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Extrait

La spoliation

Rocher pénitencier d’Ycarex.

– Attendez ! ordonna la grande duchesse aux médecins spoliateurs. Je veux la voir…

Comment signifier à tous ces gens qu’elle voulait demeurer seule aux côtés de son ex-rivale ?

Inconsciente, Storine était allongée sur une table en métal. Cette pièce aseptisée aux parois lumineuses, remplie d’hommes en blouses blanches, mettait Anastara mal à l’aise. Après des années de luttes incessantes, de projets avortés, de plans de vengeance sans cesse contrariés, elle remportait enfin la victoire.

Elle étira le cou et serra dans sa main droite le sabre psychique éteint de Storine. Elle voulait tout à la fois interroger ces hommes sur ce qu’ils appelaient, avec un brin de cruauté, «la déshumanisation», et allumer la lame en duralium pour les chasser de l’antichambre médicale.

«Il faut extraire tout le sang du corps», lui avait confié un des médecins spoliateurs.

«Spolier, songea Anastara avec délices. Autant dire priver, dépouiller, arracher avec violence, détruire…»

Tournant autour de la longue table derrière les spécialistes affairés, elle fut étonnée d’avoir eu peur de cette fille aux cheveux orange.

«Elle a l’air si petite, si ridicule ainsi allongée, livrée aux mains des techniciens !»

Le sang de Storine était pompé hors de son corps par de nombreux tentacules transparents. Anastara en compta douze au total, implantés dans les poignets, dans le creux des bras, de chaque côté du cou, mais aussi dans l’aine, derrière les genoux et sous la plante des pieds.

«Elle ne meurt pas vraiment, elle se vide.»

«Nous remplacerons le sang par un gaz de notre invention», avait ajouté le technicien.

Avait-il souri en disant cela ?

«Ces hommes ne sont que des ombres, des esclaves de la mort.»

Anastara frissonnait autant de plaisir que de dégoût. Elle détourna néanmoins les yeux, posa une main sur sa bouche. Fâchée de surprendre des coups d’œil indiscrets de la part de deux jeunes apprentis spoliateurs, elle se promit de noter leurs noms pour les faire renvoyer.

Puis, trouvant qu’il serait grotesque de leur en vouloir pour si peu, elle secoua ses longs cheveux noirs lustrés et décida d’assister jusqu’au bout, comme convenu, à la défaite de Storine.

Non, elle ne vomirait pas. Ces hommes n’auraient pas la satisfaction de la voir tourner de l’œil.

Un technicien rasa consciencieusement le crâne de Storine. En voyant les longues mèches orange tomber une à une sur le sol, Anastara sentit une joie sauvage l’envahir. Pourtant, elle dut retenir le tremblement de ses longues mains. Elle vit ses veines proéminentes, bleues et violacées, et imagina une fraction de seconde que les machines gobaient son propre sang. Victime de spasmes incontrôlables, elle se mordit les lèvres pour empêcher ses dents de s’entrechoquer.

«Elle ne nous causera plus d’ennuis !» lui avait dit son père, le grand chancelier impérial, après cette terrible nuit passée dans la salle du trône.

Anastara revit Storine, son sabre à la main, prête à en découdre. Comment avait-elle pu croire qu’un simple duel pouvait régler tous les problèmes de l’Empire ?

«C’est sa bêtise et elle seule qui l’a conduite sur cette table d’extraction !»

Anastara se sentait-elle soulagée pour autant ?

Trois techniciens installèrent des électrodes et des ventouses magnétiques sur le crâne rasé de celle qui avait eu la prétention de se présenter comme l’Élue des dieux. Un opérateur activa le mécanisme d’extraction de l’âme. Fascinée, Anastara redoubla d’attention.

Transpercé par de violentes décharges électriques, le corps de Storine tressaillit. Anastara vit sa poitrine se soulever, son ventre plat se tendre, sa bouche s’ouvrir, ses yeux s’écarquiller.

«Elle hurle, mais aucun son ne sort de sa gorge.»

– Est-elle déjà déshumanisée ? ne put-elle s’empêcher de demander.

Les techniciens la dévisagèrent sans répondre. Elle regretta cette question qui trahissait son ignorance. «Ces hommes vivent depuis trop longtemps sur ce rocher perdu avec des milliers de cadavres flottant autour d’eux.»

