The Tide Lords Quartet, Tome 1 : The Immortal Prince

Jennifer Fallon est un auteur méconnue de fantasy en France et je le déplore vivement.

Elle mêle une imagination très personnelle, qui sort des sentiers battus, des personnages vivants, drôles et attachants et un style unique, que je décrierais comme de la "fantasy opera".

Ses romans sont très faciles à lire, riches et distrayants.

Hélas, pour le moment, seule la trilogie de l'enfant démon a été traduite en français, cruellement desservie à mon avis par ses illustrations de couverture...

Ce premier tome de "The Lords of the tide" nous emporte dans un monde nouveau, connu en son entier (comme l'atteste la très belle carte de mon édition Tor Hard Cover).

L'idée de fond est sensationnelle : une grosse poignée d'humains ont accédé à l'immortalité, et certains peuvent même maîtriser cette magie de la "marée". Cette magie, et là est l'originalité, d'origine extra-terrestre, n'est pas constante. Elle subit des hauts et des bas (des marées). Ainsi, si les immortels le sont toujours en période de marée basse (qui peut durer des siècles), lors de période maigre ils sont sans aucun autre pouvoir et doivent se cacher parmi les mortels en attendant que la marée remonte.

Cette idée est très intéressante, car elle met à frein à la volonté des certains des immortels de soumettre le monde entier de manière définitive.

Autre point positif : l'immortalité n'est pas traité à la légère, comme un truc pratique pour l'auteur mais non crédible pour le lecteur exigeant. L'impact psychologique de l'immortalité sur l'humain n'est pas éludée. Elle n'est pas non plus portée à l'extrême, permettant de présenter des personnages hauts en couleur et une intrigue pleine de fougue, de rebondissements et d'idées parfois farfelues !

Le traitement des idées dans les romans de Jennifer Fallon satisfont autant mon besoin d'une certaine crédibilité globale que mon envie d'être distraite. Un excès de volonté de crédibilité presque scientifique peut parfois engendrer chez moi une certaine distanciation d'avec les personnages, et un intérêt de lecture purement intellectuel, froid, sans enthousiasme. Avec Jennifer Fallon je suis servie, j'ai le beurre et l'argent du beurre !

Mais revenons à l'immortalité : le corps des immortel est figé à l'âge où l'humain a été transformé, avec une peau, des cheveux, des dents parfaits. Nourrir et s'abreuver ne sont plus indispensables et la mort est impossible. Mais pas les blessures, voire la torture ! Le corps se régénère, d'autant plus vite qu'il est lésé. Tiens, même une décapitation n'est pas mortelle : l'immortel perd la tête en la retrouvant c'est tout !

D'ailleurs, c'est ainsi que commence ce livre. Cayal, le Prince Immortel, n'en peut plus de vivre et souhaite se faire décapiter proprement, pour tout oublier. Il se rend dans un pays qui pratique la peine de mort par la guillotine, accomplit un crime suffisamment grave, et attend sa peine avec impatience.

Pas de bol, le bourreau est en vacances, Cayal se retrouve dans les atroces souffrances de la pendaison, jusqu'au moment où le bourreau, bien embêté devant ce sujet si récalcitrant à mourir, le flanque dans un cachot - ou Cayal guérit, très douloureusement, en une nuit.

C'est l'occasion pour le lecteur de faire connaissance avec l'une des races réputées, du moins dans le folklore, pour avoir été créées par les Immortels : les crasiis. Warlock est beau, grand intelligent, baraqué... et canin.

Les crasiis, êtres humanoïdes dotés d'intelligence mais aussi d’allégeance viscérale aux humains, sont mi-canin, mi-félin, ou même autres. Leur population est globalement contrôlée et soumis à l'esclavage. Sauf pour les "Scards", ceux qui, anormaux, ont fuit avec succès leurs maîtres et vivent dans la misère.

Ah oui, n'oublions pas le principal : dans ce monde en "basse marée" depuis fort longtemps, les Immortels sont une légende, entretenue par le gentil folklore des Crasiis. Du coup, personne ne croit Cayal, et personne n'ose trop le bousculer, pressentant qu'il doit être un espion d'un pays voisin avec lequel on ne veut pas se fâcher...

Entre en scène la belle et volontaire (mais pas cruche, Jennifer soit louée) Arkady, femme du Duc de Lebec, avec lequel elle entretient des liens étroits mais inhabituels. La jeune femme, qui n'a rien d'une noble écervelée (et pour cause, ses origines sont toutes autres) est une spécialiste des crasiis et de leurs croyances. Elle est appelée auprès du prisonnier par son ami d'enfance, Declan, le très inquiétant chef de l'espionnage, pour essayer de confondre l'imposteur.

Le récit est riche, foisonnant, passionnant et limpide malgré le nombre de personnages, les points de vue variables (principalement centrés sur Arkady) et le récit en plusieurs parties des mémoires de Cayal. Cette histoire dans l'histoire n'a jamais pénalisé ma lecture car, contrairement aux flash-backs, souvent peu clairs et complexes à appréhender, ces courts récits à la première personne du singulier sont offerts à Arkady par Cayal pour essayer de la convaincre, et sont très bien insérés dans l'histoire générale, sans frustration et sans générer de flou.

Une lecture finalement très peu exigeante vu sa richesse et sa complexité, qui me fait placer l'auteur (dont les autres livres sont du même tonneau) au même niveau qu'un auteur comme Brandon Sanderson - un autre des mes chouchous !