne pouvais rêver meilleure patronne. Mais en retard, c’était en retard. Pas bon.

La veille, j’étais restée éveillée à repenser à ce qui s’était passé avec David dans la ruelle. À revivre le moment où il m’avait dit que, pour lui, nous étions toujours mariés. Dormir aurait été bien plus bénéfique. Dommage que mon cerveau n’ait pas voulu déconnecter.

J’enfilai une jupe crayon noire, le T-shirt du café et une paire de ballerines. Et voilà. Rien ne ferait disparaître les cernes sous mes yeux. Les gens avaient fini par s’habituer à les voir sur moi ces derniers temps. J’utilisai environ un demi-tube de fond de teint pour masquer les suçons sur mon cou.

Je quittai la salle de bains dans un nuage de vapeur juste à temps pour voir Lauren sortir de la cuisine d’un pas nonchalant, un grand sourire aux lèvres.

— T’es à la bourre.

— Totalement.

Mon sac à main sur l’épaule, j’attrapai mes clés sur la table et me préparai à partir. Je n’avais pas le temps pour ça. Pas maintenant. Peut-être même jamais. Je ne voyais pas quelle bonne raison elle avait de prendre parti pour David. Le mois dernier, elle avait passé des nuits entières à m’écouter parler de lui chaque fois que j’en avais eu besoin. Parce qu’il fallait que ça sorte. Chaque jour, je lui avais répété que je ne la méritais pas et elle m’avait embrassée sur la joue. Pourquoi me trahir maintenant ?

Je dégringolai l’escalier avec un peu trop d’entrain.

— Ev, attends.

Lauren me rattrapa alors que je dévalai les marches du perron.

Je fis volte-face, les clés de l’appartement brandies comme une arme.

— Tu lui as dit où j’étais.

— Qu’est-ce que j’étais censée faire ?

— Oh, je ne sais pas. Ne pas le lui dire, par exemple ? Tu savais très bien que je ne voulais pas le revoir.

Je l’inspectai, remarquant toutes sortes de détails que j’aurais préféré ne pas voir.

— Coiffée et maquillée à cette heure-ci ? Sérieux, Lauren ? Tu t’attendais à le voir, peut-être ?

Elle baissa la tête ; elle avait au moins la décence d’avoir l’air gênée.

— Je suis désolée. Tu as raison, je me suis laissée emporter. Mais il est ici pour faire amende honorable. J’ai pensé que tu voudrais peut-être écouter ce qu’il avait à dire.

Je secouai la tête, bouillonnant de fureur.

— Ce n’était pas à toi d’en décider.

— Mais tu es malheureuse ! Qu’est-ce que tu voulais que je fasse ? s’écria-t-elle en levant les bras au ciel. Il a dit qu’il était venu pour arranger les choses. Et je l’ai cru.

— Évidemment que tu l’as cru. Il s’agit de David Ferris, l’idole de ton adolescence.

— Non. S’il n’était pas venu pour te baiser les pieds, je l’aurais tué. David Ferris ou pas, il t’a fait souffrir.

Elle semblait sincère, la bouche pincée et les yeux écarquillés.

— Je suis désolée de m’être pomponnée ce matin. Ça ne se reproduira plus.

— Tu es très belle. Mais tu perds ton temps. Tu ne le verras pas ici. Jamais.

— Vraiment ? Alors qui t’a fait cet énorme suçon dans le cou ?

Je n’avais même pas besoin de répondre. Et merde.

— S’il y a la moindre chance que ce soit le bon, si tu penses que vous pouvez arranger ça d’une manière ou d’une autre… Tu n’as jamais ressenti ça pour personne. La façon dont tu parles de lui…

— Nous n’avons passé que quelques jours ensemble.

— Tu crois vraiment que c’est important ?

— Oui. Non. Je ne sais pas.

Je m’agitais dans tous les sens. Ce n’était pas beau à voir.

— Mais nous sommes tellement différents…

— Peuh ! rétorqua-t-elle avec un petit bruit étranglé. Il s’agit de ton maudit plan, c’est ça ? Laisse- moi te dire un truc : ça n’a aucune importance. Il faut simplement que tu aies envie d’être avec une personne et être prête à faire n’importe quoi pour que cela arrive. C’est incroyablement simple. Ça s’appelle l’amour, Ev, faire passer l’autre avant soi. Et ne pas s’inquiéter de savoir si ça rentre dans un plan à la con dont ton père t’a rebattu les oreilles jusqu’à te persuader que c’était ce que tu voulais faire de ta vie.

— Ce n’est pas ça.

Je me frottai le visage, retenant des larmes de frustration et de peur.

— Il m’a brisée. C’est l’impression que ça me fait. Qui serait prêt à reprendre un tel risque ?

Lauren me regardait, les yeux brillants.

— Je sais qu’il t’a fait du mal. Alors punis-le, fais-le mariner. Il le mérite, cet enfoiré. Mais, si tu l’aimes, écoute ce qu’il a à dire.

J’avais dû prendre froid : ma poitrine était oppressée et mes yeux me piquaient. J’aurais dû être plus raisonnable, plus forte, mais je n’y arrivais pas. Je fis cliqueter mes clés. Ruby allait me tuer.

J’allais devoir renoncer à marcher comme je le faisais d’habitude et prendre le tramway pour avoir ne serait-ce qu’une infime chance de ne pas me faire virer.

— Il faut que j’y aille.

Lauren hocha la tête d’un air grave.

— Tu sais, je t’aime un million de fois plus que j’aie jamais pu l’aimer. Aucun doute là-dessus.

Je renâclai.

— Merci.

— Mais t’est-il venu à l’esprit que tu ne serais pas si en colère si tu n’étais pas toujours amoureuse de lui ?

— Je n’aime pas que tu aies raison aussi tôt le matin. Arrête.

Elle recula d’un pas et me sourit.

— Tu as toujours été là pour me remettre les idées en place quand j’en avais besoin. Alors je ne vais pas arrêter de te harceler juste parce que tu n’aimes pas ce que je te dis. Faudra t’y faire.

— Je t’aime, Lauren.

— Je sais. Vous les Thomas, vous êtes fous de moi. Hier soir, justement, ton frère m’a…

Je m’enfuis, sous son rire sardonique.

La journée au boulot s’était bien passée. Deux types m’invitèrent à une soirée étudiante. Pré-David, je n’avais jamais reçu ce genre d’invitations. Post-David, j’ai donc refusé. Qui l’eût cru ? De nombreuses personnes tentèrent d’obtenir des autographes et des informations mais je leur vendis du café et des gâteaux à la place. Nous avons fermé peu avant la tombée de la nuit.

Toute la journée, j’avais été nerveuse, me demandant s’il allait faire une apparition. Demain, c’était aujourd’hui, mais toujours aucun signe de lui. Peut-être avait-il changé d’avis. Je changeais moi- même d’avis d’une minute sur l’autre. J’avais tenu ma promesse de ne pas me décider tout de suite.

Nous étions en train de fermer lorsque Ruby me donna un coup de coude dans les côtes.

Probablement un peu plus fort que prévu car j’étais quasi sûre que mon rein était touché.

— Il est venu, dit-elle nerveusement en désignant David de la tête.

Il était là, comme il l’avait promis. Une excitation nerveuse m’envahit. Avec sa casquette de base- ball et sa barbe, il passait totalement inaperçu. Surtout avec cette nouvelle coupe de cheveux. Mon cœur se serra un peu au souvenir de ses longs cheveux bruns. Mais plutôt mourir que de le reconnaître. Amanda avait parlé à Ruby de sa réapparition de la veille. Étant donné l’absence de paparazzis et de fans hurlant dans les alentours, ce devait encore être un secret pour le reste de la ville.

Je le regardai, sans savoir vraiment quoi ressentir. Ce qui s’était passé dans cette boîte était surréaliste. Et le voir débouler dans ma vie, dans mon monde, me… me quoi ? Me chamboulait, peut-

être ? Oui, voilà.

— Tu veux que je te le présente ? demandai-je à Ruby.

— Non, je préfère rester impartiale. Il est très séduisant !

Ruby le regarda longuement, s’attardant sur ses jambes plus longtemps que nécessaire. Elle avait un faible pour les cuisses des hommes. Les joueurs de foot la mettaient dans tous ses états. Étrange, pour une poétesse, mais j’avais découvert que personne ne rentrait dans un moule. Tout le monde avait ses bizarreries.

Elle continuait à le regarder comme de la viande sur un étal.

— Tu ne devrais peut-être pas divorcer.

— Tu as l’air vraiment très impartiale. À plus tard.

— Attends, dit-elle en m’attrapant le bras. Si tu restes avec lui, tu continueras à travailler pour moi ?

— Oui. J’essaierai même d’arriver à l’heure plus souvent. Bonne soirée, Ruby.

Il se tenait sur le trottoir, les mains enfoncées dans les poches de son jean. Le voir me fit le même effet qu’être au bord d’une falaise, avec une petite voix dans ma tête qui me chuchotait : « Au diable les conséquences, tu peux sûrement voler. Et si ce n’est pas le cas, imagine le grand frisson de la chute. » Mais la raison me criait que c’était du suicide.

À quel moment sait-on qu’on est en train de devenir cinglée ?

— Evie.

Le monde s’arrêta. S’il se rendait compte de l’effet que ça me faisait lorsqu’il prononçait mon prénom comme ça, j’étais foutue. Mon Dieu, comme il m’avait manqué. J’avais l’impression d’avoir

été amputée. Mais maintenant qu’il était en face de moi, je me demandais si nous pouvions réellement envisager un avenir ensemble.

— Salut.

— Tu as l’air fatiguée, dit-il d’un air inquiet. Enfin, tu es très jolie, évidemment, mais…

— Ça va. (J’étudiai le trottoir et pris une profonde inspiration.) La journée a été longue.

— Alors c’est ici que tu travailles ?

— Oui.

Le Ruby’s était vide et silencieux. Des guirlandes électriques scintillaient aux fenêtres ; collées aux vitres, des prospectus vantaient les mérites de ceci ou de cela. Autour de nous, la lumière des réverbères vacillait.

— Ça a l’air sympa. Écoute, on n’est pas obligés de discuter tout de suite, dit-il. Je veux simplement te raccompagner.

Je croisai les bras sur ma poitrine.

— Tu n’es pas obligé.

— Ce n’est pas comme si c’était une corvée. Laisse-moi te raccompagner, Ev. S’il te plaît.

Je hochai la tête puis me décidai à avancer d’un pas hésitant. David marcha à mon côté. De quoi parler ? Chaque sujet semblait miné. Une mine à ciel ouvert hérissée de pieux posée en embuscade à

chaque coin de rue. Il me lançait sans cesse de prudents regards obliques. Ouvrait puis refermait la bouche. Apparemment, la situation n’était facile pour aucun de nous. Je ne pouvais me résoudre à

parler de Los Angeles. La nuit dernière semblait un terrain plus sûr. Une petite seconde. Non, pas du tout. Évoquer notre petite escapade dans la ruelle n’était pas non plus l’idée du siècle.

— Comment s’est passée ta journée ? demanda-t-il. Hormis le boulot.

Pourquoi n’avais-je pas pensé à quelque chose d’anodin comme ça ?

— Euh, bien. Deux filles voulaient ton autographe. Des types ont insisté pour que je te donne la démo de leur groupe garage-reggae-blues. Un des sportifs populaires de la fac est venu simplement pour me donner son numéro. Il pense que nous pourrions passer du bon temps, lui et moi, jacassai-je en essayant de détendre l’atmosphère.

Soudain, son visage s’assombrit.

— Merde. Ça arrive souvent ?

Non mais quelle idiote !

— C’est rien, David. Je lui ai dit que j’avais du boulot et il est parti.

— Encore heureux !

Il inclina le menton et me lança un regard appuyé.

— Tu essaies de me rendre jaloux ?

— Non, j’ai simplement parlé avant de réfléchir. Désolée. Les choses sont déjà assez compliquées comme ça.

— Je suis jaloux.

Je le regardai, surprise. Je ne savais pas pourquoi. Il m’avait bien fait comprendre hier soir qu’il

était là pour moi. Mais savoir que je n’étais peut-être pas la seule au bord du précipice du mal d’amour, à me demander si je n’allais pas m’y jeter, me réconfortait beaucoup.

— Allez, viens, dit-il, reprenant sa marche.

Au coin, nous nous arrêtâmes, attendant de pouvoir traverser.

— Je devrais peut-être dire à Sam de venir garder un œil sur toi. Je ne veux pas qu’on vienne t’embêter au travail.

— J’adore Sam, mais il peut rester là où il est. Les gens normaux n’emmènent pas de gardes du corps au boulot.

Son front se plissa mais il ne répondit rien. Nous traversâmes et continuâmes notre chemin. Un tramway passa, tout illuminé. Je préférais marcher, prendre l’air après avoir été enfermée toute la journée. De plus, Portland est une ville magnifique avec ses cafés, ses brasseries et son cœur mystérieux. Prends ça, Los Angeles !

— Qu’est-ce que tu as fait, aujourd’hui ? demandai-je.

Quelle imagination, bravo !

— J’ai fait un tour en ville. Je n’ai pas souvent l’occasion de jouer les touristes. On tourne à

gauche, là, dit-il en déviant de mon trajet habituel.

— Où allons-nous ?

— Un peu de patience. J’ai quelque chose à aller chercher.

Il me conduisit à l’intérieur d’une pizzeria dans laquelle Lauren et moi allions de temps en temps.

— J’ai commandé une pizza. Je sais que tu adores ça. Ils ont accepté d’y mettre tous les légumes auxquels j’ai pu penser. J’espère que ça te plaira.

Il était encore tôt et l’endroit était quasi vide. Des murs de briques nus et des tables noires. Les

Beatles braillaient dans le juke-box. Je restai sur le seuil. L’homme fit un signe de la tête à David et alla chercher la commande derrière lui. David le remercia avant de revenir vers moi.

— Tu n’avais pas besoin de faire ça.

Une fois dehors, je jetai au carton à pizza des regards suspicieux.

— Ce n’est qu’une pizza, Ev. Détends-toi. Tu n’as même pas besoin de la partager avec moi, si tu n’en as pas envie. Comment va-t-on chez toi d’ici ?

— À gauche.

Nous marchâmes en silence, David portant le carton en équilibre sur une main.

— Arrête de froncer les sourcils. Lorsque je t’ai soulevée hier soir, tu semblais encore plus légère qu’à Monterey. Tu as perdu du poids.

