Extraits

Le baron regarda sa fille et lui adressa son plus beau sourire de forban.

— Tu es absolument splendide, ma chérie. Cette robe te va à ravir.

— Comment suis-je censée lancer une dague un tant soit peu précisément avec des manches qui restreignent à ce point mes mouvements ?

— C’est en effet incroyable que les modistes n’aient pas pris cette exigence en compte lorsqu’elles ont dessiné les nouvelles collections de cette année. A priori, cependant, tu ne devrais pas avoir à faire appel à ce talent ce soir.

Mattie sourit, sachant fort bien qu’il avait sur lui tout un arsenal. Ainsi qu’il le lui avait enseigné jadis : « On ne sort jamais de chez soi sans armes, sinon les pieds devant. »

Elle croyait tout connaître des hommes et des femmes. Les femmes lui évoquaient la mer, elles étaient liées au rythme des marées influencées par la lune. Elle éprouvait pour elles un désir tout aussi changeant, fait de flux et de reflux.

Les hommes en revanche étaient le navire – solide, massif, de chêne et de pin. Dans son poing, leur sexe était chaud, dur et doux, chacun était différent et pourtant semblable, et tous aimaient être dorlotés, caressés, admirés.

— Ramassez cette lame, bougre d’imbécile ! Elle ne doit quitter votre main que lorsqu’on l’arrachera à votre cadavre.

— Quelle charmante image !

— On dirait que vous avez un nouvel admirateur.

— Je suis flatté d’être apprécié par l’un des membres les plus précieux de l’équipage, répliqua Woodruff en grattant le cou de Roscoe, qui se mit à ronronner de plaisir.

La jeune femme le comprenait. Si c’était elle que Woodruff avait couvée de ce regard tendre tout en lui caressant la joue, elle aurait sans doute ronronné elle aussi.

— Arrêtez de vous soucier de ce que les gens penseront de nous ce soir, poursuivit-elle sans cesser de scruter les environs. La société ici est différente de celle que vous connaissez. Les hommes blancs sont pour l’essentiel des exilés venus s’enrichir ou échapper à leurs créanciers, ou bien des fils de bonne famille déchus pour une peccadille. Prenez Ned Digby. Il avait les autorités aux trousses quand il a débarqué ici – il était la cible de gens influents, en particulier un père de la haute convoitant une dot qui risquait de lui passer sous le nez à cause de Ned.

— Parce qu’il avait séduit la fiancée ?

— Non, le fiancé, répondit la jeune femme avec flegme. En fait, peu de personnes arrivent dans les îles avec le projet de s’y installer. Si elles finissent par y rester, c’est à cause de la maladie, d’un penchant pour la boisson ou parce qu’elles n’ont pas intérêt à retourner en Angleterre. À l’inverse de vous, si j’ai bien compris.

— Ne tirez pas trop sur la corde, Woodruff. Votre situation à bord s’est déjà considérablement améliorée. Vous n’avez plus à vous inquiéter d’être vendu comme cadavre.

— Ah, bon ?

— Maintenant que je connais votre famille, je sais que vous me rapporteriez beaucoup plus en tant qu’otage.

— Vous plaisantez, bien sûr.

Elle se contenta de lui sourire.

Oliver, qui levait sa chope, suspendit son geste.

— D’ordinaire, ce sont les garçons qui sont envoyés en mer, pas les filles, capitaine. Les filles sont expédiées en pension ou confiées à des gouvernantes.

Elle haussa les épaules.

— Mes parents avaient cependant de bonnes raisons de supposer que cela pourrait me convenir. Ils m’ont inscrite sur le rôle d’un navire marchand américain que commandait une de leurs connaissances, le capitaine Fletcher, un vieux loup de mer borgne aussi coriace qu’un morceau de boeuf salé, et à peu près aussi attirant. Il vivait sur ce bateau à l’année avec sa famille. Sa femme était une doctoresse remarquable. Lui m’a appris à m’intégrer dans un équipage, et elle m’a enseigné tout ce que je sais aujourd’hui en médecine.

Il y eut un mouvement au-dessus de la tête d’Oliver qui se baissa instinctivement, évitant une collision avec un perroquet vert vif qui se posa sur l’épaule de St Armand.

— Bonsoir, Roscoe. Qui est un bon garçon ?

Le perroquet hérissa ses plumes tandis que Turnbull lui tendait une poignée de fruits secs qu’il avait sortie d’une bourse pendue à sa ceinture.

— Quel joli perro…

— Ne prononcez pas ce mot ! s’exclamèrent en choeur le capitaine et son second.

St Armand gratta l’oiseau sous le bec.

— Je vous présente Roscoe, le chat du bord. Qui est un gentil minou ? Qui est un bon garçon, hein ?

Oliver acceptait d’essuyer des coups, de se faire tirer dessus, d’être expulsé d’une maison close et enlevé par des pirates, en revanche, il y avait des situations qu’il n’était pas disposé à tolérer.

— J’ai bien conscience que ma franchise peut me coûter cher, capitaine, cependant je veux être honnête. Ce n’est pas un chat.

— Quand j’aurai besoin de connaître votre opinion, je la solliciterai. Roscoe est un chasseur de souris de premier ordre et un membre précieux de l’équipage. Aux dernières nouvelles, votre propre valeur s’élevait au prix du cadavre chez les anatomistes. Évitez donc d’embrouiller notre chat sur ses fonctions à bord.

Le perroquet inclina la tête et dévisagea Oliver.

— Marin d’eau douce ! Marin d’eau douce !

La liberté est un rêve, un rêve qui exige beaucoup de travail.

- Olivier, êtes-vous puceau ?

- Non. Je veux dire, je ne le crois pas.

- Je sais que c'est plus facile à déterminer chez une femme, mais la plupart des hommes se souviennent du jour où ils ont perdu leur virginité.

- À mes yeux, ce n'est pas un sujet risible, capitaine. Je dirais même que c'est assez compliqué.

Elle le dévisagea un instant.

- Ne bougez pas, dit-elle en se redressant. J'ai l'impression que cette histoire passera mieux avec un verre de rhum.