Elle ressentit de nouveaux tremblements et se rendit compte que ces espèces de monstres vêtus de blanc qui «spoliaient» les gens de leur corps, de leur âme, de leur humanité, lui faisaient horriblement peur.

Pourquoi avait-elle voulu assister à tout prix à cette séance ?

«C’est mon droit !»

Pourquoi, alors, avait-elle envie d’allumer sa nouvelle arme psychique et de les frapper à mort, tous autant qu’ils étaient ?

«Il faut que je sorte d’ici…»

Pourtant, elle savait qu’elle resterait. Jusqu’à la fin. Jusqu’à ce qu’elle soit certaine que Storine ne serait plus jamais Storine, c’est-à-dire une fille capable de la supplanter dans l’affection que lui portaient les peuples de l’Empire, de la supplanter dans l’admiration – certes soigneusement dissimulée ! – que tout le monde, incluant son propre père, ressentait à son égard ; de la supplanter, surtout, dans l’amour que lui vouait Solarion.

Elle pensa à son cousin et se demanda comment, en tant qu’homme, il avait pu aimer Storine comme on aime une femme. Son corps blanc laiteux et blafard était lamentablement étendu sur la table, exposé sans mystère aux yeux de tous dans une lumière crue et froide. Comment avait-il pu la trouver désirable?

Alors que d’autres techniciens préparaient le catafalque de cristalium à l’intérieur duquel Storine serait enfermée à jamais, Anastara se remémora chacune de leurs confrontations.

Tout d’abord lui parvint un ancien souvenir d’enfance. Elle revit un garçonnet blond et un berceau dans lequel dormait un nourrisson au duvet orange. Que faisait-il avec ces ridicules moufles en peluche à l’image de personnages grotesques ? Il imitait les voix tantôt graves, tantôt aiguës de ces personnages qu’il s’inventait pour distraire la fillette.

«Viens jouer avec moi, Soly !» le suppliait Anastara.

Mais le jeune prince restait des heures entières devant ce berceau, à rire comme un fou chaque fois que Storine s’amusait de ses facéties. Sentant un goût de fiel dans sa bouche, la grande duchesse chassa ce souvenir pénible et le remplaça par un autre.

Solarion lui faisait face, à bord d’un appareil spatial en orbite autour de la planète Phobia. «Reste, Soly ! Je t’en prie !»

Mais Solarion s’était enfui à bord d’une navette d’intervention. Il avait tenté de sauver Storine et Griffo de l’explosion atomique qui avait détruit Phobianapolis.

Complètement vidé de son sang, le corps de Storine était à présent soulevé de la table d’extraction par un rayon tracteur. Anastara suivit des yeux la dépouille molle et inerte, la vit glisser dans les airs puis se positionner doucement au-dessus du catafalque vibrant de lumière.

La grande duchesse se revit sur le planétoïde de Thyrsa, en compagnie du commandor Sériac. À l’aide de bombardes dirigées par télépathie, elle avait tenté d’assassiné Storine. Cet officier qui, elle le pensait à l’époque, pourrait devenir son premier amant, s’était tenu à l’écart.

«Il me désapprouvait. Il me méprisait.»

Comme tant d’autres, Sériac s’était laissé envoûter par Storine. De quelle manière cette fille, qui avait passé sa vie à lui voler l’affection des autres, avait-elle pu se faire admirer, apprécier et aimer par ceux qui étaient censés la détester, et même – comme Sériac – l’assassiner ?

«Un vrai mystère. Mais je me suis bien vengée du commandor, se dit Anastara en souriant à demi. Et il ne le sait même pas…»

Elle reporta son regard sur la dépouille évidée de Storine. Aux endroits où avaient été fixés les tentacules par lesquels le sang s’était écoulé, la peau prenait des teintes sombres et violacées.

Storine porterait-elle les traces de ces tentacules tout au long de sa vie ?

La grande duchesse faillit éclater de rire. Quelle vie ? Storine n’était pas morte, mais c’était tout comme. Jamais plus elle ne respirerait le parfum des fleurs. Jamais plus elle n’ouvrirait les yeux. Elle ne sentirait plus, n’entendrait plus, ne goûterait plus jamais rien.

