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Extrait

Extrait ajouté par lamiss59283 2012-02-22T11:27:50+01:00

Après

Je me suis retournée pour vérifier : la porte de l'appartement était fermée. Insuffisant. Et si quelqu'un débarquait ? Et s'il avait une clé ? J'ai tiré ma manche sur ma main pour éviter de toucher le verrou et, maladroitement, au travers du tissu, je l'ai saisi et l'ai fait glisser aussi silencieusement que possible. Les lumières étaient toutes allumées, mais les rideaux toujours entrouverts. J'ai longé le mur jusqu'à la fenêtre, et regardé au-dehors pour m'assurer qu'il n'y avait personne dans la rue sombre en contrebas, avant de les refermer.

À partir de la porte, lentement, j'ai balayé la pièce du regard, comme une caméra, portant mon attention d'un objet à l'autre. Il y avait une photo encadrée au mur que je n'avais jamais réellement contemplée auparavant. Je réalisais à présent qu'elle représentait une nuée de papillons orange et floutés. Sur la petite table se trouvait un téléphone (et s'il sonnait ?...) ainsi qu'un vide-poches contenant un trousseau de clés. Celles de ?... Les siennes, sans doute. Il faudrait que je me penche sur la question. Il y avait un confortable fauteuil en daim marron contre lequel reposait l'étui de la guitare. La guitare, elle, gisait au sol à côté, éventrée, les cordes pendouillant parmi les éclats de bois. J'ai jeté un œil vers la télévision que je n'avais jamais vue allumée et vers le grand canapé à rayures où nous avions... non, ne pas y repenser. Mon écharpe était drapée sur un accoudoir, à l'endroit où je l'avais laissée deux jours plus tôt.

Je l'ai ramassée et enroulée autour de mon cou, dont l'ecchymose violacée me lançait, comme un mauvais souvenir. Il y avait une bibliothèque. Les livres, dont certains tombés à terre où ils s'étaient éparpillés, appartenaient tous à Liza et portaient sur l'art, le design, le voyage aussi, un peu. Liza était loin d'ici, à plus de mille kilomètres. Sur certaines des étagères étaient disposés des objets et autres bibelots, de petites sculptures et des poteries. Un bouddha en cuivre miniature, un flacon vert avec un bouchon en argent. Liza les rapportait autrefois de ses voyages à l'étranger. Il y avait un placard bas le long du mur du fond et, dessus, une minichaîne stéréo avec un rangement métallique pour CD rempli à moitié. Tous à Liza, également – sauf un. Je me suis avancée et, avec soin, usant de mes doigts comme d'une pince à épiler, j'ai pris le CD de Hank Williams que j'avais apporté la semaine précédente. J'ai ouvert le boîtier. Il était vide. Recouvrant ma main de ma manche, j'ai appuyé sur le bouton du lecteur et le tiroir s'est ouvert. Là. J'ai inséré mon petit doigt dans le trou, j'ai ôté le CD et l'ai remis dans le boîtier. Je l'ai posé sur la chaîne stéréo. Il me faudrait un sac en plastique.

Rangée contre le mur de droite, une table en pin dont Liza se servait pour travailler. Le courrier arrivé durant les semaines où elle s'était absentée n'était plus en pile mais étalé n'importe comment, et quelques enveloppes traînaient sur le tapis. Sur la table également, un ordinateur portable argenté, fermé, le cordon d'alimentation soigneusement enroulé par-dessus, une drôle de petite tortue en plastique verte en guise de bol à crayons et une minuscule boîte remplie de trombones et d'élastiques. La chaise qui se trouvait normalement devant était tombée à la renverse. Un vase gisait à côté, ses tulipes rouges et son eau répandues sur le tapis, transformant sa teinte orge pâle en couleur de pisse.

Venait enfin le corps, étalé face contre terre sur le tapis, bras en croix. C'était aux bras qu'on voyait qu'il était mort, plus encore qu'à la tache foncée qui s'était répandue depuis sa tête – vraiment sombre, plus noire que rouge. J'ai songé à ses yeux ouverts qui devaient plonger dans la rugosité du tapis, sa grande bouche difforme contre la laine. J'ai regardé ses mains, étendues comme pour tenter d'atteindre quelque chose.

