Extraits

Des enfants jouent derrière, sur une bande de gazon plastifiée vert électrique par un soleil brillant. Le ciel est d'un bleu clair délicieux. La vie est belle. Je vais la savourer, cette vie, et elle sera longue. Je serai ce que le corps médical appelle un survivant de longue date. Je le serai, je le sais.

La vie est rasoir et inutile. Au départ, on est plein de rêves extraordinaires puis on se retrouve assis dessus. On se rend compte qu'on va tous y passer sans avoir vraiment trouvé les grandes réponses. On prend au sérieux toutes leurs théories à cent litres de salive à l'heure et, en fait, c'est nos propres vies qu'ils nous servent mais sous d'autres formes. Et jamais ils nous ont musclé les pattes avec des trucs cohérents sur les vraies grandes choses. En deux mots, ta vie est courte, décevante et ensuite tu meurs. On occupe nos vies avec de la merde, comme les carrières et les relations, pour nous faire croire que tout n'est pas totalement inutile.

Parfois, je me dis que les gens qui virent junkie sont ceux qui rêvent inconsciemment d'un peu de silence .

- C'est juste que ça m'inquiète que tu choisisses de passer ton temps avec lui. Le regarder dépérir ne te sera pas bénéfique, surtout qu'Alan était loin d'être le membre le plus positif.

- Mais certainement le plus séropositif.

Il paraît qu'y a pas de femmes frigides, seulement des hommes incompétents.

La petite Lisa Connell était triste qu'on ait mis son papa dans une boîte, mais elle savait qu'il aurait bientôt des ailes, comme un ange, et qu'il monterait au ciel. Sa Nana avait fondu en larmes quand Lisa avait suggéré que ça se passerait peut-être comme ça. Dans la boîte, on aurait dit qu'il dormait. Sa Nana avait dit que la boîte était partie, au paradis. Lisa croyait qu'il poussait des ailes aux anges et qu'ils s'envolaient au paradis. Elle était un peu inquiète qu'il ne puisse pas étendre ses ailes, si on ne le laissait pas sortir de la boîte. Mais ils devaient savoir ce qu'ils faisaient. Le paradis, ça devait être chouette. Elle irait au paradis, et elle verrait son papa. Quand il venait la voir à Wester Hailes, il était souvent tout patraque, alors elle n'avait pas le droit de lui parler. Au paradis, ce sera bien, ils pourront jouer ensemble, comme quand elle était vraiment toute petite. Il sera en pleine forme, au paradis. Le paradis n'aura rien à voir avec Wester Hailes.

A la porte du bar, les deux Américaines au bras, Sick Boy se retourne, lève un sourcil à l'adresse de Renton, façon Roger Moore, puis s'en va. Un accès de paranoïa, activé par le speed, foudroie Renton. Et si le succès de Sick Boy avec les femmes venait du don d'arquer un sourcil et un seul ? Renton sait bien comme c'est difficile. Il a passé de longues soirées à s'entraîner devant le miroir, mais ses deux sourcils persistaient à réagir en même temps.

Je le dis, si c'était que moi, je prendrais tous les putains de livres et je ferais un putain de tas gigantesque et je foutrais un putain de feu à tout ça. À quoi ça sert les livres, hein? Aux grandes gueules pour qu'elles puissent étaler partout la foutue merde qu'ils ont lue. On sait tout ce qu'on a besoin de savoir par les journaux et la télé. Connards arrogants. Je prendrais leurs foutus bouquins...

Quand ils s'engagèrent dans le passage souterrain, Spud jugea qu'il devait essayer de passer le bras autour de Nicola. C'est alors que lui revint un passage d'une chanson des Smiths, une qu'il avait toujours aimée, intitulée There is a light that never goes out :

and in the darkened underpass

I thought Oh God my chance has come at last but then a strange fear gripped me and I just couldn't ask

La voix triste de Morrissey condensait tout ce qu'il ressentait. Il n'avait pas passé le bras autour de Nicola et ses tentatives ultérieures pour la draguer avaient été molles, voires foireuses. A la place, il s'était shooté dans une chambre avec Rents et Matty, et délicieusement affranchi de savoir s'il allait ou non la serrer.

La question rhétorique, arme de base des meufs et des psychopathes.