Je haussai les épaules. Je ne voulais pas aborder ce sujet. Et je n’allais certainement pas repenser à

la façon dont il m’avait portée, à mes jambes enroulées autour de lui, ni à combien il m’avait manqué, ni au son de sa voix lorsqu’il…

— Ouais, eh bien je t’aimais comme tu étais, rétorqua-t-il. J’adore tes formes. Alors j’ai une autre idée : tu vas manger des pizzas recouvertes de quinze fromages différents jusqu’à ce que tu aies récupéré tes kilos.

— Ma première impulsion est de te répondre que mon corps ne te concerne plus.

— Heureusement que tu as réfléchi à deux fois avant de dire ça, hein ? Surtout après avoir couché

avec moi hier soir. (Il me rendit le regard mauvais que je lui jetai.) Écoute, je ne veux pas que tu perdes du poids et que tu tombes malade, surtout pas à cause de moi. C’est aussi simple que ça. Oublie tout le reste et arrête de jeter des regards de travers à cette pizza ou tu vas finir par la vexer.

— T’es pas mon chef, marmonnai-je.

Il éclata de rire.

— Ça y est, tu te sens mieux ?

— Oui.

Je lui fis un sourire hésitant. L’avoir de nouveau près de moi semblait trop facile. Je ne devais pas m’y habituer, car qui sait comment ça allait à nouveau finir ? Mais la vérité, c’était que je le voulais avec moi tellement fort que ça faisait mal.

— Euh…

Il s’éclaircit la gorge et réessaya de nouveau.

— Amis. On est de nouveau amis ?

— Je ne sais pas.

Il secoua la tête.

— Nous sommes amis. Ev, tu es malheureuse, fatiguée, tu as perdu du poids, et je ne supporte pas d’en être la cause. Je vais arranger tout ça, sans brûler les étapes. Laisse… Donne-moi une chance. Je te promets de ne pas être trop envahissant.

— Je ne te fais plus confiance, David.

Son sourire taquin disparut.

— Je sais. Mais lorsque tu seras prête, on reparlera de tout ça.

J’essayai de déloger la boule dans ma gorge.

— Lorsque tu seras prête, répéta-t-il. Allez, dépêchons-nous pour que tu puisses manger tant que c’est chaud.

Nous fîmes le reste du trajet en silence. Nous n’éprouvions pas le besoin de parler. David m’adressait de temps en temps des petits sourires. Ils paraissaient sincères.

Il grimpa l’escalier derrière moi sans même prendre la peine de regarder autour de lui. J’avais oublié que ce n’était pas la première fois qu’il venait… Je déverrouillai la porte et jetai un coup d’œil

à l’intérieur, encore traumatisée d’avoir surpris Lauren avec mon frère sur le canapé la semaine précédente. Je n’allais pas supporter encore longtemps de vivre avec eux. Je crois que nous avions tous besoin de notre espace personnel.

Cependant, le mois passé avait été bénéfique pour Nate et moi. Ça nous avait permis de discuter.

Nous étions plus proches que nous ne l’avions jamais été. Il adorait son job au garage. Il était heureux et posé. Lauren avait raison : il avait changé. Mon frère avait trouvé sa voie. Si seulement je pouvais me ressaisir et l’imiter…

Au milieu du salon, Nate et Lauren dansaient, tendrement enlacés. Une danse improvisée visiblement, étant donné que mon frère portait encore ses vêtements pleins de graisse. Ça n’avait pas l’air de déranger Lauren, pendue à son cou, les yeux rivés aux siens.

Je m’éclaircis la gorge pour annoncer notre arrivée et entrai dans la pièce.

Nate leva les yeux et me fit un sourire accueillant. Puis il aperçut David. Le sang lui monta au visage et son regard changea. Dans la pièce, la température sembla grimper en flèche.

— Nate ! criai-je en essayant de l’arrêter alors qu’il se ruait sur David.

— Merde.

Lauren lui courut après.

— Non !

Le poing de Nate percuta le visage de David. La pizza voltigea. Il recula en chancelant ; il pissait le sang.

— Espèce de connard ! hurla mon frère.

Je sautai sur son dos pour le faire reculer. Lauren lui attrapa le bras. David ne se défendit pas. Il couvrit son visage ensanglanté mais ne fit aucun geste pour se protéger d’un autre coup.

— Je vais te tuer pour lui avoir fait du mal, rugit Nate.

David le regardait sans un mot, les yeux consentants.

— Nate, arrête ! criai-je, les bras enroulés autour de la trachée de mon frère.

— C’est toi qui l’as invité ? me demanda-t-il, incrédule. Tu te fous de moi ? rugit-il, puis il regarda

Lauren qui tirait sur son bras. Qu’est-ce que tu fais ?

— Ça les regarde, Nate.

— Quoi ? Non ! Tu as vu ce qu’il lui a fait. Dans quel état elle était.

— Calme-toi. Elle n’a pas besoin de ça. (Elle lui caressa le visage.) S’il te plaît, mon chéri. Ça ne te ressemble pas.

Lentement, il recula. Ses épaules s’abaissèrent, ses muscles se détendirent. Je relâchai mon étreinte, qui n’avait pas servi à grand-chose de toute façon. Mon frère faisait foutrement bien le taureau enragé. Du sang coulait d’entre les doigts de David et gouttait au sol.

— Viens, suis-moi.

J’attrapai son bras et le conduisis dans notre salle de bains.

Il se pencha sur le lavabo en jurant doucement mais abondamment. Je fis une petite boule de papier toilette et la lui tendis. Il la fourra dans ses narines ensanglantées.

— C’est cassé ?

— Je sais pas.

Sa voix était étouffée.

— Je suis vraiment désolée.

— C’est pas grave.

Une sonnerie s’échappa de la poche arrière de son jean.

— Attends, laisse-moi t’aider.

Je retirai délicatement son portable. Le nom sur l’écran m’arrêta net. L’univers devait me jouer un tour. Je ne voyais que ça. Sauf que ce n’était pas le cas. C’était simplement cette bonne vieille douleur qui me déchirait encore une fois les entrailles. Je sentais déjà la torpeur glacée se répandre dans mes veines.

— C’est elle.

Je lui tendis le téléphone.

Son nez paraissait meurtri mais indemne. La violence ne m’aiderait pas. Peu importe la colère qui m’envahissait.

Son regard passa de l’écran à moi.

— Ev.

— Tu devrais y aller. Je veux que tu partes.

— Je n’ai pas parlé à Martha depuis ce soir-là.

Je secouai la tête, à court de mots. Le téléphone continuait de sonner de manière stridente, le bruit me transperçant les tympans. Il résonnait encore et encore dans la petite salle de bains. Il vibrait dans ma main et tout mon corps se mit à trembler.

— Prends-le avant que je le fracasse.

Des doigts couverts de sang me le retirèrent des mains.

— Laisse-moi t’expliquer. Elle est partie, je te le jure.

— Alors pourquoi t’appelle-t-elle ?

— Je ne sais pas, je ne réponds pas à ses appels. Je ne lui ai pas parlé une seule fois depuis que je l’ai virée. Tu dois me croire.

— Comment le pourrais-je ?

Nous restâmes un moment à nous observer quand soudain, tout s’éclaira. Ça ne marcherait jamais.

Il n’était toujours que secrets et mensonges et me tenait à l’écart. Rien n’avait changé. Mon cœur se brisait une fois encore. C’était même surprenant qu’il en reste assez pour me faire souffrir.

— Va-t’en, exigeai-je, les larmes aux yeux.

Et, sans un mot, il disparut.

19

Après cet épisode, je n’adressai plus la parole à David. Mais chaque après-midi, après mon travail, il était là, à m’attendre sur le trottoir d’en face. Il me regardait par-dessous la visière de sa casquette de base-ball. Prêt à me raccompagner chez moi. Ça m’agaçait mais jamais je ne me sentis menacée. Je l’ignorai pendant trois jours durant lesquels il me suivit sans un mot. Aujourd’hui, il avait troqué son sempiternel jean noir contre un bleu, ses bottes contre des baskets. Même de loin, sa lèvre supérieure et son nez semblaient encore enflés. Toujours aucun signe des paparazzis, même si quelqu’un m’avait demandé si David était en ville. Il n’allait probablement bientôt plus pouvoir circuler dans Portland incognito. Je me demandais s’il le savait. Aujourd’hui, je ne l’ignorai pas comme je le faisais d’habitude. Il fit donc un pas en avant, puis s’arrêta. Un camion passa entre nous parmi un flot ininterrompu de véhicules. C’était insensé. Que faisait-il encore ici ? Pourquoi n’était-il pas allé

retrouver Martha ? Impossible de passer à autre chose s’il restait là.

À moitié décidée, je profitai d’une accalmie de la circulation pour aller le retrouver sur le trottoir d’en face.

— Salut, dis-je, pas le moins du monde mal à l’aise. David, qu’est-ce que tu fais ici ?

Il enfonça les mains dans ses poches et regarda autour de lui.

— Je te raccompagne chez toi. Comme tous les jours.

— C’est ça, ta vie, maintenant ?

— Il faut croire.

— Hum, fis-je, résumant parfaitement la situation. Pourquoi tu ne rentres pas à Los Angeles ?

Des yeux bleus me regardèrent avec circonspection.

— Ma femme vit à Portland.

Mon cœur se serra. La simplicité de cette phrase et la sincérité dans ses yeux me prirent au dépourvu. Je n’étais pas aussi immunisée contre lui que j’aurais dû l’être.

— Ça ne peut pas continuer comme ça.

Évitant mon regard, il étudia la rue, les épaules voûtées.

— Tu m’accompagnes ?

Je hochai la tête. Et nous marchâmes. Aucun de nous ne se pressait, flânant devant les vitrines des magasins et des restaurants, jetant un œil aux bars qui commençaient à ouvrir. J’avais le mauvais pressentiment que, si nous nous arrêtions de marcher, nous allions parler, alors prendre notre temps me convenait parfaitement. C’était l’été et les rues étaient bondées.

À mi-chemin, à un carrefour, se trouvait un pub irlandais d’où s’élevait une vieille chanson des

White Stripes. Les mains toujours enfoncées dans ses poches, David désigna le bar du coude.

— Tu veux prendre un verre ?

Il me fallut un moment pour pouvoir articuler un mot.

— Pourquoi pas.

Il me conduisit directement vers une table au fond. Il commanda deux pintes de Guinness. On nous les apporta et nous nous mîmes à siroter, sans un mot. Au bout d’un moment, David retira sa casquette et la posa sur la table. Merde, il avait vraiment une sale tête.

Nous étions là, à nous dévisager en une espèce d’étrange affrontement. Aucun de nous ne parlait.

La façon dont il me regardait, comme s’il était blessé lui aussi, comme s’il souffrait… Je ne pouvais pas le supporter. L’attente était insoutenable. Il était temps de changer de stratégie : nous allions régler

ça puis reprendre chacun notre vie de notre côté. Fini la douleur et le cœur brisé.

— Tu voulais me parler d’elle ? lançai-je en me redressant, me préparant au pire.

— Oui. Martha et moi, on est restés ensemble un bout de temps. Tu dois déjà savoir que c’est elle, la fille qui m’a trompé. Celle dont on a discuté.

Je hochai la tête.

— J’avais quatorze ans lorsque nous avons formé le groupe, Mal, Jimmy et moi. Ben nous a rejoints un an plus tard, accompagné de sa sœur. Ils faisaient partie de la famille, dit-il, le front plissé.

Ils font partie de la famille. Même quand les choses ont mal tourné, je n’ai pas réussi à lui tourner le dos…

— Tu l’as embrassée.

Il soupira.

— Non, elle m’a embrassé. Martha et moi, c’est terminé.

— Je suppose qu’elle n’est pas au courant, puisqu’elle continue de te téléphoner.

— Elle a déménagé à New York, elle ne travaille plus pour nous. Je ne sais pas pourquoi elle m’a téléphoné, mais je ne l’ai pas rappelée.

Je hochai la tête, un peu plus sereine. Nos problèmes n’étaient pas si évidents que ça.

— Est-ce que dans ton cœur tu comprends que c’est terminé entre vous ? J’imagine que je veux plutôt parler de ta tête. Le cœur n’est qu’un muscle. C’est stupide de dire qu’il décide de quoi que ce soit.

— Il n’y a plus rien entre nous. Depuis bien longtemps. Crois-moi.

— Même si c’est vrai, est-ce que ça ne fait pas de moi un prix de consolation ? Ta tentative pour connaître une vie normale ?

— Non, Ev. Ça n’a aucun rapport.

— Tu en es sûr ?

Je saisis mon verre et pris une gorgée de bière brune et amère. Pour me calmer les nerfs.

— Je commençais tout juste à t’oublier, dis-je d’une petite voix.

Mes épaules étaient exactement telles qu’elles devaient être : voûtées.

— Un mois. Mais ce n’est qu’au bout de sept jours que j’ai vraiment renoncé à toi. Puis j’ai su que tu ne viendrais pas. J’ai compris que c’était terminé. Parce que si j’étais si importante pour toi, tu te serais déjà manifesté, non ? Enfin, je veux dire, tu savais que j’étais amoureuse de toi, alors tu aurais eu la décence de mettre fin à mon calvaire, je me trompe ?

Silence.

— Tu n’es que secrets et mensonges, David. Je t’ai interrogé sur cette boucle d’oreille, tu te souviens ?

Il hocha la tête.

— Tu m’as menti.

— Oui. Je suis désolé.

— Était-ce avant ou après notre règle sur l’honnêteté ? Je ne m’en souviens plus. Mais c’était après celle sur la fidélité, pas vrai ?

Cette discussion n’était pas une bonne idée. Toutes les pensées et les émotions ambivalentes qu’il m’inspirait remontaient à la surface.

Il ne daigna pas répondre.

— Quelle est l’histoire derrière ces boucles d’oreilles, d’ailleurs ?

— Je les ai achetées avec l’argent que j’ai touché à la signature de notre premier contrat.

— Waouh. Et vous les avez portées tout ce temps. Même après qu’elle t’a trompé et tout ça.

— C’était Jimmy. Elle m’a trompé avec Jimmy.

Merde. Son propre frère. Tout s’éclairait.

— Je comprends mieux ta réaction quand tu l’as trouvé avec cette groupie. Et quand tu l’as vu me parler à la soirée.

— Ouais. C’était il y a longtemps mais… Jimmy avait repris l’avion pour faire une apparition dans une émission télévisée. Nous étions en plein milieu d’une très longue tournée ; nous jouions alors en

Espagne. Notre deuxième album venait de rentrer dans le Top Ten. Nous commencions enfin à percer.