Avant

Ces mains. Quand je les ai senties sur mon visage pour la première fois, effleurant ma nuque, s'enfonçant dans mes cheveux, elles étaient plus douces que je ne m'y étais attendue. Plus douces dans leurs manières aussi. J'avais presque l'impression qu'il était un aveugle en train de découvrir mon corps au toucher. Il a laissé ses doigts courir le long de mon épine dorsale dénudée et j'ai eu l'impression qu'on se servait de mon corps pour en jouer : des basses inconnues m'échappaient tandis qu'il pianotait mes vertèbres comme autant de touches, faisant vibrer une corde en moi, dans un plaisir proche de la douleur.

Après

Je n'ai pas pu m'en empêcher. Je me suis agenouillée près de lui une minute, j'ai glissé un doigt dans sa main légèrement incurvée, encore chaude et douce sous la mienne, et l'ai laissé là un moment. En dépit de tout, il avait été mien, un temps. Il m'avait regardée comme si j'étais la femme la plus belle du monde, la plus précieuse pour lui, et je l'avais réconforté. Ce n'est pas si éloigné de l'amour.

Je me suis relevée pour arpenter la pièce, inspectant les objets sans bien savoir ce dont je cherchais à m'assurer. J'ai ouvert le tiroir de la table, me suis accroupie pour scruter sous le canapé, j'ai soulevé le coussin du fauteuil. Ma sacoche en cuir, la marron éraflée que j'avais portée lycéenne et dont je me servais à nouveau maintenant que j'étais de retour à l'école en tant qu'enseignante : elle aurait dû être là. Je savais que je l'avais laissée sur l'accoudoir, la boucle de sa sangle défaite.

Je suis allée dans la cuisine, déroulant soigneusement mes pieds sur le carrelage, sans faire de bruit. Le désordre habituel : des mugs et des assiettes sales, des miettes sur la table, un rond de café sur le plan de travail, un paquet de biscuits ouvert. Je me suis figée. Quelque chose clochait : quelque chose d'incompréhensible. J'ai ouvert les placards un à un et scruté à l'intérieur. J'ai tiré tous les tiroirs, grimaçant à chaque raclement et grincement, tandis que les couverts s'entrechoquaient. Où était mon tablier ? Celui que j'avais apporté quand je nous avais préparé un repas quelques jours plus tôt parce que, pour une fois, je portais une robe que j'aurais été fâchée de tacher. Où était mon livre de recettes – le seul que je possédais –, avec mon nom écrit sur la page de titre ? « Pour Bonnie, tendresses, Maman. » Un moment, je suis restée pétrifiée, déroutée, alors qu'une douleur sourde montait dans ma poitrine. Le robinet gouttait doucement. J'entendais de petites rafales de vent dans l'arbre de derrière et, au loin, le roulement des voitures le long de la grand-rue, le bringuebalement d'un camion que je sentais également vibrer au sol.

Je suis entrée dans la chambre sur la pointe des pieds. Les rideaux étaient tirés et le lit défait. Je pouvais presque y discerner encore la forme de son corps, de nos corps. Des vêtements s'entassaient, destinés au lavage, d'un côté de la porte. Je ne voyais pas ma chemise, celle qu'il avait arrachée et jetée à terre, tandis que je savais où elle était tombée. Je me suis souvenue de quelle façon il m'avait regardée alors, un regard qui m'avait donné envie de couvrir ma nudité. Je ne trouvais ni mon vieux tee-shirt ni mon short en flanelle, ceux que je mets la nuit quand il fait froid. J'ai ouvert chacun des tiroirs de la commode. Il y avait quelques vêtements de Liza, ceux qu'elle n'avait pas voulu emporter, et quelques-uns à lui aussi ; mais aucun des miens, pas plus que de sacoche. Je me suis assise sur le lit, j'ai fermé les yeux quelques instants, et dans le noir j'ai cru le sentir là, à mes côtés. Cette sensation m'accompagnerait-elle à jamais, ou finirait-elle par s'estomper et s'effacer ?

