Extraits

- Comme on dit : "Tu n'es pas laide, tu es jute pauvre."

“[...] Un incendie et un iceberg, cette fille.” p.136.

De toute façon, je n’ai pas vraiment envie de continuer à étaler notre linge sale devant chez moi. En traversant la rue, j’envoie un texto à Élodie pour la prévenir que je vais bosser et je lui demande si elle a besoin de quoi que ce soit. Tout le reste du trajet, je pense à Kael. La manière dont il a semblé à peine me reconnaître, à quel point je l’ai trouvé froid. Il ne voulait peut-être pas faire une scène ? Ou alors il ne savait peut-être pas quoi dire, ou alors il était trop absorbé par les conneries de Mendoza. Ou alors il s’en fout, après tout.

Un jour, l’haleine chargée de whisky, ma mère m’a avoué

que mon père regrettait que je sois une fille. Elle a couvert sa bouche de sa main et a essayé de reprendre ce qu’elle avait dit, mais je me souviendrai toujours de l’honnêteté de son propos.

– C’est ta petite copine ou quoi ?

Je ne sais pas trop si je suis adoubée, ou pas. J’imagine que je le découvrirai bientôt.

– Plus ou moins. J’essaie de la convaincre de l’être, alors si tu pouvais m’aider… ce serait super.

– Tu ne vas pas croire ce que je te dis et ça ne te fera pas oublier ce que j’ai fait, donc on perd notre temps. Avant même d’essayer de me pardonner, il va falloir que tu acceptes que ton frère s’est engagé. Il va s’en tirer à bon compte parce que c’est ton jumeau, mais moi, je vais trinquer un bon bout de temps. Probablement pour toujours.

– Elle en veut à qui ? À votre mère de vous avoir abandonnés, ou à ton père qui se comporte comme s’il n’en avait rien à foutre d’elle ?

– Les deux. Mais la liste ne s’arrête pas là. Elle m’en veut à moi aussi, et même à toi ! Maintenant, c’est toi qui vas morfler. C’est moi qui t’ai demandé de ne pas lui dire pour mon incorporation et elle ne te le pardonnera probablement jamais. Elle n’a pas le choix, elle doit me parler – on est jumeaux après tout. Mais sérieux, ça ne me surprendrait pas qu’elle fasse comme si tu n’avais jamais existé. Je te confirme, ma soeur n’est pas comme les autres filles. Tu ne peux pas lui faire oublier tes conneries d’un sourire.

– Nos parents l’ont vraiment bousillée. Moi aussi à l’évidence, ajoute-t-il en souriant. Mais nous n’avons pas pris le même chemin et elle… eh bien, elle s’est refermée sur elle-même et je ne veux pas te voir essayer de l’aider pour finir par te planter. Pour elle, j’aimerais qu’il en soit autrement, mais je ne sais pas si elle sera un jour capable d’avoir une relation avec quelqu’un. Je m’inquiète pour elle, mais ne te flagelle pas pour ça.

Je serai toujours ce gars irrémédiablement bousillé. Karina est la seule à m’avoir donné l’impression que j’avais purgé ma peine, que tout était enfin terminé. Elle est la seule à avoir conscience d’une partie de ce que j’ai fait ou simplement vu, ne serait-ce que parce qu’elle a grandi dans ce milieu, et elle ne m’a jamais regardé comme le genre de mec qui ne devrait même pas l’approcher. Elle a remplacé le bruit dans mes oreilles et imprégné mon esprit avec des petits bouts d’elle-même, jusqu’à guérison. L’écouter parler m’a plus aidé que tous les discours des thérapeutes que j’ai pu croiser. Sa présence et ses actes sont les seules choses capables de me détourner de toutes les autres merdes qui traînent dans ma tête. Et depuis que je suis privé d’elle, je n’ai que le travail comme dérivatif ; mon nouveau boulot, c’est de transformer ce chantier en un endroit vivable, et même agréable, et on peut dire qu’il y a du taff.

Je ne peux pas m’ôter de la tête la grimace de son fils quand il a vu le jet de sang ni comment il a attrapé sa petite soeur et couru à l’étage.