— Alors tu leur as pardonné pour éviter que le groupe se sépare ?

— Non. Pas tout à fait. J’ai simplement pris sur moi. Déjà, à cette époque, Jimmy buvait beaucoup trop. Il avait changé. (Il se lécha la lèvre et étudia la table.) Si tu savais combien je suis désolé pour cette soirée. Ce dont tu as été témoin… Je sais de quoi ça devait avoir l’air. Et je me déteste de t’avoir menti à propos de la boucle d’oreille et de l’avoir portée à Monterey.

Il se toucha l’oreille d’un air gêné. Il y avait une plaie visible avec de la peau rose et brillante presque cicatrisée autour. Ça ne ressemblait pas à un trou d’oreille en train de se reboucher.

— Qu’est-ce que tu t’es fait ?

— Je l’ai coupée, répondit-il avant de hausser les épaules. Une oreille percée met des années à se refermer. J’ai fait une nouvelle coupure lorsque tu es partie afin que ça guérisse correctement.

— Oh.

— J’ai attendu avant de venir te parler parce que j’avais besoin de temps. Tu m’as quitté alors que tu m’avais promis le contraire… C’était dur à supporter.

— Je n’ai pas vraiment eu le choix.

Il se pencha vers moi, le regard dur.

— On a toujours le choix.

— Je venais de surprendre mon mari en train d’embrasser une autre femme. Puis tu as refusé d’en discuter avec moi. Tu m’as simplement hurlé dessus parce que je partais. Encore une fois.

Mes mains agrippèrent le bord de la chaise tellement fort que je sentais mes ongles s’enfoncer dans le bois.

— Qu’est-ce que tu voulais que je fasse, David ? Dis-le-moi. Parce que j’ai rejoué la scène des millions de fois dans ma tête et ça finit toujours de la même façon : toi qui claques la porte derrière moi.

— Putain…, jura-t-il en se renfonçant dans son siège. Tu savais que je ne supporterais pas ton départ. Tu aurais dû rester avec moi, me laisser me calmer. Nous avions réussi à arranger les choses après cette bagarre dans le bar. On aurait pu recommencer.

— Le sexe ne résout pas tout. Parfois, il faut également discuter.

— J’ai essayé de te parler l’autre soir en boîte. Tu avais apparemment autre chose en tête.

Mon visage s’empourpra, ce qui m’énerva encore un peu plus.

— Écoute, commença-t-il en se frottant la nuque. Le truc, c’est que j’avais besoin de mettre les choses au clair dans ma tête, O.K. ? De m’assurer qu’être ensemble était la bonne chose. Je ne voulais pas te faire souffrir à nouveau.

Pendant un mois, il m’avait laissée à me morfondre. J’étais sur le point de le remercier d’un air désinvolte. Ou même de lui faire un doigt d’honneur. Mais le moment était trop important.

— Alors comme ça, tu as mis les choses au clair ? Félicitations. J’aimerais en être capable.

Je m’arrêtai de parler pour boire de la bière. Ma gorge aurait pu rivaliser avec du papier de verre.

Il se tenait parfaitement immobile, me regardant partir en vrille avec un calme olympien.

— Je suis un peu crevée.

Je regardai partout sauf dans sa direction.

— Est-ce que ça couvre tout ce dont tu voulais discuter ?

— Non.

— Non ? Il y a autre chose ?

S’il vous plaît, mon Dieu, ayez pitié.

— Ouais.

— Je t’écoute.

Encore une gorgée.

— Je t’aime.

Je recrachai ma bière sur la table, éclaboussant nos mains jointes.

— Et merde.

— Je vais chercher des serviettes, dit-il en me lâchant la main et en se levant.

Il revint quelques instants plus tard. Je restai assise là, comme une poupée de chiffon, tandis qu’il essuyait mon bras puis la table. Je n’étais plus bonne qu’à trembler. Délicatement, il m’aida à sortir du bar.

Le ronronnement de la circulation et l’air frais de la ville m’éclaircirent l’esprit. Mes pieds se remirent immédiatement à bouger. Eux avaient bien saisi la situation. Mes bottes martelaient la chaussée, mettant une sérieuse distance entre cet endroit et moi. Il fallait que je m’éloigne de David et des mots qu’il avait prononcés. Mais il me suivit.

Nous nous arrêtâmes à un coin de rue et j’appuyai frénétiquement sur le bouton, attendant que le signal passe au vert.

— Ne redis plus jamais ça.

— C’est vraiment une surprise ? Pourquoi je ferais tout ça sinon, hein ? Évidemment que je t’aime.

— Arrête.

Je me tournai vers lui, furieuse.

Ses lèvres ne formaient plus qu’une ligne.

— Très bien. Je ne le dirai plus. Pour l’instant. Mais il faut qu’on discute.

Je grognai, les dents serrées.

— Ev.

La négociation n’était pas vraiment mon fort. Pas avec lui. Je voulais qu’il s’en aille. Ou, du moins, j’étais quasi certaine de vouloir qu’il s’en aille. Qu’il s’en aille afin que je puisse faire le deuil de notre histoire et de tout ce que nous aurions pu être. Que je n’aie plus à penser au fait qu’il croyait m’aimer à présent. Quelle connerie, tous ces atermoiements sentimentaux ! Et mes canaux lacrymaux qui s’emballaient… Je pris de grandes et profondes inspirations pour essayer de reprendre mon sang- froid.

— Plus tard, pas aujourd’hui, dit-il d’une voix affable, raisonnable.

Je n’avais pas plus confiance en sa voix qu’en lui.

— O.K.

Nous continuâmes un moment à marcher côte à côte quand un autre croisement nous arrêta, propice à la conversation. Il avait intérêt à ne pas ouvrir la bouche. Au moins jusqu’à ce que je me ressaisisse et comprenne ce qui était en train de se passer. Je lissai ma jupe, rejetai mes cheveux en arrière. Je ne tenais pas en place. Le feu vert dura une éternité. Depuis quand Portland m’était-elle hostile ? Ce n’était pas juste.

— Nous n’en avons pas terminé, lança-t-il.

Ça ressemblait à la fois à une menace et à une promesse.

Le premier texto arriva à minuit alors que je lisais, allongée sur mon lit. Enfin, essayais de lire. Je n’avais pas réussi à m’endormir. La fac reprenait bientôt mais j’avais du mal à retrouver mon enthousiasme habituel pour les études. Je craignais que la graine de doute que David avait plantée concernant mes choix de carrière n’ait pris racine dans mon esprit. J’aimais l’architecture, sans réellement l’adorer. Était-ce vraiment si important ? Malheureusement, je n’avais pas la réponse.

Beaucoup d’excuses – des bonnes et des mauvaises – mais pas de réponses.

David aurait probablement dit que je pouvais faire ce que bon me semblait. Et je ne savais que trop bien ce que mon père, lui, aurait dit. Et ça n’aurait pas été tendre.

Depuis mon retour, j’avais évité mes parents. Plutôt facile étant donné le sermon que mon père avait tenté de m’infliger dès le deuxième jour. Depuis, les relations avaient été glaciales. Mais il fallait s’y attendre. Ils ne m’avaient jamais encouragée à entreprendre quelque chose qui ne rentrait pas totalement dans leur Grand Plan. Ce n’était pas pour rien que je n’avais pas répondu à leurs appels lors de mon séjour à Monterey. Puisque je n’étais plus capable de leur dire les choses qu’ils souhaitaient entendre, il m’avait semblé préférable de faire silence-radio.

Nathan avait joué les intermédiaires, ce dont je lui étais reconnaissante, mais c’était fini. Nous avions tous les deux été convoqués à dîner le lendemain soir. Ce devait donc être un texto de ma mère qui s’assurait que je n’allais pas leur faire faux bond. Parfois, lorsque ses somnifères ne faisaient pas effet, elle restait éveillée tard le soir à regarder de vieux films en noir et blanc.

Je me trompais.

David : Elle m’a embrassé par surprise. C’est pour ça que je ne l’ai pas repoussée immédiatement.

Mais je n’en avais pas envie.

J’observai mon portable, les sourcils froncés.

David : Tu es là ?

Moi : Ouais.

David : Je dois savoir si tu me crois au sujet de Martha.

Était-ce le cas ? Je pris une profonde inspiration. Je ressentais de la frustration et une bonne dose de trouble mais ma colère semblait s’être consumée. Car je ne doutais pas de sa sincérité.

Moi : Je te crois.

David : Merci. J’ai d’autres choses à te dire. Tu veux bien m’écouter ?

Moi : Oui.

David : Mes parents se sont mariés à cause de Jimmy. Ma mère est partie quand j’avais douze ans.

Elle buvait. Jimmy la paie pour qu’elle se tienne tranquille. Elle le fait chanter depuis des années.

Moi : Quelle horreur !

David : Ouais. J’ai des avocats qui s’occupent de ça en ce moment.

Moi : Ravie de l’entendre.

David : Nous avons installé papa dans une maison de retraite en Floride. Je lui ai parlé de toi. Il veut te rencontrer.

Moi : Vraiment ? Je ne sais pas quoi dire…

David : Je peux monter ?

Moi : Tu es en bas ? ?

Je n’attendis pas sa réponse. Tant pis pour mon bas de pyjama et mon vieux T-shirt ringard lavé

tant de fois que sa couleur d’origine n’était plus qu’un lointain souvenir. Il allait devoir me prendre comme j’étais. Je déverrouillai la porte d’entrée de notre appartement et descendis l’escalier pieds nus, mon portable toujours à la main. Comme je m’y attendais, une ombre apparaissait à travers le verre dépoli de la porte d’entrée de l’immeuble. Je l’ouvris et découvris David assis sur les marches.

Dehors, la nuit était paisible. Un 4 × 4 gris métallisé était garé le long du trottoir.

— Salut, lança-t-il.

Son doigt tapota sur le clavier de son téléphone et le mien bipa de nouveau.

David : Je voulais simplement te dire bonne nuit.

— O.K., dis-je en relevant les yeux. Entre.

Les commissures de sa bouche s’étirèrent et il leva les yeux vers moi. Je soutins son regard, refusant de me sentir gênée. Il n’avait pas l’air rebuté par ma tenue. Au contraire, son sourire s’élargit et ses yeux se réchauffèrent.

— Tu allais te coucher ?

— J’étais en train de lire. Impossible de dormir.

— Ton frère est là ?

Il se releva et me suivit dans l’escalier, ses bottes martelant le vieux plancher en bois. Je m’attendais presque que Mme Lucia du rez-de-chaussée sorte pour râler. C’était l’un de ses passe- temps.

— Non, répondis-je en refermant la porte derrière nous. Lauren et lui sont sortis.

Il inspecta l’appartement. Comme d’habitude, il occupait tout l’espace. Je ne sais pas comment il s’y prenait. Un véritable magicien. Lui qui était déjà grand semblait encore plus imposant. Sans se presser, son regard se promena dans la pièce, observant les murs turquoise (ça, c’était Lauren) et les

étagères remplies de livres soigneusement rangés (et ça, c’était moi).

— C’est la tienne ? demanda-t-il en passant la tête à l’intérieur de ma chambre.

— Euh, oui. C’est un peu le bazar en ce moment.

Je le devançai et me mis à ranger à la hâte, ramassant les livres et autres objets éparpillés au sol.

J’aurais dû lui demander de me donner cinq minutes avant d’entrer. Ma mère aurait été horrifiée.

Depuis mon retour de Los Angeles, j’avais laissé mon monde tomber dans le chaos. Ça collait bien avec mon état d’esprit. Mais ça ne voulait pas dire que David devait en être témoin pour autant.

— D’habitude, c’est rangé, me justifiai-je en m’agitant dans tous les sens, ma stratégie de repli préférée ces derniers temps.

— Je m’en fous.

— J’en ai pour une minute.

— Ev, dit-il en m’attrapant le poignet. Ça m’est égal. Je veux simplement te parler.

Soudain, une pensée horrible me traversa l’esprit.

— Tu t’en vas ? demandai-je en serrant d’une main tremblante le T-shirt sale que j’avais ramassé.

Il resserra son étreinte autour de mon poignet.

— Tu veux que je m’en aille ?

— Non. Enfin je veux dire, tu quittes Portland ? C’est pour ça que tu es là ? Pour me dire au revoir ?

— Non.

— Oh.

L’étau qui étranglait mon cœur et mes poumons se relâcha un peu.

— O.K.

— D’où ça sort, ça ?

Comme je ne répondais pas, il m’attira doucement à lui.

— Hé.

À contrecœur, je fis un pas dans sa direction, laissant tomber le vêtement sale. Mais ça ne lui suffisait pas ; il s’assit sur mon lit et me tira pour m’entraîner avec lui. Je me laissai tomber lourdement sur le matelas. L’histoire de ma vie, ce manque de grâce. Son but atteint, il desserra son

étreinte. Mes mains agrippèrent le bord du lit.

— Tu agis bizarrement puis tu me demandes si je pars. Ça te dérangerait de m’expliquer ?

— C’est la première fois que tu débarques à minuit. Je me suis demandé s’il y avait une autre raison

à ta venue.

— En passant devant chez toi, j’ai vu la lumière allumée. Je me suis dit que j’allais t’envoyer un texto pour voir dans quel état d’esprit tu étais après notre discussion.

Il se frotta le menton.

— Et puis, j’ai encore des milliers de choses à te dire.

— Ça t’arrive souvent de passer devant chez moi ?

Il me lança un petit sourire malicieux.

— De temps en temps. C’est ma façon de te souhaiter bonne nuit.

— Comment savais-tu que c’était la fenêtre de ma chambre ?

— Euh… Tu te souviens du soir où j’ai discuté avec Lauren la première fois que je suis venu en ville ? Elle avait laissé la lumière allumée dans sa chambre. J’en ai déduit que l’autre devait être la tienne, répondit-il sans me regarder.

Il préféra observer les photos sur mes murs.

— Tu m’en veux ?

— Non, répondis-je honnêtement. Je crois que je ne ressens plus de colère.

— Vraiment ?

— Oui.

Il laissa échapper un léger soupir et se retourna vers moi, sans un mot. Des ecchymoses persistaient sous ses yeux mais son nez avait retrouvé sa taille normale.

— Je suis vraiment désolée que Nate t’ait frappé.

— Si j’étais ton frère, j’aurais fait exactement la même chose.

Il entoura ses genoux de ses bras.

— Ah bon ?

— Sans hésitation.

Ah, les hommes et leur penchant pour la castagne…

Le silence s’installa. Mais ce n’était pas vraiment gênant. Au moins, nous n’étions pas en train de nous disputer ou de ressasser notre rupture une fois encore.

