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Bref, ce type, Federico, lui a dit qu’il était en rupture de charbon et qu’il ne savait pas quand aurait lieu la prochaine livraison, alors Gennaro s’est rabattu sur un fagot de bois. Les bûches ont un peu pris l’eau parce qu’elles étaient fixées sur son porte-bagages, c’est pour ça que l’arrière-salle s’est enfumée quand il a allumé le poêle. Ce n’était même pas du bois sec. Enfin, on prend ce qu’on trouve, par les temps qui courent.
Afficher en entierLe soldat a pris position à côté de l’immeuble. Il laisse passer Chiara sans sourciller. Elle comprend qu’il n’est pas là pour empêcher les gens de s’introduire dans le quartier juif, mais pour les empêcher d’en sortir. Il porte l’insigne de l’aigle aux ailes déployées sur sa casquette.
Afficher en entierUn oiseau criaille dans les branchages. Une goutte froide atterrit sur son nez. La pluie l’a complètement détrempée, elle a inondé ses bottes et traversé son écharpe jusqu’à ses cheveux, lui mouillant les omoplates et l’intervalle sensible, transi, qui les sépare. L’eau s’engouffre en gargouillant dans les égouts et Chiara se tient aussi immobile que Giordano Bruno lui-même, pétrifiée. Elle veut rentrer chez elle. Elle se représente un oiseau de porcelaine bleue, la tête rejetée en arrière et le bec ouvert, perché sur un appui de fenêtre. La tour de San Lorenzo derrière la vitre, les pins du cimetière au-delà. Le doux foyer de leur enfance.
Afficher en entierElle émerge à une petite intersection agrémentée d’un coin d’herbe où pousse un platane esseulé. L’envie lui prend de s’abriter dessous afin d’évaluer la situation. Il n’y a rien à évaluer. Ou plutôt, elle n’a aucun moyen d’évaluer ce qu’il peut y avoir. La via Arenula, la grande artère, est déserte et silencieuse. Chiara traînaille sous les branches, s’accroche à leur protection. Elle est encore de « son » côté. En descendant du trottoir pour traverser la rue, elle pénétrera dans un autre monde. C’est comme si les murs qui entouraient le ghetto un demi-siècle plus tôt avaient été reconstruits. Ils sont invisibles, pourtant ils existent.
Afficher en entierUne jeune femme presse le pas dans une rue de Rome. Sanglée dans son manteau, elle porte une écharpe autour de la tête et un grand sac de toile en bandoulière. À son bras, un sac plus petit contient son porte-monnaie garni de quelques lires ainsi que ses papiers – carte d’identité et carnet de ration- nement. Chiara Ravello, célibataire, indique la carte, qui la domicilie au 147, via dei Cappellari, appar- tement 5. Elle n’a pas de parapluie pour se protéger des trombes d’eau qui se déversent sans trêve du ciel noir, un déluge implacable qui va persister des heures, comme complice des événements du jour.
Moins d’un quart d’heure après le coup de téléphone qui la convoquait d’urgence – « Maman est malade », avait dit Gennaro –, elle était dehors. Qu’elle ait réussi à sortir dans une tenue convenable, entre la précipitation du moment et sa sœur, Cecilia, qui la suivait partout dans l’appartement, toujours dans ses pattes et à lui poser des questions idiotes, représente un petit miracle en soi.
« Qui c’était au téléphone ? », à la porte de la salle de bains pendant que Chiara s’aspergeait le visage au-dessus du lavabo.
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