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Extrait du roman "Le réceptionniste" : http://www.amazon.fr/Le-r%C3%A9ceptionniste-ebook/dp/B00CWRYV36
Les après-midi aveugles (Extrait amazone)
l'annonce
C'est bientôt l'été, le lundi 19 juin 2006. Le soir est frais. Les fenêtres ouvertes. Il n'y a pas de mal. J'ai mis mon téléphone sur chargeur dans ma chambre à coucher. Je fais des pâtes à la tomate fraîche. Les étourneaux gorgent les arbres. La vue sur Paris est lente. Le Sacré-Coeur droit dans la lumière. J'aurais pu me dire : «Ne passe pas par ta chambre.» Ne pas vérifier. Or je vérifie. J'écoute. J'entends : «Bonsoir, ici Renaud Donnedieu de Vabres. Vous devez vous douter du pourquoi de mon appel. Je vous laisse le numéro de mon cabinet, rappelez-moi.»
C'est bien la première fois qu'un ministre me laisse un message. Je n'ai jamais été proche d'aucun ministre. Je n'ai jamais connu de ministre. Ni celui-ci. Ni un autre. Aucun. Aucun ministre ne m'a jamais adressé la parole. Je n'ai jamais cherché à exister pour ces personnes. Ces personnes n'ont jamais cherché à me rencontrer. Et là, j'entends : «Allô, ici Renaud Donnedieu de Vabres, rappelez-moi.» C'est la première fois de ma vie qu'un ministre m'interrompt pendant que je fais des pâtes à la tomate fraîche. Il dit : «Rappelez-moi. Voici le numéro de mon cabinet. Vous venez d'être nommé directeur du théâtre de Gennevilliers.»
Unanimité
Tokyo. Un an après. J'écris cela depuis Tokyo. C'est la mi-mai 2007. Un an après le «Bonsoir, c'est Renaud Donnedieu de Vabres, rappelez-moi. Voici le numéro de mon cabinet. Vous venez d'être nommé directeur du théâtre de Gennevilliers». À Tokyo c'est l'été. Des corbeaux plein les arbres. Le vrai son de Tokyo. Des cris par centaines de corbeaux dans le ciel. À New York, le klaxon des taxis. À Tokyo, le son des corbeaux dans le ciel. Je mets en scène une de mes pièces chez Oriza Hirata. Né en 62, comme moi. Auteur metteur en scène, comme moi. Il a fait le tour du monde à bicyclette. Pas moi. Il nous rejoint bientôt à Gennevilliers. Désormais je est nous. C'est la dixième fois que je viens à Tokyo.
J'aime le Japon. C'est le pays du soin. Les gens prennent soin de toute chose. Chaque matin est une épiphanie pour l'oeil. Sur le chemin du théâtre, j'exulte devant les rosiers en pots. Les crocus du Japon. Les oeillets nains. Le soin. Le soin partout. Je pense à Gennevilliers. Je pense toujours à Gennevilliers. Déposer du soin en toute place. Quelques minutes après le «Bonsoir, c'est Renaud Donnedieu de Vabres. Vous venez d'être nommé directeur du théâtre de Gennevilliers», j'apprends que c'est à l'unanimité. Ah bon ? Oui. Les tutelles ont proposé à l'unanimité, oui. Ah bon. Quand j'entends le mot «tutelles» apparaissent - c'est absurde - chaque fois dans mon cerveau des images de tiges vertes. Ces tiges dures sur lesquelles grimpent les roses. Chaque fois que j'entre dans un des bureaux des dites tutelles, je vois de longues tiges vertes qui me regardent à la place des personnes qui m'accueillent. Oui. Le maire communiste de Gennevilliers. Son adjoint socialiste à la culture. Les représentants de la Direction régionale des affaires culturelles. Ceux du cabinet du ministre (de droite). Ceux du département (de droite). Tous ont proposé au ministre. Le ministre a appelé Bernard. Bernard était OK. À 19 heures tout était plié. Vers 20 heures le ministre me dit : «Rappelez-moi, je vous nomme directeur du théâtre de Gennevilliers.»
OK
«C'est bien la première fois que je fais l'unanimité», je pense dans ma tête. D'habitude je divise paraît-il. J'agace. Tout le monde. «Vos spectacles vous savez parfois c'est pas facile», etc. Là, à l'unanimité. Une fois. Une seule fois. «Une seule fois dans ma vie», je repense dans ma tête sans en tirer ni joie ni peine. Seulement la fierté courte d'avoir réuni autour de nos forces des gens que d'habitude rien ne rassemble. Quand je dis plus haut que Bernard est OK c'est une façon de parler évidemment. Bernard n'est pas OK. Bernard ne sera jamais OK. Bernard n'est pas quelqu'un qui est OK. On ne dit pas de Bernard : «Tiens, voilà un type qui est OK.» Bernard ne sera jamais OK avec l'affaire de Gennevilliers. Amazone
I don't know what I'm to say
I'll say it anyway.