— On peut rester un petit moment comme ça, tous les deux ? demandai-je.

— Bien sûr. Montre-moi ça.

Il s’empara de mon iPhone et commença à faire défiler les morceaux.

— Où sont les écouteurs ?

Je me relevai et les retrouvai sur mon bureau, parmi le bazar. David les brancha puis m’en tendit un. Je m’assis à côté de lui, curieuse de découvrir la chanson qu’il avait choisie. Lorsque le rythme entraînant de Jackson par Johnny Cash et June Carter démarra, je le regardai d’un air amusé. Il sourit bêtement et fredonna les paroles. Nous nous étions en effet mariés sur un coup de tête, comme le chantait le duo.

— Serais-tu en train de te moquer de moi ? demandai-je.

La lumière dansa dans ses yeux.

— Je me moque de nous.

— C’est de bonne guerre.

— Qu’est-ce que tu as d’autre là-dedans ?

La chanson terminée, il continua ses recherches. J’observai son visage, guettant sa réaction à mes goûts musicaux. Je n’obtins qu’un vague bâillement étouffé.

— C’est quand même pas si terrible ! protestai-je.

— Désolé. Grosse journée.

— David, si tu es fatigué, tu n’es pas obligé de…

— Non. Ça va. Mais ça te dérange si je m’allonge ?

David sur mon lit. Enfin, il était déjà sur mon lit mais bon…

— Pas du tout.

Il me lança un regard prudent mais commença à retirer ses baskets.

— Tu dis ça pour être polie ?

— Mais non. En plus, d’un point de vue légal, ce lit t’appartient pour moitié, plaisantai-je en retirant l’écouteur de mon oreille. Alors, qu’as-tu fait aujourd’hui ?

— J’ai travaillé sur le nouvel album et réglé quelques trucs. (Les mains derrière la tête, il s’étendit sur mon lit.) Tu ne t’allonges pas ? Ça va être difficile d’écouter de la musique tous les deux.

Je m’installai à côté de lui en me tortillant un peu pour trouver une position confortable. Après tout, c’était mon lit. Et il était le seul homme à s’être jamais couché dessus. La légère odeur de son savon m’emplit les narines. Propre, chaude, typique de David. Je ne m’en souvenais que trop bien. Et, pour une fois, la douleur ne semblait pas liée à ce souvenir. Je ne lui avais apparemment pas menti lorsque j’avais dit que je ne ressentais plus de colère. Nous avions nos problèmes, mais il ne m’avait pas trompée. C’était tout ce qui comptait.

— Tiens.

Il me tendit l’écouteur et se remit à examiner mon téléphone.

— Comment va Jimmy ?

Je me tournai sur le côté, j’avais besoin de le voir. J’étudiai la ligne de son nez et de sa mâchoire, la courbe de ses lèvres. Combien de fois l’avais-je embrassé ? En tout cas, pas assez pour me rassasier si ça ne devait plus jamais arriver.

— Beaucoup mieux. Il semble avoir repris le dessus. Je crois qu’il va s’en sortir.

— Tant mieux.

— Au moins, il essaie de se débarrasser de ses vieux démons, ajouta-t-il, d’un ton amer. D’après ce que j’ai entendu, notre mère, elle, est une véritable épave. Mais bon, ce n’est pas nouveau. Elle nous emmenait au parc car elle avait besoin d’acheter de la drogue. Elle se pointait à nos spectacles d’école et aux réunions parents-profs complètement défoncée.

Je gardai le silence, le laissant s’épancher. Le mieux que je pouvais faire pour lui était d’être là et de l’écouter. La douleur et la colère dans sa voix me crevaient le cœur. Certes, mes parents avaient leurs défauts, mais ce n’était rien comparé à ça. L’enfance de David avait été épouvantable. J’aurais voulu gifler sa mère pour avoir inscrit cette douleur dans sa voix. Et plutôt deux fois qu’une.

— Pendant des années, mon père ne s’est pas rendu compte de son addiction. Facile pour lui, il était routier et passait son temps sur les routes. C’était Jimmy et moi qui devions supporter toutes ses conneries. Si tu savais le nombre de fois où il est rentré à la maison en la trouvant en plein délire ou inconsciente sur le canapé. Il n’y avait pas à manger parce qu’elle avait dépensé l’argent des courses pour acheter des cachets. Puis, un jour, en rentrant de l’école, elle avait disparu, en emportant la télé.

Fin de l’histoire.

Il regardait dans le vide, le visage fermé.

— Elle n’a même pas laissé de mot. Maintenant elle est de retour et elle fait du mal à Jimmy. Ça me rend dingue.

— Ça a dû être très dur pour toi d’apprendre tout ça de la bouche de ton frère.

L’une de ses épaules s’affaissa un peu.

— Il n’aurait pas dû s’occuper d’elle tout seul. Il dit qu’il voulait me protéger. Apparemment, mon grand frère n’est pas qu’un sale connard égoïste.

— Merci de m’avoir envoyé ce message tout à l’heure.

— Tout le plaisir est pour moi. Qu’as-tu envie d’écouter ?

Le changement de sujet soudain m’indiqua qu’il n’avait plus envie de parler de sa famille. Il bâilla de nouveau, sa mâchoire craqua.

— Désolé.

— The Saint Johns.

Il hocha la tête et fit défiler les titres pour trouver la seule chanson d’eux que je possédais. La guitare commença en douceur, emplissant ma tête. Il posa le téléphone sur sa poitrine et ses paupières se fermèrent. Pendant la chanson, son visage demeura calme et détendu. Je commençais à me demander s’il ne s’était pas endormi. Mais lorsque le morceau prit fin, il se tourna pour me regarder.

— Très joli. Un peu triste, commenta-t-il.

— Tu ne crois pas qu’ils finissent ensemble ?

Il roula sur le côté. Nos visages se touchaient presque. Avec un air étrange, il me tendit le téléphone.

— Fais-moi écouter une autre chanson que tu aimes.

Je fis défiler les morceaux, essayant de décider lequel choisir.

— J’ai oublié de t’informer que j’ai entendu quelqu’un dire qu’il t’avait vu aujourd’hui. Ta couverture est en train de tomber à l’eau.

Il soupira.

— Ça devait bien finir par arriver. Ils vont devoir s’habituer à me voir dans les parages.

— Alors c’est vrai, tu restes ? demandai-je d’un ton faussement détaché.

— Oui.

Il me regarda et je sus qu’il lisait en moi. Impossible de lui dissimuler les peurs, les rêves et les espoirs que je m’évertuais à garder cachés, même pour moi.

— Ça va ?

— Ça va.

— Tu m’as demandé si tu n’étais pas ma tentative d’une vie normale. J’ai besoin que tu comprennes que ça n’a rien à voir avec ça. Être avec toi, ce que je ressens pour toi, me fait garder les pieds sur terre, c’est vrai, mais c’est parce que ça me fait tout remettre en question. Ça me donne envie d’être un homme meilleur. Avec toi, je ne peux pas faire l’autruche ou me trouver des excuses. Aucun de nous n’est heureux dans ces conditions, et je veux que tu sois heureuse…

Il fronça les sourcils.

— Tu comprends ?

— Je crois, murmurai-je, soudain submergée par tout un tas de sentiments.

Il bâilla de nouveau.

— Merde, désolé. Je suis crevé. Ça te dérange si je ferme les yeux cinq minutes ?

— Non.

— Tu mets une autre chanson ?

— Ça marche.

Je choisis Revelator de Gillian Welch, la chanson la plus longue et tranquille que je pus trouver. Je crois qu’il s’endormit à la moitié du morceau. Ses traits se détendirent et sa respiration s’apaisa.

Délicatement, je retirai les écouteurs et rangeai le téléphone. J’allumai la lampe de chevet, éteignis le plafonnier et fermai la porte pour ne pas que Lauren et Nate ne le réveillent s’ils rentraient. Puis je me rallongeai et le regardai. Je ne sais pas pendant combien de temps. L’envie de caresser son visage ou ses tatouages me démangeait mais je ne voulais pas le déranger. Il avait manifestement besoin de dormir.

Lorsque je me réveillai le lendemain matin, il avait disparu. La déception avait un goût amer. Je venais d’avoir la meilleure nuit de sommeil depuis des semaines, dénuée de la tension habituelle et des cauchemars dont je semblais être devenue la spécialiste ces temps-ci. Quand était-il parti ? Je roulai sur le dos et quelque chose se froissa. D’une main, je ramassai un petit bout de papier, visiblement arraché à l’un de mes blocs-notes.

Le message était court mais émouvant.

Je reste à Portland.

20

Je crois que j’aurais préféré trouver Gengis Khan en train de me regarder de l’autre côté du comptoir plutôt que Martha. Une horde mongole versus Martha… Mon cœur balançait. Ils étaient tous deux horribles, chacun à leur façon.

La foule du déjeuner se réduisait à présent à quelques clients bien décidés à s’installer pour l’après- midi avec leurs caffè latte et leurs muffins. La journée avait été bien remplie et Ruby avait été

distraite, se trompant dans les commandes. Ça ne lui ressemblait pas. Je l’avais fait asseoir un moment devant une tasse de thé. Puis les clients avaient de nouveau afflué. Lorsque je lui avais demandé ce qu’il se passait, elle m’avait envoyée balader. Qu’importe, je finirais bien par la faire parler.

Et voilà que Martha se tenait devant moi.

— Il faut qu’on discute.

Ses cheveux bruns étaient attachés et elle ne portait presque pas de maquillage. Plus aucune trace du côté tape-à-l’œil de Los Angeles. Au contraire, elle paraissait morne, inhabituellement calme.

Quoique toujours un peu mielleuse mais il s’agissait de Martha, après tout. Que fichait-elle ici ?

— Ruby, je peux prendre ma pause ?

Jo était descendue dans la réserve. Elle revenait juste de sa pause, ce qui signifiait que j’avais droit

à la mienne. Ruby hocha la tête et jeta à Martha un furtif regard assassin. Malgré son comportement

étrange, Ruby restait quelqu’un de bien. Elle savait reconnaître un monstre marin voleuse d’homme lorsqu’elle en voyait un.

Martha se dirigea vers la sortie d’un air hautain et je la suivis. Au-dessus de nos têtes, le ciel était d’un bleu éclatant. Un parfait jour d’été. Je me serais sentie plus à l’aise si la nature avait été sur le point de lâcher un seau rempli de pluie sur sa chevelure impeccable, mais apparemment ça n’était pas prévu au programme.

Après une rapide inspection, Martha se jucha sur le rebord d’un banc.

— Jimmy m’a appelée.

Je m’assis en gardant mes distances.

— Il doit s’excuser auprès des gens, ça fait partie du processus de désintox.

Des ongles parfaitement manucurés tapotèrent le siège en bois.

— Enfin, ce n’était pas vraiment des excuses. Il m’a dit qu’il fallait que j’aille à Portland pour arranger le bordel que j’avais causé entre David et toi. (Elle regardait fixement devant elle.) Les choses ne sont pas au beau fixe entre Ben et lui. J’aime mon frère. Je n’ai pas envie qu’il se brouille avec David à cause de moi.

— Qu’est-ce que tu attends de moi au juste, Martha ?

— Je n’attends rien. Je veux simplement que tu m’écoutes.

Elle baissa rapidement le menton et ferma un instant les yeux.

— J’ai toujours cru que je pourrais le récupérer quand je voudrais. Après quelques années, le temps qu’il digère, évidemment. Il n’avait pas eu le temps de profiter de sa jeunesse, nous n’avions connu personne d’autre, ni lui ni moi. Alors j’ai pris mon mal en patience, je l’ai laissé s’amuser à

droite à gauche. J’étais son grand amour, après tout, quoi que j’aie pu faire, non ? Chaque soir, il continuait à jouer les chansons écrites pour moi, il portait toujours notre boucle d’oreille après toutes ces années…

La circulation grondait, les gens bavardaient, mais Martha et moi étions à l’écart de tout ça. Je n’étais pas certaine de vouloir entendre ce qu’elle avait à dire mais j’absorbai néanmoins chaque mot, cherchant désespérément à comprendre.

— Il se trouve que les artistes peuvent être très sentimentaux. (Elle eut un petit rire sans joie.) Sauf qu’apparemment ça ne veut rien dire.

Elle se tourna vers moi, les yeux pleins de haine.

— Je crois que j’étais devenue une habitude pour lui. Il n’a jamais rien abandonné pour moi. Et il n’a jamais déménagé pour me faire plaisir.

— Qu’est-ce que tu insinues ?

— Il a terminé l’album, Evie. Apparemment, les nouvelles chansons sont géniales. C’est le meilleur album qu’il ait jamais écrit. Il pourrait être dans n’importe quel studio de son choix, à faire ce qu’il aime. À la place, il est là, à enregistrer à quelques rues d’ici. Parce que être proche de toi est plus important pour lui.

Elle se tourna vers moi, un sourire triste aux lèvres.

— Il a vendu la maison de Monterey et acheté un truc ici. J’ai attendu des années qu’il revienne, qu’il ait enfin du temps à m’accorder. Pour toi, il a tout réorganisé en un battement de cil.

— Je ne savais pas, murmurai-je, abasourdie.

— Tout le groupe est là. Ils enregistrent dans un endroit appelé le Bent Basement.

— J’en ai entendu parler.

— Si tu es assez bête pour le laisser partir, tu mérites d’être malheureuse très longtemps.

Elle semblait parler d’expérience. Elle se releva et se frotta les mains.

— Ma mission ici est terminée.

Et Martha s’éloigna. Elle disparut dans la foule des badauds du milieu d’après-midi comme si elle n’était jamais venue.

David enregistrait à Portland. Il m’avait dit travailler sur le nouvel album mais je ne m’étais pas imaginé que ça signifiait l’enregistrer ici. Et encore moins y acheter un appart.

Je me levai à mon tour et empruntai la direction opposée à celle qu’avait prise Martha. Je marchai, essayant de comprendre ce que j’étais en train de faire, laissant une chance à mon cerveau de rattraper son retard. Puis je renonçai et me mis à courir, slalomant entre les piétons, les tables des cafés et les voitures en stationnement. Mes Doc Martens me portaient de plus en plus vite. Je dénichai le Bent

Basement à quelques rues de là, entre une minuscule brasserie et une boutique de luxe. J’appuyai les mains contre le bois et la petite porte verte s’ouvrit. Des haut-parleurs s’élevaient les accords d’un puissant solo de guitare électrique. Sam était assis sur un canapé et lisait un magazine. Il avait troqué

son sempiternel costume noir pour un pantalon en toile et une chemise hawaïenne à manches courtes.