Il n'y avait qu'une brosse à dents dans la salle de bains. La mienne. La sienne avait disparu. Je l'ai prise. Mon déodorant avait disparu, mais le sien était là. Mon rasoir avait disparu mais le sien était là. Mon petit tube de lait pour le corps avait disparu. Je me suis examinée dans le miroir au-dessus du lavabo. Des yeux sombres dans un petit visage blanc. Des lèvres sèches. Le bleu s'épanouissant sur mon cou, à moitié dissimulé par l'écharpe.

Je suis retournée dans le salon. Hayden m'a semblé plus imposant qu'auparavant, plus mort, d'une certaine façon. À quelle vitesse un corps refroidit-il ? À quelle allure le sang se met-il à poisser ? Si je le touchais de nouveau, serait-il dur à présent, comme un cadavre, non plus comme un homme ? Du coin de l'œil, j'ai cru voir sa main bouger, et j'ai dû la fixer longuement pour me convaincre que c'était impossible.

J'ai senti quelque chose sous mon pied et, en baissant les yeux, j'ai vu le carton d'invitation au mariage. Je me suis penchée et je l'ai ramassé, l'ai plié en deux puis encore en deux, et l'ai fourré avec la brosse à dents que je tenais toujours à la main au fond de la poche de mon jean.

Avant

— Santé. (J'ai levé mon verre de vin blanc frais et j'ai trinqué avec eux.) Aux vacances !

— On n'est pas en vacances, Liza et moi, je te rappelle, a rétorqué Danielle. Il n'y a que les profs pour prendre six semaines de vacances.

— Il n'y a que les profs pour mériter six semaines de vacances. À l'été, dans ce cas.

J'ai bu une gorgée et me suis adossée voluptueusement. Le soir était tombé mais l'air était toujours doux et tiède. J'avais besoin de l'été – des grasses matinées, des journées chaudes et remplies de lumière, de ce temps loin des classes d'adolescents en train de gratter maladroitement leurs violons et de faire siffler leurs flûtes à bec, loin de la salle des profs où nous n'avions plus le droit de fumer mais où nous buvions de trop nombreuses tasses de café à la place, loin des soirées passées à noter des copies et à tenter de mettre de l'ordre dans ma vie, page à page, facture angoissante après facture angoissante.

— Que vas-tu faire de tout ce temps ?

— Dormir. Voir des films. Manger du chocolat. Me remettre en forme. Nager. Revoir mes amis. Décorer enfin mon appart.

Plusieurs mois auparavant, j'avais quitté un deux-pièces que j'adorais pour l'un des plus petits studios – plus sombre, plus miteux – que l'on puisse trouver à Camden Town, aux murs mal isolés, aux encadrements de fenêtres écaillés, pourvu d'un réfrigérateur qui fuyait et d'un radiateur crachotant qui ne chauffait que lorsqu'il le voulait bien. Mon projet était de le rénover. J'avais dans l'idée, romantique, de récupérer de beaux meubles anciens dans des bennes et de faire des miracles en les blanchissant à la chaux, mais d'abord, je devais décoller des couches et des couches de peinture et de papier, arracher la moquette à motifs, et tenter de convaincre des amis débordés de jeter un œil à l'installation électrique ainsi qu'à la tache marron suspecte qui s'étalait au plafond.

— Bref, je reste chez moi cette année. J'imagine que vous partez après le mariage, ai-je ajouté à l'attention de Danielle.

— Lune de miel en Italie, a-t-elle répondu, avec un petit sourire triomphant.

J'ai ressenti une pointe d'irritation. Danielle semblait penser que son mariage imminent signifiait qu'elle avait pris sur Liza et moi un ascendant moral. Nous avions été ensemble à la fac, membres de la grande démocratie étudiante des années chaotiques, des cœurs brisés et des premiers pas vers l'âge adulte, mais elle se comportait aujourd'hui comme si elle avait de l'avance dans une course à laquelle nous ignorions participer, et qu'elle nous regardait de haut, avec un mélange de supériorité et de pitié. Liza, la fêtarde ivrogne à la voix rauque, et moi, l'enseignante sans poitrine, aux cheveux décolorés, traînant derrière elle une série de relations sans lendemain. Elle commençait même à changer d'apparence. Ses cheveux blond sale avaient été dégradés d'une main experte, puis avaient subi un brushing élégant ; ses ongles étaient vernis d'un rose nacré (tout ça pour mettre en valeur le solitaire) ; elle portait une jupe d'été légère. Elle était en beauté mais restait discrète, comme si elle tentait de mettre sa sexualité en sourdine de façon à incarner la douce épouse rougissante. Je m'attendais presque à ce qu'elle me prenne la main et me dise de ne pas m'en faire, que mon heure viendrait.

