Extraits

Le coeur serré, Tourterelle referma la porte, repoussant le froid hors de la maison.

Alexandre venait de me tendre une orange qu'il avait épluchée à mon intention -, il s'accouda à la table, étira le cou vers moi et m'embrassa. Je battis des paupières, surprise, mes joues s'enflammant. Il poussa un petit rire gêné et attrapa une autre orange, qu'il entreprit de débarrasser de son écorce.

Erik St-Hilaire devait être le seul et l’unique propriétaire du travail de Tourterelle. Son collectionneur exclusif. En échange de quoi il lui prêtait sa maison de campagne et pourvoyait à tous ses besoins. Si elle devait contrevenir à leur arrangement, elle perdrait aussitôt ces privilèges… ainsi que l’amitié d’Erik. Elle sentait d’ailleurs confusément que quelque chose de peut-être pire encore lui arriverait si elle devait tromper son mécène.

Bref, l’entente était claire, elle ne laissait place à aucune exception. Tourterelle le savait.

Hector aussi.

Pourtant, lorsqu’il vint chercher la production de la semaine, ce jour-là, avec ses paroles aimables et ses yeux plus creux que d’habitude, il lança :

— Et si je vous offrais d’acheter l’une de vos oeuvres, Tourterelle ?

La jeune femme sourit. Ça ressemblait tellement à une blague, sur le coup.

Hector ajouta à toute vitesse :

— Votre travail est si raffiné, les couleurs, quel souci du détail vous avez, chacune de vos pièces est un enchantement, vous accepteriez, dites, s’il vous plaît ?

Tourterelle demeura muette, interdite.

— Ce pourrait être un tout petit ouvrage, précisa l’homme, un carré de tissu pas plus gros qu’une carte à jouer, n’importe quoi…

— Mais, Hector, souffla Tourterelle, je perdrais la maison… Vous êtes au courant, bien sûr !

L’homme fit un pas vers elle, paumes levées vers le haut.

— Je le cacherais, je ne le montrerais jamais à qui que ce soit. Personne n’en saurait rien !

— Erik finit toujours par tout savoir, se rembrunit Tourterelle.