— Madame Ferris, dit-il en souriant.

— Bonjour Sam, répondis-je, haletante, essayant de reprendre mon souffle. Cette tenue vous va très bien.

Il me fit un clin d’œil.

— M. Ferris se trouve dans l’une des cabines de prise de son pour le moment, mais si vous empruntez cette porte, vous pourrez observer.

— Merci Sam. C’est bon de vous revoir.

La lourde porte menait à la table de mixage. Un homme était assis derrière avec un casque sur les oreilles. Ce studio aurait fait pâlir d’envie celui de Monterey. Par la vitre, j’aperçus David qui jouait, les yeux fermés, habité par la musique. Lui aussi portait un casque.

— Salut, chuchota Jimmy.

Je ne m’étais pas rendu compte que le reste du groupe était derrière moi, faisant un break en attendant leurtour.

— Salut, Jimmy.

Il me fit un sourire fatigué. Disparus, le costume et les pupilles dilatées.

— Content de te voir.

— Merci.

Je n’étais pas familière avec les usages en matière de désintoxication. Devais-je l’interroger sur sa santé ou éviter le sujet ?

— Et merci d’avoir appelé Martha.

— Elle est venue te parler ? Tant mieux. (Il glissa les mains dans les poches de son jean noir.)

C’était le moins que je puisse faire. Excuse-moi pour mon comportement. Je n’étais pas moi-même.

J’espère que qu’on pourra mettre tout ça derrière nous.

Sans la drogue, sa ressemblance avec son frère était frappante. Mais ses yeux bleus et son sourire ne me faisaient pas le même effet que ceux de David. Personne ne le pourrait jamais. Ni dans cinq ans ni dans cinquante. Pour la première fois depuis très longtemps, je l’acceptais. J’en étais même heureuse. C’était la journée des illuminations, visiblement.

Jimmy attendait patiemment que je redescende sur terre et lui réponde. Voyant que je ne le faisais pas, il continua :

— Je n’avais jamais eu de belle-sœur avant.

— Ni moi de beau-frère.

— Ah non ? On est très utiles pour tout un tas de trucs. Tu verras.

Je souris et il me rendit mon sourire, beaucoup plus détendu à présent.

Ben, assis dans un canapé en cuir noir, discutait avec Mal qui m’adressa un petit signe du menton auquel je répondis. Mais Ben me lança seulement un regard inquiet. Il était toujours aussi imposant mais il semblait avoir plus peur de moi que je n’avais peur de lui aujourd’hui. Je lui fis un petit signe de tête qu’il me rendit avec un sourire crispé. Après ma discussion avec Martha, je comprenais un peu mieux le comportement de son frère ce soir-là. Nous ne serions jamais les meilleurs amis du monde mais nous nous comporterions en êtres civilisés, pour David.

Le solo de guitare prit fin. Je me retournai et aperçus David qui retirait son casque en me regardant. Puis il fit passer la sangle de sa guitare par-dessus sa tête et se dirigea vers la porte communicante.

— Salut, fit-il en avançant vers moi. Tout va bien ?

— Oui. On peut discuter ?

— Bien sûr.

Il me fit entrer dans la cabine.

— Je n’en ai pas pour longtemps, Jack.

L’homme derrière la table de mixage hocha la tête et tripota quelques boutons, probablement pour

éteindre les micros. Il n’avait pas l’air trop agacé par cette interruption. Partout, des instruments et des amplis. L’endroit était un chaos organisé. Nous restâmes dans un coin, à l’abri des regards.

— Martha est venue me voir, annonçai-je une fois qu’il eut refermé la porte.

Il se dressait devant moi. J’appuyai mon dos contre le mur et levai les yeux vers lui, essayant toujours de reprendre mon souffle. Mon cœur s’était calmé après ma course folle. Enfin, s’était calmé avant que David ne soit là, tout près. Je mis les mains derrière mon dos pour m’empêcher de le toucher.

Comme à son habitude, il fronça les sourcils.

— Martha ?

— Tout va bien, le rassurai-je. Enfin, elle était égale à elle-même, mais on a discuté.

— De quoi ?

— De vous deux, principalement. Elle m’a donné de quoi réfléchir. Tu es pris ce soir ?

Ses yeux s’écarquillèrent légèrement.

— Non. Tu as envie de faire quelque chose ?

— Oui. Tu m’as manqué ce matin. Tu m’as beaucoup manqué, le mois dernier. Je crois ne jamais te l’avoir dit.

Sa respiration s’accéléra.

— Non… non, tu ne me l’as pas dit. Tu m’as manqué aussi. Je suis désolé de ne pas avoir pu rester ce matin.

— Ce n’est que partie remise.

— Absolument.

Il avança d’un pas jusqu’à ce que la pointe de ses bottes touche les miennes.

— J’avais promis qu’on commencerait à travailler tôt, sinon j’aurais été là à ton réveil.

— Tu ne m’avais pas dit que le groupe enregistrait ici.

— On avait d’autres choses à régler. J’ai pensé que ça pouvait attendre.

— Oui. Tu as raison.

Je regardai le mur à côté de moi, essayant de mettre de l’ordre dans mes idées. Après un début difficile et douloureux, tout semblait soudain se précipiter.

— … À propos de ce soir, Ev ?

— Oh, je vais dîner chez mes parents.

— Suis-je invité ?

— Oui. Oui, tu es invité.

— O.K. Super.

— Tu as vraiment acheté un appartement ici ?

— Un quatre-pièces à quelques rues d’ici. Je me suis dit que c’était près de ton boulot et pas très loin de ta fac… Tu vois, juste au cas où. (Il scruta mon visage.) Tu voudrais le visiter ?

— Waouh…, m’exclamai-je, puis je changeai de sujet pour gagner du temps. Euh… Jimmy a l’air en forme.

Il sourit et posa ses mains de chaque côté de ma tête, réduisant la distance entre nous.

— Ouais. Il va bien. Déménager ici a fait du bien à tout le monde. Apparemment, je n’étais pas le seul à avoir besoin d’une pause. On n’a jamais aussi bien joué. On se reconcentre sur l’essentiel.

— C’est super.

— Allez, dis-moi ce que t’a raconté Martha, bébé.

Ce mot tendre fit remonter à la surface d’anciens sentiments familiers. J’étais à deux doigts de flancher.

— On a parlé de toi.

— J’avais compris.

— Je crois que j’essaie encore de mettre tout ça au clair dans ma tête.

Il hocha lentement la tête et se pencha jusqu’à ce que nos nez se touchent presque. La parfaite intimité de ce moment, son souffle sur mon visage… Mon besoin d’être proche de lui n’avait jamais disparu. Peu importe combien j’avais essayé de l’étouffer. L’amour et le chagrin vous rendent terriblement stupide, désespéré même. Incroyables les choses dont on pouvait se convaincre pour survivre, espérant qu’un jour on finirait par y croire.

— Je peux faire quelque chose pour t’aider ?

— Non, je crois que je voulais simplement vérifier que tu étais vraiment ici.

— Je suis là.

— Oui.

— Et ça ne changera pas, Evie.

— Je crois que je le sais maintenant. Je peux être un peu longue à la détente, parfois. C’est juste que je n’étais pas sûre, tu comprends, avec tout ce qui s’est passé. Mais je suis toujours amoureuse de toi.

Apparemment, j’avais retrouvé la mauvaise habitude de dire tout ce qui me passait par la tête. Mais avec David, ce n’était pas grave. J’étais en sécurité.

— Je sais, bébé. Mais quand vas-tu me revenir ?

— Ce n’est pas si simple. J’ai tellement souffert la dernière fois.

Il hocha tristement la tête.

— Tu m’as quitté. Je crois que c’est la pire chose qui me soit jamais arrivée.

— Il fallait que je m’en aille mais… je crois que je voulais te faire souffrir comme tu m’avais fait souffrir.

J’avais besoin de lui prendre la main mais ne me l’autorisai pas.

— Je n’ai plus envie d’être en colère. Pas contre toi, plus jamais.

— Je t’ai dit des choses horribles ce soir-là. On souffrait tous les deux. Il va falloir qu’on arrive à

nous pardonner l’un l’autre et à oublier.

— Tu n’as pas écrit de chanson à ce sujet, rassure-moi.

Il détourna le regard.

— Non ! David…, m’exclamai-je, horrifiée. Tu n’as pas le droit. C’était une soirée tellement abominable.

— Sur une échelle de un à dix, à quel point serais-tu énervée, exactement ?

— Un étant le divorce ?

Il se rapprocha, plaçant ses pieds entre les miens. Nos visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Je n’avais jamais autant retenu mon souffle. Jamais.

— Non, fit-il d’une voix douce. Tu ne te souviens même pas de notre mariage, alors le divorce, l’annulation, ou quoi que ce soit, n’est plus d’actualité. Ça ne l’a jamais été, d’ailleurs. J’ai simplement dit aux avocats d’avoir l’air occupé le temps que je mette les choses au clair. Aurais-je oublié de le mentionner ?

— Oui, je crois bien.

Je ne pus m’empêcher de sourire.

— Dans ce cas, c’est quoi le un ?

— C’est maintenant. Être séparés et malheureux l’un sans l’autre.

— C’est plutôt horrible.

— C’est vrai, convint-il.

— Est-ce que la chanson va être un single ou est-ce que tu vas la fourrer dans un coin en espérant que personne ne la remarque ? C’est une face B ou un truc comme ça, n’est-ce pas ? Non répertoriée et cachée à la fin ?

— Supposons qu’on comptait utiliser une de ces chansons comme titre de l’album…

— Une de ces chansons ? Et combien de titres de ce merveilleux album dont j’ai tant entendu parler vont parler de nous, au juste ?

— Je t’aime.

— David…

Je m’efforçais d’avoir l’air en colère mais sans succès. Je n’en avais pas la force.

— Peux-tu me faire confiance ? demanda-t-il, le visage soudain sérieux. J’ai besoin que tu me refasses confiance.Et pas qu’au sujet des chansons. ça me tue de voir constamment cette inquiétude dans tes yeux.

— Je sais.

Je fronçai les sourcils, joignant mes doigts derrière mon dos.

— Ça vient doucement. Quant aux chansons, je finirai par m’y faire. La musique fait partie de toi et je suis fière de t’inspirer. Je te taquinais, c’est tout.

— Je sais. Et elles ne parlent pas toutes de notre séparation.

— Ah non ?

— Non.

— Tant mieux.

— Mmm.

Je me passai la langue sur les lèvres et il me regarda intensément. J’attendais qu’il réduise la distance entre nous et m’embrasse. Mais il ne le fit pas, et moi non plus. Pour je ne sais quelle raison, nous ne voulions pas nous précipiter. Le moment devait être parfait. Tout devrait être réglé entre nous. Pas de gens qui attendaient dans la pièce d’à côté. Être près de lui, le doux murmure de sa voix me donnaient envie de rester comme ça toute la journée. Mais Ruby allait finir par se demander ce qui m’était arrivé. Avant, j’avais une petite course à faire.

— Je ferais mieux de retourner bosser.

— Tu as raison, acquiesça-t-il en reculant lentement. À quelle heure veux-tu que je vienne te chercher cesoir ?

— À 19 heures ?

— Parfait.

Une ombre traversa son visage.

— Tu crois que tes parents vont m’apprécier ?

Je pris une grande inspiration et me lançai :

— Je n’en sais rien. Mais ça n’a aucune importance. Moi, je t’aime.

— C’est vrai ?

Je hochai la tête.

La lumière dans ses yeux ressemblait au lever du soleil. Mes genoux tremblèrent et mon cœur s’emballa. C’était fort, beau, parfait.

— C’est tout ce qui compte, dans ce cas, déclara-t-il.

21

Mes parents ne l’avaient pas apprécié. Ils l’avaient ignoré la majeure partie du dîner. Chaque fois que j’avais ouvert la bouche pour m’indigner, David m’avait donné un coup de pied sous la table suivi d’un petit signe de tête. J’étais restée assise en fulminant, ma colère augmentant de minute en minute. Les choses dépassèrent rapidement le stade du gênant, bien que Lauren ait fait son possible pour combler les silences.

De son côté, David s’était mis sur son trente et un ; il portait une chemise grise à col boutonné dont les manches recouvraient le plus gros de ses tatouages. Un jean et des bottes noires complétaient sa tenue « rencontre avec les parents ». Étant donné qu’il avait refusé de faire un effort vestimentaire lors d’un concert bourré de stars hollywoodiennes, j’étais impressionnée. Il avait même coiffé ses cheveux à la James Dean. Sur la plupart des hommes, ça ne m’aurait pas plu. Mais David n’était pas la plupart des hommes. Pour résumer, il était extraordinairement beau, malgré les bleus qui s’estompaient sous ses yeux. Et la façon courtoise dont il avait réagi à l’attitude épouvantable de mes parents n’avait fait que renforcer ma confiance en lui. J’étais fière qu’il ait choisi d’être avec moi.

Mais revenons à la conversation du dîner.

Lauren était en train de donner un résumé détaillé de ses cours du semestre suivant. Mon père hochait la tête et écoutait attentivement, posant toutes les questions appropriées. Pour mes parents, que

Nate tombe amoureux d’elle dépassait leurs rêves les plus fous. Dans les faits, ça faisait longtemps qu’elle faisait partie de la famille. Ils ne pouvaient pas être plus heureux. Au-delà de ça, elle semblait leur faire voir leur fils sous un nouveau jour, leur faire prendre conscience des changements qui s’opéraient en lui. Lorsque Lauren parlait du travail de Nate et de ses responsabilités, ils écoutaient.

David n’était que de l’autre côté de la table, mais il me manquait déjà. Il y avait tellement de choses dont nous devions discuter que je ne savais pas par où commencer. Mais n’avions-nous pas déjà

discuté jusqu’à plus soif ? Alors quel était le problème ? J’avais l’étrange sensation que quelque chose n’allait pas, que quelque chose m’échappait. David avait déménagé à Portland. Tout devrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais ce n’était pas le cas. Les cours allaient bientôt reprendre.

La menace de mon avenir était toujours suspendue au-dessus de ma tête tel un couperet, et ce par ma faute.

— Ev ? Quelque chose ne va pas ? me demanda mon père, assis en bout de table, le visage marqué

par l’inquiétude.

— Non, papa, tout va bien, répondis-je avec un sourire forcé.

