Extraits

– Est-ce qu’on peut au moins l’emmener manger une glace ?

– Après le gâteau ? fais-je, réticent.

– Heath, on voudrait juste passer du temps avec lui, insiste-t-elle doucement.

– OK, mais un sorbet, alors.

– C’est ça, un sorbet sans sucre ni arômes artificiels, poursuit mon père. Allez, viens avec nous, on va te payer un glaçon, mon bonhomme !

– Ne demande jamais pardon quand tu me fais l’honneur de lâcher prise entre mes bras, prononce-t-il lentement, le regard droit.

– Je vous accompagne pour retrouver vos amies ? me propose-t-il sans prévenir.

– Vous avez conscience que je suis tout à fait capable de me déplacer seule ? lui demandé-je, un peu trop brusquement.

Il me décoche un sourire ravageur. Je riposte avec une œillade brûlante.

– Je suis certain que vous êtes capable de bien des choses, seule ou accompagnée, murmure-t-il sans cesser de sourire.

J’en frissonne, tellement sa voix grave a mis de sous-entendus érotiques dans cette simple petite phrase.

Je retrouve mes marques. Il veut jouer avec moi ? Il perdra la partie, comme tous les autres avant lui. Je suis championne olympique de séduction à l’arraché en milieu mondain, ceinture noire dixième dan de drague urbaine. Ma décision est prise : s’il veut quitter cette soirée, ce sera avec moi. Je m’avance vers lui, comme si j’allais accepter son invitation à me conduire vers mes amies, et lui fais mon sourire le plus innocent.

– Il y a des choses que je préfère faire accompagnée, Heath, lui soufflé-je à l’oreille comme un secret.

Nous rions un peu, en constatant que nous avons largement de quoi nourrir tous les habitants de mon quartier.

– Je voulais te remercier pour hier, mais…

– Un « merci » aurait suffi, dis-je avec un petit sourire.

– Dans ce cas : merci.

Heath plonge son regard dans le mien. Le silence se fait plus dense. Quelques-unes des mille questions qui m’ont empêchée de dormir me reviennent.

– Excuse-moi, mais quelque chose m’a fait tilter, hier, annoncé-je.

Heath soulève un sourcil et m’encourage d’un geste. Je lui tends une tasse de café et prends place sur le sofa. Il fait de même, sans me quitter des yeux.

– Vasco t’a demandé si Zach pourrait redevenir son père. Mais son père, c’est toi, non ? demandé-je carrément.

Heath soupire, pose son café. Ses yeux bleus se noient d’une tristesse qui me fend le cœur.

– Je suis son père, oui, répond-il, la voix sûre. Mais Zach est son géniteur.

– Oh…

Cette révélation ne me surprend pas vraiment. Sans doute parce que moi-même, j’appelle « papa » un homme avec qui je ne partage aucun gène.

– J’ai adopté Vasco quand il était encore bébé, me confie Heath, un sourire mélancolique aux lèvres.

– Zach te l’a confié ?

Un rire amer lui échappe. Je m’interromps, consciente que le sujet est forcément douloureux, compte tenu de leur confrontation au terrain de basket.

– Zach ne s’est jamais préoccupé de Vasco ! lance Heath, la voix vibrante de colère.

– Et Vasco ? demandé-je.

Heath comprend instantanément où je veux en venir.

– Il est au courant de tout, depuis toujours, je ne lui ai jamais rien caché, m’explique-t-il, un brin de défi dans la voix. Zach est celui qui l’a conçu, mais je suis celui qui l’a élevé. Zach fait partie du passé de mon fils et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il reste à cette place.

– Dans le passé.

– Dans le passé, répète Heath, buté.

– Tu as eu raison de lui parler, dis-je, les yeux fixés sur ma tasse déjà vide. J’ai moi aussi été adoptée par mes parents et j’ai l’impression de l’avoir toujours su, il n’y a jamais eu de « grande révélation », tu vois ce que je veux dire ?

Je relève la tête. Heath me dévisage, surpris et visiblement touché par ma confidence. Attentif, il acquiesce lentement.