«Et, surtout, songea la jeune femme, Solarion et elle ne…»

À l’idée, même, qu’ils aient pu faire l’amour, elle eut envie d’allumer son sabre et de le plonger dans le ventre de son ex-rivale. C’était une idée folle, exagérée et complètement inutile, bien sûr, mais oh ! combien tentante !

«On parle souvent de la rancœur des hommes, de leur jalousie, de leur violence, de leur cruauté. Mais jamais de celle des femmes…»

La grande duchesse respira avec dégoût l’air aux relents de métal et de médicaments qui lui causait des picotements dans les yeux.

«Son ventre !»

Alors que le corps de Storine était scellé à la base du catafalque à l’aide d’un acide spécial, Anastara écarta violemment les techniciens.

– Avez-vous vérifié si elle était enceinte ? s’exclama-t-elle, à la fois blême de rage et de peur.

Les hommes la dévisagèrent bêtement. Elle les aurait étranglés.

Elle se rappelait les consignes de son père. Il était essentiel de s’assurer que Storine n’était pas enceinte avant de l’endormir pour toujours.

«Pourquoi ? se demanda la grande duchesse. Une fois déshumanisée, où est le danger ? Un fœtus ne se développe pas dans le corps d’une morte vivante.»

Mais si son père avait insisté, c’est qu’il devait avoir ses raisons.

– Vérifiez ! ordonna-t-elle sèchement.

Un jeune laborantin en blouse blanche et aux yeux ambrés promena sur le ventre de Storine un appareil de mesure trigonométrique. Fonctionnait-il grâce à des impulsions magnétiques ou à des ondes extrasensorielles ? Anastara s’en fichait éperdument. Elle fixait le lecteur. Une valeur numérique révélerait-elle l’existence d’un fœtus ? Après tout, Storine et Solarion avaient fui Hauzarex depuis plusieurs semaines. La veille encore, ils étaient ensemble, sur Phobia !

«C’est toujours possible», se dit la grande duchesse, le souffle court, en attendant la réponse du professionnel.

Le dessous de l’appareil s’alluma d’une phosphorescence jaune orangé. Le spécialiste l’appliqua sur la chair glacée.

– Alors ? s’impatienta la jeune femme en serrant les dents.

Ces hommes avaient-ils, eux aussi, pitié de Storine ?

«C’est moi, l’Élue !» se rassura Anastara.

Le laborantin échangea un regard aigu avec son supérieur. Les deux jeunes stagiaires ne quittaient toujours pas Storine des yeux – spécialement son crâne rasé où séchaient des morceaux de peau sanguinolents.

– Non, elle n’est pas enceinte.

Cette voix grave provenait du fond de la salle. Surprise de ne pas entendre répondre l’homme aux yeux ambrés, Anastara se retourna.

– Professeur…. lâcha-t-elle, glaciale.

– Directeur Houros Médrédyne, corrigea l’homme qui était, lui aussi, vêtu d’une camisole blanche de médecin.

Déjà, le catafalque de cristalium était scellé sous une pluie d’étincelles mordorées, par deux techniciens qui manipulaient leurs appareils comme de véritables professionnels.

Agacée par le ton hautain employé par ce directeur qu’elle pouvait faire révoquer en claquant des doigts, la grande duchesse le dévisagea sévèrement.

– Vous répondez de cette affirmation sur votre vie !

Médrédyne soutint son regard sans ciller.

Anastara haussa ses superbes épaules, puis elle tourna les talons. En franchissant le sas vitré, elle crut entendre, dans son dos, quelques soupirs de soulagement. Se rappelant une autre directive de son père, elle fit aussitôt demi-tour et marcha vers le technicien qui gravait, dans le processeur holographique, la carte cristallisée attribuée à chaque détenu.

Tapant du pied, elle attendit avec impatience que l’appareil recrache la carte. Lorsque celle-ci jaillit de la fente, elle devança le technicien et la prit dans sa main.

– Cette carte de réactivation appartient au pénitencier ! tonna la voix du directeur.