Nous n’avions pas reparlé du fait que je lui avais raccroché au nez. Il avait probablement dû mettre

ça sur le compte de mon cœur brisé ou un truc comme ça.

Il fronça les sourcils à mon intention, puis à celle de David.

— Ma fille reprend les cours la semaine prochaine.

— Oui, répondit David. Elle me l’a dit, monsieur Thomas.

Mon père l’observa derrière ses lunettes.

— Ses études sont très importantes.

Une panique glacée m’envahit tandis que l’horreur se déroulait devant mes yeux.

— Papa, arrête.

— Je n’ai aucune intention de les perturber, monsieur Thomas.

— Bien.

Mon père joignit les mains et se prépara à faire un sermon.

— Le fait est que les jeunes femmes qui se croient amoureuses ont une fâcheuse tendance à agir de manière impulsive.

— Papa…

Il tendit une main pour m’arrêter.

— Elle rêve de devenir architecte depuis qu’elle est toute petite.

— O.K. ça suffit, papa.

— Et si vous partez en tournée, David ? continua-t-il malgré mes protestations. Ce qui sera forcément le cas. Vous attendez-vous qu’elle laisse tout tomber pour vous suivre ?

— Ce sera à votre fille d’en décider, monsieur. Mais je n’ai nullement l’intention de lui demander de choisir entre ses études et moi. Quoi qu’elle décide de faire, elle aura mon soutien le plus total.

— Elle veut être architecte, déclara mon père d’un ton sans appel. Cette relation lui a déjà beaucoup coûté. Un stage très important a été annulé à cause de toute cette histoire. Ça lui a considérablement porté préjudice.

Je repoussai ma chaise et me levai brusquement.

— Stop !

Mon père me lança le même regard qu’il avait réservé à David : froid et hostile. Il me dévisageait comme s’il ne me reconnaissait plus.

— Je ne veux pas que tu gâches ton avenir pour lui, gronda-t-il.

— Lui ? répétai-je, horrifiée par le ton de sa voix.

La colère s’était accumulée en moi toute la soirée. Pas étonnant que j’aie à peine touché mon repas.

— La personne envers laquelle vous êtes terriblement grossier depuis une heure ? David est la dernière personne qui souhaiterait que je renonce à quelque chose d’important à mes yeux.

— S’il tenait vraiment à toi, il s’en irait. Regarde les dégâts qu’il a causés.

Une veine palpita sur le front de mon père qui se leva à son tour. Tout le monde observait la scène dans un silence stupéfait. Toute ma vie, j’avais cédé. Mais toujours pour des choses sans importance.

Là, c’était différent.

— Tu te trompes.

— Tu es incontrôlable, gronda-t-il en pointant un doigt dans ma direction.

— C’est faux, rétorquai-je avant de me tourner vers mon mari pour lui dire ce que j’aurais dû lui avouer depuis longtemps. Je suis la fille la plus chanceuse du monde, voilà ce que je suis.

Un sourire illumina les yeux de David. Il se mordit la lèvre inférieure, tentant de contenir sa joie devant la colère de mes parents.

— C’est vrai, ajoutai-je, les larmes aux yeux.

David repoussa sa chaise et se leva, me faisant face de l’autre côté de la table. Les promesses d’amour inconditionnel et de soutien dans ses yeux furent la seule réponse dont j’avais besoin. Et, en cet instant parfait, je sus que, tant que nous resterions ensemble, tout irait bien. Il n’y avait aucune once de doute en moi. Sans un mot, il fit le tour de la table et se dressa à côté de moi.

L’expression sur le visage de mes parents… Waouh. On dit toujours qu’il vaut mieux retirer le pansement d’un coup sec, alors je me lançai :

— Je ne veux pas être architecte.

Le soulagement que provoqua cet aveu fut stupéfiant. Je suis presque sûre que mes genoux s’entrechoquèrent. Impossible de revenir en arrière, à présent. David me prit la main et la serra.

Mon père tressaillit.

— Tu ne penses pas ce que tu dis.

— J’ai bien peur que si. C’était ton rêve, papa. Pas le mien. Je n’aurais pas dû jouer le jeu si longtemps. C’était une erreur et je m’en excuse.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda ma mère d’une voix perçante. Servir du café toute ta vie ?

— Oui.

— C’est ridicule. Tout cet argent dépensé…

Ses yeux étincelèrent de colère.

— Je vous rembourserai.

— C’est complètement fou, renchérit mon père en blêmissant. C’est à cause de lui.

— Non. Il s’agit de moi, pour une fois. David m’a simplement ouvert les yeux. Il m’a donné envie d’être une meilleure personne. Je n’aurais pas dû mentir au sujet de mon avenir simplement pour vous faire plaisir.

Mon père me foudroya du regard.

— Je crois que tu ferais mieux de partir, maintenant, Evie. Réfléchis bien à tout ça. Nous en reparlerons plus tard.

Nous en reparlerions, certes, mais ça ne changerait rien. Mon statut de petite fille sage venait d’en prendre un sacré coup.

— Vous avez oublié de lui dire que, quoi qu’elle décide, vous l’aimeriez toujours, intervint Nathan en se levant à son tour et en tirant la chaise de Lauren.

Il affronta mon père, la mâchoire serrée.

— Nous ferions mieux d’y aller aussi.

— Elle le sait.

Le visage déformé par l’incompréhension, mon père se tenait immobile en bout de table.

Nate poussa un petit grognement.

— Non, c’est faux. Pourquoi croyez-vous qu’elle vous a obéi toutes ces années ?

Maman se tordit les mains.

— C’est totalement ridicule, bredouilla mon père.

— Non, il a raison, dis-je. Mais je suppose que tout le monde doit grandir un jour ou l’autre.

Ses yeux se durcirent encore un peu plus.

— Devenir adulte ne signifie pas tourner le dos à ses responsabilités.

— Suivre tes pas ne fait pas partie de mes responsabilités, rétorquai-je, refusant de céder.

Fini la soumission.

— Je ne peux pas être toi. Je suis désolée d’avoir gâché tant d’années et d’argent avant de m’en rendre compte.

— Nous désirons simplement ce qu’il y a de mieux pour toi, souffla maman d’une voix serrée par l’émotion.

— Je le sais. Mais c’est à moi de décider, maintenant.

Je me tournai vers David, sans jamais lâcher sa main.

— Et mon mari ne va nulle part. Vous allez devoir vous y faire.

Mon frère fit le tour de la table pour aller embrasser notre mère.

— Merci pour le dîner.

— Un jour, déclara-t-elle en nous regardant tous les deux, lorsque vous aurez vous-mêmes des enfants, vous comprendrez à quel point c’est dur.

Ses paroles mirent le point final à la soirée. Mon père continua à secouer la tête en poussant de petits soupirs. Je me sentais coupable de les avoir déçus. Mais pas assez pour faire marche arrière.

J’avais atteint un âge où je comprenais que mes parents étaient des êtres humains. Ni parfaits ni omnipotents, mais faillibles. Et c’était à moi de juger ce qui était bon pour moi.

J’attrapai mon sac à main. Il était temps de partir.

David salua mes parents d’un signe de tête et m’escorta dehors. Une Lexus hybride flambant neuve attendait. Rien à voir avec les gros 4 × 4 qu’utilisaient Sam et les autres gardes du corps. Cette voiture avait une taille beaucoup plus conviviale. Derrière nous, Nate et Lauren montèrent dans leur voiture.

Personne n’ajouta un mot. Papa et maman se tenaient dans l’embrasure de la porte d’entrée, silhouettes sombres dans la lumière. David m’ouvrit la portière et je montai sur le siège passager.

— Je suis désolée pour le comportement de mon père. Tu es fâché ?

— Non.

Il referma la portière et fit le tour du véhicule côté conducteur.

— Non ? C’est tout ?

Il haussa les épaules.

— C’est ton père. Évidemment qu’il s’inquiète.

— Je ne pensais pas que tu resterais.

Il enclencha le clignotant et démarra.

— Vraiment ?

— Non. Pardon, c’était stupide de ma part.

J’observai mon ancien quartier : le parc dans lequel je jouais, le chemin que je prenais pour aller à

l’école.

— Voilà, je viens d’arrêter mes études.

Il m’interrogea du regard.

— Et tu te sens comment ?

— J’en sais rien.

Je frottai mes mains l’une contre l’autre.

— Ça picote. J’ai l’impression que mes orteils et mes mains me démangent. Je ne sais plus où j’en suis.

— Et tu sais ce que tu as envie de faire ?

— Non, pas vraiment.

— Mais tu sais ce que tu n’as pas envie de faire ?

— Oui, répondis-je d’un ton assuré.

— C’est un bon point de départ.

C’était la pleine lune. Les étoiles scintillaient. Et je venais de chambouler mon existence tout entière. Encore unefois.

— Tu es à présent officiellement marié à une ancienne étudiante qui sert du café pour vivre. Ça t’embête ?

Avec un soupir, David réenclencha le clignotant et se gara devant une rangée impeccable de pavillons. Il saisit l’une de mes mains et la serra entre les siennes.

— Si je décidais de quitter le groupe, ça t’embêterait ?

— Bien sûr que non. La décision t’appartient.

— Et si je voulais donner tout mon argent, que dirais-tu ?

Je haussai les épaules.

— C’est ton argent, ton choix. J’imagine que tu devrais alors vivre avec moi. Et, pour ton information, l’appartement qu’on pourrait s’offrir avec mon salaire serait petit. Vraiment minuscule.

— Mais tu voudrais toujours de moi ?

— Sans hésitation.

Je posai une main sur la sienne ; j’avais besoin d’emprunter un peu de sa force.

— Merci d’avoir été là ce soir.

Ses yeux bleus magnifiques se plissèrent.

— Mais je n’ai pas dit un mot…

— Tu n’en avais pas besoin.

— Tu m’as appelé ton mari.

Je hochai la tête, la gorge serrée.

— Si je ne t’ai pas embrassée tout à l’heure au studio, c’est parce qu’il y avait bien trop de tension entre nous. Le moment semblait mal choisi. Mais maintenant, j’ai envie de t’embrasser.

— Oui, s’il te plaît.

Il se pencha vers moi et j’allai à sa rencontre. Sa bouche recouvrit la mienne ; ses lèvres étaient chaudes, fermes, et familières. Les seules que je désirais et dont j’avais besoin. Ses mains prirent mon visage en coupe. Son baiser était doux, parfait, comme une promesse – une qui ne serait pas rompue cette fois. Nous avions tous deux appris de nos erreurs et continuerions à apprendre toute notre vie.

C’était ça, le mariage.

Ses doigts glissèrent dans mes cheveux et je caressai sa langue avec la mienne. Le sentir était pour moi aussi vital que l’oxygène. La sensation de ses mains sur moi était un avant-goût de ce qui m’attendait. La situation dérapait. Le gémissement qui s’échappa de sa bouche… Oh mon Dieu ! Je voulais entendre ce bruit pour le restant de mes jours. Mes mains agrippèrent sa chemise, essayant de l’attirer plus près. Nous avions du temps à rattraper.

— Il faut qu’on arrête, murmura-t-il.

— Vraiment ? demandai-je, pantelante.

— Malheureusement. (Il gloussa et frotta son nez contre le mien.) Un peu de patience, ma petite chanceuse, un peu de patience. Au fait, avais-tu vraiment besoin de jeter cette bombe ?

— Oui.

— Tes parents semblaient à deux doigts d’avoir une attaque.

— Je suis désolée de la façon dont ils t’ont traité, dis-je en caressant les petits cheveux sur ses tempes.

— Ce n’est rien.

— Si, tu n’avais pas à supporter ça. Ça ne se reproduira plus. Je ne vais pas laisser…

Il mit un terme à ma diatribe avec un baiser. Évidemment, cela fonctionna. Sa langue titilla la mienne. Je retirai ma ceinture de sécurité et grimpai sur ses genoux ; j’avais besoin d’être plus près de lui. Personne n’embrassait comme David. Ses mains se glissèrent sous mon haut, caressèrent mes seins et en titillèrent les pointes tendues, si dures à présent que ça en était presque douloureux. Je sentais son érection contre ma hanche. Nous gardâmes nos lèvres collées jusqu’à ce qu’une voiture remplie d’ados ne nous croise en klaxonnant. Apparemment, notre petite séance de pelotage était visible malgré les vitres embuées. Classe.

— Bientôt, promit-il, le souffle court. Que c’est bon de t’avoir pour moi tout seul. Mais je suis fier que tu aies eu le courage de tes opinions. Tu t’en es très bien sortie.

— Merci. Tu crois qu’on comprendra lorsqu’on aura des enfants, comme l’a dit ma mère ?

Il me regarda d’un air grave, son beau visage si merveilleusement familier que j’aurais pu en pleurer.

— On n’a jamais encore abordé le sujet des enfants. Tu en veux ?

— Un jour. Et toi ?

— Un jour, oui. Après quelques années passées rien que tous les deux.

— Ça me va. Alors, tu vas finir par me montrer ton appart ?

— Notre appart. Absolument.

— Mais tu vas devoir retirer les mains de mon haut si tu comptes conduire.

— Mmm. Quel dommage, soupira-t-il avant de caresser mes seins une dernière fois. Et toi, tu vas devoir retourner à ta place.

— Ça marche.

Ses mains entourèrent ma taille pour m’aider à rejoindre mon siège. Je remis ma ceinture tandis qu’il prenait une profonde inspiration. Avec une petite grimace, il se tortilla.

— Tu es un vrai démon.

— Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

— Tu le sais très bien, bougonna-t-il en démarrant.

— Je ne sais absolument pas de quoi tu parles.

— Ne fais pas l’innocente, dit-il en plissant les yeux. Tu l’as fait à Vegas, à Monterey et également à

Los Angeles. Et maintenant tu remets ça à Portland. Tu es vraiment insortable.

— Tu veux parler de l’état de ta braguette ? Parce que je ne contrôle pas tes réactions à mon contact, mon vieux.

Il éclata de rire.

— Je ne les contrôle pas non plus.

— C’est pour ça que tu m’as épousée ? Parce que tu es sans défense face à moi ?

— Tu me fais trembler de peur, sois-en sûre.

Le sourire qu’il m’adressa me fit frémir, mais la peur n’avait rien à voir là-dedans.

— Evie, je t’ai épousée parce que tu as donné un sens à ma vie. Nous faisons sens. Nous sommes bien mieux ensemble que séparés. Tu as remarqué ?

— Oh que oui.

— Tant mieux. Il faut rentrer à la maison. Tout de suite.