— Le 12 septembre, c'est bien ça ?

Liza s'est servi un autre généreux verre de vin dont elle a bu une grande gorgée, se léchant goulûment les lèvres. Je l'ai regardée avec tendresse : l'un des boutons de sa très moulante chemise s'était défait, et sa crinière de cheveux auburn retombait, décoiffée, sur son visage empourpré.

— Il va falloir qu'on réfléchisse à un cadeau de mariage. quelque chose d'original.

— Il n'y a qu'une chose que j'attende de vous, a déclaré Danielle en se penchant en avant, de sorte que j'ai vu de minuscules gouttes de sueur au-dessus de sa lèvre supérieure.

Un instant, j'ai cru qu'elle avait une liste de mariage et que je devrais acheter une bouilloire électrique ou une demi-cuillère en argent.

— Je voudrais que vous jouiez à la soirée.

— Hein ?

Liza et moi nous sommes écriées en même temps, avec une note identique d'incrédulité et de désarroi dans la voix.

— Je mourais d'envie de vous le demander. Honnêtement, ça me ferait tellement plaisir. Et à Jed, aussi.

— Tu veux dire, jouer de la musique ? ai-je insisté bêtement.

— Je n'ai jamais oublié le soir où vous avez joué pendant le dîner de bienfaisance à la fac. Sublime. J'en ai pleuré. C'était l'une des meilleures soirées de ma vie.

— Pas pour moi, ai-je répliqué, ce qui était peu dire. Enfin, Danielle, on n'a pas joué depuis... eh bien, sans doute depuis cette soirée

— C'est sûr et certain, a ajouté Liza en pouffant de rire.

C'est elle qui chantait et même à cette époque-là, près de dix ans plus tôt, elle avait déjà la voix rauque d'une fumeuse. Je n'osais pas imaginer ce que ça donnerait aujourd'hui – un truc genre corbeau avec des brindilles dans le bec.

— Je ne sais pas où ils sont passés, pour la moitié d'entre eux.

— Et je ne tiens pas à le savoir.

— Ray est en Australie.

— Vous pouvez vous retrouver, a dit Danielle, rien que pour cette fois. Ce serait chouette. Nostalgique.

— J'en sais trop rien.

— Même pas pour moi ? a-t-elle suggéré d'un air engageant. (Elle n'avait pas l'air de comprendre que nous n'avions nullement l'intention de jouer à son mariage.) On ne se marie qu'une fois.

— C'est impossible, a répondu Liza gaiement, en agitant les mains en l'air de manière exubérante. Je prends mon congé sabbatique et je vais me volatiliser. Je pars quatre semaines en Thaïlande et au Vietnam. Je ne reviens que deux jours avant ton mariage. Même si on pouvait convaincre les autres, ce qui me paraît mission impossible, je ne serais pas dans le coin pour répéter. Pas plus que la plupart des autres. C'est l'été, après tout.

— Ah... a soupiré Danielle.

On aurait dit qu'elle allait se mettre à pleurer, maintenant que ses chers plans étaient tombés à l'eau. Puis elle s'est ranimée, a appuyé son petit menton dans sa main et s'est adressée à moi.

— Mais tu es là, Bonnie. Tout l'été. À refaire ton appart.

Je ne sais pas comment cela se fait que j'ai dit oui, alors que franchement, je pensais : non, non, non, NON. En aucun cas. J'ignore comment j'ai fait pour accepter que l'on empiète sur mes délicieuses six semaines destinées à bricoler peinarde entre deux élans de décoration. Mais j'ai été idiote, et je l'ai fait.

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