L’homme, qui devait avoir une cinquantaine d’années, était robuste. Une longue chevelure blanche encadrait son visage carré dans lequel brillaient des yeux noirs charbonneux. Anastara devina qu’il devait avoir l’habitude d’être obéi. Mais elle était la grande duchesse impériale. Elle ne craignait personne. Redressant la tête, elle planta ses yeux mauves dans les siens.

– Écartez-vous !

Le directeur du pénitencier savait très bien qui était cette jeune femme hautaine. Il comprenait toute l’importance de cette unique carte de réactivation et saisissait, mieux que quiconque dans cette pièce, tout ce qu’impliquait la déshumanisation de l’Élue des dieux. Il en éprouvait de la honte, mais aussi de la colère.

Sentant que cet homme autoritaire risquait de se rebiffer, Anastara eut envie de lui hurler que cette carte de cristal lui appartenait de droit. Tout ce qui subsistait de Storine – et à fortiori son corps et son âme – était à elle ! Mais, comprenant que cracher sa hargne à la face de ces hommes inférieurs était indigne de son rang, elle ajouta sur un ton lourd de menace :

– Cette carte appartient désormais à l’État.

Comme elle n’avait pas eu besoin, pour faire «déshumaniser» Storine, de l’aide des vingt gardes du corps qui patientaient à l’extérieur de l’antichambre médicale, elle n’eut pas besoin de spécifier que, désormais, elle était l’État.

«J’ai vaincu Storine, je l’ai humiliée, j’ai détruit son corps, j’ai fait d’elle une ombre. Moi, toute seule !»

Une immense satisfaction coula dans ses veines, réchauffa son sang et colora ses joues blêmes.

Maintenant, il s’agissait de suivre à la lettre le plan que son père avait élaboré pour qu’ensemble ils deviennent enfin les maîtres de l’Empire.

Le rugissement du lion blanc emplit l’air glacé de Phobia. Arraché à son sommeil, le commandor Sériac se redressa sur un coude. Abattu par les derniers événements, il s’était assoupi quelques instants. Un rapide coup d’œil aux générateurs du champ de force le rassura : leur périmètre de sécurité était toujours opérationnel.

Sentant pourtant que Griffo n’avait pas rugi pour rien, il se leva et s’enroula dans sa longue cape noire. L’attaque des drognards, ces espèces de rats géants qui hantaient les bois ininflammables de l’hémisphère septentrional de Phobia, avait été éprouvante. Mais ce qui avait achevé de l’épuiser c’étaient les pourparlers, avec Storine, Éridess et Solarion, concernant le retour de la jeune fille au palais impérial.

«Heureusement, Corvéus est auprès d’elle !»

Ni Éridess, ni Solarion, ni Griffo n’avaient aimé voir repartir Storine. Anastara leur était apparue sur une projection holographique. Elle avait défié sa jeune rivale en duel. Pour s’assurer que Storine ne se déroberait pas, elle avait mis dans la balance les existences de maître Santus, de Marsor le pirate et, d’une façon détournée – mais tout le monde avait parfaitement compris –, la vie même de l’impératrice !

Depuis le départ de Storine et de Corvéus, plongés dans l’attente inexorable et l’angoisse, ils se rongeaient les sangs d’inquiétude. Éridess se perdait dans son mnénotron à la recherche d’un moyen de capter une quelconque chaîne interspatiale afin d’obtenir quelque information. Solarion et lui tentaient de réparer la radio portative sauvée du naufrage de leur navette pour communiquer avec des bâtiments impériaux dont les commandants pourraient sympathiser à leur cause. Griffo tournait en rond à l’intérieur de leur périmètre et grondait comme s’il savait des choses qu’eux ignoraient.

«Ce qui est sûrement le cas», se dit Sériac en vérifiant, un à un, les pylônes énergétiques qui les protégeaient, sinon du froid, au moins d’une nouvelle attaque de drognards.

Réveillé par le rugissement du fauve, Solarion sortit de la rudimentaire hutte confectionnée avec des plaques de métal et de la matière volcanique vitrifiée arrachée aux tumulus de l’ancien château de Caltéis. Le prince impérial était pâle et décoiffé. Avait-il maigri depuis leur départ d’Ésotéria ?

«Sans doute», se dit Sériac. Le procès de Storine a mis les nerfs de tout le monde à rude épreuve.