Je suis presque sûre qu’il dépassa plusieurs limitations de vitesse en chemin. L’appartement n’était qu’à quelques rues du Ruby’s Café. Il se trouvait dans un vieil immeuble Art déco. David tapa le code et me fit entrer dans un vestibule en marbre blanc. Une imposante sculpture en bois flotté se dressait, majestueuse, et des caméras de surveillance étaient cachées au plafond. Il ne me laissa pas le temps d’admirer plus longtemps. Je dus pratiquement courir pour pouvoir le suivre.

— Allez, viens, dit-il en me tirant par la main pour me précipiter dans l’ascenseur.

— C’est magnifique.

Il appuya sur le bouton du quatrième étage.

— Attends un peu d’avoir vu l’intérieur. Tu emménages avec moi, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Au fait, on a des invités en ce moment. Juste quelques semaines, le temps d’enregistrer l’album.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et nous nous engouffrâmes dans le couloir. Soudain, il saisit mon sac à main, se pencha et me souleva.

— Nous y voilà.

Je poussai un petit couinement.

— Je te tiens. Il est temps de te faire franchir le seuil, encore une fois.

— David, je porte une jupe.

Elle tombait presque aux genoux, certes, mais je préférais ne pas montrer mes fesses à ses invités et aux membres du groupe si je pouvais l’éviter.

— J’ai vu. T’ai-je remerciée, d’ailleurs ? J’apprécie beaucoup cette facilité d’accès.

Ses bottes noires retentirent contre le sol en marbre. Je profitai de ma position pour lui toucher les fesses. Ma vie était vraiment géniale.

— Tu ne portes pas de sous-vêtements, constatai-je.

— Vraiment ?

Une main pelota mon derrière. À travers mes vêtements, heureusement.

— Toi, oui, en revanche, dit-il d’une voix rauque. Je les connais ? C’est un shorty, il me semble.

— Je ne crois pas que tu les aies déjà vus, ceux-là.

— Eh bien, on va très vite y remédier. Fais-moi confiance.

— Je n’en doute pas.

J’entendis le bruit de la porte qui s’ouvrait et le marbre sous moi se changea en un parquet en bois brillant peint en noir. Les murs étaient d’un blanc immaculé. Des voix d’hommes me parvinrent. Il y avait de la musique en fond sonore – Nine Inch Nails, je crois. Nate avait rapporté ses CD chez nous et il adorait ce groupe. Évidemment, l’appartement était incroyable. Des chaises en bois sombre, des canapés verts. Beaucoup d’espace. Des étuis à guitare éparpillés un peu partout. De ce que je pouvais en voir, c’était splendide, plein de vie. Un vrai foyer.

Notre foyer.

— Tu as kidnappé une nana. C’est super mais totalement illégal, Davie. Tu vas probablement devoir la rendre.

On souleva mes cheveux et Mal apparut, accroupi à côté de moi.

— Salut, petite mariée. Où est mon bisou de bonjour ?

David leva un pied botté et repoussa Mal.

— Laisse ma femme tranquille, enfoiré. Va t’en trouver une.

— Pourquoi aurais-je envie de me marier ? C’est pour les tarés comme vous, ça. Et même si je salue votre folie, pas question que je suive votre exemple.

— Qui voudrait de lui, de toute façon ? me parvint la douce voix de Jimmy. Salut, Ev.

— Salut Jimmy.

J’enlevai une main du jean de mon époux pour lui faire un petit signe.

— David, suis-je vraiment obligée de rester la tête en bas ?

— Ah oui, pardon. Au fait, c’est soirée rencard, annonça mon mari.

— Compris, répondit Mal. Allez viens, Jimmy, allons retrouver Benny. Il est allé dans ce resto japonais pour manger un morceau.

— O.K, acquiesça Jimmy en se dirigeant vers la porte d’entrée. À plus tard, vous deux.

— À plus tard, répondis-je avec un nouveau petit signe de la main.

— Bonne nuit, Ev.

Mal s’en alla à son tour et claqua la porte derrière eux.

— Enfin seuls, soupira David en se dirigeant vers un long couloir.

Avec moi toujours sur son épaule.

— Tu aimes l’appart ?

— Ce que j’en ai vu me plaît beaucoup.

— Tant mieux. Je te montrerai le reste plus tard. Pour le moment, j’ai vraiment besoin de rentrer dans ta petite culotte, si tu vois ce que je veux dire.

— Je ne suis pas sûre qu’elle soit à ta taille, gloussai-je.

Il me donna une petite tape sur les fesses.

— David !

— Je te réchauffe juste, petite maligne.

Il pénétra dans la dernière chambre au bout du couloir et referma la porte d’un coup de pied. Il jeta mon sac à main sur une chaise. Sans un avertissement, il me déposa sur le lit king size. Mon corps rebondit sur le matelas. Le sang afflua et je fus prise de vertige. Je repoussai mes cheveux de mon visage et me relevai sur mes coudes.

— Ne bouge pas, m’ordonna-t-il d’une voix gutturale.

Debout à l’extrémité du lit, il se déshabillait. Quelle vision magnifique. J’aurais pu le regarder faire ça toute ma vie. Il retira sa chemise et je sus au plus profond de mon être que je n’étais pas la fille la plus chanceuse du monde. Non, j’étais la fille la plus chanceuse de tout l’univers. Pas simplement parce que moi seule avais le droit de voir cet homme superbe à demi nu, mais également

à cause de la façon dont il me regardait entre ses yeux mi-clos. On y lisait du désir, mais également beaucoup d’amour.

— Tu n’as pas idée du nombre de fois où je t’ai imaginée allongée sur ce lit cette semaine. (Il se débarrassa de ses bottes et de ses chaussettes.) Ou du nombre de fois où j’ai failli t’appeler.

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

— Et toi ? me demanda-t-il en défaisant le premier bouton de son jean.

— Ne faisons plus jamais ça.

— Non. Plus jamais.

Il grimpa sur le lit et fit glisser ses mains sur mes mollets. Il envoya valser mes chaussures et ses doigts passèrent sous ma jupe, de plus en plus haut. Sans jamais me quitter des yeux, il retira mon shorty. Il n’était pas si intéressé par mon sous-vêtement, finalement. L’homme avait des priorités.

— Dis-moi que tu m’aimes.

— Je t’aime.

— Encore.

— Je t’aime.

— Putain ce que ton goût m’a manqué.

Ses mains vigoureuses écartèrent mes jambes, m’exposant à son regard.

— Je vais peut-être passer quelques jours la tête entre tes cuisses, d’accord ?

Oh mon Dieu. Il frotta sa barbe contre l’intérieur de ma cuisse et je frissonnai. Même si je l’avais voulu, j’aurais été incapable de parler.

— Redis-le.

J’avalai avec difficulté, essayant de reprendre mes esprits.

— J’attends.

— Je t-t’aime, bégayai-je d’une voix presque inaudible.

Quand sa bouche m’effleura, je faillis tomber du lit. Chaque parcelle de mon être était tendue et frémissante.

— Continue…

Sa langue écarta les lèvres de mon sexe et tournoya avant de plonger à l’intérieur. La sensation de sa bouche douce et ferme et de sa barbe qui me chatouillait légèrement était merveilleuse.

— Je t’aime.

Des mains vigoureuses se glissèrent sous mes fesses, me maintenant contre sa bouche.

— Encore.

Je bredouillai quelque chose. Cela dut suffire car, sans un mot, il fondit sur moi. M’attaqua. Sa langue impitoyable m’envoya bientôt au septième ciel. Le nœud en moi se resserra tandis que le plaisir montait. L’électricité traversa ma colonne vertébrale. Je ne sais pas quand je commençai à

trembler mais toutes mes forces me quittèrent et mon dos heurta le matelas une fois de plus. Je plongeai les mains dans ses cheveux et tirai légèrement dessus.

C’était presque trop. Je ne savais plus s’il fallait que je me rapproche ou m’éloigne. De toute façon, ses mains me maintenaient. Chaque muscle en moi se tendit et ma bouche s’ouvrit en un cri silencieux. Des feux d’artifice remplirent mon cerveau. Et je jouis, je jouis en convulsant.

Lorsque les battements de mon cœur ralentirent enfin, j’ouvris les yeux. David était agenouillé

entre mes jambes. Il avait baissé son jean, son érection dressée contre son ventre plat. Ses yeux bleus sombres me regardaient avec intensité.

— Je ne peux plus attendre.

— Alors n’attends pas.

Je resserrai mes jambes autour de sa taille. L’une de ses mains resta sous mes fesses et il me souleva légèrement. De l’autre, il se guida en moi. Lentement. Nous étions tous deux encore à moitié

habillés. Il n’y avait pas de temps à perdre. Nous étions trop excités pour prendre le temps de retirer nos vêtements et être peau contre peau. Une autre fois.

Il me pénétra si lentement que j’étais incapable de respirer. Que la sensation de son sexe dur en moi

était bonne… La sueur qui perlait sur son torse nu brilla dans la douce lumière. Les muscles de ses

épaules saillirent lorsqu’il se mit à bouger.

— Tu es à moi.

Je ne pus que hocher la tête.

Il baissa les yeux et regarda mes seins remuer à chaque coup de rein. Ses doigts s’enfoncèrent dans mes hanches. Les miens se cramponnèrent aux draps, essayant de trouver un appui afin de pouvoir pousser contre lui. Son expression était sauvage, sa bouche gonflée et humide. C’était réel, lui et moi, ensemble. Le reste n’avait aucune importance.

— Je t’aime.

— Viens par ici.

Il me releva du matelas, me tenant fermement contre lui. Mes jambes étaient enroulées autour de sa taille, mes muscles commençant à se tétaniser. Je passai mes bras autour de son cou.

— Moi aussi je t’aime.

Ses mains se glissèrent sous mon chemisier. Nous commençâmes à aller et venir furieusement. Nos respirations haletantes ne firent bientôt plus qu’une. Nos deux corps étaient transpirants, le tissu de mon vêtement me collait à la peau. La chaleur montait doucement en moi. Je n’allais pas tenir longtemps dans cette position. Pas avec la façon dont il me pilonnait. Sa bouche suçota ma nuque et je tremblai dans ses bras, jouissant de nouveau. Ses gémissements et la manière dont il prononça mon prénom… Je ne voulais rien oublier. Pas une seule seconde.

Il nous étendit ensuite sur le lit. Je ne voulais pas me détacher de lui alors il recouvrit mon corps du sien. Dans un monde parfait, nous resterions comme ça pour toujours.

Mais j’avais quand même un truc à faire.

— J’ai besoin de mon sac, dis-je en me tortillant sous lui.

— Pour quoi faire ? demanda-t-il en se redressant sur ses coudes.

— Tu verras.

— Qu’est-ce qui peut bien être plus important que ça ?

— Allez, pousse-toi.

— O.K. Mais ça a intérêt à valoir le coup.

Il s’écarta et je rampai sur le matelas en tirant sur ma jupe. Je devais avoir l’air appétissante car il s’approcha de moi en claquant des dents.

— Reviens ici, femme, m’ordonna-t-il.

— Donne-moi une seconde.

— Le tatouage a bien cicatrisé. J’aime voir mon prénom sur tes fesses.

— Tu m’en vois ravie.

Je finis par réussir à descendre du lit et à remettre ma jupe crayon en place. Pendant notre séparation, je ne m’étais pas préoccupée de mon tatouage. Mais, à présent, j’étais heureuse de l’avoir.

— Tu ne vas pas garder cette jupe longtemps.

— Tiens-toi tranquille.

— Ce haut non plus. Nous avons du temps à rattraper.

— Une petite minute. Nos câlins torse nu m’ont manqué.

Il avait jeté mon sac sur un fauteuil en velours bleu près de la porte. Celui qui avait décoré cet appart avait fait un boulot d’enfer. Mais je ferais le tour du propriétaire plus tard. Pour le moment, j’avais une chose importante à faire.

— Après notre conversation au studio, je t’ai acheté un cadeau.

— Ah, vraiment ?

Je hochai la tête et fourrageai dans mon sac à la recherche du trésor. Bingo. La petite boîte se trouvait exactement là où je l’avais laissée. Je la cachai dans ma main et avançai vers David, un grand sourire aux lèvres.

— Oui, parfaitement.

— Qu’est-ce que tu as dans la main ?

Il descendit du lit. Contrairement à moi, il avait retiré son jean. Mon mari se dressait devant moi complètement nu, les cheveux en bataille. Il me regardait comme si j’étais la huitième merveille du monde. Aussi longtemps que je vivrais, je savais que jamais je n’aurais envie de personne d’autre.

— Evie ?

Pour je ne sais quelle raison, je me sentis soudain timide, maladroite. J’étais prête à parier que le bout de mes oreilles rougissait.

— Donne-moi ta main gauche.

Il me la tendit et je glissai délicatement à son doigt l’anneau de platine pour lequel j’avais dépensé

toutes mes économies cet après-midi. Parfait. Cet hiver, je marcherais et me gèlerais les fesses, mais

ça en valait la peine. David était plus important pour moi que remplacer ma vieille voiture. Certes,

étant donné l’argent que je devais à présent à mes parents, le timing n’était peut-être pas idéal. Mais qu’importe.

Sauf que l’anneau recouvrait la moitié du deuxième E de son tatouage Vivre Libre. Merde, je n’avais pas pensé à ça. Il n’allait peut-être pas vouloir le porter.

— Merci.

Mon regard scruta son visage pour juger de sa sincérité.

— Elle te plaît ?

— Je l’adore !

— C’est vrai ? Parce que j’avais oublié ton tatouage, mais…

Il m’arrêta d’un baiser. Cette nouvelle habitude me plaisait bien. Sa langue glissa dans ma bouche et je fermai les yeux, toute inquiétude envolée. Il m’embrassa jusqu’à ce que je sois totalement convaincue de sa bonne foi. Ses doigts bataillèrent avec les boutons de mon chemisier, avant de dégrafer mon soutien-gorge.

— J’adore mon alliance, dit-il, ses lèvres parcourant ma mâchoire et ma nuque.

Mon soutien-gorge glissa sur mes épaules, libérant mes seins. Puis il s’attaqua à ma jupe, ne s’arrêtant que lorsque je fus aussi nue que lui.

— Je ne l’enlèverai jamais.

— Je suis contente qu’elle te plaise.

— Beaucoup. Maintenant, j’ai besoin de te voir nue et de te prouver combien je l’aime. Ensuite, je te rendrai ta bague. Je te le promets.

— Rien ne presse, murmurai-je en arquant le cou pour lui en faciliter l’accès. Nous avons l’éternité.

