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Là encore, je sais que, dit comme ça, je donne l'impression de maîtriser la situation. Sauf qu'en réalité, dans ma tête, j'étais toujours en train de me dire "eh merde merde merde merde".

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Aussi agaçants et incompétents fussent-ils, je n'avais aucune envie de les tuer. Bon, d'accord, peut-être un peu.

Une SecUnit doit protéger ses clients contre vents et marées, ainsi que les encourager poliment à ne pas s'entretuer ou s'estropier les uns les autres. Leur motivation premières ne nous concernent en rien, c'est au superviseur humain de gérer le problème. (Ou de l'ignorer à dessein jusqu'à ce que le projet tout entier parte à vau-l'eau et que la SecUnit appelle de ses vœux la douce délivrance d'une explosion accidentelle par dépressurisation. Sans vouloir parler d'expérience.)

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J'avais vraiment cru exagérer avec ce surnom de bot de compagnie. L'expérience promettait d'être plus désagréable que prévu - et je m'attendais initialement à un niveau d'agacement d'au moins 85%. Je tablais à présent sur 90%, voire 95%.

J'ai veillé à ne rien laisser transparaître de ma réaction sur mes flux. Ce n'était pas facile.

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Je déteste prendre les choses à cœur, parce qu’apparemment, une fois qu’on a commencé, on en peut plus s’en empêcher.

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Je n’ai vraiment pas de bol avec les transports autopilotés.

Le premier à me prendre en stop n’avait eu d’autre motivation que celle de profiter de ma collection de fichiers multimédias ; néanmoins, absorbé par sa fonction, il avait eu autant de conversation qu’un bot-convoyeur. J’avais passé le voyage en tête à tête avec mes banques mémorielles – ce dont je m’accommodais fort bien. J’en avais naïvement conclu qu’il en serait de même avec tous les cargobots. À tort.

C’était sans compter sur l’emmerdeur de vaisseau expéditionnaire. Selon sa désignation officielle, EVE appartenait à la classe des bâtiments scientifiques d’exploration en espace profond. Le temps de notre collaboration, il avait menacé de me tuer, regardé mes émissions préférées, altéré ma configuration structurelle, fourni un excellent soutien tactique, argumenté jusqu’à me convaincre de jouer les consultants en sécurité, sauvé la vie de mes clients et nettoyé derrière moi quand j’avais dû assassiner des humains. (C’étaient des méchants.) EVE me manquait beaucoup.

Et il y avait ce transport-ci.

Lui aussi autopiloté et sans équipage, il embarquait en revanche des passagers – des techs plus ou moins compétents, en majorité –, humains comme augmentés, qui circulaient entre les stations de transit au gré de leurs contrats. Ce n’était franchement pas l’idéal, mais c’était le seul vaisseau à partir dans la bonne direction.

À l’instar des transports autopilotés autres que EVE, celui-ci communiquait par le biais d’images. Il m’avait permis d’embarquer en échange d’une copie de mon contenu multimédia. Comme le manifeste était en accès libre sur son réseau public, je lui avais demandé de déclarer ma présence, au cas où il prendrait à quelqu’un l’envie de fouiner. Un champ dans le formulaire d’enregistrement renseignait l’activité professionnelle et, dans un moment de faiblesse, j’avais indiqué spécialiste en sécurité.

Le transport s’était donc mis en tête de me confier le maintien de l’ordre à bord et de m’envoyer des notifications à chaque querelle entre passagers. Imbécile que je suis, j’y avais répondu. Pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même. Peut-être faut-il y voir l’expression de ma programmation initiale, inscrite quelque part dans l’ADN qui contrôle mes composants organiques. (Il devrait y avoir un code d’erreur stipulant : « J’ai bien reçu votre requête, mais j’ai choisi de vous ignorer. »)

Au début, ce n’était pas la mer à boire. (« Si je vous reprends à ennuyer la dame, je vous briserai un à un les os de la main et du bras. Cela prendra environ une heure. ») La situation s’était corsée à mesure que même ceux qui s’entendaient bien s’étaient mis à se crêper le chignon. J’avais passé un temps fou (du temps précieux que j’aurais pu consacrer à la lecture de mes fichiers multimédias) à arbitrer des disputes dont je me fichais éperdument.

Le voyage s’achèverait dans un cycle, nous avions tous plus ou moins survécu et je me dirigeais à présent vers le mess où j’allais encore devoir séparer ces andouilles.

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