A-ha - «Take On Me»
10 heures
L'échine voûtée, nez plongé dans mon décolleté, je relevai tout doucement la tête et me mis à fixer la fenêtre, juste en face du siège sur lequel je me tenais vissée.
Mon esprit vagabonda, et je me fis la réflexion que nous étions au rez-de-chaussée, à quelques mètres à peine d'un monde meilleur qui me tendait les bras.
Cette fenêtre ouverte était une provocation réelle, aguicheuse, m'offrant une liberté immédiate, une délivrance sur un plateau, une échappatoire inattendue. Aussi déclencha-t-elle chez moi l'envie folle de me sauver.
Si j'agissais vite, qui pourrait m'en empêcher ?
Un coup d'oeil à droite, van coup d'oeil à gauche... Personne ne faisait attention à moi, chacun vaquait à ses occupations... C'était l'occasion rêvée, le moment ou jamais.
Après tout, cela faisait plus d'une demi-heure que j'étais gardée à la vue d'une matrone revêche qui répondait au téléphone d'une voix morne, le temps que son supérieur me convoque dans son bureau pour m'auditionner.
Lasse, je finis par soupirer, et mes épaules s'affaissèrent au rythme où mes poumons se vidaient. Mais, si pour la fuite à l'extérieur je me dégonflais, intérieurement je fulminais.
- Quelle misère, d'être coincée ici... Qu'est-ce qu'ils croient, tous, qu'ils vont m'impressionner ?
L'air buté, je croisai les bras, marmonnant cette question qui résonna faiblement dans le vaste espace que constituait cet endroit sinistre.
Soudain, emportée par l'élan de mon agacement, je haussai le ton et demandai à la femme maquillée comme un camion assise à côté de moi :
- C'est vrai, quoi. J'ai passé l'âge qu'on me dise ce que j'ai à faire. Vous n'êtes pas de mon avis ?
- Si, si, me répondit-elle, gênée, s'intéressant brusquement à ce qui se passait derrière son épaule.
p69
Ma mère travaille au cinquième étage et pour éviter des frais supplémentaires de garde et de nourrice, pour éviter aussi de laisser ma soeur Sarah entre les mains d'une inconnue, elle l'emmène avec elle une fois par semaine, le jour où il n'y a pas école. Elle règle l'heure de son réveil une heure avant celle de son départ. Elle se lève dans la pénombre, en sorte de ne pas réveiller mon père. Elle ne prend pas le temps de manger et elle s'en fiche parce qu'elle n'aime pas se préparer de petit déjeuner quand elle est angoissée. Le mercredi, à cause de tout ce qu'elle doit faire, elle n'a pas le coeur à s'occuper d'elle. Ma mère n'a pas beaucoup de temps - une heure passe vite -, elle se contente de nettoyer le bol et la petite cuiller qui traînent au fond de l'évier parmi le reste de la vaisselle. Elle file dans la salle d'eau où elle se débarbouille de façon superficielle, et elle se sert de savon et de déodorant, de crème sans parabène. Ses cheveux noirs sont longs, bouclés. Au lieu de les laver, elle les asperge chaque jour de laque pour qu'ils conservent au moins une forme potable, et que leur allure demeure la même que d'habitude.
Il faut qu'elle reste belle. Elle se met du rouge à lèvres, du fond de teint, de l'eye-liner. Elle se vêt toujours d'une jupe à cette époque, jamais d'une robe, jamais d'un pantalon. Elle achète de temps en temps de longs foulards, de grands manteaux vert sombre ou rouges, cintrés à la hauteur de la taille. Elle en négocie le prix dans l'un des dix bouis-bouis les mieux achalandés du troisième sous-sol. Ou bien elle porte des frusques qui lui appartiennent depuis la fin de son adolescence. Elle les conserve, malgré l'usure et les changements de mode, comme des reliques. Ma mère les juge très assorties à ses grandes bottes. Ce sont des bottes en cuir marron qui montent jusqu'à ses genoux. Elles ont des talons hauts qui semblent faits en peau de lézard et elle se moque du jugement de goût qu'on peut porter sur elles.
Source Amazone