Extraits

— Attends un peu, dis-je. Tout à l'heure on se fera des shots de lait chaud, ça va être dingue.

— Tu vis dangereusement.

— N'est-ce pas ?

Les membres du groupe se dispersèrent et il recula de quelques pas. Quelqu’un égrena le décompte et là, boum ! Les premières notes graves et profondes de sa basse me percutèrent de plein fouet, faisant trembler tous mes os. Aucune parcelle de mon être ne fut épargnée. Le morceau qu’ils jouaient était pareil à un sort, s’imprégnant au plus profond de mon être, me renversant tout entière. Toutes les croyances que j’avais en l’amour, le désir, ou quel que fût ce sentiment, venaient d’être chamboulées.

Cette connexion paraissait tellement réelle. Je n’avais pas eu beaucoup de certitudes dans ma vie. Mais lui, nous, ce qu’il y avait entre nous deux, c’en était une. Il ne pouvait pas en être autrement. Enfin, il finit par pivoter dans ma direction, le regard posé sur son instrument, sa courte barbe dissimulant la moitié de son visage. Serait-il d’accord pour la raser ? Il portait un tee-shirt rouge délavé et un jean brut, raccord avec l’uniforme du groupe. Tout en jouant, il se balançait d’avant en arrière, adressant de temps à autre un hochement de tête ou un sourire au chanteur, au guitariste ou à d’autres.

Et si j’étais convaincue que chacun d’entre eux jouait comme les dieux du rock qu’ils étaient, seul lui comptait. Personne d’autre.

— Ah, fit-elle, l'étonnement visible dans son regard. Tant mieux. Ça me donne une meilleure opinion du monstre à barbe.

— Mmh.

Bon, c'était toujours mieux que quand elle l'appelait Sperminator.

- C’est un animal ultra-sensible. Il est un peu comme Mal, en un sens.

- C’est un fou furieux qui court après sa propre queue jusqu’à ce qu’il tombe, la corrigeai-je. Si, tu as raison, en fait. Il est un peu comme Mal.

Quoi ? Non ! aboya Jimmy de l’autre côté du fauteuil.

— Juste une petite, insista Lena en lui caressant le visage.

— Je ne me laisserai pas pousser une putain de barbe. Ça gratte.

— Mais…

— Ça te vient d’où cette lubie, d’abord ? s’écria Jimmy en braquant sur moi un regard assassin. Tu lui en as fait la promo, Liz, c’est ça ?

J’affichai une expression des plus innocentes, mais Jimmy secoua la tête.

— Vous ne devriez pas parler de sexe entre vous, bordel. On vit déjà suffisamment les uns sur les autres.

Time to put my heart and hopes back on ice.

Foolish heart and vagina. The brain knew better but no one was listening.

- Ma belle, tu es importante pour moi depuis le jour où je t'ai rencontrée. Tu es la seule fille vers laquelle je retourne toujours. A aucun moment je n'ai réussi à te sortir de ma tête. C'est la première fois que ça m'arrive.

- C'est vrai ?

- Oui.

Ses doigts massaient à présent ma nuque pour en défaire les noeuds. Le silence se fit entre nous un moment.

- Je veux être ton petit ami, Liz.

En voyant la colère qui perçait dans son regard, une fille plus raisonnable aurait reculé. Pas question. Je m’avançai jusqu’à être nez à nez avec lui – ou en tout cas le plus près possible au vu de notre différence de taille. La prochaine fois qu’on se disputerait, il faudrait que je pense à me munir d’une échelle.

— Eh bien, à mon avis elles devraient toutes les deux faire un test de grossesse, décréta Sasha en se rasseyant à sa place.

Un silence ébahi s’ensuivit.

— Quoi ? bredouillai-je tandis qu’une vague de panique se propageait en moi.

Je n’allais pas faire ça ici, maintenant, et encore moins de cette façon. De la bile me brûla la gorge, mais je la ravalai, cherchant dans ma poche le deuxième sac à vomi.

Le front de Ben se plissa tandis que les autres convives émettaient des toussotements et des hoquets d’étonnement.

Mais, avant que quiconque ait pu formuler un commentaire, Lena produisit un petit cri.

— Non ! se récria-t-elle d’une voix aiguë et très déterminée. Non, je ne suis pas enceinte. Retire ça tout de suite.

Jimmy se mit alors à lui frotter le dos frénétiquement.

— Calme-toi, bébé, dit-il.

Mais, à la place, elle pointa un index tremblant vers l’invitée désormais importune.

— Tu ne sais absolument pas de quoi tu parles, poursuivit-elle. Peut-être que tu as reçu un coup à la tête récemment avec un de ces gros éventails. Bref. Tu… tu délires à pleins tubes.

— O.K., du calme, ordonna Ben, levant les mains en signe d’apaisement.

Sasha garda le silence.

— Lizzy ? fit Anne, les doigts enfoncés très fort dans mon épaule. Il n’y a pas de risque, si ? Je veux dire, tu as la tête sur les épaules. Ça ne t’arriverait pas à toi.

Ma bouche s’ouvrit, sans qu’aucun son en sorte.

Tout à coup, les mains de Lena agrippèrent son ventre.

— Jimmy… Dans ta voiture, au mariage de ma sœur. On ne s’est pas protégés.

— Je sais, répondit-il calmement, le visage blanc comme un linge. Et la veille de ton départ, quand on l’a fait contre la porte. Là aussi, on a oublié.

— Oui.

— Tes seins sont super sensibles ces derniers temps. (D’une main, Jimmy se frotta la bouche.) Et l’autre jour, tu t’es plainte de ne pas arriver à fermer ta robe.

— Je pensais juste que j’avais mangé trop de tarte.

Ils se dévisagèrent, tous les regards soudain tournés vers eux. J’étais à peu près sûre qu’ils avaient oublié depuis un moment qu’un auditoire écoutait tous ces détails de leur intimité. Ce dîner était en train de virer au mélodrame, et ce n’était pas joli à voir. Ma tête se mit à tourner en cercles étourdissants.

— Lizzy ? insista Anne.

Bon, d’accord, ça ne se passait pas à merveille. Vraiment, j’aurais dû m’abstenir de venir. Mais comment étais-je censée savoir que Ben se pointerait avec une Mme Irma spécialisée en gynécologie ? Mon champ de vision se brouilla sur les côtés, tandis que mes poumons étaient en souffrance. Je manquais d’air. Sans vouloir paraître parano, j’étais prête à parier que c’était cette Sasha qui l’avait subtilisé. Pas grave. L’important, c’était de ne pas paniquer.

Et si je sautais par la fenêtre ?