Toi, moi et tout le reste

Un aide-soignant lui apporte son déjeuner, avant de passer derrière le fauteuil pour lui nouer délicatement un grand bavoir en plastique autour du cou. J’essaie de le placer comme il faut sur sa poitrine, mais son bras gauche ne cesse de le soulever. À chaque fois, le plastique retombe mollement, avant de se retrouver à nouveau projeté en l’air.

Je me retiens de prendre la cuiller placée à côté de l’assiette, au cas où maman voudrait tenter de manger seule. Cela ne lui arrive plus guère, cependant elle fait tout une histoire si on se propose immédiatement.

Voilà près d’un an qu’elle a emménagé à la résidence des Saules. Papa s’est battu pour la garder à la maison, il avait même installé un lit au rez-de-chaussée, mais la situation est devenue ingérable.

D’une part, son emploi de comptable ne lui permettait pas de devenir aidant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept… D’autre part, nous nous sommes tous aperçus qu’il peinerait rapidement à répondre aux besoins quotidiens de sa femme. Nous nous sommes donc mis en quête d’un endroit où le chemin de la chambre à la salle de bains ne représenterait pas pour elle un périlleux voyage. Ici, elle ne manque jamais de visites. Elle est très entourée par son petit cercle d’amis, qui l’ont soutenue dans tous les coups durs de ces dix dernières années. Sa meilleure copine, Gemma, vient tous les week-ends lui apporter un nouveau livre audio, ou une boîte de ces improbables scones aux cerises qu’elle appelle son « dessert signature ».