22

Nous avions prévu de retrouver Amanda, Jo et quelques amis dans l’un des bars du coin le lendemain soir. Je vivais un séisme intérieur permanent. Excitée, nerveuse, submergée par une centaine d’autres émotions incontrôlables. Mais aucun doute. Pas un instant. J’avais demandé à Ruby si je pouvais continuer à prendre des services supplémentaires au café et elle en avait été ravie. Elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte, d’où son comportement étrange de la veille et, pour elle, l’arrêt de mes études ne pouvait pas mieux tomber. Peut-être finirais-je par retourner à l’école, qui sait ? J’aimais l’idée d’enseigner. Enfin, j’avais le temps.

Le bar, situé tout près de notre nouveau chez-nous, était minuscule. Sur une petite scène, un groupe de rock alternait des reprises de classiques de grunge avec quelques chansons plus récentes. Installée

à une table à l’écart, Jo nous fit un petit signe de la main. Rencontrer David la mettait manifestement dans tous ses états.

— David. Je suis tellement contente, répétait-elle en boucle.

Si elle se mettait à se frotter contre sa jambe, je mettrais le holà.

En revanche, Amanda ne se départit pas de son froncement de sourcils. Contrairement à mes parents, au moins manifestait-elle son désaccord en silence. J’appréciais sa sollicitude mais elle allait devoir s’habituer à la présence de David.

Ce dernier commanda nos boissons et s’installa à côté de moi. La musique était vraiment trop forte pour pouvoir discuter. Nate et Lauren arrivèrent peu après. Entre mon frère et mon mari était née une paix fragile dont je leur étais profondément reconnaissante.

David se rapprocha de moi.

— Je voulais te demander quelque chose.

— Quoi ?

Il glissa une main autour de ma taille, m’attirant plus près. Autant m’installer directement sur ses genoux… Avec un tendre sourire, il enroula ses bras autour de moi et me serra fort.

— Euh… Ça te plairait d’entendre une des chansons que je t’ai écrites ?

— J’adorerais !

— Super, répondit-il en lissant le dos de ma petite robe noire.

Je l’avais choisie parce que c’était sa couleur préférée, mais également car j’étais convaincue qu’il apprécierait le décolleté en V. Ce soir, je voulais plaire à mon mari. Il y aurait sans aucun doute des moments dans l’avenir où nous aurions envie de nous sauter à la gorge, mais pas ce soir. Ce soir, nous étions là pour faire la fête.

Lauren entraîna Nate sur la piste de danse ; Amanda et Jo les suivirent, nous abandonnant à notre conversation. J’avais vraiment le frère et les amis les plus géniaux du monde. Tous avaient appris la nouvelle sans sourciller. Ils m’avaient prise dans leurs bras sans jamais remettre en question ma décision. Lorsque Lauren raconta sa version de la scène du dîner au cours duquel David avait pris ma défense, je surpris même Amanda hocher la tête d’un air approbateur. J’en avais conçu de grands espoirs.

Plus tôt dans la soirée, j’avais même appelé ma mère. La conversation avait été brève mais j’étais contente de l’avoir fait. Après tout, nous restions une famille.

La nuit précédente, David avait fini par me rendre mon alliance. Il s’avéra que la liste des choses-à- me-faire était longue. En guise de petit déjeuner, on avait mangé de la glace à la petite cuillère, tandis que le soleil se levait. La meilleure nuit de ma vie.

Comme c’était bon d’avoir de nouveau la bague à mon doigt. Comme promis, la sienne était restée en place. Lorsque j’avais émergé de la chambre vers midi, j’avais trouvé David en train de la montrer fièrement à son frère. Tous deux m’avaient aidée à rapporter mes affaires dans l’appartement. Mal et

Ben répétaient dans le studio d’enregistrement. Nate et Lauren avaient eux aussi participé au déménagement, une fois que David et Jimmy eurent fini de signer tout ce qu’elle avait pu trouver lié

de près ou de loin aux Stage Dive. Même si elle jurait à qui voulait l’entendre que j’allais lui manquer, je crois qu’elle avait hâte d’avoir l’appartement pour Nate et elle. Ils formaient un très beau couple.

— J’ai autre chose à te demander, ajouta-t-il.

— La réponse est oui. Oui à tout et à n’importe quoi avec toi.

— Tant mieux, parce que je voulais te proposer de devenir mon assistante. Quand tu ne travailleras pas au café, bien sûr.

Il me caressa doucement le dos.

— David…

— Ou alors tu pourrais me laisser rembourser tes frais de scolarité à tes parents.

— Non, répondis-je d’une voix résolue. Merci beaucoup mais ça, j’ai besoin de le faire toute seule.

Et je crois que c’est également important pour mes parents.

— C’est bien ce que je pensais. Mais c’est beaucoup d’argent, bébé. Si tu prends un deuxième boulot, on ne se verra jamais.

— Je sais. Mais crois-tu vraiment que ce soit une bonne idée de travailler ensemble ?

— Ouais, répondit-il, très sérieusement. Tu adores tout organiser et c’est exactement ce dont j’ai besoin. C’est un vrai métier et c’est toi que je veux pour ce job. Et si jamais on se rend compte que ça nuit à notre couple, on avisera. Mais, pour résumer, je crois que ça signifie simplement passer plus de temps ensemble et faire l’amour au bureau.

J’éclatai de rire.

— Seriez-vous en train de promettre de me harceler sexuellement, monsieur Ferris ?

— Absolument.

Je l’embrassai sur la joue.

— Merci d’avoir pensé à moi. J’adorerais travailler pour toi.

— Si tu décides de reprendre tes études, je demanderai à Adrian de te trouver un remplaçant. C’est aussi simple que ça.

Il m’attira plus près contre son torse.

— C’est un super plan.

— Merci. Ça signifie beaucoup venant de toi.

Son regard se dirigea vers le bar où Mal, Jimmy et Ben prenaient un verre, incognitos. Je ne savais pas qu’ils seraient des nôtres ce soir ; Jimmy se tenait à présent à l’écart des boîtes et des bars.

— Il était temps, marmonna David avant de jeter un œil vers le groupe qui était sur le point de reprendre un classique de Pearl Jam.

— Attends-moi là.

Il se leva, me remit sur ma chaise et fit un petit signe aux autres membres de son groupe. Puis il se dirigea vers la scène. Il fendit la foule avec aisance, suivi des trois autres. Ensemble, ils étaient sacrément impressionnants, peu importe combien ils essayaient de rester discrets. Mais j’eus la nette impression qu’ils étaient sur le point de faire connaître leur présence. Dès que le groupe sur scène eut terminé sa chanson, David héla le chanteur. Je sautillais sur ma chaise d’excitation.

Ils discutèrent quelques instants puis le chanteur appela le guitariste. Sans surprise, ce dernier déposa son instrument dans les mains de David. Je vis l’expression d’étonnement sur leurs visages lorsqu’il déclina son identité. Jimmy adressa un petit signe de tête au chanteur et monta sur scène.

Derrière lui, Mal tapait déjà dans la main du batteur avant de lui subtiliser ses baguettes. Même l’austère Ben sourit en acceptant la basse de son propriétaire. Les Stage Dive entrèrent en scène. Peu de gens dans le bar semblaient vraiment se rendre compte de ce qui était en train de se passer.

— Salut tout le monde. Désolé de vous interrompre. Je suis David Ferris et j’aimerais interpréter une chanson pour ma femme, Evie. J’espère que ça ne vous dérange pas.

Le silence de stupéfaction fit place à un tonnerre d’applaudissements. David me regarda intensément par-dessus la mer de spectateurs qui envahissait la piste de danse pour se rapprocher de la scène.

— Elle est de Portland. J’imagine que ça fait de moi un des vôtres, désormais. Soyez indulgents avec moi, O.K. ?

En réponse, la foule devint totalement hystérique. Les mains de David se déplacèrent sur les cordes, produisant le mélange de rock et de country le plus doux possible. Puis il se mit à chanter. Jimmy l’accompagna pour le refrain, leurs voix se mêlant à la perfection.

I thought I could let you go

I thought that you could leave and know

The time we took would fade

But I’m colder than the bed where we lay

You let go if you like, I’ll hold on

Say no all you want, I’m not done

Baby, I promise you

Did you think I’d let you go ?

That’s never happening and now you know

Take your time, I’ll wait

Regretting every last thing I said

La chanson était simple, douce, parfaite. À la fin du morceau, les gens hurlaient et tapaient des pieds. Le bruit était assourdissant. La sécurité aida David et ses acolytes à s’extirper de la cohue des spectateurs, prévenus du concert par des textos, des appels et via toutes sortes de réseaux sociaux. Un raz de marée de fans les submergea. Une main me saisit le bras. Je levai les yeux et découvris Sam à

côté de moi, un grand sourire sur le visage. Il nous escorta à l’extérieur en un rien de temps.

Tout avait été prévu : nous nous entassâmes dans la limousine qui nous attendait dehors. David me mit immédiatement sur ses genoux.

— Sam va s’assurer que tes amis vont bien.

— Merci. Je pense que Portland sait que tu es là, à présent.

— Ouais, je crois que tu as raison.

— Je le savais ! Je savais que tu allais nous pondre un truc comme ça, David, dit Mal en secouant la tête. Vous, les guitaristes, vous n’êtes qu’une bande de frimeurs. Si tu avais ne serait-ce qu’un peu de jugeote, jeune fille, tu aurais épousé un batteur.

Je ris et essuyai les larmes sur mes joues.

— Pourquoi est-ce qu’elle pleure ? Qu’est-ce que tu lui as dit ?

David resserra son étreinte. Dehors, les gens tambourinaient aux vitres tandis que la voiture démarrait lentement.

— Tu vas bien ?

— Je n’ai dit que la vérité, qu’elle aurait dû épouser un batteur, renchérit Mal. Putains de concerts improvisés !

— Ferme-la un peu.

— Comme si tu n’avais jamais sorti le grand jeu pour impressionner une nana, rétorqua Ben.

— Vous vous rappelez Tokyo ? enchaîna Jimmy, allongé dans un coin. Comment elle s’appelait déjà ?

— Oh merde, ouais. La nana du restaurant ! s’exclama Ben. Combien ils t’ont fait payer pour les dégâts, rappelle-moi ?

— Je ne sais même pas de quoi vous parlez. Davie a dit de la fermer, cria Mal par-dessus les rires.

Respectez un peu ce moment touchant, bande de nazes.

— Ne fais pas attention à eux, me dit David en prenant mon visage dans ses mains. Pourquoi pleurais-tu, mmm ?

— Parce que sur une échelle de un à dix, ta chanson obtient dix. Elle est magnifique.

— Elle t’a vraiment plu ? Parce que sinon ce n’est pas grave, tu n’es pas obligée de…

Je saisis son visage et l’embrassai, sans prêter attention au bruit et au chahut autour de nous. Et je n’arrêtai de l’embrasser que lorsque nos lèvres furent engourdies et gonflées.

Il sourit et essuya mes dernières larmes.

— Bébé. Tu sais vraiment parler aux hommes.

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Extrait ajouté par Ivynea 2021-05-01T19:55:15+02:00

- J'en sais rien du tout, répondit-elle, puis elle secoua la tête en me regardant, des étoiles dans les yeux. Tu as dépassé toutes mes espérances. Je voulais que tu te lâches un peu. Que tu t'amuses et que tu donnes une deuxième chance à la gent masculine. Mais là, tu as atteint un niveau de folie inédit. Tu as vraiment un tatouage ?

- Oui.

- Avec son prénom ?

Je hocha la tête en soupirant.

- Et on peut savoir où ?

Je fermai les yeux.

- Sur la fesses gauche.

Lauren ne pu se contenir plus longtemps. Elle explosa si fort de rire que les larmes se mirent à couler sur son visage.

Génial...

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Extrait ajouté par Melodie-26 2020-07-06T14:09:20+02:00

« -Je suis sérieuse, insistai-je. Je vais devenir bi. C’est mon nouveau plan…

Amanda leva les yeux au ciel.

-Tu n’es pas bi. Chérie, ne l’encourage pas.

Jo se fendit d’un large sourire faussement innocent.

-La semaine dernière, elle voulait devenir lesbienne. Et avant, elle parlait de monastère. Je trouve que c’est un grand pas pour aller de l’avant et pardonner à tout être humain doté d’un pénis. »

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Extrait ajouté par Melodie-26 2020-07-06T14:00:03+02:00

« -Evie, je t’ai épousée parce que tu as donné un sens à ma vie. Nous faisons sens. Nous sommes bien mieux ensemble que séparés. »

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Extrait ajouté par Melodie-26 2020-07-06T13:59:51+02:00

« -Tu es magnifique. Ne change rien.

-Je t’ai vomi dessus puis engueulé. Tu es sûr qu’il n’y a vraiment rien à changer? Finis-je par plaisanter.

-Oui, répondit-il simplement. Je t’aime comme tu es. J’aime que tu me dises tout ce qui te passe par la tête. Que tu n’essaies pas de jouer avec moi ou de m’utiliser. Tu es… simplement toi. Je t’adore. »

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Extrait ajouté par clary-bouquineuse 2019-10-21T17:04:50+02:00

Pas étonnant que la plupart des mariages se soldent par un divorce. Le mariage, ça craint, et les maris encore plus.

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Extrait ajouté par 2000emma 2019-05-11T00:33:07+02:00

— Je t’écoute.

Encore une gorgée.

— Je t’aime.

Je recrachai ma bière sur la table, éclaboussant nos mains jointes.

— Et merde.

— Je vais chercher des serviettes, dit-il en me lâchant la main et en se levant.

Il revint quelques instants plus tard. Je restai assise là, comme une poupée de chiffon, tandis qu’il essuyait mon bras puis la table. Je n’étais plus bonne qu’à trembler. Délicatement, il m’aida à sortir du bar.

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Extrait ajouté par Farah05 2018-12-25T20:31:49+01:00

— Tu as déjà détruit ta guitare préférée. Donc il va falloir trouver autre chose.Il se frotta les mains.

— Quelque chose que l’argent ne peut acheter.

— Quoi ? demanda David, soudain méfiant.

— Salut, Ev.

Mal sourit et passa un bras autour de mes épaules, me serrant contre lui.

— Hé ! protestai-je.

Soudain, sa bouche couvrit la mienne sans y avoir été invitée. David cria pour protester. Un bras passé dans mon dos, Mal me renversa en arrière et m’embrassa brutalement, meurtrissant mes lèvres. Je m’accrochai à ses épaules de peur de tomber.Lorsqu’il essaya de fourrer sa langue dans ma bouche,

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