Lorsque le prince lui demanda pourquoi Griffo s’était subitement mis à rugir – apparemment sans raison –, le commandor huma, dans les cheveux du jeune homme, les relents d’une eau de toilette féminine. Il songea en souriant que ce devait être celle de Storine : un savant mélange de fleurs de vévitivier et de cotobaï.

Son cœur se serra à la pensée qu’après avoir échappé ensemble à plus d’un danger depuis les dernières semaines, ces effluves suaves étaient tout ce qui subsistait de la jeune fille.

Griffo rugit une seconde fois. En se retournant, ils le découvrirent debout devant eux, immense, le pelage aussi luisant que s’il était caressé par les pâles rayons d’une lune. Pourtant, la nuit était noire. La tempête de feu s’était calmée et aucun nuage d’exynium ne masquait le ciel glacé dans lequel scintillaient les lointaines étoiles.

Sériac dévisagea Griffo, puis Solarion. L’angoisse du prince faisait écho à la sienne. Les yeux rouges du fauve trahissaient sa nervosité et, même, sa colère. Ne sachant pas trop quoi leur dire, l’ex-officier laissa tomber :

– L’aube ne se lèvera pas avant quatre heures. Je suggère que nous prenions tous un peu de…

Une troisième silhouette, encore plus sombre que la nuit, se faufila entre le prince et le lion blanc.

– Éri ! s’étonna Solarion comme s’il s’était attendu à voir un fantôme.

« Nous sommes tous à bout de nerfs, se dit Sériac. Jamais nous n’aurions dû accepter le départ de Storine.»

Il avait l’intime conviction qu’elle était leur roc, leur racine : la raison profonde qui les avait tous unis à une même cause.

«Il manque un maillon à notre chaîne», poursuivit silencieusement le commandor.

Soudain, comme Solarion se tournait vers le jeune Phobien, il le vit essuyer des larmes sur ses joues. Le geste n’avait pas été feint. Éridess n’avait pas tenté de le cacher.

– Il est arrivé un grand malheur, murmura celui-ci en reniflant, tête baissée.

À ces mots qu’il avait parfaitement compris, Griffo couina de détresse. Puis il rugit une troisième fois.

Encore plus puissant que les précédents, ce dernier rugissement emplit leur tête, leur corps, et résonna très loin dans leur âme.

– J’ai rêvé, commença Éridess, que Storine m’appelait. Il y avait des tirs de laser, des cris. Je l’ai vue en colère. L’endroit où elle se trouvait s’est effondré. Ensuite, elle est tombée…

Solarion écarquilla les yeux, ouvrit la bouche pour parler, la referma.

– C’est ce que je craignais, leur répondit Sériac en serrant les poings de fureur. Il est arrivé quelque chose de terrible.

– Mais… que pouvons-nous faire ? s’alarma Éridess en éclatant en sanglots.

Touché par le désarroi de son ami, Solarion se décida enfin à parler.

– J’ai rêvé d’elle, moi aussi. Storine ne se battait pas contre Anastara. Elle ne se battait pas…

Comme frappés par un sombre pressentiment, ils frissonnèrent. Griffo rugit une fois encore, en secouant violemment sa crinière. Ses griffes se plantèrent dans la terre froide.

Venu du ciel, un son grave les fit sursauter. Croyant que ce bruit était une sorte d’écho au rugissement du fauve, ils levèrent les yeux et découvrirent avec stupeur un navire spatial qui se détachait des hauts tumulus vitrifiés.

– Anastara ! s’exclama Solarion.

– Une attaque ?

– À couvert ! ordonna Sériac en faisant jaillir son sabre électrique.

De puissants projecteurs balayèrent le sommet de l’esplanade. Quelques instants plus tard, des aéro-scouteurs furent éjectés d’une dizaine d’écoutilles. L’appareil de guerre prit position au-dessus de leur campement. Un rayon aveuglant déstabilisa la fréquence du champ de protection. Pris de court, ils ne purent rien faire pour empêcher les soldats d’investir leur campement.

Furieux, Griffo renversa d’un coup d’épaule un scouteur en train d’atterrir, puis il dégringola le tertre.

– Attends ! lui cria Éridess.

Sans réfléchir, le jeune Phobien bouscula un soldat, lui arracha son fusil laser et suivit Griffo dans la forêt.

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