Extraits

J’ai besoin de la sortir de là, même si ce n’est que son corps que je ramène de l’enfer. Je le lui dois. Je lui avais promis de rester avec elle jusqu’au bout, de ne pas la lâcher. Je tiendrai parole.

Il plonge son regard dans le mien, m’accorde un sourire fataliste et relève son arme. Je me retourne vers le rideau de fer. Le vieux couple s’étreint et se regarde avec amour. Ils n’accordent pas la moindre attention au tueur qui va leur ôter la vie dans un instant. Ils sont dans leur bulle et, quelque part, sans doute, heureux de n’avoir pas été séparés.

Deux rafales, une longue suivie d’une plus courte, les fauchent sans même les désunir. C’est en couple qu’ils ont vécu, c’est serrés l’un contre l’autre qu’ils tombent lentement au sol. Rien ne les a séparés, pas même la mort.

Soudain, je me prends à espérer qu’ils lanceront l’assaut. Peu m’importe de risquer de finir en dommage collatéral. Tout me semble préférable à l’horreur qui fait notre quotidien.

Je fixe la caméra, celle dont j’étais tellement sûre qu’elle nous sauverait, ce matin encore. Mais le voyant est revenu au rouge. Ce rouge qui, pour moi, incarnera désormais la couleur du désespoir

Dans ce monde impitoyable qui est devenu le nôtre, où chacun peut mourir d'une seconde à l'autre, deux règles d'or ce sont imposées d'elles-même : ne jamais rien faire qui nous singularise, ne rien dire qui puisse déplaire à nos geôliers.

J'ai, de toute évidence, enfreint ces règles au-delà de l'admissible. Tandis que le sommeil m'a accordé sa bienfaisante présence, je prie pour ne pas payer de ma vie cet affront et forme le vœu que cette nuit, aussi inconfortable et effrayante soit-elle, ne constitue pas la toute dernière de mon existence.

Aucun d’entre nous n’avait pensé, ce matin-là, au saut du lit, que sa vie allait prendre un tournant aussi tragique, ni même imaginé que ce jour pourrait être le dernier. Et pourtant, je le sentais à présent, nous partagions tous cette pensée entêtante : lequel de nous serait le prochain ?

Car le destin est cruel. Alors que nous avions échoué à engendrer la vie, il reprenait celle de Simon, m’abandonnant à un sort probablement semblable, dans un avenir dangereusement proche. Il nous punissait au-delà des mots pour un crime que nous n’avions pas commis.