Extraits

Il s’est approché de moi. Il a posé sa main sur mon front. Et j’ai senti. Le néant. Le vide. Tout était noir autour de moi. En moi. J’ai eu si froid. J’ai toujours froid… Le cœur gelé comme un flocon de neige. J’aurais tellement voulu le réchauffer, mais j’ai peur qu’il fonde, qu’il disparaisse, car alors que resterait-il ? Une enveloppe vide, une carcasse, comme ces pauvres animaux morts…

N’allez pas sur ma tombe pour pleurer!

Je ne suis pas là, je ne dors pas !

Je suis les mille vents qui soufflent,

Je suis le scintillement des cristaux de neige,

Je suis la lumière qui traverse les champs de blé,

Je suis la douce pluie d’automne,

Je suis l’éveil des oiseaux dans le calme du matin,

Je suis l’étoile qui brille dans la nuit !

N’allez pas sur ma tombe pour pleurer

Je ne suis pas là, je ne suis pas mort.

Ma sœur, c’était le mystère par excellence, et pas que pour le commun des mortels, même les psys en perdaient leur latin. Elle arrivait à suivre une scolarité normale. Elle était même très douée en lettres et en musique. Elle n’était pas autiste et se montrait très à l’aise avec les gens. Non, Meadow était juste bizarre. Souvent dans la lune. Ses centres d’intérêt restaient les mêmes au fil des ans (à savoir les poupées et les livres de contes). Et puis elle était sans doute trop douce et naïve pour le monde qui était le nôtre. Sans parler des fois où elle racontait des trucs trop chelous aux autres. Par exemple, au pique-nique de fin d’année, elle avait raconté que le frelon japonais géant avait un venin si puissant qu’une seule piqûre pouvait être fatale. Après ça, ses camarades de classe étaient devenus hystériques en voyant une abeille. Une autre fois, elle avait même dit à une petite fille : « Tu serais si jolie, si tu étais morte » ! Non mais sérieux, qu’est-ce que c’était censé vouloir dire ? La pauvre gamine avait été traumatisée.

— Ça va ?

Question stupide, bien sûr. Ma sœur se tenait pliée en deux au-dessus des mauvaises herbes et commençait à hoqueter. C’était la première fois que je la voyais malade en voiture. Peut-être était-elle aussi stressée que moi par cette nouvelle vie.

Je me détournai, histoire de préserver un peu son intimité – personne n’aime gerber en public – et laissai mon regard errer sur l’orée de la forêt. Des arbres et encore des arbres… Un sentier semblait se dessiner entre les herbes folles. Je fis quelques pas dans l’ombre des chênes et là, je vis surgir d’une broussaille un écriteau tordu au bois poli par les années d’intempéries. Je m’approchai pour lire l’inscription presque entièrement effacée : Thorngrove. La chair de poule recouvrit mes avant-bras tandis qu’un étrange sentiment me gagnait, mélange d’excitation et de peur.

Madeline

Les arbres défilaient à travers la vitre. Des chênes par centaines, par milliers, qui s’étendaient à perte de vue, promettant une nouvelle vie des plus… ennuyeuses.

Je repensai à mon père et à pourquoi nous filions sur cette route serpentant dans les bois. Pourquoi nous abandonnions la ville mouvementée de Madison pour nous perdre dans ce trou perdu au nord du Wisconsin. Et ma colère grandissait, menaçant de me consumer tout entière alors que je devais rester sagement assise sur mon siège, m’éloignant peu à peu de tout ce que j’avais toujours connu. De mes amies. De moi-même.

— Est-ce que Papa va bientôt venir nous voir ?

C’était comme si Meadow, ma petite sœur, avait lu dans mes pensées.

Pauvre petite chose morte. J'avais envie de pleurer... de toucher la fourrure délicate... de bercer cette pauvre bête pour effacer ses chagrins.

Mon cœur battit la chamade. J’étais incapable de bouger, les membres tétanisés. Un monstre. C’était ce que mon cœur disait, tandis que ma tête essayait de reprendre le contrôle. Subitement, j’étais redevenue la fillette de quatre ans, effrayée, qui tentait de se cacher sous la couette.

Parfois, le destin nous oblige à accomplir des choses horribles...

Les branches tordues se prenaient dans mes vêtements, entravant ma progression dans ce lieu qui semblait coupé du monde. Oppressant. C’était comme si les rameaux étaient prêts à se réveiller d’un long sommeil pour grandir, grandir, et venir nous étouffer, nous emprisonnant pour toujours entre leurs griffes.