Extraits

Rien n’est aussi fort que la peur, dit-il avec regret. C’est la conséquence de lois objectives et immuables. Vivre, c’est être vulnérable. Aimer, c’est avoir peur

Elle se vit elle-même, un mot muet prêt à résonner. Elle vit de nombreuses couches de la réalité : lumineuses, texturées, ternes, floues - elles apparaissaient en replis impossibles à la périphérie de son champ de vision.

On aurait dit qu'une page de l'activateur s'était ouverte devant elle : gigantesque, aux multiples dimensions, comprenant tout ce qui pouvait être représenté dans l'univers.

Vivre, c'est être vulnérable. La fine membrane d'une bulle de savon sépare chacun de l'enfer. Une plaque de verglas sur la route. Une division cellulaire malheureuse. Un enfant qui ramasse un cachet par terre. Les mots se bousculent, s'accrochent les uns aux autres, se rangent et s'arrangent, obéissant ainsi à la grande harmonie de la Parole…

Elle considérait la vie comme une collection de jours identiques. Pour elle, l'existence se composait de jours, et chacun de ces jours était comme un ruban qui bouclait sur lui-même, comme une chaîne de vélo au mouvement constant sur les plateaux dentés. Un déclic... On avait changé la vitesse, les jours s'étaient légèrement altérés, mais leur écoulement restait constant, répétitif, et c'était dans cette monotonie que résidait le sens de la vie.

– Écoutez bien, étudiants, fit sèchement Portnov. En réalité, chacun de vous se trouve exactement dans la situation de Samokhina. Vous êtes aveugles. Vos regards sont plongés dans les ténèbres.

Les rires cessèrent.

– Le monde tel que vous le voyez n’existe pas. Quant à l’image que vous vous en faites, n’en parlons pas. Certaines choses vous paraissent évidentes et acquises, pourtant elles n’existent pas.

Voici ce que je pense : puisqu’on peut manifester des entités, c’est qu’on peut vraisemblablement les reformer. Créer quelque chose qui n’a jamais existé et ne pas se contenter de projeter des idées. Je suis un projecteur, je jette des ombres sur l’écran… Mais est-il quelqu’un qui crée des entités ex nihilo ? A ton avis, peut-on créer à partir de rien?

Toutes les deux, enfermées dans leurs routines quotidiennes, s’étaient interdit de penser à l’extraordinaire, chacune pour ses propres raisons. Et, pendant un certain temps, elles y avaient toutes deux réussi.

Ce n'est que maintenant que tu me vois ? s'étonna Portnov. Tu manifestes des entités, tu lis des structures informationnelles complexes, et ce n'est que maintenant que tu me vois ?

Chaque homme porte en lui l'ombre d'un mot, mais seul un Mot entier, profondément inscrit dans la fabrique matérielle du monde, peut retourner à sa source, grandir d'une pâle projection vers l'entité originelle.